Épisode 89 – Léon et les universités au Moyen Âge
Comment les universités médiévales fonctionnaient-elles, notamment dans le Saint Empire Romain à la fin du Moyen Âge ?
Léon Delarue, étudiant à la Faculté des sciences historiques de l’Université de Strasbourg, est l’invité de cet épisode de Passion Médiévistes. Sous la direction d’Isabel Iribarren, il a soutenu un mémoire de recherches intitulé La fondation de l’Université de Leipzig (1409-1438) dans l’histoire des universités médiévales : entre continuité et rupture. À travers ses recherches, il met en valeur le processus de fondation d’une université dans le Saint Empire, alors en transition entre deux grandes crises politiques.
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Le Saint Empire Romain (pas encore germanique) à la fin du Moyen Âge
Léon Delarue a travaillé sur la fondation de l’université de Leipzig, ville du Saint Empire Romain, au début du XVème siècle, entre 1409 et 1438. À savoir qu’à ce moment-là de l’Histoire, le Saint Empire Romain n’est pas encore nommé le Saint Empire Romain Germanique. Quoi qu’il en soit, il s’agit d’un vaste espace géographique qui s’étend sur un large territoire en Europe, de la frontière des Pays-Bas actuels au nord de l’Italie telle que nous la connaissons aujourd’hui.
Par ailleurs, cette période est au cœur d’un épisode historique nommé le Grand Schisme, qui a commencé en 1378. À cette époque, l’Église est divisée : il y a alors deux papes qui se disputent le pontificat – l’un à Avignon, l’autre à Rome. En 1409, année à laquelle commence l’étude de Léon Delarue, il y en avait même trois. Cette situation chaotique prend fin en 1417, après un concile de quatre ans et tandis qu’une seconde crise débute dans le Saint Empire, celle des hussites.
L’organisation au sein des universités au Moyen Âge
“L’université médiévale ne ressemble pas à l’université d’aujourd’hui. Il y a [à la fois] beaucoup de points communs et beaucoup de différences.” – Léon Delarue.
Léon Delarue définit l’université comme une corporation, une entité juridique : il s’agit d’une association de personnes qui se réunissent pour partager des cours. On distingue alors quatre grands organes au sein de la vie étudiante médiévale : l’université, qui est à la tête de la corporation ; les facultés, dont chacune à sa spécialité ; les nations, sortes d’organismes administratifs liés à un espace géographique ; et les collèges, ancêtres des internats.
“L’université, c’est une énorme ressource économique et c’est un argument politique.” – Léon Delarue.
Les premières universités médiévales sont fondées à la fin du XIIème et au début du XIIIème siècle. En France, Léon Delarue relie la création des universités au développement d’une politique d’administration du territoire initiée sous le règne du roi Philippe Auguste puis du roi Louis IX – dit Saint Louis, et dont nous avons parlé dans l’épisode 8 de Super Joute Royale. Il s’agit entre autrs de former des administrateurs qui seront donc en charge d’administrer les différents territoires du royaume au nom du roi.
“L’université médiévale est un monde exclusivement masculin. Les seules femmes qui y sont autorisées – très misogyne l’époque médiévale – ce sont… les cuisinières !” – Léon Delarue.
Les universités sont réservées à ceux – comprenez aux hommes – qui savent lire et écrire. Comme vous l’avez entendu dans notre épisode Clichés #2, et comme vous le rappelle Léon Delarue, ils étaient plus nombreux que ce que l’on pense. En effet, les écoles primaires fleurissent et se développent un peu partout tout au long du Moyen Âge. À ce titre, l’instruction n’est plus réservée qu’aux seuls nobles et c’est aussi vrai pour l’accès aux universités.
Si l’université n’est réservée qu’aux seuls hommes, elle n’est donc pas, en revanche, l’apanage des élites. À l’époque, tous les étudiants ne paient pas les mêmes frais d’inscription et ces frais d’inscription sont gratuits pour les plus pauvres. Comme le précise Léon Delarue, les étudiants médiévaux reçoivent déjà, à l’époque, des bourses pour les aider à financer les dépenses liées à leurs études, telles que le logement, la nourriture ou le matériel.
Toutes les facultés reconnaissent deux grades : celui de bachelier, pour les étudiants qui suivent un cursus, et celui de maître une fois le programme d’études terminé et l’examen final validé. Aussi, il faut savoir que tous les étudiants commencent par étudier les arts libéraux. Ce cursus général dure cinq ans et est le passage obligé avant de pouvoir se spécialiser en théologie, en droit ou en médecine. Léon Delarue vous révèle d’ailleurs qu’à l’époque médiévale, beaucoup d’étudiants arrêtent leurs études avant même d’être bachelier, puisque le simple fait de passer par une université apporte des connaissances, mais également du prestige, ainsi qu’une reconnaissance et un réseau.
