Jeux vidéo et Moyen Âge #1 – Age of Empires II
Quelles sont les réalités historiques du jeu Age of Empires II ?

Dans ce premier épisode du format « Jeux vidéo & Moyen Âge« , Fanny et Albert Leparc vous dévoilent l’époque médiévale par un nouvel aspect : le jeu vidéo ! Pour cet épisode inaugural, ils vous proposent d’analyser et de noter sous l’angle de la fidélité historique un jeu devenu culte depuis sa sortie en 1999 : Age of Empires II.
Ce nouveau format propose d’aborder des thématiques liées à l’histoire et aux jeux vidéo, il ne sera bien sûr pas exhaustif, et pour en savoir plus n’hésitez pas à regarder les références à la fin de cet article.

En couvrant une période qui va de la fin de l’Empire romain à la colonisation de l’Amérique, le second épisode de la série d’Ensemble Studio cherche à reproduire des batailles du Moyen Âge sous forme d’un jeu de stratégie en temps réel. Bien que le mode le plus populaire demeure la « Carte aléatoire », où les joueurs s’affrontent en contrôlant une civilisation pour détruire la base adverse, le jeu comporte aussi un mode « campagne » scénarisé proposant de revivre plusieurs périodes de conflits de l’époque médiévale comme la Guerre de Cent Ans.
Mais est-ce que le jeu donne une représentation « réaliste » du Moyen Âge ? Si Fanny et Albert lui reconnaissent d’indéniables qualités, comme la lenteur des combattants et la contextualisation, Age of Empires II essaie de condenser plus de 1000 ans d’histoire sur un espace qui couvre presque toute la planète : il n’évite donc pas des raccourcis, des approximations, et donne du fait de son gameplay l’image d’un Moyen Âge « fourre-tout », qui démarre dans par un « Âge sombre » après la chute de Rome.

Retrouvez Albert Leparc sur son compte Twitter et sa chaîne Twitch pour plus d’analyses historiques de jeux vidéo !
Pour en savoir plus sur la place de l’histoire dans ce jeu, on vous conseille les contenus suivants :
- Les bergers britanniques dans Age of Empires 2 – Focus #1 (par Histoires en Jeux)
- Trois véritables histoires d’Age of Empires II (par Nota Bene)
- « Monstrueux Moyen Âge », article de 2014 par Maxence Bidu
Si cet épisode vous a intéressé vous pouvez aussi écouter :
- Le Moyen Âge en séries
- Tolkien et Moyen Âge (avec Vincent Ferré)
- Musique et Moyen Âge (avec Dam de Écoute Ça !)
- Kaamelott, un livre d’histoire



[Générique du podcast]
[Extrait du jeu Age of Empires II]
« Il nous faut un mangonneau ou un bélier pour franchir ces murs. »
[Voix off] Jeux Vidéo & Moyen Âge, un format du podcast Passion Médiévistes
Fanny Cohen Moreau : Bonjour à toutes et à tous, bienvenue dans ce premier épisode d’un nouveau format du podcast Passion Médiévistes : Jeux Vidéo & Moyen Âge. Eh oui, on lance encore un nouveau format ! Mais l’unité entre tous les épisodes de ce podcast, quel que soit le format, c’est de vous faire mieux comprendre cette période – qui peut sembler un petit peu floue – qu’est le Moyen Âge, et vous la faire découvrir par plein d’aspects différents. Je m’appelle Fanny Cohen Moreau, et dans ce nouveau format nous allons parler à chaque épisode d’un jeu vidéo qui prend plus ou moins comme cadre le Moyen Âge, et examiner à quel point le jeu est fidèle historiquement ou non.
Et je dis « nous », car je ne suis pas seule, je suis avec Albert Leparc. Bonjour, Albert !
Albert Leparc : Bonjour !
