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Épisode 39 – Raphaël et les protestants en Alsace (Passion Modernistes)

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Épisode 39 - Raphaël et les protestants en Alsace (Passion Modernistes)
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Comment se développe le protestantisme en Alsace, comment vivent les protestants dans ce territoire ?

Raphaël Tourtet est au micro de cet épisode de Passion Modernistes pour vous permettre d’en apprendre davantage sur le protestantisme en Alsace entre les XVIIème et XVIIIème siècles. Depuis 2021, ce doctorant en Histoire et chargé de TD à l’Université de Lorraine prépare sa thèse intitulée Des protestantismes à un protestantisme ? Place et rôle des liens interparoissiaux dans la manifestation et l’évolution des identités confessionnelles protestantes en Alsace (XVIIe-XVIIIe siècles). Il est sous la direction de Laurent Jalabert au sein du Centre de Recherche Universitaire Lorrain d’Histoire (CRULH) et de Christophe Duhamelle pour l’EHESS.

À travers ses recherches basées sur l’exemple alsacien, il reconstitue les réseaux relationnels protestants à l’échelle de la région. Il tente ainsi de comprendre et de démontrer si ces réseaux jouent un rôle dans la construction et l’évolution des identités confessionnelles protestantes en Alsace, aux XVIIème et XVIIIème siècles.

L’Alsace aux XVIIème et XVIIIème siècles

“ L’Alsace est un maillage de territoires, de petits états interconnectés au sein de cette entité que forme le Saint Empire Romain Germanique à cette période. Et par rapport à la France, le pouvoir est très décentralisé.” — Raphaël Tourtet

AA-S 2G393/3, Archives de la paroisse luthérienne de Reitwiller - Extrait de protocolle du 19 juillet 1780, envoyé par le consistoire de Bouxwiller au pasteur Kampmann de Reitwiller pour obtenir un complément d'information sur la grossesse hors mariage de Maria Volzen.
AA-S 2G393/3, Archives de la paroisse luthérienne de Reitwiller – Extrait de protocolle du 19 juillet 1780, envoyé par le consistoire de Bouxwiller au pasteur Kampmann de Reitwiller pour obtenir un complément d’information sur la grossesse hors mariage de Maria Volzen.

Du point de vue politique, Raphaël Tourtet explique qu’entre les XVIIème et XVIIIème siècles, l’Alsace est encore un territoire morcelé entre plusieurs espaces protestants. On y trouve des villes libres comme Strasbourg, des petites chevaleries d’empire, ou encore des domaines dirigés par des princes. À cette époque, cet ensemble est plutôt sous l’influence du Saint Empire Romain Germanique (SERG). Cependant, contrairement au duché lorrain voisin – dont nous vous parlions dans l’épisode 10 avec Jérôme Jacobé et qui, lui, repasse sous l’influence du SERG à la toute fin du XVIIème siècle – en Alsace, la souveraineté française parvient à s’imposer progressivement.

En effet, Raphaël Tourtet vous explique que depuis 1648, les traités de Westphalie ont mis un terme à la guerre de Trente Ans et permis à Louis XIV d’entamer la récupération d’une partie des territoires alsaciens. Ce processus s’achève à la fin du XVIIème siècle, lorsque l’intégralité de la province d’Alsace passe sous l’égide du Royaume de France.

Du point de vue de la religion, l’Alsace est un territoire qui regroupe à la fois des protestants et des catholiques. Comme l’indique Raphaël Tourtet, les protestants appartiennent à différentes confessions, aussi bien luthérienne que calviniste. De leur côté, les catholiques représentent la moitié de la population.

Les débuts du protestantisme

“ La réaction de l’Église romaine face à Luther est de l’excommunier et il est accessoirement mis au ban de l’Empire. [Même s’il n’y a pas de croisade lancée contre lui], il y a aussi des guerres de religions qui vont suivre.” — Raphaël Tourtet

En Europe, à l’époque qu’étudie Raphaël Tourtet, le protestantisme est déjà bien présent. Il se distingue par une pluralité de réformes. Ainsi, la réforme luthérienne, qui marque les débuts de cette nouvelle religion, a eu lieu au cours du XVIème. Un protestantisme différent apparait, lui, en Suisse Germanique, et est basée sur la doctrine zwinglienne, initié par le pasteur Ulrich Zwingli.

