Les hors-sériesPassion Médiévistes

Hors-série 7 – Les femmes et les croisades (au Secousse Festival)

Quel était le rôle des femmes pendant les croisades ?

Icône de Saint-Serge du monastère de Sainte-Catherine (Sinaï) représentant une femme croisée (XIIIème siècle)
Icône de Saint-Serge du monastère de Sainte-Catherine (Sinaï) représentant une
femme croisée (XIIIème siècle)

Lors de la deuxième édition du Secousse Festival, organisé par l’association La Boîte à Histoire, j’ai eu la chance d’animer un atelier sur le sujet « Femmes & croisades » avec comme invitée Elsa Margueritat. En juin 2019 elle a travaillé lors de son master sur les représentations des femmes dans l’espace politique et militaire du Bilād al-Šām (région qui comprend la Syrie, le Liban et Israël, globalement), aux XIIème et XIIIème siècles.

A travers des commentaires sur les textes ci-dessous, nous avons parlé du rôle des femmes lors de la première croisade, de la vision qu’avaient d’elles les auteurs des chroniques plus tardives. Nous avons notamment abordé leur représentation sur les champs de bataille.

Le départ à la croisade

« Un prêtre, nommé Pierre, d’abord ermite, né dans la ville d’Amiens, située à l’occident, dans le royaume des Francs, se servit le premier de tous les moyens de persuasion qu’il en son pouvoir pour encourager à cette entreprise ; et devenu prédicateur dans le Berri, province de ce royaume, il fit entendre de tous côtés ses exhortations et ses discours. Répondant à ses avertissements et à ses invitations assidûment renouvelées, les évêques, les abbés, les clercs et les moines, et, après eux, les laïques les plus nobles, les princes de divers royaumes, tout le peuple, tant les hommes chastes que les incestueux, les adultères, les homicides, les voleurs, les parjures, les brigands, enfin toute la race d’hommes qui faisaient profession de la foi chrétienne, et les femmes même, tous conduits par un sentiment de pénitence, accoururent avec joie pour entreprendre ce voyage. »

Albert d’Aix, Histoire des croisades, Paris, 2013, p. 6-7.

A propos de la famine à Antioche

« Nous pensons quant à nous, que les Francs ne souffraient tous ces maux, et ne pouvaient, après un si long temps réussir à prendre la ville [d’Antioche], qu’en punition des péchés dans les liens desquels vivaient beaucoup d’entre eux : grand nombre en effet se livraient lâchement et sans pudeur à l’orgueil, la luxure et au brigandage. On tint donc un conseil et l’on renvoya de l’armée toutes les femmes, tant, les épouses légitimes que les concubines, afin d’éviter que nos gens, corrompus par les souillures de la débauche, n’attirassent sur eux la colère du Seigneur. » Foucher de Chartres,

Histoire de la Croisade, le récit d’un témoin de la première croisade. 1095-1106, p. 47.

« Et comment eût-on pu se livrer à la volupté, là où pesait sans cesse la crainte de la mort ? Aussi n’était-il pas admis que l’on parlât de filles publiques ni de prostitution ; d’autant moins qu’on était menacé de tomber sous les glaives des gentils, pour ce seul crime et de par le jugement de Dieu. Si une femme connue pour n’avoir pas de mari se retrouvait grosse, elle était livrée à de cruels supplices avec son séducteur. Il arriva une fois qu’un moine appartenant à l’abbaye le plus renommée de toutes, qui avait fui son cloître, et rejoint l’expédition de Jérusalem par légèreté, plutôt que par piété, fut surpris en compagnie d’une femme et confondu, si je ne me trompe, par l’épreuve du feu rouge. L’évêque du Puy et les autres princes condamnèrent la misérable femme et son amant à être promenés dans toutes les rues du camp, puis à être mis nus et rudement fouettés, pour le plus grand effroi des spectateurs. »

Guibert de Nogent, Geste de Dieu par les Francs, histoire de la première croisade, 1999, p.160.

