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Épisode 83 – Tanguy et les légendes arthuriennes germanophones

Comment les légendes arthuriennes étaient-elles traitées dans l’Allemagne médiévale ?

Portrait de Tanguy Donnet
Portrait de Tanguy Donnet (par Fanny Cohen Moreau)

Passion Médiévistes reçoit Tanguy Donnet, doctorant en littérature médiévale allemande à l’Université de Lausanne, sous la direction de Christine Putzo et Bernd Bastert. Dans cet épisode, ce spécialiste de l’histoire littéraire de l’Allemagne du XIIIème siècle vous parle de sa thèse sur le sujet « Les mondes narratifs perdus, romans arthuriens fragmentaires du Moyen Âge allemand. »

Comme l’explique Tanguy Donnet, au Moyen Âge, l’ère géographique germanophone est définie par l’ensemble des endroits où l’on parle une langue similaire à l’allemand. Cette langue a ensuite évolué pour devenir l’allemand tel qu’on l’entend aujourd’hui. À l’époque médiévale, le monde germanophone est fractionné en plusieurs duchés et autres comtés dirigés par des seigneurs, avec à leur tête, un empereur. Cet empereur est choisi, ce n’est pas un poste héréditaire.

La littérature germanophone du Moyen Âge et les spécificités des légendes arthuriennes

Il s’agit du « Roman de Segremors », l’adaptation du Roman de Raoul de Houdenc (un pote de Chrétien de Troyes) « Meraugis de Portlesguez »
« Roman de Segremors », adaptation du Roman de Raoul de Houdenc « Meraugis de Portlesguez »

La littérature germanophone est directement inspirée de la littérature francophone. Tanguy Donnet vous révèle que presque la moitié des textes vient de la littérature rédigée en ancien français. Il existe alors trois genres littéraires regroupés en catégories appelées matières : la matière de Rome, qui regroupent les romans de l’Antiquité, d’Alexandre le Grand aux aventures d’Énée ; la matière de France, dite de Charlemagne et qui se définit par la chanson de gestes ; et enfin, la matière de Bretagne, c’est-à-dire la littérature arthurienne adaptée en allemand.

L’inspiration francophone est omniprésente dans la littérature germanophone, notamment lors de l’adaptation des romans arthuriens en allemand. En effet, aux XIIème et XIIIème siècles, les codes de la cour allemande sont ceux de de la cour de France. Les adaptations des textes et des légendes arthuriennes ne font donc pas exception. Ainsi, Tanguy Donnet souligne que les codes littéraires sont également inspirés des codes francophones.

“Mes textes racontent des histoires de chevaliers.” – Tanguy Donnet

Il existe toutefois une distinction entre la littérature francophone et allemande. Au Moyen Âge, la littérature médiévale germanophone structure le texte en aventures plutôt qu’en chapitres. Et les romans arthuriens n’échappent pas à la règle. Tanguy Donnet vous précise qu’une aventure constitue un épisode qui raconte les exploits et la quête du chevalier qu’elle met en lumière. Il s’agit de conter des batailles ou des tournois, entre autres actes chevaleresques. D’ailleurs, les aventures du chevalier, ce qu’il accomplit, n’ont d’importance que si on prend la peine de les raconter. Et  vous l’aurez deviné,la manière de raconter une aventure est primordiale.

“J’aime bien définir Chrétien de Troyes comme une espèce de fanboy, qui se serait dit un jour : ‘il faut absolument que je raconte la suite de la légende arthurienne’.” – Tanguy Donnet

Si les romans narrant l’histoire du roi Arthur sont inspirés de la littérature francophone, Tanguy Donnet relève cependant une différence entre les légendes arthuriennes francophones et germanophones. Il y a davantage de textes sur les légendes arthuriennes en ancien français qu’en langue germanique. La majeure partie des romans arthuriens médiévaux en Allemagne est inspirée par les légendes arthuriennes contées par Chrétien de Troyes – comme vous le racontait Charlène Soret dans l’épisode 34.

“Un livre, c’est toute une industrie qui entre en jeu, de la personne qui traite les peaux d’animaux pour en faire des parchemins, à celui qui copie les textes dessus.” – Tanguy Donnet

Au Moyen Âge, dans le monde germanophone, les livres sont fabriqués sur commande. Ils sont financés par un mécène et sont inspirés, adaptés, voire directement copiés d’un texte original. Faire référence à des auteurs existants est d’ailleurs très bien vu à cette époque et les auteurs des romans arthuriens mentionnent le nom des auteurs dont ils se sont inspirés dans les prologues ou les épilogues de leur roman.

