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Épisode 75 – Simon et la ville d’Auray au Moyen Âge

Comment a évolué la ville d’Auray au Moyen Âge ?

Photo de l'enregistrement de l'épisode 75 à Nantes en novembre 2022
Photo de l’enregistrement de l’épisode 75 à Nantes en novembre 2022

Dans cet épisode de Passion Médiévistes enregistré en novembre 2022 au bar La Forge à Nantes, Simon Branchereau parle de ses recherches sur la ville d’Auray, dans le Morbihan, dont il a étudié les évolutions entre le Xème et le XVIème siècle. Il a soutenu son mémoire en 2022, à l’Université de Nantes Université, sous la direction de Julien Bachelier et Yves Henigfeld.

Au fil de cette quête pour comprendre le développement urbain d’Auray à travers le temps et l’espace, partons à la découverte de cette ville bretonne qui fut un temps le théâtre de l’un des évènements les plus marquants de l’histoire de la fin du Moyen Âge.

Auray au Moyen Âge

“ [Dans] les textes en latin ou en vieux français, Auray n’est jamais écrit de la même façon […] il y a plus d’une quinzaine d’occurrences !” — Simon Branchereau.

Auray, dont l’origine du nom pourrait venir du latin aula regia, qui signifie le palais doré, est une ville française du Morbihan. Elle se situe à mi-chemin entre Vannes, à 16 km à l’est, et Lorient, à 15 km à l’ouest. Cette ville bretonne est traversée par une rivière à laquelle elle donne son nom, la rivière d’Auray, qui serpente jusqu’au golfe du Morbihan. Aussi appelée la ria du Loc’h – la ria étant l’endroit où l’eau douce se confond avec les eaux salées de l’océan – c’est précisément en aval du cours de l’eau, le long de l’une de ses boucles, que la ville d’Auray a été bâtie.

Ville fluvio-maritime, à l’image de Quimper, sa position géographique si particulière en fait un point stratégique, positionné sur cet axe qui relie Vannes et Lorient, deux villes d’importance, déjà à l’époque. Si aujourd’hui les 14.000 habitants que compte la ville sont répartis sur 7 km², au Moyen Âge, la zone était plus densément peuplée et le territoire s’étendait davantage.

Les évolutions de la ville  

Une vue sur Auray en 1823
Une vue sur Auray en 1823, 1ère vue de la ville et port d’auray par Jean-Marie Bachelot de La Pylaie, 1823, Service Archives et Patrimoine de la ville d’Auray, 2 Fi 36.

À cause des nombreuses invasions auxquelles son territoire fut soumis, la ville d’Auray ne conserve pas énormément de vestiges antérieurs au Xème siècle. Les plus vieilles constructions parvenues jusqu’à nous datent de l’époque médiévale, notamment la chapelle du Saint-Esprit, dont le chœur aurait été construit au XIIIème siècle. Ainsi, il y a peu de données permettant de retracer avec précision les évolutions démographiques et urbaines de la ville d’Auray. Une analyse morphologique, c’est-à-dire l’analyse des formes urbaines à travers les plans des bâtiments publiques, laïques et religieux, permet aux chercheurs de se faire une image de la ville, mais seulement à une période précise de son histoire. Cette technique ne permet pas de retracer l’évolution de son architecture. C’est alors qu’intervient l’analyse régressive. Il s’agit dans ce cas d’étudier l’ensemble des plans d’une même ville de manière chronologique, en remontant dans le temps.