Fanny Cohen Moreau : Albert, je t’avais reçu dans l’épisode 35 pour parler des femmes dans les fabliaux, et aujourd’hui je t’ai proposé qu’on fasse ce format ensemble, car il se trouve que sur Twitch et aussi sur Twitter ça t’arrive souvent de commenter les aspects historiques de certains jeux, donc tu seras un peu plus le gamer de nous deux – même si j’ai quand même joué à des jeux, non, quand même ! Donc je le précise bien : l’objectif de ce format n’est pas de décortiquer les jeux vidéo, car sinon on en aurait pour des heures – et comme vous pouvez le voir ce podcast ne dure pas des heures –, et il y a déjà eu plein de supers contenus sur Internet sur ce sujet ; mais l’idée est de mettre des notes – oui, parce que j’aime bien mettre des notes, un peu comme dans Super Joute Royale qui est un autre format du podcast –, donc, mettre des notes aux jeux en fonction de leur fidélité historique et de vous montrer que, oui, l’histoire est partout dans la pop culture aujourd’hui.
Et nous commençons ce format avec un jeu qui a plus de 20 ans : Age of Empires II.
[Musique du jeu]
Fanny Cohen Moreau : Donc, Age of Empires II, si on le dit un peu mieux que comme moi – je l’ai dit à la française tout à l’heure –, est un jeu sorti en 1999 et donc le deuxième opus d’une série dont le premier est sorti en 1997. Pour commencer, Albert, est-ce que tu peux nous présenter quel est le principe général de ce jeu ?
Albert Leparc : Le principe du jeu est au final assez simple : il suffit de détruire la base adverse. Pour cela, en fait, il faut s’attaquer au forum adverse et Age of Empires I n’était pas le premier à poser ce principe du jeu de stratégie en vue de dessus, où on contrôle un certain nombre de troupes, mais il lui donnait un ancrage historique assez poussé. Le premier se passait durant l’Antiquité, c’est pour ça que le bâtiment principal reste encore, dans Age of Empires II, le forum, mais là l’objectif est d’avancer à travers les différents âges du Moyen Âge, en amassant de plus en plus de ressources et en formant de plus en plus de troupes, le but étant de s’adapter à la composition adverse pour à la fin parvenir à détruire sa base.
[Extrait sonore d’un combat dans Age of Empires II]
Fanny Cohen Moreau : Et donc oui, une des particularités, on le verra, c’est que le jeu a pas mal de références historiques. Il y a aussi une autre particularité dans ce jeu, c’est qu’il y a différents modes : comme tu l’as dit, il y a le mode campagne, où en fait, bon, pour le résumer, en gros on a des épisodes à accomplir, enfin on doit mener des missions jusqu’au bout ; mais il y a aussi un autre mode qui est très populaire, notamment aujourd’hui, qui est plutôt en mode battle royale, quoi.
Albert Leparc : Exactement… Alors le mode, disons, « historique », qui a toujours été joué même dans des LAN il y a plus de 20 ans…
Fanny Cohen Moreau : C’est quoi, une LAN ?
Albert Leparc : C’était avant Internet, avant que les gens soient reliés…
Fanny Cohen Moreau : Les gens en font encore aujourd’hui, je crois…
Albert Leparc : Oui, les gens en font encore aujourd’hui en effet. En fait, c’est le côté social de la LAN qui est très repris aujourd’hui, mais à l’origine, la LAN, c’est à une époque où tout le monde ne possédait pas une connexion haut débit : si on voulait jouer en multijoueur avec beaucoup de monde, il fallait se rassembler avec plein d’ordinateurs dans une grande pièce, et Local Arena Network, ça signifie LAN.
Fanny Cohen Moreau : Ah, d’accord.
Albert Leparc : Le mode le plus populaire, effectivement, de cette époque des LAN, était l’affrontement entre plusieurs joueurs qui chacun prenait une civilisation – parfois même il est possible de prendre les mêmes civilisations –, et ça consistait tout simplement à s’affronter. Et ça donnait évidemment des affrontements qui n’ont absolument rien d’historique : les Aztèques affrontant les Mongols, euh… c’est toujours quelque chose !
Fanny Cohen Moreau : Oui, là y’a un petit gloubi-boulga en fait, en plus sur des… voilà, les Aztèques n’avaient pas de forum… Enfin bref, on est quand même sur un gros, gros mélange… Alors justement, est-ce qu’on en sait un petit peu plus sur comment a été pensé le jeu, notamment du point de vue historique ?
