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Épisode 30 – Sophie et les normes sexuelles au Haut Moyen Âge

Comment et pourquoi ont été définies les normes sexuelles au début du Moyen Âge, dans les textes normatifs carolingiens ?

En 2017, Sophie Leclère a présenté une thèse sur le sujet « Sexe, normes et transgressions. Contrôler les pratiques sexuelles et matrimoniales à l’époque carolingienne (740-840) ». Elle a pu la réaliser en cotutelle, à l’Université Saint-Louis – Bruxelles et à l’Université Libre de Bruxelles, sous la codirection de Alain Dierkens et Éric Bousmar.

Sophie Leclère
Sophie Leclère au micro de Passion Médiévistes
Contrôler pour assurer la paix

A partir de l’étude des capitulaires carolingiens, Sophie Leclère a travaillé sur l’établissement d’une norme  en matière de sexualité, et plus spécifiquement les écrits produits à partir du milieu du VIIIe siècle jusqu’au règne de Louis le Pieux († 840). Elle s’est concentrée sur les façons de transgresser cette norme, d’en parler, et de punir les coupables des actes prohibés. À ce sujet, la question du modèle chrétien et de son influence sur les productions normatives est essentielle : les souverains carolingiens, afin de préserver l’ordre et la paix au sein de leurs territoires, mettent un point d’honneur à pacifier les rapports sociaux et à prévenir, ou punir, ceux qui amèneraient la discorde dans la société.

Poser des normes pour lutter contre les « déviances » et les transgressions

Dans sa thèse, Sophie Leclère s’est intéressée à plusieurs pratiques sexuelles considérées comme déviantes au Haut Moyen Âge : l’inceste, l’adultère, la sodomie et la fornication (les relations sexuelles, souvent hors mariage, qui n’ont pas pour but la procréation). L’étude des productions législatives est ainsi une étape essentielle à la bonne compréhension des mécanismes de normativité et de définition de la transgression dans la société carolingienne. Le vocabulaire de la transgression est en effet essentiel pour appréhender le système de valeurs dans lequel les penseurs carolingiens s’insèrent. Les deux formes d’atteintes à la morale sexuelle et à l’ordre public au centre des préoccupations des autorités sont l’inceste et l’adultère. Celles-ci sont aussi les plus présentes dans les capitulaires et sont grandement tributaires, tant au niveau de la définition du délit que des modes de sanction, de la pensée religieuse.

En outre, en matière sexuelle, transgression rime nécessairement avec fornication. On constate en effet assez rapidement que les mentions d’interdictions de fornication dans les sources ne font pas référence à des actes précis, mais servent à condamner des actes sexuels jugés transgressifs de manière très générale : sans rien exposer dans le détail, ces interdits englobent simplement tout ce qui n’est pas admis.

Le Roman de la Rose, fin XVe siècle, Harley MS 4425, f. 122v, The British Library
Le Roman de la Rose, fin XVe siècle, Harley MS 4425, f. 122v, The British Library

L’objectif de la thèse de Sophie Leclère est de contribuer à une meilleure compréhension du phénomène législatif pour la période carolingienne en partant d’un cas particulier : la répression de la sexualité. Il est nécessaire de l’envisager tel que les sources nous le permettent, c’est-à-dire d’un point de vue essentiellement idéel, davantage que réel. Les Carolingiens ont en effet pensé et régulé les comportements sexuels en termes résolument chrétiens, en étant tournés vers le passé, dans un cadre moral et légal tout à fait particulier.

Et Sophie Leclère tient le blog Whatsup sur la question du doctorat et le vécu des doctorants.

Transcription de l’épisode 30 (cliquez pour dérouler)

***Introduction***

[Fanny Cohen-Moreau] Est-ce que l’on sait tout du Moyen ge ? Est-ce qu’il reste encore des choses à découvrir ? Et d’abord, qu’est-ce que le Moyen ge ? En fait, il y a autant de réponses que de médiévistes. Dans ce podcast, nous rencontrons des personnes qui étudient l’histoire médiévale. Ils nous parlent de leurs sujets passionnants et de leurs recherches pour vous donner envie d’en savoir plus. Épisode 30 : Sophie et les normes sexuelles au haut Moyen ge. C’est parti !

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[Fanny Cohen-Moreau] Bonjour à toutes et à tous. À l’heure où est enregistré cet épisode, il fait très froid, les températures chutent dans les négatifs. Mais à l’heure où il sera sorti, si vous l’écoutez dès sa publication, il fera chaud, et vous serez peut-être en vacances. Le hasard fait bien les choses car aujourd’hui, comme vous avez pu le lire dans le titre de l’épisode, nous parlons d’un sujet d’apparence légère, qui convient bien à l’été et aux numéros spéciaux des magazines. Donc attention, le sujet d’aujourd’hui n’est pas forcément à écouter le dimanche midi, au brunch, avec vos enfants. Bref. Bonjour Sophie Leclère.

[Sophie Leclère] Bonjour Fanny.

[Fanny Cohen-Moreau] Bon, toi, t’es plutôt chaud, plutôt froid ?

[Sophie Leclère] Bah plutôt chaud.

[Fanny Cohen-Moreau] Ah ! C’est bien ! Tu viens aujourd’hui pour nous parler de ta thèse, alors, attention, Sexe, normes et transgressions, contrôler les pratiques sexuelles et matrimoniales à l’époque carolingienne (740-840). Donc tu l’as faite à l’université Saint-Louis de Bruxelles, sous la direction d’Alain Dierkens… C’est ça, je dis bien ?

[Sophie Leclère] Oui, mais Alain Dierkens, c’était à l’Université Libre de Bruxelles.

[Fanny Cohen-Moreau] Ah. Et aussi Éric Bousmar. Et donc, pour les auditeurs, nous [avons] un petit public avec nous. Public, est-ce que vous allez bien ?

[Public] Ouiiiii ! [clap clap]

[Fanny Cohen-Moreau] Voilà ! Alors Sophie, combien de temps a duré ta thèse ? Parce que, oui, en fait, tu l’as finie. Et comment elle s’est passée ?

