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Sciences & Moyen Âge – Épisode 4 : La médecine

Comment la médecine a-t-elle évolué au cours du Moyen Âge ? 

C’est peut être un des clichés les plus récurrents quand on parle du Moyen Âge : c’est une période sombre où rien n’a été inventé, une période de recul dans les connaissances et les technologies… Mais si vous avez déjà écouté d’autres épisode de ce podcast, vous savez que c’est faux ! Pour vous aider à mieux comprendre pourquoi, je vous propose une série d’épisodes concentrée sur les innovations et avancées techniques du Moyen Âge, dans différents domaines, avec des invités passionnants et passionnantes, comme d’habitude.

Dans ce quatrième épisode, vous allez pouvoir écouter Claire Clément, doctorante en histoire médiévale à l’université d’Avignon, et qui rédige une thèse sur Les savoirs médicaux à la cour pontificale d’Avignon au XIVème siècle, sous la direction de Marilyn Nicoud. Des Mérovingiens à la fin de l’époque médiévale, elle vous raconte l’évolution de la médecine tout au long du Moyen Âge.

La médecine : des savoirs hérités de l’Antiquité

Traités de médecine
Traités de médecine rédigés au XIVème siècle, manuscrit conservé à la Bibliothèque de l’Arsenal

Au Moyen Âge, la médecine repose sur des savoirs hérités de l’Antiquité et de ses grands auteurs. Deux médecins grecs en particulier, Hippocrate (Vème siècle avant notre ère) et Galien (IIème siècle de notre ère), font figures d’autorités en la matière. C’est d’ailleurs sur leurs travaux que s’appuient les médecins médiévaux pour conceptualiser leurs théories, et notamment la principale, à savoir la théorie des humeurs. Élaborée d’abord par Hippocrate puis reprise par Galien, il s’agit de considérer l’Homme (microcosme) comme une partie de l’univers (macrocosme), les deux formant un tout composé des mêmes éléments.

Aussi, selon ce principe, le corps humain contient quatre humeurs différentes : le sang, la lymphe (le phlegme), la bille jaune et la bille noire (la mélancolie). Chacune de ses quatre humeurs est associée à l’un des quatre éléments qui composent l’univers : l’air, l’eau, le feu et la terre. Les humeurs sont réparties dans diverses parties du corps qui sont le cerveau, le cœur, le foie et la rate. Enfin, il existe quatre qualités, à savoir le chaud, le froid, l’humide et le sec, et les quatre humeurs disposent chacune de deux de ces qualités qui leur sont propres. Ainsi, Claire Clément vous explique que les médecins médiévaux considèrent que la maladie est causée par le déséquilibre des humeurs. Par conséquent, pour guérir, il est essentiel de rééquilibrer l’ensemble des quatre humeurs.

Dès le XIème siècle, on redécouvre les textes de médecine antiques grâce aux traductions arabes des auteurs de l’Antiquité. À cette époque, la médecine connait alors un réel tournant, notamment au XIIème, lorsque les traducteurs chrétiens commencent, eux, à transposer en latin les premières traductions du monde musulman. Les historiens ont d’ailleurs baptisé cette période la Renaissance du XIIème siècle. Claire Clément insiste également sur l’importance des croisades dans la diffusion et le partage de ces connaissances.

On a une vraie rationalité qui se met en place à ce moment-là. — Claire Clément

Ce savoir ainsi redécouvert provient majoritairement de la péninsule Ibérique – terre d’Islam jusqu’au XVème siècle — mais aussi d’Italie, et plus particulièrement, de la ville de Salerne, au sud de Naples. C’est un des premiers centres d’enseignement médical, et cela très probablement dès le Xème siècle, précise Claire Clément. Les premières théories médicales y sont élaborées à partir de l’étude des traductions latines. La ville est ansi à l’origine de la naissance de la médecine savante. C’est d’ailleurs à partir de là que les historiens observent l’invention de la figure du médecin moderne. Ce nouvel homme de science de la médecine, tel que le nomme Claire Clément, ne se repose plus sur l’empirisme et la superstition. Il étudie, s’informe, s’appuie sur ses prédécesseurs et enseigne ses connaissances.

