Les épisodesPassion Médiévistes

Épisode 91 – Théo et les combattants dans les enluminures

Au XIIIème siècle, comment étaient représentés les combattants dans les enluminures qui illustrent les Bibles ?

Portrait Théo Guigonis par Fanny Cohen Moreau
Portrait Théo Guigonis par Fanny Cohen Moreau (2023)

En 2023 à l’université d’Aix-en-Provence, Théo Guigonis a présenté un mémoire de recherches intitulé Le combattant dans les Bibles illustrées du XIIIème siècle, sous la direction d’Emmanuel Bain. Dans cet épisode de Passion Médiévistes, il vous décrit avec précision la manière dont étaient représentés les combattants à l’époque médiévale, et plus particulièrement au XIIIème siècle.

Des manuscrits enluminés

Théo Guigonis a basé ses recherches sur l’Occident – comprenez, l’Europe – pendant la première moitié du XIIIème siècle. D’un point de vue militaire, étroitement lié à l’aspect religieux, c’est le temps de différentes croisades. Parmi elles, la croisade contre les Albigeois ou encore celle contre les États Latins d’Orient. Nous évoquons d’ailleurs le contexte historique de cette époque, en détail, dans cet épisode de Super Joute Royale sur les rois du XIIIème.

Pour étudier les combattants, Théo Guigonis s’est appuyé sur des sources iconographiques qu’il a tirées exclusivement de Bibles. Dans ces manuscrits religieux, il a donc étudié des représentations illustrant divers épisodes bibliques. Son sujet traite des combattants portant une arme – et non de ceux qui combattent à mains nues – car il s’est penché uniquement sur les combattants dépeints dans un contexte de guerre.

“Sur chaque folio d’une bible moralisée, on peut lire un passage biblique avec, à côté, un médaillon pour illustrer le passage. En dessous, il y a un commentaire avec [encore une fois] une illustration qui, elle, interprète ce commentaire.” – Théo Guigonis.

Médaillons A et a du Bodley 270b, fol. 134r
Médaillons A et a du Bodley 270b, fol. 134r

Une bonne partie des sources illustrées sur lesquelles a travaillé Théo Guigonis sont des enluminures du Premier Livre de Samuel, dans l’Ancien Testament. On y décrit – et on y voit – de nombreux affrontements. Théo Guigonis a donc voulu savoir comment la mort et le combat y étaient représentés. Il y a ainsi isolé trois types de scènes dans lesquelles on retrouve la figure du combattant : des illustrations de combattants en civil munis d’une arme, des exécutions, ainsi que des scènes de bataille dans lesquelles les acteurs cherchent, ni plus ni moins, à exterminer l’ennemi.

La figure du combattant et ses représentations iconographiques

“Il n’y pas UN combattant : il y a DES combattants. C’est toute une panoplie de personnages.” – Théo Guigonis.

Théo Guigonis définit le combattant comme étant un individu portant une arme et qui s’en sert pour attaquer un autre individu. À partir de là, il vous énumère plusieurs types de combattants, du plus pauvre, muni d’un simple bâton, au chevalier vêtu d’une armure, doté d’un bouclier et chargeant à la lance sur sa monture. Aussi, en fonction de l’arme dont ces combattants disposent, on retrouve des archers, des frondeurs ou encore des sergents d’arme.

“On a plein d’armes différentes. C’est un plaisir ! […] Mais une arme, ce n’est pas seulement un objet pour taper son copain. [Ça] symbolise quelque chose. ”

D’un point de vue plastique, les combattants illustrés dans les sources ressemblent traits pour traits à des combattants du XIIIème. Théo Guigonis vous explique que ces combattants ont recours aux mêmes techniques de combat qu’à cette époque, qu’ils disposent des mêmes armes et sont vêtus des mêmes équipements. À l’inverse, et pour signifier leurs différences, les illustrations des infidèles qu’ils affrontent les montrent, eux, avec un équipement obsolète.

Enfin, Théo Guigonis insiste sur un point iconographique : il y a bien des jeux de perspectives sur les illustrations qu’il a observées. Il affirme ainsi que les représentations sont très réalistes, notamment dans le maniement des armes par les combattants ou encore au regard de leurs positions d’attaque. En revanche, il précise que certains aspects ne sont pas du tout représentatifs du champ de bataille de l’époque. Ces représentations idéalisées sont tirées des chansons de gestes et illustrent l’idéal chevaleresque plutôt que la réalité.

Parties I et II du MS M.638, fol. 23v
Parties I et II du MS M.638, fol. 23v

L’importance du chevalier au XIIIème siècle

“Les chevaliers se battent pour le Bien. Ce sont des combattants du Christ. Ils n’ont pas peur de mourir.” – Théo Guigonis.