Albert Leparc : En fait, le jeu n’a pas été à l’origine pensé uniquement pour son aspect historique – évidemment c’était un gros plus. Mais au niveau des recherches, les développeurs ont admis que leurs connaissances du Moyen Âge se sont arrêtées à ce qu’ils ont récupéré dans la bibliothèque municipale de leur quartier, eh oui ! Ensemble Studio s’est contenté des livres pour enfants qui étaient suffisamment bien expliqués et suffisamment généralistes pour couvrir plus de mille ans d’histoire. C’était la grande difficulté de Age of Empires II : c’était couvrir une très grande période avec des civilisations et des peuples extrêmement divers ; et dans le gameplay, eh bien aussi faute de temps, parce que Microsoft avait commandé le jeu pour qu’il sorte rapidement…
Fanny Cohen Moreau : Oui, on l’a pas dit en fait, c’est que, quand le premier jeu est sorti, donc c’était Ensemble Studio, et ensuite il a eu tellement de succès que Microsoft a racheté le studio et a commandé la suite. Donc là, je résume un petit peu, mais du coup effectivement cette suite a été commandée un peu dans l’urgence.
Albert Leparc : Exactement, avant même que Age of Empires I soit vraiment sorti, en fait.
Fanny Cohen Moreau : Ah ouais ! À ce point !
Albert Leparc : Ah, oui, oui ! Microsoft a senti le filon, on va dire.
Fanny Cohen Moreau : Et ils le font encore aujourd’hui, ils rachètent des studios, encore, on se demande pourquoi…
Albert Leparc : Et du fait de ce temps restreint, il faut aussi parfois un petit peu optimiser le temps de développement, c’est pour ça que, selon moi, une des faiblesses de Age of Empires II, c’est que les civilisations ont beaucoup de mal à se distinguer entre elles, c’est à dire que, dans l’ensemble, elles se jouent à peu près de la même manière. Il y a souvent une seule unité qui change vraiment, de civilisation en civilisation, il y a à peine l’arbre des technologies, et pour certains gros ensembles géographiques c’est aussi l’apparence graphique des bâtiments qui changent. À part cela, on n’a pas l’impression de jouer vraiment à un jeu différent quand on prend une civilisation, là où par exemple un autre jeu d’Ensemble Studio, Age of Mythology, le faisait beaucoup mieux.
[Musique du jeu]
Fanny Cohen Moreau : Pour les civilisations qui sont dans le jeu, alors il y a eu des extensions récentes qui en ont rajouté, mais à l’origine on en avait 13, qui était regroupées en quatre sous-groupes. Donc on avait l’Europe de l’Ouest avec les Britanniques, les Celtes, et les Francs ; on avait l’Europe de l’Est avec les Teutons, les Goths, et les Vikings ; le Moyen-Orient avec – là c’est les plus nombreux – les Byzantins, les Turcs, les Sarrasins, les Perses ; et l’Asie de l’Est : Chinois, Japonais, Mongols.
Déjà, qu’est-ce que tu penses de ce premier choix de civilisations qui a été fait au début du jeu ?
Albert Leparc : Ça se voit rien qu’au nom des civilisations que Age of Empires II a été pensé comme une suite directe du I, c’est-à-dire que ça se passe tout de suite après l’Antiquité. Pendant la quasi-totalité du jeu, les Français – même si dans la campagne ils sont nommés « Français », par les voix, par le texte à l’écran quand vous êtes dans le jeu –, votre civilisation, c’est la civilisation franque, ce qui donc, du coup a déjà un petit problème de cohérence historique évidemment : les Français ne sont pas les Francs. De manière générale, on constate effectivement qu’il y a eu une volonté quand même de représenter une grande variété dans le choix des civilisations et dans l’approche historique, ce qui d’ailleurs permet de justement constater, ne serait-ce que quand on est dans les écrans de campagne, à quel point le Moyen Âge revêt de définitions diverses. Typiquement, les Japonais n’ont pas le droit à une campagne entière ; par contre, ils ont une mission rien que pour eux, qui est donc la bataille d’Okinawa, qui elle a eu lieu effectivement au XVIe siècle. Mais le Moyen Âge japonais, on le verra plus tard peut-être dans un autre épisode, ne considère pas que le Moyen Âge s’arrête en 1492 comme nous : les frontières chronologiques ne sont pas les mêmes, on devrait plutôt situer la fin du Moyen Âge japonais à la bataille de Sekigahara à l’aube du XVIIe siècle.