Les évolutions de la médecine au Moyen Âge

Ms H 184 fol.14v Dissection lesson at the Faculty of Medicine in Montpellier, from 'La Grande Chirurgie' by Guy de Chauliac, 1363
Ms H 184 fol.14v Dissection lesson at the Faculty of Medicine in Montpellier, from ‘La Grande Chirurgie’ by Guy de Chauliac, 1363

Comme le détaille Claire Clément, les pratiques médicales évoluent tout au long du Moyen Âge. Si les historiens ont peu de sources relatives aux pratiques du haut Moyen Âge, ils disposent d’informations permettant de lier la pratique de la médecine à un savoir ecclésiastique. La médecine est alors essentiellement réservée aux moines et pratiquée par eux. Les rois, l’élite et la population n’ont pas recours à leurs services dans ce domaine. Les écoles de médecine antiques ont peu à peu disparu. Comme le rappelle Claire Clément, la société mérovingienne repose sur une culture de l’oralité, voilà pourquoi l’accès aux connaissances et aux savoirs antiques se perd au fil des premiers siècles médiévaux. À cette époque, la médecine repose plutôt sur une approche empirique – à la limite de la magie. Pour guérir, les individus s’appuient sur des rites et des pratiques religieuses, telles que des prières ou des pèlerinages.

À partir du XIIème siècle, les maîtres de médecine de Salernes se déplacent dans toute l’Europe pour diffuser leurs savoirs. Ils créent les premières écoles de médecine qui sont par la suite transformées en universités dans lesquelles se forment les futurs médecins. Parallèlement, Claire Clément ajoute qu’il existe aussi des chirurgiens. Contrairement au médecin qui soigne les infections internes, le chirurgien, lui, traite les réparations externes, c’est-à-dire, les opérations mécaniques visibles. Si les deux ont la charge de compétences distinctes, leurs savoirs sont néanmoins complémentaires, et la frontière entre leurs fonctions respectives demeure floue.

On n’est moins dans le soin que dans la conservation de la santé, dans la prévention des maladies. — Claire Clément

Les élites commencent également à avoir recours au savoir des médecins, comme à celui des chirurgiens. Ils sont respectés, réputés, et leurs services se monnaient, se prêtent et s’échangent entre les cours royales ou pontificales. Dès le XIIIème siècle et le perfectionnement des régimes de santé, de nouvelles pratiques médicales séduisent de nouveaux publics. Dorénavant, les médecins déterminent par exemple des régimes préventifs liés la complexion du patient, autrement dit, à la composition de ses humeurs – différente pour chaque individu. Le médecin élabore un programme visant d’abord à ne pas tomber malade. Il prend en compte des notions telles que le sommeil, l’activité, la nourriture ou la boisson.

Manuscrits de la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg. Manuscrits arabes. Commentaire par Galien sur le traité sur les Pronostics, par Hippocrate
Manuscrits de la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg. Manuscrits arabes. Commentaire par Galien sur le traité sur les Pronostics, par Hippocrate

Par ailleurs, Claire Clément distingue les trois protocoles de soins courants au Moyen Âge : la cautérisation, la pharmacopée, soit les remèdes et autres médicaments, et la saignée. À noter que, loin des clichés sur le Moyen Âge, les médecins médiévaux ont bien conscience de ses effets secondaires, et exclus le recours la saignée sur les enfants et les vieillards. Du reste, Claire Clément souligne qu’à l’époque, les médecins sont convaincus de l’efficacité de leurs remèdes sur le traitement des maladies – même si, au regard de nos connaissances actuelles, il est possible d’affirmer le contraire. Quoi qu’il en soit, ils portent un vrai regard critique sur leur pratique. Il en va de même pour les contemporains, dont les avis divergent. Ainsi, au Moyen Âge, Claire Clément observe que certains assurent être bien soignés et font confiance aux médecins ; tandis que d’autres, à l’image de Pétrarque, écrivent que les médecins sont des incompétents.

Pour en savoir plus sur le sujet de l’épisode, on vous conseille de lire :

  • M.-D. Grmek, Histoire de la pensée médicale occidentale, I, Antiquité et Moyen Âge, Paris, 1995.
  • M. Nicoud, Les régimes de santé au Moyen Âge. Naissance et diffusion d’une écriture médicale (XIIIe-XVe siècle), Rome, 2007.
  • D. Jacquart, Le milieu médical en France du XIIe au XVe siècle, Genève, 1981.
  • D. Jacquart, La médecine médiévale dans le cadre parisien, Paris, 1998.
  • G. Dumas, Santé et société à Montpellier à la fin du Moyen Âge, Boston, 2014.

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Merci à Clément Nouguier qui a réalisé le magnifique générique du podcast, à Manu Perreux pour le montage et à Alizée Rodriguez pour la rédaction de l’article !