Épisode 7 – Guillaume et les tournois de chevalerie
Dans ce septième épisode, Guillaume Bureaux nous parle de sa thèse sur les pas d’armes à la fin du Moyen Âge lors des tournois de chevalerie.
Le pas d’armes était une forme théâtralisée et poétique de la joute. Les tournois servaient d’abord à canaliser la violence des chevaliers entre deux guerres, ils pouvaient se dérouler sur plusieurs jours, et deviennent de plus en plus réglementés. On apprend dans cet épisode que la femme à une place plus importante qu’on le croit pendant les tournois. Elles inspirent les chevaliers pour combattre, et elles décident, en tout cas en théorie, les vainqueurs et attribuent les prix. Mais il n’existe malheureusement pas d’exemple connu de femme combattante en armure.
Si le sujet vous intéresse voici quelques ouvrages pour en savoir plus :
- Le Pas du perron fée (Édition des manuscrits Paris, BnF fr 5739 et Lille BU 104), éd. HORN Chloe, ROCHEBOUET Anne et SZKILNIK Michelle, Paris, Champion, CFMA , 169, 2013.
- Louis de BEAUVAU, Le pas d’armes de la Bergère maintenu au tournoi de Tarascon, éd. G. A. Crapelet, Paris, 1828.
- BARBER Richard et BARKER Juliet, Les tournois, Paris, Cie 12, 1989.
- GAIER Claude, Armes et combats dans l’univers médiéval, Bruxelles, de Boeck, 1995 et 2004, 2 vol.
- GIRBEA Catalina (dir.), Armes et jeux militaires dans l’imaginaire, XIIe-XVe siècles, Paris, Classiques Garnier, 2016.
- GONTHIER Nicole (dir.), « Le tournoi au Moyen Âge », actes du Colloque des 25 et 26 janvier 2002, Cahiers du centre d’histoire médiévale, 2, 2003.
- HEERS Jacques, Fêtes. Jeux et joutes dans les sociétés d’occident à la fin du Moyen Âge, Montréal, PIEM, 1971.
- STANESCO Michel, Jeux d’errance du chevalier médiéval. Aspects ludiques de la fonction guerrière dans la littérature du Moyen-Age flamboyant, Leyden, Brill, 1988.
- VAN DEN NESTE Evelyne, Tournois, joutes et pas d’armes dans les villes de Flandre à la fin du Moyen Âge, Paris, École des Chartes, 1996.
A voir aussi : La joute, le plus gracieux des arts de la guerre, par Loïs Forster
Les extraits sonores diffusés dans cet épisode :
- Kaamelott – Livre III Episode 31 Le tournoi
- Game of Thrones, saison 1 Episode 5
- Chevalier, réal. Brian Helgeland, 2001, Columbia TriStar Films
Depuis quelques mois Guillaume a finit sa thèse, et il a un petit message pour vous :
La Thèse est morte, vive Passion Médiévistes !
Pour fêter le début d’une nouvelle aventure, ce qu’est sans coups férir le nouveau site de Passion Médiévistes, quoi de mieux qu’annoncer la fin d’une autre aventure ? Comme il est dit (notamment dans les biscuits porte-bonheur chinois), la fin d’une chose amène la naissance d’une autre !
Comme je disais dans l’épisode sur les tournois, la Thèse, c’est une grande aventure ! Avec le recul, j’irai même plus loin. La Thèse est une épreuve qualifiante, semblable à celle du chevalier littéraire. D’abord, parce qu’elle apparaît comme une quête initiatique qui nous confronte aux terribles réalités de la recherche ainsi qu’aux bonheurs les plus simples qu’elle nous offre : découverte d’une source, consultation d’un magnifique manuscrit ou encore satisfaction du devoir accompli après une journée passée aux archives ou après avoir achevé un chapitre ! Ensuite, parce qu’il s’agit d’une période profondément liminaire, en cela que celui/celle que nous sommes à l’issu de cette quête n’a plus grand-chose à voir avec celui/celle que nous étions. Quel héros-docteur peut affirmer sans hésiter qu’il n’a pas évolué depuis l’époque où il n’était qu’un apprenti-docteur ? Car la thèse modifie notre relation à l’Histoire (pour ceux qui font de l’histoire évidemment) après 3, 4, 5… années passées à fouiller, décortiquer, comprendre, tordre, dépecer et expliquer un sujet de recherche.