Tanguy Donnet insiste sur un point : un livre est une entreprise couteuse et fastidieuse. Il vous précise aussi qu’a priori, au Moyen Âge, on devait plutôt entendre les textes et non les lire. Pas de lecture le soir dans son lit avec son livre de poche ! Les livres sont des objets grands formats, qu’on lisait ou se faisait lire à haute voix au cours de lectures publiques, ou de sessions de lecture privée pour une noble dame et ses dames de compagnie par exemple. Plutôt une lecture sonore donc.

 Arturus Rex, le roi Arthur combattant le Chapalu (?) Cathédrale d’Otrante
Arturus Rex, le roi Arthur combattant le Chapalu (?), Cathédrale d’Otrante (source : site de la BnF)

Étudier la littérature arthurienne médiévale germanophone 

“ Je travaille avec des objets qui ont plusieurs strates, si on veut. Mon travail, c’est donc de reconstruire cette histoire littéraire.” – Tanguy Donnet

Tanguy Donnet étudie les textes arthuriens germanophones. Il s’agit en tout de sept romans fragmentaires qui représentent quelque 2500 vers provenant de plusieurs manuscrits différents, et encore jamais étudiés. Notez qu’un roman arthurien germanophone pouvait faire jusqu’à 30 000 vers. Aussi, ces fragments sont en réalité des morceaux de parchemins qui ont été détruits puis recyclés en différents fragments sur lesquels on a ensuite réécrit. La plupart des auteurs de ces fragments sont anonymes puisque Tanguy Donnet ne dispose que d’une partie infime du roman original. Il s’agit parfois d’un épisode particulier, de l’épilogue ou du prologue.

Illustration de l'épisode 83 par Din, avec une vue d'article du combat entre Arthur et le Chapalu
Illustration de l’épisode 83 par Din, avec une vue d’article du combat entre Arthur et le Chapalu

Les textes des légendes arthuriennes sont écrits en allemand médiéval. Tanguy Donnet vous explique qu’il y a deux immenses familles de dialogues : le haut allemand, parlé au sud – en Suisse, en Autriche ou encore en Bavière – là où il y a des montagnes (d’où cette idée de hauteur) ; et le bas allemand, essentiellement parlé au nord, proche de la mer et donc plus proche du Hollandais. Ainsi, il n’existe pas de distinction sociale entre ces deux familles de langue, mais bel et bien une différence géographique.

 

Le but de Tanguy Donnet est d’élaborer une édition critique des textes qu’il étudie. Il commence donc par lire les manuscrits, les recopier et mettre la ponctuation afin de rendre le texte lisible. Il tente ensuite de définir le contexte d’écriture du texte. Enfin, il analyse la manière dont les textes ont été adaptés par rapport à la version originale, souvent en ancien français.

Pour en savoir plus sur le sujet de l’épisode, on vous conseille les contenus suivants :

Une doctorante de l’Université de Lausanne, Hélène Cordier, (qui a terminé une thèse sur les Légendes de la Table Ronde destinées aux enfants) vient de publier une bande dessinée sur le Chat de Lausanne aux Editions Jobé-Truffer !

Fragment en ligne et de bonne qualité : le « Roman de Segremors »

Littérature primaire :

Quelques traductions en français de romans arthuriens germanophones traduits par la chercheuse Danielle Buschinger, Collections « Traductions des classiques français du Moyen Âge » chez Honoré Champion.

  • Ulrich von Zatzikhoven : Lanzelet. Texte traduit en français et présenté par Danielle Buschinger. Paris : Honoré Champion, 2003. : Lancelot germanophone (écrit en Suisse !)
  • Wirnt von Gravenberg : Wigalois le chevalier à la roue. Traduit en français moderne par Danielle Buschinger. Paris : Honoré Champion, 2004. : deuxième roman arthurien germanophone le plus copié.
  • Türlin (Heinrich von) : La Couronne. Traduit et annoté par Danielle Buschinger. Paris : Honoré Champion, 2010.  : roman qui met en scène Gauvain.
  • Wolfram von Eschenbach : Parzival. Traduit par Danielle Buschinger et Jean-Michel Pastré. Paris : Honoré Champion, 2010. : le roman de Perceval germanophone, d’après le texte de Chrétien de Troyes.
  • Hartman von Aue : Iwein. Traduction en français moderne par Danielle Buschinger. Paris : Honoré Champion, 2018. : texte dont on entend un extrait dans le podcast
  • Hartmann von Aue : Erec. Traduction en français par Danielle Buschinger. Paris : Honoré Champion, 2022. : roman arthurien germanophone le plus ancien qui nous soit parvenu, d’après « Erec et Enide » de Chrétien de Troyes.