[Sophie Leclère] Alors ma thèse a duré cinq ans et demi. Tu pourrais faire un podcast entier sur la façon dont s’est déroulée ma thèse, j’ai commencé directement après mon master. Donc j’ai fait mon mémoire avec Alain Dierkens à l’Université Libre de Bruxelles, et à la fin de ce mémoire, lui savait très bien que j’avais envie de continuer là-dedans, de faire de la recherche. J’étais vraiment passionnée par mon sujet, par le Moyen ge de manière générale, et il m’a proposé de candidater à un contrat de bourse régionale, puisqu’il y avait la possibilité, à Limoges, de faire une thèse avec Philippe de Preux, en co-tutelle avec une autre université. Donc il avait proposé mon nom. J’ai été retenue pour ce mandat et donc j’ai commencé en octobre 2011 une thèse qui n’était pas sur ce sujet-là, puisque le sujet de base, c’était… alors, c’était très long et compliqué… c’était L’Influence des modèles ecclésiastiques et ecclésiaux dans la production de la norme aux VIIIè et IXè siècles.

[Fanny Cohen-Moreau] Donc il y avait juste la norme en commun, pour l’instant.

[Sophie Leclère] Il y avait juste la norme en commun, voilà, et la période. Mais qui était quand même un petit peu plus étendue. Donc là, c’était vraiment le seul point commun.

[Fanny Cohen-Moreau] Et ensuite, comment tu es arrivée à ce sujet ?

[Sophie Leclère] J’ai beaucoup tâtonné avec ce sujet. Il m’a fallu beaucoup de temps pour l’apprivoiser, le comprendre, en fait. Parce qu’il faut savoir que mon mémoire de master portait sur la fondation d’une abbaye belge, l’abbaye d’Andenne, qui est une fondation pré-carolingienne, on était à la fin du VIIè siècle, et que donc, j’ai travaillé sur fin VIIè [au] début XIIè. Et en fait, le seul trou qu’il y avait dans le cadre de l’histoire de l’abbaye d’Andenne, c’était la période carolingienne. Donc j’ai commencé cette thèse avec aucune idée, vraiment, de ce qui passait à l’époque carolingienne. Oui, parce que dans le cadre des études, forcément, on est amenée à travailler sur ces sources-là. On a des séminaires d’histoire où on aborde la période, mais vraiment, en profondeur, j’avais jamais eu l’occasion de travailler sur cette période-là. Donc j’étais toute contente de me dire « bah voilà, je vais un peu combler ce trou dans mes connaissances. » Le problème, c’est que je savais pas dans quoi je mettais les pieds. Donc, en commençant la thèse, je ne savais pas du tout par où aller, par où commencer mes recherches, dans quelles sources exactement je devais aller. L’orientation bibliographique, bêtement, ça, j’étais un petit peu perdue. Donc il m’a fallu quand même beaucoup de temps pour mettre les deux pieds, vraiment, dans ce sujet-là. Comment je suis arrivée au sujet de la sexualité, en fait, de manière générale, c’est tout simplement en lisant un chapitre d’un capitulaire, le premier…

[Fanny Cohen-Moreau] C’est quoi un capitulaire ?

[Sophie Leclère] Alors, un capitulaire, c’est un peu compliqué. C’est toujours compliqué quand on doit définir une source. Un capitulaire carolingien – c’est vraiment une spécificité carolingienne – c’est un texte normatif qui est divisé en chapitres. En fait, c’est le seul élément, vraiment, de définition qu’on peut donner. Capitulaire, Capitula, c’est un texte qui est divisé en chapitres. C’est un texte qui est à la base issu du pouvoir royal et puis qui, par mimétisme, a aussi été issu par le pouvoir ecclésiastique. Donc on a les capitulaires royaux et les capitulaires épiscopaux.

[Fanny Cohen-Moreau] Et donc qui définissent des règles, des lois ?

[Sophie Leclère] Qui définissent des règles. Alors, c’est tout le problème de la loi. Est-ce qu’on parle de loi à cette période-là ? C’est un débat assez présent dans l’historiographie, mais en tout cas, ce sont des textes qui énoncent des normes que les fidèles sont censés respecter. Et on a vraiment tous types de capitulaires. On a des capitulaires très longs, très programmatiques, qui sont vraiment porteurs du programme politique carolingien, mais on a aussi des capitulaires qui sont beaucoup plus courts, qui sont pas forcément destinés à durer dans le temps et qui traitent de problématiques plus ponctuelles, plus conjoncturelles.

[Fanny Cohen-Moreau] Et donc, tu as trouvé une source, un capitulaire en particulier, qui a attiré ton attention ?

[Sophie Leclère] Oui. Donc j’ai commencé par le début, le premier capitulaire de Pépin le Bref, qui est le premier roi des Francs. C’est un capitulaire qui date de 754. Et le premier chapitre de ce capitulaire est consacré à l’inceste. C’est un chapitre assez long, qui, dans sa première partie, liste, en fait, toutes les personnes avec qui il est interdit d’avoir une relation. Donc, c’est si tu commets l’inceste avec une mère et une fille, avec ta comère. Donc la comère, c’est la femme qui est la marraine d’un enfant, donc on est comère/compère. Donc ça, c’est considéré comme un inceste. Toutes les personnes avec qui un homme ne peut pas avoir de relation – relation, ça veut dire sexuelle, mais aussi matrimoniale. Toutes ces personnes sont listées, et ensuite, on a toute une catégorie de punitions en fonction du statut de la personne et en fonction du délit.

[Fanny Cohen-Moreau] Donc toi, quel a été ton angle un petit peu nouveau sur ce capitulaire ? Mais tu n’as pas étudié que ce chapitre-là, en particulier ?