Tout cela pour dire qu’enfin, ma quête est achevée ! Si d’autres épreuves m’attendent (je vous laisse le plaisir de découvrir ces problèmes de votre côté, car la thèse se vit principalement seul), je sais que j’ai accompli un exploit (modeste certes) : j’ai pourfendu la Bête d’un coup de lance final en ce 20 novembre 2018, devant l’œil de 6 maîtres en la matière, et ce après plus de 4 années de traque et plus de 3h30 d’épreuve. Bien sûr, tout n’est pas parfait, rien ne l’est en définitive, et je sais qu’il me faut retourner voir la Bête pour réellement achever mon œuvre, pour que la preuve de ma réussite soit diffusée et publiée par toutes les places, tant physiques que numériques !
Sur ce, mes amis, mes frères, mes sœurs qui ont entrepris eux aussi une telle quête, il ne me reste plus qu’à vous souhaiter bon courage, tenez bon, car vous êtes, assurément, plus fort que la Bête et surtout, puisqu’Elle est votre Œuvre, n’oubliez pas que personne d’autre que vous ne la connait aussi bien, seul vous connaissez ses points forts, ses faiblesses, car ce sont les vôtres !
[Générique]
Fanny : Est-ce que l’on sait tout du Moyen Âge ? Est-ce qu’il reste encore des choses à découvrir ? Et d’abord, qu’est-ce que le Moyen Âge ? En fait, il y a autant de réponses que de médiévistes. Dans cette émission, nous nous intéressons à comment l’histoire médiévale est étudiée aujourd’hui par de jeunes chercheurs, quels sont les sujets qui les intéressent, pour vous donner envie d’en savoir plus et pourquoi pas donner de l’inspiration à de futurs chercheurs.
Épisode 7, Guillaume et les tournois de chevalerie, c’est parti.
Fanny : Parmi les clichés qu’on rattache souvent au Moyen Âge, on pense aux chevaliers et aux tournois de chevalerie. D’ailleurs, les réalisateurs qui s’intéressent à la période médiévale aiment bien les inclure dans leurs films : c’est très spectaculaire, et ça renforce un peu l’idée d’un Moyen Âge violent où on aimait bien se taper dessus, même si parfois, les chevaliers pouvaient se montrer poètes et offrir une rose à la dame de leur cœur. Mais est-ce que les films sont vraiment fidèles ? Est-ce que les chevaliers étaient des brutes, ou est-ce que c’était des poètes ? Et est-ce qu’il y avait du dopage dans les tournois de chevalerie ?
Pour répondre à toutes ces questions, enfin j’espère, j’accueille aujourd’hui Guillaume Bureaux. Bonjour Guillaume
Guillaume : Bonjour !
Fanny : Tu es doctorant en histoire médiévale à la fois à l’Institut historique allemand de Paris et à l’université de Rouen-Normandie, et tu prépares actuellement une thèse sur les pas d’armes pendant les tournois de chevalerie, qui étaient une forme théâtralisée et littéraire de la joute, on va le voir, et ce, surtout pour la période de la fin du Moyen Âge, c’est-à-dire XVe, XVIe siècle. Parmi les clichés que je viens de dire, est-ce qu’il y en a qui t’énervent un peu dans les films, ou dans les séries ?
Guillaume : On imagine souvent le tournoi, ou le pas d’armes, enfin peu importe comment on est-ce qu’on l’appelle, comme juste un sport, un sport de brutes, où c’est tous des gros bourrins qui viennent juste joyeusement se taper dessus, pour essayer de conquérir le cœur de la princesse. Alors qu’en fait, quand on regarde les chroniques, les textes comme ça, on se rend bien compte que déjà, les coups sont pas si fréquents que ça, puisqu’on va régler, on en parlera peut-être après, on règle, on donne un nombre de coups maximum à donner. Et donc, ça peut être très long, puisqu’en fait les chevaliers, on se rend compte à la fin du Moyen Âge, font le tournoi, ou le pas d’armes, ou la joute, juste par tradition réellement. Il n’y a pas beaucoup de grands champions comme on peut voir dans les films. Puis, comme tu disais, certains sont aussi poètes. Voilà, c’est pas juste un gros monde de brutes, où on se fait la guerre pour le plaisir.