Enfin, Léon Delarue précise qu’au Moyen Âge, chaque université propose différents programmes, avec un socle commun. Les examens finaux sont généralement les mêmes, mais les programmes des enseignements sont plus libres, avec cependant des passages obligatoires. Même si la durée de fréquentation de la faculté des arts libéraux est généralement de cinq ans, le cursus n’est pas standardisé et l’étudiant passe son examen final quand il est prêt
Les universités dans le Saint Empire avec l’exemple de l’université de Leipzig
“L’université de Leipzig existe toujours sans interruption depuis 600 ans.” — Léon Delarue.
Dans cet espace géographique qu’est le Saint Empire Romain, Léon Delarue mentionne que la première université a été fondée à Prague, en 1348 – soit plus tardivement que la première des universités d’Europe, celle d’Oxford, créée à la fin des années 1160. En outre, si les universités du Saint Empire s’organisent majoritairement de la même façon que leurs consœurs de Paris ou encore de Bologne, elles présentent quelques caractéristiques qui leur sont propres. Par exemple, dans le Saint Empire, les universités disposent d’un corps de professeurs fonctionnaires, qu’elles gèrent et rémunèrent elles-mêmes. Léon Delarue précise qu’ainsi, il y a moins de précarité parmi les enseignants, comme c’est le cas notamment à Paris.
Enfin, en parcourant les registres d’inscriptions de l’université de Leipzig, Léon Delarue a observé que les étudiants venaient de divers milieux. Certains étaient, entre autres, issus de familles d’artisans du cuir, de bouchers ou encore de lainiers, au même titre que d’autres étaient des membres de la petite noblesse comme de grands barons. Ces informations confirment donc qu’à Leipzig, comme dans les autres universités médiévales, toutes les couches masculines de la population pouvaient accéder aux cursus universitaires, et pas seulement les catégories sociales privilégiées.
Pour en savoir plus sur le sujet de l’épisode, on vous conseille de lire :
Ouvrages sur les universités médiévales en général :
- VERGER, Jacques, Les universités au Moyen Âge, Jouve, PUF, 2019.
- RICHÉ, Pierre, VERGER, Jacques, Maîtres et élèves au Moyen Âge, Paris, Tallandier, 2006.
Ouvrages sur les universités médiévales dans le Saint Empire :
- KOUAMÉ, Thierry, « La diffusion d’un modèle universitaire dans le Saint Empire aux XIVe et XVe siècles », dans Les universités en Europe du XIIIe siècle à nos jours – espaces, modèles et fonctions, Paris, Publications de la Sorbonne, 2005, p. 179-197.
Ouvrages sur les hussites :
- MARIN, Olivier, La Réforme commence à Prague : Histoire des hussites XVe-XXe siècle, Paris, Passés composés, 2021.
Ouvrages sur l’université de Liepzig :
- BÜNZ, Enno, GRABER, Tom, Die Gründungsdokumente der Universität Leipzig (1409), Dresde, Thelem Universitätsverlag und Buchhandel Eckhard Richter & Co. OHG, 2010.
- BÜNZ, Enno, RUDERSDORF, Manfred, DÖRING, Detlef, Geschichte der Universität Leipzig 1409-2009. Spätes Mittelalter und frühe Neuzeit 1409-1830/31, vol. 1, Leipzig, Leipziger Universitätsverlag, 2009.
Dans cet épisode vous avez pu entendre les extraits des œuvres suivantes :
- La Fête au Village en Doulce France – Medievalia
- Kaamelott Livre III Episode 27
Si cet épisode vous a intéressé vous pouvez aussi écouter :
- Épisode 55 – Pierre-Luc et la philosophie à la fin du XIIIème siècle
- Épisode 83 – Tanguy et les légendes arthuriennes germaniques
- Cliché #2 – Les gens savaient-ils lire et écrire au Moyen Âge
- Sciences et Moyen Âge – Épisode 3 : Les livres
- Sciences et Moyen Âge – Épisode 4 : La médecine
- Passion Modernistes : Épisode 10 – Jérôme, la Lorraine et le Saint Empire
Merci à Clément Nouguier qui a réalisé le générique du podcast, à Baptiste Mossiere pour le montage de l’épisode et à Alizée Rodriguez pour la rédaction de l’article !