[Sophie Leclère] Non, j’ai étudié plusieurs chapitres. Ce chapitre-là, c’est celui qui m’a amenée vers la question de la sexualité, puisque je m’intéressais de manière générale à la religiosité du droit. Et ici, mes directeurs m’ont dit « bah au final, est-ce que ce serait pas intéressant, dans cette disposition-là, de chercher s’il y a un modèle biblique, un modèle patristique – donc des pères de l’Église – que tu peux retrouver dans cette disposition pour voir si la façon dont on considère l’inceste à cette période-là, dans ce texte-là, provient d’un modèle particulier ? » Et c’est une question qui m’a beaucoup intéressée. Je me suis dit que ça pouvait se transposer à d’autres types de transgressions. Et en cherchant un petit peu les autres transgressions dans les capitulaires carolingiens, je me suis intéressée, forcément, à l’inceste – parce qu’on le retrouve quand même beaucoup – à l’adultère et à la fornication. Pourquoi ces trois-là ? Parce que ce sont tout simplement les transgressions sexuelles qu’on retrouve plus volontiers dans les textes. L’inceste et l’adultère, on est un peu dans une même logique, qui est une logique de désordre social. Quand on épouse quelqu’un dans sa propre famille, ou qu’on trompe son épouse ou son époux, on dérange un petit peu l’ordre établi par les souverains carolingiens, et par Dieu.

[Fanny Cohen-Moreau] Donc ces textes sont vraiment une façon d’ordonner la société.

[Sophie Leclère] Oui.

[Fanny Cohen-Moreau] De dire, on va forcer ces gens à vraiment avoir des pratiques bien précises, pour les contrôler, en fait.

[Sophie Leclère] Oui, c’est ça. C’est vraiment le principe. En plus, à l’époque carolingienne, on a un concept assez particulier, qui est le concept de la correctio, donc la “correction”, littéralement, qui est un principe de redressement général de la société. Redressement des mœurs, redressement de la moralité. Et c’est vraiment ça qu’on retrouve dans l’ensemble des capitulaires carolingiens, de Pépin le Bref, en passant par Charlemagne, Louis le Pieux aussi, et dans une dimension un peu différente, à partir de Charles le Chauve.

[Fanny Cohen-Moreau] Pourquoi il y a cette volonté de redresser la société ?

[Sophie Leclère] Parce que la moralité générale des fidèles est sous la responsabilité du souverain et que le souverain est garant de la foi. À partir du moment où les fidèles ont des comportements qui mettent à mal l’ordre divin, l’ordre social, c’est le souverain qui a la responsabilité de ce désordre social et donc, la volonté de ranger un petit peu ce qui se passe dans la société carolingienne. C’est le devoir du souverain.

[Fanny Cohen-Moreau] Donc en fait, c’était un peu le bazard avant les carolingiens. Les carolingiens sont arrivés et ont dit « bon, on va un petit peu calmer tout le monde » ?

[Sophie Leclère] Alors non, parce que le problème, quand on travaille sur une période assez précise…

[Fanny Cohen-Moreau] Tu travailles sur un siècle, quand même, c’est très précis.

[Sophie Leclère] Alors c’est précis, mais c’est pas mal quand même. Travailler sur cent ans de production législative, en fait, c’est beaucoup. Ça fait pas mal de texte, finalement. Mais ça provoque une espèce de dérive, qui est de penser qu’il y a une spécificité à cette période-là. La période carolingienne s’inscrit évidemment dans une continuité. Il y a pas une frontière. Moi, ma thèse, c’est 740-840, c’est pas pour ça qu’en 740, tout a changé, qu’en 840, tout rechange de nouveau, évidemment. La législation carolingienne, et de manière générale la société carolingienne reposent sur des socles qui ont été déjà bien posés, dans l’Empire romain évidemment, au niveau législatif. Vraiment, de l’Empire romain, avec le code théodosien, qui est connu dans l’Empire carolingien par le bréviaire d’Alaric. On a évidemment tout ce qui est législation barbare, tout ce qui est réécriture aussi de la législation romaine, qui est vraiment une base législative pour les souverains carolingiens. Donc on a pas un moment où il y a une frontière, une transition claire et nette, tant au niveau législatif qu’au niveau social.

[Extrait du film Le Nom de la Rose – Jean-Jacques Annaud (1986)]
Adso – Maître, avez-vous… jamais été… amoureux ?
William – Amoureux ? À maintes reprises.
Adso – C’est vrai ?
William – Oui, bien sûr ! Aristote, Ovide, Virgile, Thomas d’Aquin…
Adso – Non non non, je voulais parler de…
William – Ah. N’es-tu pas en train de confondre l’amour avec le désir ?
Adso – Vous croyez ?
William – Oh la la !
Adso – Pourquoi “oh la la” ?
William – Tu es amoureux.
Adso – Et c’est mal ?
William – Pour un moine, ça pose quelques petits problèmes.
Adso – Mais enfin, Saint Thomas d’Aquin ne place-t-il pas l’amour au-dessus de toutes vertus.
William – Si, l’amour de Dieu, Adso. L’amour de Dieu.
Adso – Et l’amour de… la femme.
William – De la femme ? Thomas d’Aquin n’en était pas spécialiste. Mais les écritures sont tout à fait claires. Les proverbes nous mettent en garde. La femme s’empare de l’âme précieuse de l’homme, tandis que l’ecclésiaste nous dit « plus amer que la mort est la femme. » J’avoue que j’ai beaucoup de mal à me convaincre que Dieu ait mis une créature aussi abjecte dans sa création sans la doter peu ou prou de quelques vertus.
[Fin de l’extrait]

[Fanny Cohen-Moreau] J’avais vu un truc, mais dis-moi si je me trompe, qu’en fait, quand les gens du nord étaient venus, notamment en Normandie, ils avaient plutôt une sexualité assez libre, et qu’en fait, l’Église avait voulu aussi réguler ça. Est-ce que je me trompe ou pas ?

[Sophie Leclère] Alors c’est possible. Moi, j’ai pas étudié cette problématique-là en particulier mais c’est sûr que… et c’est ça qui m’a intéressée aussi dans ma thèse, c’est l’articulation entre le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel. Et clairement, l’influence religieuse, l’idée de vouloir redresser la moralité selon les préceptes chrétiens, c’est forcément central et c’est ce qu’on retrouve dans la législation. Il y a vraiment une porosité entre la volonté d’un pragmatisme législatif d’organiser la société de manière générale, de réguler les comportements, mais aussi de faire en sorte que ces comportements soient conformes aux préceptes bibliques, mais aux préceptes religieux de manière générale, donc c’est tout à fait possible.

[Fanny Cohen-Moreau] En fait, le légal et la moral n’ont plus de frontière à ce niveau-là.