Fanny : Comment tu as trouvé ce sujet et comment tu as été amené à travailler dessus ?
Guillaume : En fait, ça a commencé en licence 2. Je suivais un cours sur la France au temps de Bouvines jusqu’aux rois maudits, donc réellement entre 1214 et le milieu du XIVe siècle, et j’ai eu un exposé avec ma directrice actuelle sur le roman de Flamenca, qui est un roman occitan du XIIIe siècle, et qui raconte en fait les amours de Flamenca avec un chevalier, alors que Flamenca est mariée avec un vieux seigneur, comme on peut s’imaginer des clichés qu’on a, donc vieux, croulant, colérique. Dans ce roman-là, il y a une scène de tournoi finalement où on voit le héros, bien évidemment, vaincre ses ennemis, et puis un petit peu après, conquérir le cœur justement de Flamenca. Cet exposé justement portait sur ce tournoi-là. Et à la base, je me destinais en fait à être professeur des écoles et je me suis pris au jeu d’étudier les tournois, les chevaliers, dont je ne savais pas trop encore quelle époque. J’ai eu des rendez-vous successifs avec ma elle. Je me suis lancé dans le master, puis après, j’ai eu l’opportunité de faire un doctorat sur un sujet qui s’apparentait aux tournois.
Fanny : alors est-ce que tu peux nous raconter justement quelles sont les origines du tournoi ? Comment on s‘est tapé dessus avec tant de règles ? Comment on a décidé après de monter à cheval ? Est-ce que tu peux nous raconter un peu comment on a décidé de faire des tournois ?
Guillaume : Alors, en fait le tournoi, à la base, c’est simplement un entraînement à la guerre. Le mot « tournoi », c’est un terme générique qu’on emploie, dans lequel on va inclure ce qu’on appelle le béhourd maintenant, ou la mêlée, donc un combat vraiment type guerre, la joute, il va y avoir aussi le pas d’armes, il va y avoir l’emprise. Voilà, le tournoi, c’est vraiment un terme générique. Et donc à la base c’est né au milieu du XIe siècle. La légende dit que c’est un certain Geoffroy de Preuilly qui aurait organisé le premier tournoi, parce que contrairement à ce qu’on pense, le Moyen Âge n’est pas juste une période de guerre justement. Et au contraire, c’est assez épisodique, du coup les jeunes chevaliers, aussi pour faire leurs preuves, avaient l’habitude d’aller dans les villages alentour faire un peu de rapines. Mais ce qu’on est sûrs, c’est qu’à la base, c’est surtout pour canaliser les besoins de violence on va dire, des jeunes nobles, pour éviter aussi qu’ils se blessent malencontreusement. Le seul problème, c’est qu’au début on combattait avec des armes de guerre. Il y a eu des interdits qui sont émis par la papauté contre les tournois, parce que le problème, c’est qu’il y a des croisades qui sont aussi en cours, et on a besoin de toute la jeunesse noble pour récupérer le tombeau du Christ. Et en fait, au fil du temps, ça va évoluer en quelque chose de beaucoup plus réglé, de beaucoup plus sécurisé on va dire, c’est au tournant du XIIIe siècle avec ce qu’on peut appeler le recentrement de la noblesse sur elle-même. Parce qu’avant, on pouvait être chevalier, comme dans l’introduction, « les chevaliers-paysans de l’an mil au lac de Paladru », avant un chevalier, c’était celui qui possédait un cheval et qui pouvait aller combattre, parce qu’il avait un cheval. Au XIIIe siècle, au tournant du XIIe, XIIIe, le chevalier, c’est un noble. C’est pour ça aussi dans les films, on voit souvent un jeune paysan qui, c’est le cas dans le film Chevalier notamment, un jeune paysan qui est écuyer d’un seigneur, alors que ce n’est absolument pas vrai, ça ne peut pas être le cas, surtout aux XIIIe, XIVe siècles. Donc, du coup voilà, c’était un honneur, il y avait des prix, il y avait des coups, de plus en plus en plus de coups, donc les armures se perfectionnent, les armes s’émoussent exprès pour pas blesser, et on règle ça de plus en plus, histoire de sécuriser un peu tout.