Archives d'Alsace - site de Colmar (AA-C), 201J21, Archives de la paroisse luthérienne de Sainte-Marie-aux-Mines - Lettre du pasteur Arnoldi de Munster à son confrère le pasteur Goldmann de Sainte-Marie-aux-Mines, datée du 9 novembre 1707.
Archives d’Alsace – site de Colmar (AA-C), 201J21, Archives de la paroisse luthérienne de Sainte-Marie-aux-Mines – Lettre du pasteur Arnoldi de Munster à son confrère le pasteur Goldmann de Sainte-Marie-aux-Mines, datée du 9 novembre 1707.

Les idées de ces réformateurs arrivent donc en France. Le calvinisme – du nom de son concepteur Jean Calvin – s’y développe majoritairement, bâtissant le modèle des Églises réformées dans le royaume. Cependant, comme le précise Raphaël Tourtet, contrairement au Saint Empire, le protestantisme n’a pas l’appui politique des rois de France. Ainsi, à partir de 1562, malgré des tentatives de conciliation, de véritables guerres de religions sont menées contre le protestantisme.

Le protestantisme en Alsace

“Les princes alsaciens sont dans un entre-deux : leur suzerain, c’est le roi de France, mais ils ont des terres dans le Saint Empire.” — Raphaël Tourtet

Dans ses recherches, Raphaël Tourtet, lui, s’intéresse plus particulièrement au protestantisme en Alsace, territoire alors germanophone où la moitié de la population demeure catholique. Il vous explique qu’au XVIIème siècle, le roi de France, Louis XIV, commence à prendre le contrôle de la région.

Cependant, la situation n’est pas si simple pour les princes alsaciens. Ils sont partagés entre la France, d’une part, et le Saint Empire, de l’autre. En effet, ils entrent progressivement sous le contrôle du roi de France, mais possèdent encore des terres sur le territoire le Saint Empire.

“On est à une période où, pour un luthérien, le calviniste est encore pire que le catholique. Et ce n’est pas peu dire ! Mais cela n’empêche pas que le catholique soit le bon voisin avec lequel on va boire un coup à la taverne.” — Raphaël Tourtet

Archives d'Alsace - site de Strasbourg (AA-S), 2G117/11, Archives de la paroisse luthérienne d'Eckbolsheim - Certificat de communion de Johann Georg Köster de Bischoffsheim, réalisé à Lingolsheim le 6 janvier 1770 à son départ de la paroisse. Sceau en cire représentant l'église luthérienne de Lingolsheim.
Archives d’Alsace – site de Strasbourg (AA-S), 2G117/11, Archives de la paroisse luthérienne d’Eckbolsheim – Certificat de communion de Johann Georg Köster de Bischoffsheim, réalisé à Lingolsheim le 6 janvier 1770 à son départ de la paroisse. Sceau en cire représentant l’église luthérienne de Lingolsheim.

Dans sa thèse, Raphaël Tourtet se penche sur l’impact des différences de religions sur les rapports sociaux et interparoissiaux. En effet, si l’Alsace compte quelques enclaves calvinistes, c’est bel et bien la doctrine luthérienne qui est majoritaire dans cet espace. S’ajoute à cela une recrudescence des catholiques depuis que le roi de France est parvenu à imposer son autorité sur le territoire et qu’il tente de catholiciser à nouveau l’espace. Des conflits surviennent donc entre calvinistes, luthériens et catholiques d’un même village, où se pose particulièrement la question du partage des lieux de culte. Le pouvoir royal a, en effet, imposé le simultaneum : on partage l’espace dans l’église. Le chœur, le plus sacré, revient aux catholiques ; la nef est laissée aux protestants. Ce partage ne se fait pas sans de vives tensions.

Raphaël Tourtet insiste tout de même sur un point. S’il est vrai que la question du culte crée de tensions entre les différentes confessions religieuses en Alsace, la plupart du temps, les communautés vivent en bonne entente. Il s’agit en effet de maintenir des relations de bon voisinage afin de pouvoir vivre en paix. Il précise qu’il n’y a pas non plus de véritables différences économiques, tout comme on ne retrouve pas vraiment de métiers réservés aux fidèles d’une confession par rapport à l’autre. Raphaël Tourtet illustre ainsi son propos en soulignant qu’il y a autant de pauvres chez les protestants que chez les catholiques.

Pour en savoir plus sur le sujet de l’épisode, on vous conseille de lire :

Ouvrages sur le protestantisme et sa diversité :

  • Boisson Olivier, Daussy Hugues, Les protestants dans la France moderne, Paris, Belin, 2006.
  • Christin Olivier, Krumenacker Yves (dir.), Les protestants à l’époque moderne : une approche anthropologique, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2017.
  • Cottret Bernard, Histoire de la Réforme protestante : Luther, Calvin, Wesley XVIe-XVIIIe siècle, Paris, Perrin, 2010.
  • Delumeau Jean, Wanegffelen Thierry [et al.], Naissance et affirmation de la Réforme, [10e éd.], Paris, Presses universitaires de France, 2003.