[Sophie Leclère] Non. D’autant plus qu’on est pas dans un système législatif, disons, monolithique. On a une pluri-normativité perméable, c’est-à-dire qu’il y a tout un tas de textes normatifs. On retrouve des dispositions d’un texte dans l’autre texte, un petit peu aménagées, un petit peu transformées. On est pas dans un bloc, disons, constitutionnel, comme on pourrait avoir aujourd’hui.

[Fanny Cohen-Moreau] Est-ce que tu as aussi étudié l’homosexualité dans ta thèse ?

[Sophie Leclère] Alors, j’ai pas étudié l’homosexualité en tant que telle, parce qu’on la retrouve quasiment pas dans les capitulaires, à quelques exceptions. Le cœur, vraiment, de mon corpus de sources, c’était les capitulaires. Donc, si je retrouvais pas quelque chose dans les capitulaires, j’en faisais pas vraiment le cœur de mon étude. Mais c’était intéressant. Donc j’ai une disposition qui concerne… alors, l’homosexualité, la sodomie, c’est pas exactement la même chose. C’est pas l’homosexualité qui est condamnée, c’est l’acte de sodomie qui est condamné. Étudier une forme de transgression sexuelle, ça permet de comprendre un petit peu le système de valeurs générales dans lequel évolue la société.

[Fanny Cohen-Moreau] Je sais que c’est toujours un peu délicat, mais est-ce qu’on peut dire que, vraiment, ces capitulaires reflétaient la société ? Parce que, voilà, t’as que “une” source…

[Sophie Leclère] Alors, j’ai étudié les capitulaires carolingiens, mais effectivement, pour comprendre s’ils reflètent véritablement la société, il faut aller voir un petit peu ailleurs, donc j’ai quand même été voir dans les écrits des grands ecclésiastiques, par exemple, qui produisaient des traités à l’époque. En fait, c’est pas véritablement ce qui m’intéressait. Moi, ce qui m’intéressait, c’était de voir comment on construit la norme. Après, tout ce qui est application, déjà, pour cette époque-là, c’est pas clair ; on sait pas exactement comment sont appliquées les lois. On a pas de texte de la pratique. Moi, je sais pas si les dispositions qui sont prévues dans les capitulaires carolingiens étaient appliquées comme ça…

[Fanny Cohen-Moreau] Oui, il y a pas de traces de procès, ce genre de chose.

[Sophie Leclère] Non. Pas en tout cas pour ce que moi j’ai étudié. Ça, il y en a pas.

[Fanny Cohen-Moreau] Tu en as déjà mentionnés, mais est-ce qu’il y a un texte qui t’a plu en particulier ?

[Sophie Leclère] Il y a plusieurs dispositions pour lesquelles j’ai un petit faible, un petit bounche, comme on dit en bruxellois. Il y a forcément la disposition sur l’inceste, ce premier chapitre du capitulaire de Pépin le Bref, parce que pour moi, c’est déjà un texte qui est intéressant en soi, mais aussi, il représente la transition, dans l’histoire de ma thèse, entre un premier sujet et un deuxième sujet, donc c’est vrai que ce chapitre-là, je l’aime bien.

Mais il y a un autre chapitre qui m’a aussi beaucoup intéressée, que j’ai vraiment adoré traiter. C’est un chapitre qui est consacré justement à la sodomie, dans un gros capitulaire de Charlemagne, vraiment un capitulaire programmatique, donc qui porte vraiment le programme politique carolingien à l’époque. C’est un chapitre qui est relativement court et qui condamne les actes de sodomie chez les moines. Et pourquoi est-ce que c’est un chapitre qui m’intéresse ? C’est parce que j’ai l’impression qu’on sent un peu le ras le bol de Charlemagne [rire de Fanny]. Dans ce chapitre, il dit « écoutez… », enfin, il dit pas ça comme ça, mais il dit qu’il est parvenu à ses oreilles la rumeur la plus pernicieuse selon laquelle il y avait des moines qui pratiquaient la sodomie dans les monastères, qu’il aimerait bien que ça ne se reproduise plus parce que si ça se reproduisait, il serait obligé de sévir.

Alors, pourquoi est-ce que moi, ça m’intéresse ? Bah déjà parce qu’effectivement, on est face à une transgression sexuelle qui est assez rarement évoquée dans les capitulaires carolingiens. Déjà ça, c’est un élément intéressant, parce que ça pose la question du silence des sources. Quand on travaille sur des textes, il faut toujours évidemment s’intéresser à ce que les textes racontent, mais on doit aussi s’intéresser à ce que les textes ne racontent pas. Qu’est-ce que ça veut dire quand on constate que la sodomie, l’homosexualité est complètement absente des textes législatifs carolingiens. Ça peut faire l’objet d’une étude aussi. Donc déjà ça, pour cet aspect-là, ça m’a intéressée. L’aspect construction de la norme… En fait, Charlemagne commence en disant « j’ai entendu dire que ». Ça veut dire qu’il a entendu, que quelqu’un est venu lui dire, ou qu’il y a eu une rumeur qui s’est répandue, selon laquelle ces actes-là se passaient dans les monastères, et donc il a eu envie de légiférer sur la question. Donc on est ici dans une disposition qui est fort conjoncturelle, finalement. Donc déjà, pour ça, forcément ça m’a intéressée. Et puis, il y a tout l’aspect qui est consacré à la punition. Ça, c’est un aspect qui m’a aussi beaucoup intéressée, aussi dans le cadre de ma recherche ; comment est-ce qu’on fait pour punir ces crimes. Ici, finalement, Charlemagne dit qu’il va punir, mais il dit pas comment. Il dit pas quand, il dit pas pourquoi. Enfin si, il dit pourquoi. Il dit que « il faut absolument pas que ça se produise parce que c’est des moines dont on attend la plus grande moralité, » mais il dit pas comment il le ferait. Pourquoi c’est un chapitre intéressant ? Parce que j’ai vraiment l’impression que Charlemagne exprime son ras-le-bol. On a l’impression que Charlemagne est dans son palais et qu’il dit « écoutez, les gars, j’en ai marre de vos pratiques de sodomie, il faut arrêter. Si vous continuez, moi, je vais devoir sévir. »

Pourquoi c’est aussi intéressant au niveau de la construction de la norme ? C’est que Charlemagne, et ses conseillers, dont Alcuin, ont tout à fait conscience qu’il existe des normes, des dispositions préalables qui condamnent les actes de sodomie. Pourquoi est-ce qu’il ne fait pas appel à une disposition préexistante pour appuyer son propos ? Justement, c’est pour ça, je pense, qu’on est dans quelque chose de conjoncturel.