Le développement de la ville d’Auray a ainsi pu être défini en trois grandes étapes. Dès le Xème siècle, Auray est un lieu de résidence seigneuriale. Avec l’installation de la cour ducale dans le château, la ville devient un centre de pouvoir laïque et religieux. Puis entre 1150 et 1269, à la faveur de plus d’un siècle de paix, Auray connait un véritable essor urbain. Les contours de la ville s’élargissent et de grandes artères sont créées. C’est également à ce moment-là qu’elle hérite de sa forme triangulaire caractéristique, toujours visible aujourd’hui. En 1201, le duc de Bretagne fortifie le château. Auray est en effet devenue un lieu de passage obligé sur la route entre Vannes et Lorient. Cet emplacement stratégique justifie la création de droits de douanes pour la traversée de ses ponts, lesquels sont d’ailleurs reconstruits en pierre, preuve de leur importance dans le modèle économique de la ville. Toujours entre les XIIème et XIIIème siècles, une seconde église est construite, l’église Saint-Sauveur. Peu à peu, un faux-bourg se développe, et cela même si Auray ne dispose pas de mur d’enceinte – en effet, par définition, un faux-bourg désigne un quartier de la ville situé en dehors de ses murs et à Auray, c’est la rivière qui fait office de rempart naturel.

Il y a ça aussi, un état des lieu de la ville entre les XIe-XIIIe s. d'après toute les sources que l'on a à disposition sur Auray
Schéma interprétatif d’Auray aux XIe-XIIIe siècles (S. Branchereau) 2022

Enfin, en 1269, à la demande des ducs, un oratoire est créé au nord-ouest de la ville. Il sert alors de fondation pour la commanderie des Hospitaliers de l’Ordre du Saint-Esprit. Ses membres y accueillent et soignent les plus pauvres. La création de l’oratoire entraine le développement d’un nouveau quartier qui prospère grâce à l’installation des Hospitaliers. La commanderie d’Auray devient d’ailleurs l’une des plus importantes de France, ainsi que la maison mère de plus d’une cinquantaine de filiales partout sur le territoire français.

Si Auray concentre un important pouvoir religieux, elle s’impose également comme un centre du pouvoir laïque. Elle est l’un des lieux de résidence de la cour ducale et même de son administration itinérante, devenant pour un temps l’emplacement de la chambre des comptes de Bretagne.

La bataille d’Auray : un évènement majeur de la guerre de succession de Bretagne

“ Un conflit breton qui devient un conflit franco-anglais.” — Simon Branchereau.

LE BAUD P. XVe s. La bataille d’Auray dans Compillation des croniques et ystores des Bretons, BNF, fr. 8266, f. 262.
LE BAUD P. XVe s. La bataille d’Auray dans Compillation des croniques et ystores des Bretons, BNF, fr. 8266, f. 262. (première enluminure connue de la bataille d’Auray mais aussi l’une des plus intéressante)

Entre 1337 et 1453, l’Europe est marquée par la Guerre de Cent Ans qui oppose la France et l’Angleterre. Cette guerre, quoiqu’entrecoupée de périodes de trêves plus ou moins longues, crée de nombreuses instabilités sur le territoire de France. L’écho de ce conflit résonne particulièrement en Bretagne, lorsqu’en 1341, le duc de Bretagne, Jean III, meurt sans laisser de successeur. Dès lors, deux prétendants s’opposent à la tête du duché. D’un côté, Jean de Montfort, le frère aîné du défunt duc. Son épouse est issue de la famille du roi d’Angleterre qui lui-même le soutient dans son entreprise. De l’autre, Jeanne de Penthièvre, nièce de feu Jean III, est reconnue en tant qu’héritière par le roi de France. Elle est d’ailleurs l’épouse de son neveu, Charles de Blois. En ce début de Guerre de Cent Ans, cette querelle bretonne exacerbe ainsi les tensions au sein du conflit franco-anglais, d’autant que la Bretagne représente un enjeu important pour les deux camps. Pour les Anglais notamment, il s’agit d’un territoire stratégique, situé sur le chemin de leurs échanges commerciaux avec leurs terres d’Aquitaine.

“ On parle d’une bataille rangée, front contre front.” — Simon Branchereau.

Au cœur de cette véritable guerre civile, la ville d’Auray, contrôlée par les Français, représente un enjeu de taille. Située entre le Finistère et les Côtes-d’Armor, elle est un point de régulation des communications en Bretagne. À ce titre, Jean de Montfort souhaite en prendre possession. En 1364, c’est donc à Auray et pour le contrôle de la ville que ses armées font face à celles de Charles de Blois.