[Musique du jeu]
Fanny Cohen Moreau : Effectivement, mais là, ce qui me fait toujours un peu rire : les Britanniques, est-ce que c’est une civilisation, les Britanniques ? Parce que c’est un mélange de plein de choses, aussi, les Britanniques…
Albert Leparc : Mais oui, c’est ça, effectivement… Et je pense que, aujourd’hui, quand Microsoft continue de sortir des DLC [DownLoadable Contents, extensions] pour Age of Empires II, il y a aussi, je pense, une volonté de rattraper certains, disons, manques de représentations et certains manques de variété qu’il y avait dans le roster originel, c’est-à-dire qu’aujourd’hui on peut carrément jouer les Bourguignons !
Fanny Cohen Moreau : Oui, qui ont été ajoutés il y a pas très longtemps ; c’est ultra précis là pour le coup.
Albert Leparc : C’est ultra précis et en même temps ça permet de corriger aussi beaucoup… Au niveau du fan d’histoire, c’est super, c’est pas comme si on jouait les méchants, c’est au contraire pour apporter beaucoup plus de nuances à ce conflit qu’était la guerre de Cent Ans, qu’on a parfois qualifié de guerre civile, mais tout cela était un petit peu plus compliqué : avant que Jeanne d’Arc ne reprenne Orléans, le conflit entre les différents partis français, c’était le parti du prince et les Bourguignons, ce n’était pas la France…
Fanny Cohen Moreau : Là tu parles de l’histoire, la vraie histoire ?
Albert Leparc : C’est ça, et je pense que l’introduction des Bourguignons a ce gros avantage de pouvoir apporter beaucoup de nuances à l’histoire telle qu’elle était traitée dans les campagnes originelles.
[Extraits sonores du jeu]
« Bonjour, Jeanne. Mon camarade et moi, nous allons vous escorter jusqu’au château du dauphin, au péril de notre vie. »
« Je suis Jean de Metz, et je vous protégerai au péril de ma vie. »
« C’est vous ! Jeanne d’Arc ! Je crois dur comme fer en votre mission sacrée ! Nous vous suivrons jusqu’à Chinon ! »
« Attendez ! Vous aurez besoin d’archers pour affronter les périls… »
« Prudence… Nos ennemis anglais sont mobilisés en masse, flanqués de leurs alliés bourguignons qui grouillent comme autant de rats… La discrétion est de rigueur… »
Fanny Cohen Moreau : Et au fil des années, on a vu que Microsoft, justement, a voulu peut-être un peu plus ouvrir, et a rajouté d’autres civilisations, notamment, donc, les Mayas, les Aztèques – donc là, un espace géographique encore différent. Donc là, tu disais que ça donne des scènes rigolotes, effectivement, de voir des Vikings se battre contre des Mayas… Ok, pourquoi pas… Et après, peut-être, quelques subtilités avec les Espagnols, les Coréens… Mais il y a un aspect qui est assez intéressant et tu l’as dit tout à l’heure : chaque civilisation a une unité particulière, qui est un peu l’unité, voilà…
Albert Leparc : Fétiche…
Fanny Cohen Moreau : Fétiche… Et en fait là on voit un peu plus d’histoire, même si parfois c’est un petit peu n’importe quoi, c’est ça ?
Albert Leparc : Oh oui ! Encore une fois, dire que les Francs, leur spécialité, c’était le lancer de hache, [rires] c’est peut-être un petit peu abusé. Non, alors, il y a des moments où ça fait sens, évidemment : donner des samouraïs japonais fait tout à fait sens, donner certains types d’unités à d’autres, donner des chevaliers teutoniques aux Teutons, aussi.
Fanny Cohen Moreau : Et on voit aussi que les unités, dans ce cadre, respectent aussi la logique du jeu, d’avoir des unités à cheval, plutôt à pied, plutôt avec les arcs, qui sont en fait vraiment les trois types d’unités différentes dans le jeu ; donc là, effectivement, ça a un peu influencé leurs choix aussi.