[Extrait de Kaamelott]
Fanny : Et alors, concrètement, comment s’organise un tournoi ? Qui est-ce décide d’en préparer ? Où est-ce qu’on décide de l’installer et qui est-ce qui le finance ?
Guillaume : Alors, ce qu’il faut comprendre, c’est qu’il y a deux types de tournois : il y a les tournois urbains et les tournois nobles. Les tournois nobles sont organisés par n’importe quel chevalier, dès l’instant qu’il a un peu de renommée. Donc une fois que l’autorisation est donnée, on publie ce qu’on appelle des chapitres ou des lettres d’armes, où on explique en fait ce qui va se passer, et on envoie des hérauts, donc des messagers, partout, et on donne une date donnée et certaines modalités pour participer. Ensuite donc, une fois que tous les préparatifs sont faits, on met à contribution, en général une ville, pour payer tout ce qui va être lices, le sable qui est mis au sol. Une fois que tout est préparé, qu’on a engagé les charpentiers, qu’on a engagé les dépaveurs, puisqu’on dépavait les places de marché, pour ne pas que les nobles se blessent, et qu’on a répandu du sable, là les gens venaient se présenter et puis ils venaient combattre. Il y a toute une série d’épreuves avant d’arriver jusqu’à la joute qui est un peu le clou du spectacle pour les spectateurs.
Fanny : Et c’était organisé souvent ? C’était tous les mois, ou c’était vraiment de façon assez anarchique ?
Guillaume : Alors, ça dépend énormément, parce qu’il y a des zones, comme par exemple, en Normandie, où il n’y a quasiment pas de tournois, parce que ça appartient au roi de France, et que les rois de France, en général n’aiment pas trop les tournois, ont même eux aussi essayé d’interdire les tournois, notamment Saint Louis. Après, vers le XIVe siècle, il y a beaucoup moins de tournois, à cause du début de la guerre de Cent Ans. Il peut y en avoir un d’organisé, deux, trois, par mois.
Fanny : D’accord donc il y en a quand même souvent. Et plus précisément, comment se déroule un tournoi ? Quelles sont les différentes étapes ?
Guillaume : Alors, il y a, au tout début, ce qu’on va appeler l’épreuve des quatre pointes : donc on va commencer par un lancer de javelot.
Fanny : Comme aux Jeux olympiques ?
Guillaume : C’est ça, sauf qu’on se le lance dessus. (Fanny rit) Donc, c’est pas exactement comme aux Jeux olympiques. Et on a ce qui s’appelle une rondache, qui est un tout petit bouclier rond. On va jeter la lance sur son adversaire et le but, c’est de la dévier. Il ne faut pas fuir devant la lance, faut la dévier. Ensuite, il y a l’épée, et on va taper de taille et d’estoc, donc pointer ou trancher, sachant que les armures ne craignent rien, notamment à la fin du Moyen Âge, parce qu’une armure de plate, donc une armure tout en métal, on peut lui donner un grand coup d’épée en taille, ça va la cabosser, et à peine. Donc du coup, il y a ça, on donne un nombre de coups d’épée à respecter. Une fois que c’est fait, on arrête. On utilise après les haches, donc en fait c’est des sortes de hallebardes, mais en plus petites. C’est très impressionnant, car c’est très lourd et très difficile à manier. Une fois que tout ça c’est fait, en général, ça se passe le premier jour, et le deuxième jour, on fait les joutes. Là, c’est vraiment, les grandes lances, les armures qui font vraiment grosse carapace, comme on peut voir ça c’est vraiment la fin du Moyen Âge. Et voilà, on se fonce dessus gentiment, en tout cas à première vue, c’est ce qu’on a l’impression de voir.
Fanny : Oui, c’est ça dans les films : on les voit commencer à cheval, et une fois qu’ils sont tombés de cheval, on les voit s’affronter à pied. Est-ce que c’est vraiment ça ?
Guillaume : Oui, alors ça pouvait être le cas. Contrairement à ce qu’on voit dans les films, ils ne se sautent pas dessus, comme des gros barbares. Il faut pas oublier qu’on est quand même dans la noblesse. Il y a un code d’honneur, un code chevaleresque, qui, en tout cas dans les tournois, est suivi. Et il y a les règles de bienséance qui font qu’on attend que l’adversaire se relève et après, on peut combattre. Et donc, je parlais de quatre pointes, puisqu’il y en a une dernière, c’est le poignard, mais le poignard est considéré comme l’arme des Anglais, ou « l’arme des traîtres ».
