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Hors-série 8 – Musique et Moyen Âge (avec Dam de Écoute Ça !)

Comment la musique du XXème siècle s’est inspirée de la musique du Moyen Âge (ou non) ?

Dans l’épisode 4 de Super Joute Royale nous avions mentionné la chanson « Sacré Charlemagne » de France Gall et son inexactitude historique, et cela m’a donné envie d’aller voir plus loin… Et je ne me suis pas lancée seule dans cette quête, j’ai convié Dam du podcast Ecoute Ca pour analyser une playlist assez éclectique !

Dans ce hors-série spécial musique et Moyen Âge nous parlons donc des chansons suivantes (et retrouvez une playlist complète en fin d’article) :

  • France Gall – Sacré Charlemagne
Dam de Ecoute Ca
Dam de Ecoute Ca

Dire que “Charlemagne aurait invité l’école” serait comme dire que Blanquer aurait invité l’école, c’est faux. Par contre sous le règne de Charlemagne il y bien eu une réforme de l’enseignement à la fin du VIIIème siècle pour renforcer l’administration royale et répandre la foi chrétienne. La formation des fonctionnaires de l’empire et des clercs a nécessité la mise en place de structures éducatives solides. Le souverain carolingien et ses successeurs ont entrepris une vaste réforme culturelle de grande ampleur connue sous le nom de « renaissance carolingienne ». Écrite en 1964, cette chanson est donc surtout enracinée dans son époque, les enfants ne vont plus à l’école le samedi après-midi depuis 1969, et le repos de milieu de semaine est passé au mercredi en 1972.

  • Christopher Lee – Charles The Great

A la fin de sa vie, l’acteur Christopher Lee a consacré deux albums à Charlemagne qu’il considérait comme son ancêtre. Dans la chanson Charles the Great, le futur empereur discute avec son père Pépin le Bref, puis nous fait le récit de son accession au trône de Francie occidentale à la mort de son père puis de son frère ainé Carloman Ier, et raconte les conquêtes pour son empire en formation. A la fin de la chanson, on trouve une référence au royaume des Asturies, fondé au début du VIIIe siècle par une poignée de seigneurs visigoths repoussés au Nord par les Umeyyades.

  • Michel Sardou – L’an mil

Dans cette chanson, Michel Sardou nous propose une vision de l’an mil avec “un peuple terrorisé par l’imminence de la fin du monde”, c’est vraiment quelque chose que le grand médiéviste Georges Duby a toujours combattu, et il le dit dès l’introduction de son livre L’An Mil justement. Cette vision de terreur a été propagée dès la fin du XVème siècle, avec le triomphe du nouvel humanisme, qui rejetait cette période obscure qui avait eu lieu entre l’Antiquité et eux. La chanson est aussi remplie d’anachronismes, avec dès le deuxième mot de la chanson, les “cathédrales”. Le “blanc manteau d’églises” de Raoul Glaber, un historien du début du XIème siècle, a surtout recouvert l’Europe au XIème et XIIème siècle. Par exemple la cathédrale Notre Dame de Paris est construite à partir de 1163, soit bien après l’an mil.

  • Notre Dame de Paris – Le temps des cathédrales

Encore une chanson qui rassemble beaucoup de clichés sur le Moyen Âge et pas mal d’incohérences. Déjà, 1482, ça fait un peu tard pour des cathédrales, cela fait déjà 300 ans qu’on a commencé à les construire (cf chanson précédente). Ensuite on nous parle des Vandales, des “invasions barbares” : c’est plutôt Vème siècle, donc 1000 ans avant. A noter l’expression “genre humain” qui est plutôt liée à l’idéologie communiste du XIXème, et qu’on retrouvera dans d’autres chansons de la fameuse comédie musicale.

ÉCOUTEZ : Les idées reçues sur le Moyen Âge (au Paris Podcast Festival)
  • Le bon roi Dagobert

Cette chanson date du XVIIIème siècle et est une attaque déguisée contre Louis XVI, notamment lors de la Révolution pour ridiculiser la monarchie. Pour en savoir plus sur le roi mérovingien Dagobert vous pouvez écouter l’épisode 2 du format Super Joute Royale sur les rois du VIIème siècle.