Albert Leparc : Tout à fait ! Le principe d’un RTS, donc un jeu de stratégie en temps réel, c’est aussi de pouvoir offrir justement un choix stratégique assez varié et faire en sorte aussi que les unités se contrent ou puissent contrer les unités adverses : typiquement, dans Age of Empires II, les archers ça va battre l’infanterie, l’infanterie est très efficace contre les cavaliers, et les cavaliers servent à atteindre les archers qui sont généralement à l’arrière. De manière générale dans Age of Empires II, les unités sont assez lentes, mais c’est justement ça, tout l’intérêt stratégique du jeu : c’est justement de pouvoir permettre au joueur de s’adapter, et de faire des paris sur leur composition en espérant que l’adversaire ne saura pas les contrer à temps.
[Musique du jeu]
Fanny Cohen Moreau : Bon, on est un petit peu général, mais alors déjà, parlons de ce qui va. Qu’est-ce qui va bien dans Age of Empires II – oui je le dis à la française –, qu’est-ce qu’on peut dire : « oui, là, ben c’est quasiment fidèle à ce qu’on connaît de l’histoire » ?
Albert Leparc : Age of Empires II a ce côté très fidèle au Moyen Âge, d’abord dans le fait que les unités, comme je l’ai dit, sont lentes, et il arrive bien à reproduire le côté parfois assez lent et statique d’une bataille au Moyen Âge, avec les unités qui s’affrontent en choc et où évidemment faire la moindre manœuvre peut parfois représenter une perte de temps très précieuse – surtout dans Age of Empires II compétitif…
Fanny Cohen Moreau : …où, là, chaque minute, chaque seconde même, compte.
Albert Leparc : Exactement. Dans la réalité, il était encore moins pratique de manœuvrer une bande de cavaliers coincée dans la mêlée. Le côté historique, il est aussi très réussi, je trouve, ne serait-ce que dans la contextualisation des batailles, et des batailles de la campagne.
Fanny Cohen Moreau : Oui, donc la campagne, le mode histoire, en fait, en quelque sorte.
Albert Leparc : Exactement, surtout depuis la version…, depuis le remaster HD.
Fanny Cohen Moreau : Ça a été tout refait, bien, un peu amélioré, etc…
Albert Leparc : Exactement, le cœur du jeu n’a pas changé depuis 20 ans, mais désormais les campagnes sont par exemple introduites avec un petit texte introductif, avec des voix, avec une petite mise en scène, de sorte à ce qu’on soit un petit peu plus pris dans l’histoire. La campagne de Jeanne d’Arc prend pour héroïne justement Jeanne, mais montre bien aussi que Jeanne n’a pas été cruciale dans la guerre de Cent Ans, c’est-à-dire que la dernière mission, la mission 6, n’a même pas Jeanne pour protagoniste : elle se passe en 1453 donc à la toute fin du conflit, et montre que, depuis le passage de la Pucelle, la France a repris du poil de la bête et s’est reformée, mais ça a quand même pris plus de…, plusieurs dizaines d’années.
[Musique du jeu]
Fanny Cohen Moreau : Bon là, on a dit ce qui allait, mais qu’est-ce qui va pas ?
Alors déjà, on l’a dit, effectivement ça pourrait être positif parce que ça reconstitue le côté choc d’une bataille ; mais par contre, tout le monde quasiment se bat de la même façon, donc là, vraiment… alors que, normalement, [tous les peuples] ont des styles un peu différents de se battre, donc là, il y a une grosse différence quand même…
Albert Leparc : Tout à fait, un des gros points noirs du jeu est aussi de présenter l’histoire comme s’il s’agissait d’une grande succession de batailles, et que les guerres en particulier était remportées uniquement avec des successions de grosses batailles. La guerre de Cent Ans, toujours pour garder ce même exemple, c’est aussi beaucoup de petites escarmouches, beaucoup d’écorcheurs qui pillent le pays – et au Moyen Âge on essaie justement d’éviter les grosses batailles, parce qu’elles sont meurtrières, et qu’on n’a pas envie de perdre des cousins ou des fils lors d’une bataille sanglante.