Ouvrages sur l’historiographie religieuse en Allemagne :

  • Büttgen Philippe, Duhamelle Christophe, Religion ou confession : un bilan franco-allemand sur l’époque moderne, XVIe-XVIIIe siècles, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2010.

Ouvrages sur la coexistence et la construction des identités confessionnelles à l’époque moderne :

  • Brademann Jan, « Von der christlichen Einheit zur protestantischen Koexistenz. Zur Religionsgeschichte Nienburgs im 15. bis 18. Jahrhundert », Mitteilungen des Vereins für anhaltische Landeskunde, n° 20, 2011, p. 99‑128.
  • Jalabert Laurent, Catholiques et protestants sur la rive gauche du Rhin : droits, confessions et coexistence religieuse de 1648 à 1789, Bruxelles ; New York, Peter Lang, 2009.
  • Forclaz Bertrand (éd.), L’expérience de la différence religieuse dans l’Europe moderne : XVIe-XVIIIe siècles, Neuchâtel, Editions Alphil-Presses universitaires suisses, 2013.
  • François Étienne, Protestants et Catholiques en Allemagne : identités et pluralisme, Augsbourg, 1648 – 1806, Paris, Michel, coll. « L’évolution de l’humanité », 1993.

Ouvrages sur l’histoire du protestantisme en Alsace :

  • Revue d’Alsace, « Protestants et protestantisme en Alsace de 1517 à nos jours », n°143, 2017.
  • Adam Johann, Evangelische Kirchengeschichte der elsaessischen Territorien bis zur franzoesischen Revolution, Strasbourg, J.H. Ed. Heitz, 1928.
  • Vogler Bernard, Histoire des chrétiens d’Alsace des origines à nos jours, Paris, Desclée, 1994.

Ouvrages sur l’histoire rurale de l’Alsace :

  • Boehler Jean-Michel, Une société rurale en milieu rhénan : la paysannerie de la plaine d’Alsace (1648-1789), Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 2e éd., 1995.
  • L’Atlas historique d’Alsace de l’Université de Haute-Alsace offre également de nombreuses synthèses sur l’histoire de la région. En ligne : http://www.atlas.historique.alsace.uha.fr/fr/

Les publications de l’invité : 

  • Tourtet Raphaël, L’Alsace protestante : illusion d’unité, réalités multiples. Les cas de la seigneurie de Bischwiller, du bailliage de Cleebourg et de Sainte-Marie-aux-Mines (XVIIe-XVIIIe siècles), Strasbourg, Revue d’Alsace, 2023. En ligne : https://hal.science/hal-04343944
  • L’ensemble des publications de Raphaël Tourtet, en ligne : https://cv.hal.science/raphael-tourtet

Dans cet épisode, vous avez pu entendre les références suivantes faites par l’invité : 

Les figures emblématiques du protestantisme : 

  • Martin Luther, le pionnier de la réforme éponyme.
  • Jean Calvin, juriste humaniste qui bâtit le modèle des Églises réformées sur le modèle des idées de la Réforme luthérienne.
  • Ulrich Zwingli, pasteur et théologien qui à Zurich, en Suisse germanique, développe lui aussi une doctrine protestante.

Les travaux publiés : 

  • Tourtet Raphaël, L’Alsace protestante : illusion d’unité, réalités multiples. Les cas de la seigneurie de Bischwiller, du bailliage de Cleebourg et de Sainte-Marie-aux-Mines (XVIIe-XVIIIe siècles), Strasbourg, Revue d’Alsace, 2023. En ligne : https://hal.science/hal-04343944
  • « L’Alsace protestante : illusion d’unité, réalités multiples. Les cas de la seigneurie de Bischwiller, du bailliage de Cleebourg et de Sainte-Marie-aux-Mines (XVIIe-XVIIIe siècles) », Revue d’Alsace, 2023, n°149, pp.85-101.
  • « Appartenances et identités confessionnelles protestantes en Alsace : l’exemple de la seigneurie de Bischwiller (XVIIe–XVIIIe siècles) », Histoire régionale. Recherche et enseignement : Landesgeschichte in Forschung und Unterricht, 2020, 16, pp.167-186.