  • George Brassens – Le Moyenâgeux

“Je suis née avec cinq siècles de retard” : Brassens se désigne comme “foutrement moyenâgeux”, et il le prouve bien avec cette chanson. Tout le texte croule sous les références historiques, elles sont pour la plupart analysée sur ce site, mais je vous en développe ici quelques unes. On y trouve de nombreuses allusions plus ou moins directes au poète médiéval François Villon et à ses textes (on se souvient que Brassens a mis en musique un de ses plus beaux poèmes, Ballade des Dames du Temps Jadis). Le chanteur poète s’est aussi amusé à faire référence à des lieux parisiens qui existaient au Moyen Âge, comme le gibet de Montfaucon ou l’ancien Cimetière des Innocents.

  • Bourvil – Les Rois fainéants

Cette expression des Rois fainéants est apparue sous la plume de Eginhard, biographe de Charlemagne au IXème siècle, pour désigner les derniers rois de la dynastie précédente, les Mérovingiens, pour ainsi légitimer le “recylage” du pouvoir par les Carolingiens. Alors, dans les faits (toujours selon les sources de l’époque et si on lit un peu entre les lignes), effectivement à la fin de leur dynastie c’était un peu compliqué pour les Mérovingiens, il y a eu quelques accidents généalogiques, c’est-à-dire qu’ils mourraient jeunes et régnaient donc peu longtemps, donc ça entraîne des problèmes de succession, on nous sort des soit disant héritiers mérovingiens d’un peu n’importe où.

Conseil de Dam : la chaîne Youtube d’analyse musicale Scherzando
  • Hugues Aufray – La Princesse et le Troubadour

Beaucoup de clichés sur le Moyen Âge sont représentés dans cette chanson d’Hugues Audrey, mais en soi pas d’exagération. A noter que l’on commence à parler des troubadoursà partir du XIIème siècle à la cour des ducs d’Aquitaine, et il y aura dans quelques mois un épisode du podcast sur le sujet !

  • Jean-Jacques Goldman – Tournent Les Violons

On retrouve les mêmes thématiques que Hugues Aufray dans cette chanson de Goldman, sauf qu’il s’agit cette fois d’une servante et non d’une princesse. Dans une interview, Jean-Jacques Goldman a raconté avoir eu l’idée de l’histoire d’une phrase qui change une vie, et que c’est la composition de la musique qui lui a donné envie de lui donner un cadre historique. On y trouve des références lointaines à l’amour courtois, mais pour rappel l’amour courtois n’est pas vraiment un idéal romantique…

  • William Sheller – Excalibur
  • Naheulband – Dix sous dans ma poche
  • Les Fatals Picards – C’est la fête médiévale
  • Cool Cavemen – Killian & Kevin

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Transcription du hors série 8 (cliquez pour dérouler)

[Générique]

Fanny : Bonjour à toutes et à tous. Bienvenue dans ce hors-série thématique, une nouvelle sorte de hors-série. Aujourd’hui nous allons parler musique et Moyen Âge avec un très bon invité : Dam, du podcast Écoute ça. Nous sommes allés enregistrer à Lille, je vous laisse écouter le résultat de notre sélection de musiques plus ou moins diverses.

Fanny : Salut Dam !

Dam : Salut Fanny !

Fanny : On va faire quoi aujourd’hui ?

Dam : On va aller regarder de la musique, on a une belle playlist de chansons dans lesquelles on parle plus ou moins de Moyen Âge. Donc on va aller regarder ça de plus près, voir d’abord de mon côté si cette musique est intéressante, on va regarder s’il y a des petites choses à en dire sur un point de vue musical, de composition, etc.

Fanny : Et moi je vais te dire est-ce que c’est historique ou pas, est-ce que ça fait bien référence au Moyen Âge ou pas, et on va voir qu’il y a un petit peu de tout dans ce qu’on a fait comme sélection ! Et on va commencer avec la chanson qui m’a donné envie d’enregistrer ce hors-série avec toi, Dam, parce qu’en fait je l’ai diffusée dans un épisode il y a pas très longtemps, c’est « Sacré Charlemagne » de France Gall.

[Extrait de « Sacré Charlemagne » de France Gall]

Dam : Alors c’était France Gall, avec son morceau « Sacré Charlemagne » — je suis sincèrement désolé, parce que ça va vous polluer les oreilles pendant la prochaine heure.

Fanny : Mais c’est génial, c’est jovial, ça met une super ambiance, moi j’adore l’écouter, maintenant ! [rires]

Dam : Ah oui mais ça parasite complètement, là, vous l’avez dans la tête pour deux jours. Donc tous les morceaux qui passeront après, de toute façon, n’arriveront pas à dépasser ça.