Fanny Cohen Moreau : Et on parlait un peu d’esthétique : alors, pour le coup, là aussi, tu m’as dit les lanceurs de hache chez les Francs, là c’est un petit peu le bazar pour ce genre de choses…
Albert Leparc : Exactement, il y a parfois effectivement des anachronismes qui sont produits ne serait-ce qu’au sein même des civilisations, et en plus de ça, l’anachronisme, il est aussi dans le fait que les civilisations passent d’âge en âge comme s’il s’agissait d’une progression, comment…
Fanny Cohen Moreau : Linéaire…
Albert Leparc : Linéaire, exactement. Le jeu nous fait toujours passer par l’âge sombre, puis l’âge féodal, l’âge des châteaux, et enfin l’âge impérial : ça part du principe que toutes les civilisations au Moyen Âge sont passées par un âge féodal, comme si le fait que la féodalité était incompatible avec le fait de constituer un empire – ce ne sont pas des choses qui sont comparables, en fait. Évidemment, en termes de jeu c’est intéressant de progresser d’âge en âge, pour gagner en puissance, mais cette vision assez, euh…, ben assez archaïque du Moyen Âge, comme si effectivement tout partait d’un âge sombre et qu’il fallait aller vers la lumière, pose selon moi en plus un petit problème : c’est-à-dire que non seulement on présente l’empire comme la forme absolue de gouvernement, alors qu’on sait bien que ça n’a pas eu que des succès…
Fanny Cohen Moreau : Mais d’ailleurs, là je me disais : l’empire au Moyen Âge, c’est quoi, c’est Charlemagne ? C’est le Saint-Empire romain germanique ? On fait référence à quoi ?
Albert Leparc : Au Moyen Âge, on a toujours en tête Rome…
Fanny Cohen Moreau : Ah, c’est cet empire-là auquel on fait référence ?
Albert Leparc : On fait souvent référence à cet empire et, à vrai dire, l’Empire romain germanique se réclame de l’Empire romain… [rires]
Fanny Cohen Moreau : Oui, c’est vrai…
Albert Leparc : Donc on en fait la forme de gouvernement idéal ; et en plus de ça on fait comme si le Moyen Âge partait d’un âge complètement sombre et que juste après la chute de Rome c’était complètement le chaos. C’est quelque chose qui m’avait marqué quand j’avais la version boîte du jeu, quand j’étais… À l’arrière, il y a vraiment ce slogan pour introduire le jeu qui est « Rome est tombée, et le monde est jeté en pâture au plus offrant ».
Fanny Cohen Moreau : Donc on a une petite référence aux invasions barbares, ce genre de choses, aussi !
Albert Leparc : Exactement, exactement ! Et c’est comme si, ben, « le jeu précédent est terminé, il faut repartir de zéro », et ça, ça donne l’impression que donc, au début du Moyen Âge, c’est à nouveau le chaos et que c’est au joueur, par la guerre, de devoir rétablir l’ordre – et c’est une vision un peu réductrice du Moyen Âge, selon moi.
Fanny Cohen Moreau : Comme si on avait fait table rase de Rome, alors qu’il y a plein de choses qui ont été en continuité par rapport à Rome, genre le système routier par exemple…
Albert Leparc : Par exemple… Et ne serait-ce que le terme d’invasions barbares aujourd’hui est très discuté.
Fanny Cohen Moreau : Oui, et là – je l’ai dit un petit peu pour résumer le contexte, mais effectivement –, donc là, on a quelques civilisations qui peut-être font écho à ça, mais – ne serait-ce que parce que les Francs aussi ont envahi –, mais voilà, ça continue un peu à proposer cette image alors qu’aujourd’hui, effectivement, comme tu le dis, on n’utilise plus trop ce terme parce qu’en fait c’est pas des invasions, c’est un peu une vision trop centrée et, non, en fait c’était juste des déplacements de populations, c’est un jeu d’influence, c’est comme ça en fait, et c’est pas très différent par rapport aux autres siècles.
Et une autre limite effectivement qui est assez intéressante où, là, on peut se dire que c’est le gameplay, donc les mécaniques de jeux, qui ont influencé, qui ont donné quelque chose qui va pas du tout : tu voulais nous parler d’une forme d’équilibre qui a été introduit dans le jeu mais qui n’a pas de sens.