Fanny : Les traîtres, c’est les Anglais.
Guillaume : Voilà, du fait, que pendant la guerre de Cent Ans, notamment à Azincourt, le roi d’Angleterre a décidé de tuer tous les prisonniers, alors qu’en fait justement les règles de la noblesse font qu’on ne tue pas un adversaire.
Fanny : Et justement, à l’occasion de cet épisode, j’ai demandé aux abonnés du podcast, sur Twitter et Facebook, de proposer des questions sur les tournois de chevalerie. Et à propos de l’attitude des chevaliers, Marina a demandé, est-ce qu’il y a des formules ou des actes de politesse lors des tournois ?
Guillaume : Entre chevaliers, pas tant que ça. Entre chevaliers, c’est vraiment l’honneur qui compte. C’est à dire, j’ai des exemples où un chevalier arrive avec son bassinet ou sa salade, donc son casque, sans visière, et l’autre qui est là avec sa visière fait déclouer sa visière justement pour combattre à armes égales. Parce que si lui le fait, moi je le fais.
[Extrait de Chevalier]
Fanny : Tu en as pas encore parlé, mais quel était le rôle des femmes dans ces tournois ? Est-ce qu’elles étaient seulement les princesses sur les étagères en train d’attendre qu’ils se tapent dessus ou alors est-ce qu’elles avaient vraiment un rôle ?
Guillaume : Alors ça, c’est ce que les sources nous font croire, les sources, les textes, les films aussi bien évidemment. Non, non, la femme est extrêmement importante dans un tournoi. Déjà, c’est la femme qui inspire le chevalier. Un chevalier, en général, va combattre pour sa dame. Dans une deuxième facette, les femmes sont celles qui vont décider théoriquement des vainqueurs et qui vont remettre les prix. Ce sont aussi les femmes qui vont choisir leur champion. Et j’ai une anecdote, qui fera bondir plusieurs personnes, je pense. À la fin du XIVe siècle, il y a un héraut de Valenciennes qui écrit une relation, donc le récit d’un tournoi, et qui dit que, au début, arrivent après les chevaliers des charrettes pleines de femmes pour rendre la fête jolie.
Fanny : Ah oui, donc elles décorent, en fait !
Guillaume : Voilà, il nous les présente comme des décors. Le seul truc, c’est on se rend bien compte, par exemple, en Anjou et en Bourgogne, que la femme a une place extrêmement importante. Par exemple, René d’Anjou tient son pas d’armes de Saumur pour Jeanne de Laval. Donc Jeanne de Laval est quatorze ans plus jeune que lui, je crois qu’elle a treize ans à cette époque-là. Et elle va devenir sa femme plus tard, mais c’est elle qui incarne la dame du chevalier. Donc, elle est habillée comme une princesse, sur un cheval, et elle tire René d’Anjou, par la bride. Donc les femmes étaient donc vraiment au centre de la fête, malgré ce qu’on peut voir dans les sources et dans les films.
Fanny : Mais donc, il était impensable qu’une femme combatte pendant un tournoi ?
Guillaume : Ah oui, alors il ne faut pas oublier que c’est quand même une société extrêmement machiste, extrêmement paternaliste. Finalement, Jeanne d’Arc, on l’imagine combattante, etc., on n’est même pas sûrs qu’elle a réellement combattu. Donc, risquer la vie d’une femme, dans un tournoi, c’est impensable. Après, je sais que certains chercheurs, et notamment une de mes collègues, travaillent sur les fabliaux, donc c’est des petits récits humoristiques, sarcastiques, qui présentent des femmes combattantes. Il y a même une miniature où une femme va sauver un prince en haut d’une tour, un peu pour contrebalancer la princesse sauvée par le chevalier. Mais moi en tout cas dans tout ce que j’ai vu, les femmes sont présentes dans les gradins, et pas dans la lice.
Fanny : Et qu’est-ce que gagnaient ces chevaliers ?
Guillaume : Alors, je vais encore répondre, ça dépend, parce qu’en fait, on convient du prix, au moment où on rédige les chapitres dont j’ai parlé tout à l’heure. Donc, en général, c’est soit un bijou, ce qui est rare, soit une somme d’or, ce qui est encore plus rare. Le plus souvent ce sont des vêtements, enfin des draps, des rouleaux de drap, donc ça coûte extrêmement cher.