Médaillons B et B du Mss 1 fol. 109v
Médaillons B et B du Mss 1 fol. 109v

Les chevaliers sont les figures de premier plan des représentations bibliques, tandis que les combattants qui ont une position sociale moins privilégiée sont plutôt représentés dans les détails de l’arrière-plan. Selon Théo Guigonis, il s’agit de permettre aux lecteurs de l’époque de s’identifier aux chevaliers dépeints sur les illustrations afin d’avoir l’impression de poursuivre leur combat du Bien contre le Mal.

Théo Guigonis vous confie comment reconnaitre le statut social d’un combattant et isoler la figure du chevalier grâce à son armement. Il a en effet pu constater que le chevalier est particulièrement mis à l’honneur et facilement identifiable grâce à tous ses attributs guerriers (armure, haubert, bouclier ou encore épée). En parallèle, Théo Guigonis a aussi relevé un florilège d’armes différentes : épées, poignards, haches et autres saquebutes, cette lance dotée d’un crochet et utilisée par les fantassins pour désarçonner les cavaliers.

À travers les enluminures qu’il décrit, Théo Guigonis vous explique aussi que c’est avant tout l’idéal chevaleresque qui est mis en avant, et tout particulièrement grâce à des scènes de duel. Au milieu de la mêlée, sur le champ de bataille, on représente des combats à un contre un dont l’écho résonne avec les tournois de chevalerie. Par ailleurs, Théo Guigonis souligne le fait que les chevaliers représentés dans les illustrations ne se défendent jamais. Il explique que c’est tout simplement parce qu’il est avant tout question de montrer la force et la foi du chevalier dans le contexte des croisades.

Pour en savoir plus sur le sujet de l’épisode, on vous conseille de lire :

  • Martin Aurell, Excalibur, Durendal, Joyeuse: la force de l’épée, Paris, Presses universitaires de France / Humensis, 2021.
  • Renaud Beffeyte, L’art de la guerre au Moyen Age, Rennes, Ouest-France, 2005.
  • Tobias Capwell et Alan Williams, « An experimental investigation of late medieval combat with the couched lance », Journal of the Arms and Armour Society, 22-1, 2016, p. 2‑29.
  • Collectif, L’épée: Usages, mythes et symboles, Edition de la Réunion des musées nationaux., Paris, 2011.
  • Nathanaël Dos Reis, Rôle et utilité du gambison aux XIIe et XIIIe siècles en Occident, https://nathanaeldosreis.jimdofree.com/2021/12/27/r%C3%B4le-et-utilit%C3%A9-du-gambison-aux-xiie-et-xiiie-si%C3%A8cles-en-occident/.
  • Nathanaël Dos Reis, Sangles et Tenues de l’écu – fin XIIe début du XIIIe siècle, http://www.degueulesetdargent.fr/2017/02/14/sangles-et-tenues-de-l-%C3%A9cu-au-d%C3%A9but-du-xiiie-si%C3%A8cle/.
  • Philippe Durand, L’armement au Moyen Age, Bordeaux, Éditions Confluences, 2012, vol. Tome 1.
  • Philippe Durand, L’armement au Moyen Age, Bordeaux, Éd. Confluences, 2013, vol. Tome 2.
  • Gilles Martinez, « Des gestes pour combattre. Recherches et expérimentations sur le combat chevaleresque à l’époque féodale : l’exemple du Roman de Jaufré (Paris, BnF, ms. fr. 2164) » These de doctorat, Montpellier 3, 2018.
  • Illustration de l'épisode 91 par Din
    Illustration de l’épisode 91 par Din

    Gilles Martinez, « L’écu à l’époque romane. Apport des méthodes expérimentales à la compréhension de la gestuelle martiale féodale (XIe- XIIe siècle) », Issoire, 2017, vol. 27e colloque international d’art roman.

  • Valérie Serdon, Armes du diable : arcs et arbalètes au Moyen âge, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2005.
  • Pierre-André Sigal, « Les coups et blessures reçus par le combattant à cheval en Occident aux XIIe et XIIIe siècles », Actes des congrès de la Société des historiens médiévistes de l’enseignement supérieur public, 18-1, 1987, p. 171‑183.
  • Abbès Zouache, « L’armement entre Orient et Occident au VIe/XIIe siècle : Casques, masses d’armes et armures », Annales islamologiques, 2007.

Dans cet épisode, vous avez pu entendre les références suivantes :

Merci à Clément Nouguier qui a réalisé le générique du podcast, à Baptiste Mossiere pour le montage de l’épisode et à Alizée Rodriguez pour la rédaction de l’article !