[Fanny Cohen-Moreau] Pourquoi il a besoin de rappeler, à ce moment-là.

[Sophie Leclère] Alors oui, c’est ça, c’est que forcément, ça s’est passé, il y a eu des actes, il a pas eu envie de faire recours à une disposition antérieure du concile. On a un concile d’Ancire, donc début du IVè siècle, qui est connu à l’époque carolingienne. Il fait pas appel à ces dispositions-là parce qu’il a vraiment envie de dire « écoutez, c’est moi. C’est moi qui vous interdit ça, et donc écoutez-moi parce que sinon, je vais devoir prendre des dispositions.

[Extrait de Kaamelott – Livre I, Épisode 4]
Arthur – Alors, vous vouliez me voir.
Le Répurgateur – Oui, tout à fait, euh…
Arthur – Simplement, remémorez-moi un petit peu de quoi il s’agit, à peu près ?
Le Répurgateur – Pour la loi ?
Arthur – Oui, pour la loi.
Le Répurgateur – C’est une loi, euh… qui interdit le… la polygamie.
*** Changement de scène ***
Arthur – Donc si je comprends bien, on pourrait plus avoir plusieurs femmes en même temps.
Le Répurgateur – Euh non. On pourrait plus avoir plusieurs femmes.
Arthur – C’est ça, ce serait juste une à la fois.
Le Répurgateur – Ah non, juste une. Bon, vous par exemple, votre femme, c’est Guenièvre, notre Reine bien-aimée.
Arthur – Oui, et alors ?
Le Répurgateur – Bon. Alors vous êtes d’accord, que de temps en temps, hein, vous avez eu des petites histoires, hein ? Bon ! Alors votre femme, c’est Guenièvre, notre Reine bien-aimée, donc vous n’êtes qu’avec Guenièvre, un point final, et c’est tout. Voilà. Vous signez, là ? Pardon.
Arthur – Je ne suis qu’avec Guenièvre, et ?
Le Répurgateur – Vous n’allez qu’avec Guenièvre, notre Reine bien-aimée, qui est notre Reine bien-aimée.
Arthur – Je vais… Je vais réfléchir un peu, encore.
[Fin d’extrait]

[Fanny Cohen-Moreau] On vient d’entendre un extrait de Kaamelott, comme dans tous les épisodes de Passion Médiéviste. Qu’est-ce que tu pourrais nous dire sur cet extrait, en particulier ?

[Sophie Leclère] C’est un extrait très intéressant, comme tous les extraits de Kaamelott. [rire de Fanny] Parce qu’il y a toujours quelque chose à dire sur les extraits de Kaamelott. C’est en fait un passage que j’ai analysé longuement dans ma thèse. Ça m’a un petit peu été reproché d’ailleurs, parce qu’il y a un petit peu trop de références à la culture contemporaine, mais c’est pas grave, ça m’a amusée. On est aussi dans le cadre de la construction de la norme. Alors, c’est peut-être aller chercher un petit peu loin, un peu sur-analyser quelque chose qui fait partie de la culture populaire, mais qui est-ce qu’on a dans cet épisode, ou dans cet extrait ? On a le répurgateur et Arthur. Le répurgateur, finalement, il représente une Église assez radicale, et radicalement opposée aux femmes. Qu’est-ce qu’il essaie de faire dans cet extrait ? Il essaie de faire signer une loi à Arthur interdisant le fait d’avoir plusieurs femmes en même temps, et pas seulement, puisqu’il l’interdit d’avoir plusieurs femmes, tout court. C’est finalement une pensée augustinienne, puisqu’Augustin était farouchement opposé au fait d’avoir plusieurs femmes au fil de la vie, ce qu’on appelle la monogamie sérielle. Donc Augustin, c’est un père de l’Église, donc un grand penseur du IVè siècle – fin IVè siècle, début Vè siècle – qui a produit pas mal de textes sur le mariage. Il a pas mal réfléchi au mariage, comme beaucoup de pères de l’Église. On est vraiment là dans la doctrine du mariage. Et donc, Saint Augustin est vraiment farouchement opposé au fait d’avoir plusieurs femmes. Alors certainement, en même temps, ça c’est sûr, mais même d’être marié plusieurs fois de suite, même si c’est à une seule femme.

[Fanny Cohen-Moreau] Comment on peut être marié plusieurs fois de suite à la même femme ?

[Sophie Leclère] Pas à la même femme…

[Fanny Cohen-Moreau] Ah !

[Sophie Leclère] Tu épouses quelqu’un, tu divorces, et puis tu épouses quelqu’un d’autre. Puis tu divorces, puis tu ré-épouses quelqu’un d’autre. C’est ça, la monogamie sérielle. En fait, c’est quelque chose qu’on pratique beaucoup aujourd’hui finalement.

[Fanny Cohen-Moreau] Oui, mais c’est ça, dans la série, Arthur a plein de maîtresses, tout ça, donc c’est très présent quand même la sexualité dans Kaamelott.

[Sophie Leclère] Oui, c’est très présent, et autre chose qui est intéressant dans l’épisode, de manière générale, c’est le fait que le répurgateur considère qu’avoir plusieurs femmes, ou plusieurs femmes en même temps, c’est pas très propre. C’est vraiment la formulation qu’il utilise. Alors pourquoi c’est intéressant ? Parce que le phénomène de la souillure, c’est vraiment quelque chose de central dans la considération de la sexualité au Moyen ge. C’est quelque chose qu’on retrouve dans toutes les sources, dans les sources normatives, dans les sources narratives. Ça fait vraiment partie de l’imaginaire de la sexualité. C’est forcément quelque chose qui souille. Les mots de la sexualité souillent également. C’est pour ça qu’au début du IXè siècle, il y a la volonté d’interdire la production et la diffusion de pénitentiels. Donc, un pénitentiel, c’est une source assez particulière qui est fortement mobilisée par les historiens qui s’intéressent à l’histoire de la sexualité. Ce sont en fait des petits livres qui listent l’ensemble des péchés, et qui affectent à chacun de ces péchés un tarif. Par exemple, si tu couches avec ton frère, tu dois faire dix ans de pénitence au pain sec et à l’eau. Voilà, toutes les transgressions, au final, sont citées…

[Fanny Cohen-Moreau] C’est très détaillé, en fait.