C’est un affrontement décisif dans cette dispute qui déchire la Bretagne depuis près de vingt ans. En ce dimanche 29 septembre 1364 se déroule ainsi une bataille rangée au cours de laquelle les cavaliers Français renoncent à utiliser leurs chevaux. En effet, le sol de la vallée de la rivière est un sol marécageux et les combats se mènent au corps à corps. L’élite française prend part à ces affrontements sanglants qui font des milliers de morts, dont Charles de Blois, alors à la tête des troupes franco-bretonnes. Jean de Montfort et ses quelque 2 900 hommes, dont une partie envoyée par le roi d’Angleterre, défont finalement les troupes franco-bretonnes qui en comptaient pourtant plus de 4 000.

Le traité de Guérande clôt ce chapitre de la Guerre de Succession de Bretagne. Il est signé un an plus tard, en 1365, par le roi de France qui reconnait Jean de Montfort comme Duc de Bretagne. Il devient le premier d’une longue dynastie. La Maison de Montfort a effectivement régné sur la Bretagne pendant plus de deux-cents ans, jusqu’à la mort de la duchesse et non moins, reine de France, Anne de Bretagne, en 1514.

Pour en savoir plus sur le sujet de l’épisode, on vous conseille de lire :

Ouvrages sur la Bretagne médiévale :

  • Illustration de l'épisode 75 par Garance Petit
    Illustration de l’épisode 75 par Garance Petit

    CHÉDEVILLE A. et TONNERRE N.-Y. 1987, La Bretagne féodale XIe-XIIIe siècle, Ouest-France, 427 p. (pour appréhender la Bretagne médiévale)

  • COATIVY Y. 2019, Aux origines de l’État breton: servir le duc de Bretagne aux XIIIe et XIVe siècles, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 342 p.
  • KERNÉVEZ P. 2020, « Mottes, manoirs et châteaux : au-delà des inventaires archéologiques, l’exemple du Centre Ouest Bretagne », Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, n° 127-2, 2, p. 39-57. (disponible en ligne sur openedition. pour avoir un aperçu rapide des lieux de pouvoir (centre ouest bretagne) (autre que les villes et lieux ecclésiastiques)
  • LEGUAY J-P. 1997, Fastes et malheurs de la Bretagne ducale, Ouest France Université, 1997, p.  98. (ouvrage de référence sur la guerre de succession et qui n’a toujours pas été égalé (de ce que j’ai pu lire en tout cas))
  • PICHOT D. 2014, « Une enquête d’histoire urbaine. Les villes castrales en Bretagne au Moyen Âge », dans Les élites et leurs résidences en Bretagne au Moyen Âge, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, p. 175-191. (historiographie, clés de recherches et une histoire « générale » de l’urbanisation bretonne au Moyen Âge)

Ouvrages et travaux sur Auray :

  • LEGUAY J.-P. et ROBINO P. 2000, « Auray et sa châtellenie (XIe – milieu XVIe siècle) », Mémoire de la Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, t. LXXVIII, p. 5-43.  (article disponible sur le site de la MSHAB qui, à quelques détails près au regard de mes recherches ahah, est la meilleur matière sur l’origine et le développement de la ville au Moyen Âge)
  • Visuel de l'épisode par Winston
    Visuel de l’épisode par Winston

    MOAL L. 2012, Auray 1364 : un combat pour la Bretagne, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 227 p.  (ouvrage très didactique et richement illustré pour appréhender au mieux la question de la bataille d’Auray et ses enjeux)

Dans cet épisode vous avez pu entendre les extraits des œuvres suivantes :

Si cet épisode vous a intéressé vous pouvez aussi écouter :

Merci à Clément Nouguier qui a réalisé le magnifique générique du podcast et Alizée Rodriguez pour la rédaction de l’article !