Littérature secondaire :

  •  Achnitz, Wolfgang : Deutschsprachige Artusdichtung des Mittelalters. Eine Einführung. Berlin/ Boston : De Gruyter, 2012. : ouvrage d’introduction à la littérature arthurienne médiévale allemande le plus récent.
  • Aebischer, Paul : « Le chat de Lausanne : examen critique d’un double mythe ». In : Revue historique vaudoise 84 (1976), pp. 7–23.
  • Corbellari, Alain : « Lausanne-Genève aller retour : Du chat de Lausanne à la Chanson d’Aiol. » In: Vox Romanica 62 (2003), pp. 114–126. : deux articles sur le « Chat de Lausanne ».
  • Haug, Walter : Das Mosaik von Otranto. Darstellung, Deutung und Bilddokumentation. Wiesbaden : Dr. Ludwig Reichert Verlag, 1977, pp. 31–39 : ouvrage qui présente et analyse la mosaïque de l’église d’Otrante en Apulie en Italie. Les pages indiquées renvoient au chapitre dédié au combat du chat contre le roi Arthur.
  • Mertens, Volker : Der deutsche Artusroman. Stuttgart : Reclam, 1998. : autre ouvrage d’introduction sur la littérature arthurienne qui date un peu mais qui fait encore foi dans le milieu.
  • Pérennec, René und Schmid, Elisabeth (Hrsg.) : Höfischer Roman in Vers und Prosa. Berlin/ New York : De Gruyter, 2010 (Germania Litteraria Mediaevalis Francigena 5). : ouvrage qui présente les adaptations en allemand et en néerlandais des textes arthuriens francophones, notamment ceux de Chrétien de Troyes.
  • Remele, Florian : « Konventionalisierung und Alternativenbildung. Transformationen des deutschsprachigen Artusromans im 13. Jahrhundert am Beispiel der Crône Heinrichs von dem Türlin und des Daniel von dem Blühenden Tal des Strickers ». In : Dietl, Cora, Schanze, Christoph und Wolfzettel, Friedrich (Hrsg.): Jenseits der Epigonalität. Selbst- und Fremdbewertungen im Artusroman und in der Artusforschung. Berlin : De Gruyter, 2020, pp. 245–270. : un article de l’autre doctorant qui travaille sur les romans arthuriens germanophones et prépare une thèse à l’Université de Lausanne.
  • Schiewer, Hans-Jochen : « Ein ris ich dar vmbe abe brach / Von sinem wunder bovme. Beobachtungen zur Überlieferung des nachklassischen Artusromans im 13. und 14. Jahrhundert ». In : Honemann, Volker und Palmer, Nigel F. (Hrsg.) : Deutsche Handschriften 1100–1400. Oxforder Kolloquium 1985. Tübingen : Niemeyer, 1988, pp. 222–278. : un des seuls articles qui parle du corps de l’invité et dans les annexes duquel se trouvent des scans de manuscrits (en noir et blanc) de textes fragmentaires. En plus, il est accessible online (https://freidok.uni-freiburg.de/data/6830.)
  • Schmolke-Hasselmann, Beate : Der arthurische Versroman von Chrestien bis Froissart. Zur Geschichte einer Gattung. Tübingen : Max Niemeyer Verlag, 1980 (Beihefte zur Zeitschrift für romanische Philologie 177). : études sur la transformation du roman arthurien francophone, qui fait foi depuis 1980 dans le milieu, même si on essaie de réviser certains de ces aspects ces dernières années (Voir Toniutti 2021 plus bas)
  • Schnyder, Mireille : « Âventiure? waz ist daz? Zum Begriff des Abenteuers in der deutschen Literatur des Mittelalters ». In : Euphorion 96 (2002), pp. 257–272. : article sur le passage lu durant le podcast.
  • Toniutti, Géraldine et Wahlen, Barbara : « La figure d’Arthur dans quelques romans en vers tardifs allemands et français ». In : Ferlampin-Acher, Christine (Hrsg.) : Arthur en Europe à la fin du Moyen Âge. Approches comparées (1270–1530). Paris : Classiques Garnier, 2020, pp. 41–55. : article de deux chercheuses lausannoises qui travaillent en français sur les liens entre mondes francophone et germanophone.
  • Toniutti, Géraldine : Les derniers vers du roman arthurien. Trajectoire d’un genre, anachronisme d’une forme. Genève : Droz, 2021. : thèse publiée d’une doctorante de Lausanne qui a travaillé sur l’évolution du genre arthurien francophone.

Dans cet épisode vous avez pu entendre les extraits des œuvres suivantes :

Si cet épisode vous a intéressé vous pouvez aussi écouter :

Merci à Clément Nouguier qui a réalisé le magnifique générique du podcast, à Baptiste Mossiere pour le montage de l’épisode et Alizée Rodriguez pour la rédaction de l’article !