Fanny : Ils gagnent une récompense matérielle, mais tu nous l’as dit tout à l’heure, ces tournois sont organisés dans un cadre diplomatique, donc les chevaliers peuvent aussi gagner en renommée et en prestige.
Guillaume : Oui alors, ils gagnent de la renommée, ils gagnent aussi leurs galons de chevalier, mine de rien, puisqu’au XVe siècle par exemple, on a des sortes de champions, qui font tournoi sur tournoi sur tournoi, et qui en période de guerre sont extrêmement mauvais, parce qu’ils se sont spécialisés là-dedans. Mais, ils sont reconnus en tant que tels, parce qu’ils vainquent, parce qu’ils combattent honorablement, parce qu’ils suivent les règles.
[Extrait de Game of thrones]
Fanny : Alors, tu en as aussi un peu parlé, ta thèse actuellement se concentre sur une partie de ces tournois qui s’appelle le pas d’armes. (Fanny épelle le mot) Est-ce que tu peux nous décrire ce que c’est ?
Guillaume : Alors, un pas d’armes, grossièrement, c’est une version théâtralisée de la joute ou du tournoi. Concrètement à quoi ça pouvait ressembler ? On s’inspire de ce qu’il y a dans les romans, on essaie de faire revivre en fait une sorte d’aventure très littéraire. Donc pour cela, on va incarner un chevalier imaginaire, en général. Donc dans les chapitres d’armes, toujours, on explique, par exemple, il y a le bâtard de Luxembourg, en 1449, qui publie un texte et qui dit qu’il se promenait, naturellement tout en armure avec sa lance, etc., sur une plage du nord de la France, vers Dunkerque…
Fanny : Avec vingt kilos sur lui ?
Guillaume : Trente-cinq ! (Rires) Et donc du coup, à un moment, il voit une jeune femme se faire molester par brigands et malandrins. Et bon, il n’écoute que son courage, il fonce sur ces marins qui en veulent à la virginité de la jeune femme, bien évidemment. Et il les défait et il sauve la dame, il la ramène, il la met en sûreté, elle qui se lançait dans un pèlerinage en fait. Et pour remercier le chevalier, la dame lui ordonne de tenir un pas d’armes. Donc en fait, le « pas » vient de « passage », en fait c’est la défense d’un passage, d’une route, ça peut être aussi une porte, ça peut être un perron donc une colonne, ou un rocher, etc. Donc en fait, le but du pas d’armes est de défendre contre tout-venant un lieu symbolique, qui fait écho à la littérature. Donc c’est pour ça qu’on rajoute une princesse en général pour faire écho notamment à Lancelot et Guenièvre, ou Tristan et Iseut, en général. Donc c’est ça, et on arrive vêtu donc comme un chevalier le plus littéraire qu’on puisse être, et on fait preuve de son courage bien évidemment, on combat, on n’hésite pas à s’investir. Et bien évidemment, à la fin on ne gagne pas.
Fanny : C’est purement théâtral.
Guillaume : C’est purement théâtral. Par contre, il y a vraiment des affrontements, ça faut pas l’oublier, il y a des affrontements, il y a des blessures, tout ce qu’on a parlé jusqu’alors. Mais c’est vraiment de la mise en scène. Et ce qui est intéressant, c’est qu’autour il y a toute une série de mystères, de pièces de théâtre, et il y a des musiciens. Et en général, les pas d’armes prennent place dans des moments politiques extrêmement importants.
Fanny : Et finalement, qu’est-ce qui a fait que les tournois se sont arrêtés ? Et est-ce qu’ils ont été remplacés par quelque chose d’autre ?