 

Fanny Cohen Moreau et Elsa Margueritat au Secousse Festival (septembre 2019)
Fanny Cohen Moreau et Elsa Margueritat au Secousse Festival (septembre 2019)
La prise de Jérusalem par les Francs

« L’aube apparut. Aussitôt, le peuple fut éveillé, et chacun courut à ce à quoi il avait été occupé le jour d’avant. Alors, vous eussiez vu les uns courir aux perrières et aux mangonneaux, les autres monter dans les châteaux, en tenant leurs arcs et leurs arbalètes. Beaucoup restaient dessous, pour les tirer en avant. Ceux de la ville furent aussitôt prêts à se défendre vigoureusement contre leurs assaillants. Il en mourut beaucoup, ici et là, tant par les pierres que par les carreaux. Cela n’empêchait pas les autres de venir prendre la place de ceux qu’ils avaient vu mourir. Jamais on ne vit moins de couardise dans une action aussi périlleuse Il advint une chose qu’on ne doit pas passer sous silence. Nos gens avaient une grande perrière. Elle était si puissante, et si bien faite, qu’elle lançait de très grosses pierres, et faisait de grands dommages, là où elle atteignait son but. Les Turcs virent qu’ils ne pourraient pas la mettre en pièces, car elle lançait de si loin, que leurs engins ne pouvaient l’atteindre. C’est pourquoi, ils firent venir sur le mur deux vieilles enchanteresses, qui devaient fasciner cette perrière. Elles avaient amené avec elle trois pucelles pour les aider à faire leur charme. Toute notre armée les regardait, alors qu’elles faisaient leur enchantement. Elles y restèrent tant, que la perrière lança sa pierre, et atteignit les trois pucelles et les deux vieilles. Elle les brisa toutes, si bien que les corps tombèrent du mur, en morceaux. Les âmes allèrent en enfer. Les nôtres poussèrent alors une huée si forte, et en eurent une joie si complète, que chacun fut tout ragaillardi de ce beau coup. Ceux de la ville en furent très peinés, et très accablées, comme si la mort de ces deux vieilles leur était un mauvais présage »

Guillaume de Tyr, Chronique du royaume franc de Jérusalem de 1095 à 1184, L’Intermédiaire des chercheurs et curieux, Paris, 1999, t. I, p. 276-277.

Pour en savoir plus sur ce sujet Elsa vous conseille les lectures suivantes :
  • ALPHANDÉRY P., DUPRONT A., La Chrétienté et l’idée de Croisade, Albin Michel, Paris, 1954 et 1959.
  • AURELL M., « Les femmes guerrières (XIème-XIIème) », Famille, violence et christianisation au Moyen Âge. Mélanges offerts à Michel Rouche, PUPS, Paris, 2005, p.319-330.
  • BUNDAGE J. A., « Prostitution, Miscegenation and sexual purity in the First Crusade » dans EDBURY P. W., Crusade and Settlement, Cardiff, 1985, p. 57-65.
  • Gendering the crusades, S.B. EDGINGTON et S. LAMBERT (éd.), Columbia University Press, New York, 2001.
  • CASSAGNES-BROUQUET S., Chevaleresses, chevalerie au féminin, Perrin, Paris, 2013.
  • HAMILTON B., « Women in the Crusader States: the Queen of Jerusalem (1110-1190) », dans BAKER D. (éd.), Studies in Church History, Medieval Women, Subsidia I, Oxford, 1978, p. 149.
  • KOSTICK C., « Women and the First Crusade : prostitutes or pilgrims ? », Studies on medieval and early modern women, Victims or viragos ?, MEEK C. et LAWLESS C. (éd.), Four Courts Press, Portland, 2005, p. 57 à 68.
Pendant le live nous avons diffusé un extrait du disque « Salva Nos » du groupe Medieval Babes :