[Sophie Leclère] C’est très détaillé. Alors, pourquoi est-ce qu’on a voulu les interdire ? Bah tout simplement parce que ça donnait des idées. [rire de Fanny] Les pénitentiels sont des textes qui sont utilisés dans le cadre de la confession, donc pour les prêtres, pour les confessés. Alors ça donnait des idées, non seulement aux confessés, évidemment, mais aussi aux prêtres, et ça, ça plaît pas beaucoup. Donc il y a eu vraiment une volonté d’éradiquer ces textes. Ça n’a pas très bien fonctionné. Mais voilà, les mots souillent, les mots sont impropres, sont impurs, à l’image de l’acte sexuel.

[Fanny Cohen-Moreau] Tu as dis, tu as travaillé sur l’inceste, mais aussi sur la fornication, c’est ça ?

[Sophie Leclère] Oui. Tout à fait. C’est assez commode, au final, de travailler sur la fornication, parce que ça veut tout et rien dire. Forniquer, au Moyen ge, en fait je pense aujourd’hui aussi… forniquer, c’est avoir une relation sexuelle qui n’a pas pour but la procréation. Donc c’est forcément interdit. La fornication, c’est donc toute relation sexuelle hors mariage, puisque seule les relations sexuelles dans le cadre du mariage sont autorisées. Alors, [elles] sont pas spécialement accueillies les bras grands ouverts, puisque la relation sexuelle doit forcément avoir pour but la procréation. Ça veut dire aussi que, si on peut en profiter pour ne pas avoir trop de plaisir, c’est tant mieux. Ça, on est vraiment dans un rejet total du plaisir, et la fornication, c’est la recherche du plaisir. C’est pour ça que la fornication est vraiment interdite dans, non seulement la législation carolingienne de manière générale, mais aussi, dans les pénitentiels, on retrouve énormément de formulations d’interdits de fornication.

[Fanny Cohen-Moreau] On a souvent parlé de ça, mais les sources du haut Moyen ge, en général, elles sont toutes éditées, ça veut dire qu’elles ont déjà été retranscrites. Toi, c’est le cas, tu travailles sur des sources déjà éditées, t’as pas pu voir les manuscrits en vrai ?

[Sophie Leclère] Alors non, j’ai pas mis les pieds dans des dépôts d’archives.

[Fanny Cohen-Moreau] Honte à toi.

[Sophie Leclère] Oui je sais, mais je l’ai fait pour mon mémoire, alors ça va, je suis sauvée. Non, c’était pas du tout nécessaire, en fait. Effectivement, les capitulaires sont édités. Alors [ils] sont pas traduits, ce serait trop beau.

[Fanny Cohen-Moreau] Ils sont en latin ?

[Sophie Leclère] Ils sont en latin. Oh, il y a des capitulaires en langue vernaculaire, mais ceux-là, je les ai pas utilisés. Ils sont très mal, en plus, conservés. On a pas le texte en entier, il y a des trous un petit peu partout. Mais [ceux] en latins, ils sont édités, ils sont tous numérisés. Donc j’ai accès en ligne à l’ensemble de ces documents.

[Fanny Cohen-Moreau] Tu pouvais les voir en vrai en numérisés ?

[Sophie Leclère] Alors, je pouvais voir l’édition numérisée et – alors ça, c’est vraiment génial – il y avait moyen de retranscrire le texte en HTML et donc, il y avait moyen de faire une recherche textuelle. Donc si je cherchais, par exemple, incestum, pour l’inceste, ou adulter, ou fornicatio, dans les textes, j’avais toutes les occurences qui apparaissaient. Et ça, en archive, c’est pas possible. Donc c’est vraiment un luxe, quand on travaille sur le haut Moyen ge, de pouvoir faire ce genre de choses.

[Fanny Cohen-Moreau] Vous êtes des fainéants, les hauts-médiévistes.

[Sophie Leclère] Mais oui. On pouvait travailler de notre fauteuil, en pyjama, c’est vraiment super.

[Fanny Cohen-Moreau] Tu n’as pas senti un vieux parchemin, en rentrant chez toi, après ?

[Sophie Leclère] Non, mais je vis avec quelqu’un qui travaille dans les archives, donc ça sent quand même le vieux parchemin chez moi.

[Fanny Cohen-Moreau] Mais c’est du papier à son époque, non ? Il me semble…

[Sophie Leclère] Oui, c’est vrai. C’est vrai. Excuse-moi.

[Fanny Cohen-Moreau] Il triche.

[rires]

[Fanny Cohen-Moreau] Je me rends compte qu’en fait, les normes dont tu parles sont quand même assez proches de celles qu’on a aujourd’hui. Bon, la répression en moins. Il y a quand même une continuité depuis plus de mille ans.

[Sophie Leclère] Alors, d’une certaine façon, oui et non. Parce que forcément, on est dans des logiques qui sont différentes, mais c’est vrai qu’il peut arriver de retrouver un petit peu ces dynamiques de réflexion. Je pense notamment à la légalisation du mariage homosexuel, donc en France, je pense que c’était 2012-2013, c’était dans ces alentours-là. Il y a eu pas mal de manifestations de personnes qui étaient farouchement opposées à la légalisation du mariage homosexuel. Et un des arguments qui ressortaient, et c’est quelque chose qu’on retrouve dans une interview du Petit Journal de Yann Barthès, où en fait, il interroge – je ne sais plus si c’est Yann Barthès ou un de ses journalistes – une dame, qui a été très poétiquement surnommée Marie Cystite par après, qui considère que l’homosexualité, c’est contre nature, et que si le mariage homosexuel est légalisé, c’est la colère de Dieu qui va s’abattre sur la France. Alors, on est exactement dans le même type de logique qu’on retrouve à la période carolingienne. Donc, quand Yann Barthès, après, en retour studio, dit que cette dame a pris un aller simple pour le Moyen ge, en fait c’est vrai.