Albert Leparc : Exactement ! En particulier, je parlais tout à l’heure justement de ce côté « pierre-feuille-ciseau » où effectivement les archers sont censés ne pas être très efficaces contre les cavaliers et à l’inverse être très efficaces contre l’infanterie : évidemment la réalité des choses [est] beaucoup plus complexe. Une bataille médiévale, pendant l’essentiel du Moyen Âge en fait, les batailles sont comme je l’ai dit assez peu meurtrières : on essaie d’éviter, on essaie surtout de faire des prisonniers. C’est justement avec la guerre de Cent Ans que beaucoup de changements ont été introduits, en particulier que des batailles meurtrières comme Crécy ou Azincourt ont été, vraiment… ont marqué les esprits, en particulier en France, c’est-à-dire où notamment des procédés meurtriers vont être mis en place avec l’artillerie ; mais de manière générale, on se rend aussi compte qu’un arc est tout aussi efficace pour abattre un homme à pied qu’un homme à cheval, en particulier à Crécy où les arcs longs des Anglais ont fait un carnage.
[Musique de transition]
Fanny Cohen Moreau : Bon alors finalement, Albert, on a donné plein d’arguments, mais comme j’ai dit au début : j’aime bien mettre des notes, alors quelle note est-ce que tu voudrais mettre à Age of Empires II en fonction de sa ressemblance avec le Moyen Âge ?
Albert Leparc : C’est difficile, parce que Age of Empires II essaye et il fait de son mieux…
[Rires]
Fanny Cohen Moreau : Peut mieux faire !
Albert Leparc : Non mais c’est vrai, c’est dur de condenser mille ans de conflits militaires et de Moyen Âge dans toute sa richesse et sur une aire géographique qui couvre le monde entier, enfin quasiment le monde entier ; et en plus de ça on a quand même relevé beaucoup de points positifs…
Fanny Cohen Moreau : Je pense qu’on a aussi une petite tendresse, voire nostalgie, pour le jeu.
[Rires]
Albert Leparc : Je le confesse ! Je pense, alors tu me suis sur celle-là ou pas… J’ai envie de lui mettre la note de 6 sur 10.
Fanny Cohen Moreau : Ah, moi j’étais pas loin, effectivement j’étais aussi peut-être sur 5 : 5 parce que justement il y a des bonnes choses, mais c’est un peu le bazar… On va mettre 6, ok, on dit 6 sur 10 ?
Albert Leparc : Je suis prêt à baisser à 5 si on considère que c’est normal de pouvoir utiliser un cheat code pour invoquer une voiture pendant la partie.
[Rires]
Fanny Cohen Moreau : Oui, non mais ça, c’est très bizarre. Allons plutôt sur 5, je suis d’accord que 5, en fait, sera mieux.
Albert Leparc : D’accord… On s’accorde sur 5 ?
Fanny Cohen Moreau : Allons-y !
[Musique de transition]
Fanny Cohen Moreau : Bon, dans cet épisode nous avons été un petit peu brefs, un petit peu rapides, donc si vous voulez en savoir plus on vous mettra en lien des vidéos et des contenus qui vont plus loin que nous dans l’analyse, notamment les vidéos de la chaîne Histoire en Jeux.
J’espère que ce nouveau format vous a plu, ça fait un moment avec Albert qu’on discute de ça ; j’avais envie de traiter un peu des sujets différents parce qu’on a déjà parlé des films, des séries, dans le podcast, mais des jeux vidéo ça reste toujours intéressant – alors c’est frustrant bien sûr parce qu’en audio vous ne pouvez pas voir les jeux mais Internet est votre ami…
Mais dites-nous : quels jeux vous aimeriez que l’on traite dans les prochains épisodes ? Est-ce que vous êtes d’accord avec ce qu’on a dit aujourd’hui sur Age of Empires II ? Est-ce que vous auriez mis plus, moins ? Vous pouvez nous le dire sur Instagram, Twitter et Facebook, ou alors, même, en envoyant un message par le site du podcast passionmedievistes.fr.
Merci beaucoup, Albert, de m’avoir suivie dans toutes mes idées un petit peu fofolles, on te retrouve aussi sur Twitter sur tes très, très bons threads, je mettrai le lien de ton compte Twitter dans la description de l’épisode. Et messieurs dames, dans le prochain épisode nous parlerons du jeu… Sekiro !
Albert Leparc : « Shadows Die Twice… »
Fanny Cohen Moreau : Allez, à bientôt pour un prochain épisode de Passion Médiévistes, salut !
Albert Leparc : Salut !
[Générique de fin]
[Improvisation chantée d’un air du jeu par Fanny Cohen Moreau et Albert Leparc]
Merci à Lau/Leia pour la transcription et à Marthe pour la relecture !