Guillaume : Tout simplement, en France en tout cas, c’est la mort d’Henri II en tournoi, parce qu’on se rend bien compte que finalement, même le roi de France peut mourir. Alors que les rois de France jusqu’alors aimaient vraiment pas combattre. On a Charles VII qui se force à combattre en 1445 à Nancy par exemple. On sent qu’il se force, il fait arrêter le tournoi au bout de trois passes, parce que lui il en a marre, il a trop chaud. Et donc du coup, oui on arrête en 1559, c’est la fin des tournois. Il y en a encore un qui est organisé en 1560, par le duc de Bourbon. Le seul problème, c’est que le duc de Bourbon meurt en tournoi. Donc, là on arrête, et en fait ça devient vraiment devient désuet au milieu du XVIe siècle, et la mort notamment du roi de France est finalement qu’un prétexte pour arrêter. On remplace ça par d’autres fêtes. Les bals deviennent de plus en plus importants. Il y a quelques simulacres de joutes qui sont repris de temps en temps, mais c’est vraiment pour montrer à quel point ces gens des siècles passés étaient des barbares, c’était de la violence, etc.
Fanny : Oui, donc c’est à ce moment-là qu’on a commencé à avoir l’image d’un Moyen Âge violent. Alors pour finir cet épisode, j’aimerais te demander, quels conseils tu donnerais à de jeunes médiévistes ? Et comme tu es le deuxième doctorant que je reçois, qu’est-ce que tu dirais à quelqu’un qui commence à peine sa thèse d’histoire médiévale ?
Guillaume : Il faut être conscient du manque de débouchés, clairement. C’est pas pour décourager, c’est juste qu’il faut être conscient de la difficulté de la chose. C’est à dire, on sort avec un bac+8, on sort avec le plus haut diplôme qui est reconnu internationalement, et ça nous assure absolument pas de boulot. Donc en fait, ce qu’il faut, c’est que quelqu’un qui se lance dans la thèse, il faut absolument qu’il se fasse plaisir avec un sujet qui lui plaise, soit un sujet qu’il a construit lui-même, soit un sujet construit en partenariat avec son directeur ou sa directrice de thèse. On peut pas, je crois que c’est ce que disait Noémie dans le dernier épisode, on ne peut pas passer six ans, sept ans, ou même ne serait-ce que trois ou quatre ans, sur un sujet qui nous plait bof. En fait, la thèse, c’est une grande aventure, c’est un peu une quête du Graal, à la fin, pour essayer de décrocher, non pas l’immortalité, mais une part d’immortalité et de connaissances. Et il faut vraiment un sujet où on s’épanouisse, parce que c’est déjà très dur, la thèse. Parce que moi, mon sujet, il y a des moments où j’en ai marre, parce que c’est extrêmement difficile, parce que, notamment la phase d’écriture dans laquelle je suis, ça prend énormément de temps pour assez peu de résultats. Parce qu’il y a des jours, on va écrire une demi-page, des jours on va en écrire trois. Par contre, pour les étudiants qui veulent se lancer dans un master, avec le recul, je trouve que c’est un peu plus facile, et surtout, qu’il y a un peu moins d’enjeux. L’avantage, c’est qu’après, on peut toujours, soit changer de voie, soit persévérer. Et l’avantage, c’est qu’un master donne quand même le goût pour savoir ce qu’est une thèse ou pas. Donc, à mon avis, c’est ça, mon seul conseil, c’est de se faire plaisir, et puis y aller. Si on a envie, foncer tête baissée. C’est une grande aventure.
[Extrait de Kaamelott]
Fanny : Désormais, chers auditeurs, vous en savez un petit peu plus sur les tournois de chevalerie au Moyen Âge, donc merci beaucoup, Guillaume Bureaux.
Guillaume : Merci à toi.
Fanny : Si l’émission vous a plu et que vous souhaitez en savoir plus, n’hésitez pas à regarder la description de l’épisode sur Soundcloud, où on vous met des liens pour aller plus loin. Vous pouvez aussi nous retrouver sur Itunes et toutes les applications de podcast pour télécharger les épisodes, éventuellement nous mettre des notes, des étoiles, ça nous fait plaisir. Cette émission est produite en partenariat avec Binge Audio, qui nous prête du matériel, et nous diffuse sur leur site. Alors merci à eux. Et si vous avez écouté l’épisode jusque-là, alors déjà merci beaucoup de votre intérêt, voici une petite info exclusive juste pour vous. Dans quelques semaines, Passion Médiévistes aura des hors-séries, toujours en lien, bien sûr, avec le Moyen Âge, mais un peu différents des épisodes habituels. Donc soyez attentifs. Dans le prochain épisode, nous parlerons des peintres à la fin du Moyen Âge en Espagne. Salut !
Merci à Tarquinio et So pour la transcription !