[Fanny Cohen-Moreau] Pour une fois, la comparaison est bonne.

[Sophie Leclère] Exactement. On aime pas dire que des comportements sont médiévaux, sont moyenâgeux, sûrement pas moyenâgeux, mais là, pour le coup, il a pas tort. Donc on retrouve l’idée de reprendre des arguments religieux dans un cadre normatif. On a un exemple aussi en Belgique, c’est le roi Baudoin, en 1990, qui a refusé de signer la loi légalisant l’avortement pour des raisons morales, pour des raisons de croyance personnelle. Donc ça peut tout à fait encore arriver aujourd’hui de retrouver ce genre de réflexion et de dynamique.

[Fanny Cohen-Moreau] Et au cours de ta thèse, enfin à part au début, quand tu as changé de sujet, quelles difficultés est-ce que tu as rencontrées ?

[Sophie Leclère] Alors, la première difficulté, qui je pense, parlera à pas mal de doctorants et doctorantes, c’est la recherche de financements, puisque j’ai obtenu un contrat, qui était une bourse régionale. Donc les bourses régionales, c’est pour trois ans, et j’ai pas eu la possibilité d’avoir de prolongements ou de prolongations de ce financement, ni d’être vraiment soutenue dans cette entreprise. Donc là, j’étais à Limoges, je suis donc rentrée à Bruxelles, et là, j’ai dû commencer à chercher comment est-ce que j’allais faire pour continuer ma thèse. Donc j’ai été engagée à l’Université Saint-Louis, en tant qu’assistante. Donc là, disons ça a été assez vite “réglé”. Donc ça, c’est la première chose.

La deuxième chose qui risque de parler à pas mal de monde aussi, c’est le fait que j’ai eu la très mauvaise idée de ne pas faire de latin à l’école, de découvrir le latin, et le latin médiéval en arrivant à l’unif. Parce qu’en Belgique, on dit “unif”, on dit pas “fac”. Donc ça, ça a été difficile. D’ailleurs, j’ai relu, pour l’occasion, mes rapports de soutenance, et c’est vrai que ça revient pas mal, le fait que je maîtrise pas forcément très très bien le latin. C’est clairement une difficulté et un gros handicap quand on fait forcément du haut Moyen ge, parce que tout est en latin.

[Fanny Cohen-Moreau] Non mais c’est pour ça, j’avais pris un sujet en français médiéval, c’était plus simple quand j’ai fait…

[Sophie Leclère] Oui, le français médiéval, c’est pas forcément plus facile.

[Fanny Cohen-Moreau] Une fois qu’on a repéré les faux-amis, déjà.

[Sophie Leclère] Oui. Voilà. C’est vrai.

[Fanny Cohen-Moreau] Est-ce que tu aurais un conseil de lecture pour les gens qui nous écoutent et qui voudraient en savoir plus, quelque chose d’assez accessible ?

[Sophie Leclère] Sur la période carolingienne, de manière générale, donc dans son ensemble, il y a un ouvrage de Marie-Céline Isaia, qui s’appelle, je pense, Histoire des Carolingiens, tout simplement, qui est paru assez récemment, qui reprend vraiment tout ce qu’il faut savoir sur la période carolingienne. Je pense que c’est un des ouvrages les plus récents et qui résume le mieux tout ce qu’on peut apprendre sur cette période-là.

[Fanny Cohen-Moreau] Et est-ce que ta thèse sera publiée, ou est-ce que tu comptes publier un livre sur le sujet ?

[Sophie Leclère] Euh… Non. [rire] Sorry. Non, en fait, je suis plus dans le circuit, donc…

[Fanny Cohen-Moreau] Ta thèse avait duré combien de temps ?

[Sophie Leclère] Cinq ans et demi.

[Fanny Cohen-Moreau] Et là, donc tu as fini déjà depuis quelques années, qu’est-ce que tu fais maintenant ? Si c’est pas indiscret.

[Sophie Leclère] Alors, je m’occupe de la mise en œuvre du programme Erasmus Plus pour la Belgique francophone.

[Fanny Cohen-Moreau] Et tu as totalement arrêté la recherche ?

[Sophie Leclère] J’ai arrêté la recherche, parce qu’effectivement, je me retrouvais pas tellement dans ce mode de vie. Ça a été assez difficile, pour moi, la période de la thèse. Je suis très contente de l’avoir finie. Je suis très contente d’avoir abouti à quelque chose et que ce soit terminé, que ce soit derrière moi. Mais effectivement, la recherche, pour moi, c’est fini. Mais j’ai épousé un chercheur, donc c’est comme si je continuais.

[Fanny Cohen-Moreau] Et j’ai vu que tu avais aussi un blog, qui peut aussi intéresser les auditeurs du podcast.

[Sophie Leclère] Oui, en fait, en arrêtant la thèse et en changeant de milieu, complètement, puisque je travaille plus du tout, ni avec les universités, ni dans le domaine de la recherche, je me suis rendue compte que ça me manquait. Alors, pas la recherche en tant que telle, mais le secteur… tout m’intéresse dans les problématiques qui secouent… les enjeux qui traversent aussi l’université. Alors, en Belgique francophone en particulier, parce qu’en France, il y a… j’ai l’impression qu’il y a énormément d’initiatives sur l’encadrement du doctorat, sur le fait de vouloir mettre en avant les problèmes de l’université, les problèmes de financement, les problèmes de considération du personnel enseignant, ou des doctorants ou même du personnel administratif. En Belgique, on a pas trop ça. Comme ça m’intéresse et que j’avais envie de lire un petit peu plus là-dessus, de produire aussi du contenu là-dessus, je me suis dit qu’un blog était tout à fait indiqué pour un petit peu mettre à jour cette passion. Alors, c’est très bizarre d’être passionnée par l’enseignement supérieur, mais c’est mon cas.

[Fanny Cohen-Moreau] Oh t’inquiète, t’es pas la seule. Et donc, comment s’appelle ton blog ?

[Sophie Leclère] Alors le blog s’appelle Whatsup, « un peu de what, un peu de sup ». [rire de Fanny] Voilà, je pose un petit peu des questions un peu générales sur ce que c’est que de faire une thèse, différents domaines de la thèse, l’histoire, le droit ; éventuellement, si j’ai l’occasion de rencontrer des gens qui le font, des thèses plus scientifiques, et voir un petit peu quels sont les problèmes des doctorants de manière général, autour du doctorat : le financement, le sujet, l’encadrement, puisque je pense qu’il y a beaucoup à dire sur les directeurs et directrices de thèse, ça se passe pas toujours très bien. Donc voilà, c’est aussi l’idée de faire en sorte que les doctorants, ou les personnes qui sont intéressées tout simplement par le secteur, qui me lisent, se sentent un peu moins seules dans leur entreprise de thèse.

[Fanny Cohen-Moreau] Est-ce que tu aurais peut-être un message à adresser aux doctorants qui nous écoutent, ou aux personnes qui sont en thèse actuellement ?

[Sophie Leclère] Accrochez-vous. Accrochez-vous, ça vaut la peine. C’est compliqué, parfois, de se rendre compte qu’on est en train de faire quelque chose d’assez exceptionnel. C’est vrai que c’est très énergivore, en fait, de faire une thèse. C’est très fatigant, on est beaucoup seule, ou mal entourée, ça peut arriver, ou les deux. Mais il faut s’accrocher parce que ça vaut la peine, même si on a pas forcément d’ambition dans le secteur du supérieur en tant que tel, dans l’enseignement ou dans la recherche. Ça vaut toujours la peine, pour toutes les compétences qu’on développe, pour tout ce qu’il y a autour de la thèse, les personnes qu’on rencontre, aussi pendant qu’on fait une thèse, même si on est seule, on est toujours entourée d’une certaine façon d’autres doctorants et doctorantes qui vivent un petit peu la même chose que nous. Donc il faut s’accrocher, parce que c’est une belle aventure.

[Extrait de Kaamelott – Livre I, Épisode 14]
Guenièvre – Moi, je dis que vous devriez vous débarrasser de ce type avant qu’il ne répande ses idées ridicules dans tout le pays.
Arthur – De toute façon, à force de gonfler tout le monde, un de ces quatre, on va le retrouver pendu à un arbre, il demandera pas d’où ça vient.
Guenièvre – Une seule femme, quelle idée !
Arthur – Qu’est-ce qu’il faut pas entendre comme connerie, alors !
Guenièvre – Et puis vous vous ennuieriez avec une seule femme, vous, non ?
Arthur – Ah putain, ouais !
[Fin de l’extrait]

[Fanny Cohen-Moreau] Maintenant, chers auditeurs, vous en savez un petit peu plus sur comment on normait et comment on réprimait la sexualité au haut Moyen ge, donc merci beaucoup, Sophie Leclère.

[Sophie Leclère] Merci à toi, Fanny, de m’avoir laissé l’occasion de parler de ce sujet passionnant.

[Fanny Cohen-Moreau] Oh, avec plaisir ! Pour avoir plus d’informations sur le sujet de l’épisode du jour, vous pouvez bien sûr aller sur le site passionmedievistes.fr, où vous trouverez aussi, donc, tous les autres épisodes de Passion Médiévistes, mais aussi les formats différents, c’est-à-dire, les Rencontres, les Super Joute Royale, où nous classons les rois de France avec plein de mauvaise foi, et les Vie de Médiévaux, en collaboration avec le blog Actuel Moyen ge. Je rappelle que Passion Médiévistes a un Tipeee, c’est-à-dire une campagne de financement participatif. Vous pouvez donner quelques euros par mois, ou un petit peu plus, pour aider à soutenir le podcast. Et d’ailleurs, ce mois-ci, je tiens à remercier très très très chaleureusement Céline, de Reims, et David, de Marseille, de leur don au mois de juillet. Ça m’a fait très plaisir et ça m’encourage à continuer, donc si vous aussi, vous donnez, n’hésitez pas.

Et dans le prochain épisode, on parlera de Jacques II de Bourbon. Salut !

Pour en savoir plus sur la sexualité au Haut Moyen Âge, Sophie vous conseille de lire les ouvrages suivants :
  • James A. Brundage, Law, Sex and Christian Society in Medieval Europe, The University of Chicago Press, Chicago, 1987.
  • Carla Casagrande et Silvana Vecchio, Histoire des péchés capitaux au Moyen Âge, Aubier, Collection historique, Paris, 2003.
  • Florence Close, Uniformiser la foi pour unifier l’Empire. La pensée politico-théologique de Charlemagne, Académie Royale de Belgique, Classe des Lettres, Bruxelles, 2011.
  • Michel Rouche (dir.), Mariage et sexualité au Moyen Âge. Accord ou crise ?, Actes du colloque international de Conques, 15-18 octobre 1998, Presses de l’université de Paris-Sorbonne, Paris, 2000 (Cultures et civilisations médiévales, XXI).
  • Laurent Feller, Église et société en Occident du début du VIIe au milieu du XIe siècle, Armand Colin, Paris, 2009 (Coll. U).
  • Jean-Louis Flandrin, Un temps pour embrasser. Aux origines de la morale sexuelle occidentale (VIe-XIe siècle), Édition du Seuil, Paris, 1983 (L’Univers historique).
  • François L. Ganshof, Recherches sur les capitulaires, Sirey, Paris, 1958 (Société d’Histoire du droit).
  • Jean Gaudemet, L’histoire du mariage en Occident : les mœurs et le droit, Éditions du Cerf, Paris, 1987.
  • Marie-Celine Isaia, Histoire des Carolingiens. VIIIe-Xe siècle, Points, Paris, 2014

Et pour en savoir plus sur la sexualité au Moyen Âge on vous conseille l’article de Priscille Lamure sur le pénitentiel de Worms, un manuscrit très intéressant !

Dans l’épisode vous avez pu entendre les extraits des œuvres suivantes :
  • Le Nom de la Rose – Jean-Jacques Annaud (1986)
  • Kaamelott Livre I Episode 14 « Monogame »

Merci beaucoup à Simon Vandendyck d’avoir prémonté cet épisode, grâce aux dons des auditeurs et auditrices sur le Tipeee du podcast !