Fanny : Hmm, je sais pas, on va voir, il y en a des pas mal. [rires]

Dam : Alors, de qui ça parle ?

Fanny : Alors, donc, France Gall, eh bien c’est une chanteuse, malheureusement qui est décédée il y a pas très longtemps. Juste petit point un peu Wikipédia : elle a été écrite par son père, Robert Gall, qui apparemment, selon la légende, il l’aurait écrite parce qu’il pensait à quand elle était petite, un jour elle avait écrit « Vive Charlemagne » dans l’ascenseur de son immeuble. Déjà j’aime bien cette image-là, mais alors apparemment cette chanson, France Gall ne l’aimait pas trop, à ce que j’ai vu, toujours point Wikipédia/Voici — mais, cette chanson, elle a été écrite en 1964. Est-ce que toi tu veux nous parler un peu plus de la chanson avant que j’aborde le contexte historique ?

Dam : Il y a une chose qui m’a frappée, c’est que c’était les deux minutes cinquante-cinq les plus longues de ma vie.

Fanny : Mais non ! [rires]

Dam : La ligne mélodique, elle est exposée dans les premières secondes, et elle ne bouge plus, et en fait on s’en fout un peu des phrases qu’il y a dessus, c’est juste une boucle, et c’est infernal. En fait on se rend compte qu’on connait la première phrase, et après on a tout le reste qui est vraiment fait de la même manière tout le temps tout le temps, c’est interminable. Et tu disais que c’était composé par son père, c’est vrai, elle n’avait que dix-sept ans et elle pouvait pas saquer la chanson, aussi, ce qu’on peut comprendre, à dix-sept ans t’as pas envie de chanter « Sacré Charlemagne ».

Fanny : Ben c’est ça, oui, ça fait une image un peu enfantine. D’ailleurs le clip, j’adore, elle se balade avec des jeunes filles dans on ne sait pas quel jardin et tout ça, ça se voit qu’elle en a marre. [rire]

Dam : Ce qui m’a marqué aussi, c’est que c’est la période de France Gall dans ses jeunes années, on le disait, dix-sept ans à peine, et il y a un truc avec le début de la carrière de France Gall qui est assez particulier, c’est la présence de Serge Gainsbourg.

Fanny : Ah ! Mais tu l’aimes bien, dis donc ?

Dam : Ah oui, je l’adore. Et puis en plus de ça, c’est le moment où Gainsbourg est pour moi la caricature de lui-même, puisque c’est aussi Serge Gainsbourg qui avait eu l’intelligence de faire chanter à une gamine — enfin pas à une gamine, mais à une mineure — la chanson « Les sucettes à l’anis », qui est un sous-entendu très très graveleux. Sachant que France Gall, quand elle parle de Gainsbourg elle dit aussi, on sent dans les mots qu’elle utilise, qu’il y a une forme de fascination, parce qu’il avait déjà un statut d’artiste vraiment très ancré, c’est quelqu’un de connu, c’est quelqu’un qui avait du poids, en fait, dans le milieu de la musique, et quand elle parle de lui on voit qu’il y a une sorte de fascination de « moi je suis la jeune fille, qu’est-ce me veut ce vieux monsieur, pourquoi s’intéresse-t-il tant à moi ? » Et donc je trouve que profiter de ces situations pour faire chanter ses chansons dégueulasses, ça montre encore une fois que Serge Gainsbourg était aussi un gros con. Voilà. Alors c’est bien, on à combien, là, deux minutes ? Et j’ai déjà commencé à troller Serge Gainsbourg. [rires]

Fanny : Mais là heureusement c’est pas une chanson de Serge Gainsbourg, elle est plutôt innocente, cette chanson, en fait. Moi, si tu veux, je peux te parler des paroles, parce que déjà… Voilà : déjà, Charlemagne n’a pas inventé l’école, voilà, on va déjà dire ça. En fait, il a juste fait une réforme. C’est vraiment comme si on disait que Blanquer avait inventé l’école, c’est la même chose ! Bon, sauf que c’est pas le même type de réforme. [rires]

Et du coup je vais aussi faire juste un petit point Charlemagne pour ceux qui ne connaitraient pas. Charlemagne, on sait qu’il a été sacré en 800 empereur, oui, mais au-delà de ça il a vraiment été un grand roi, même si en fait on a beaucoup enjolivé tout ce qu’il a fait. C’est quand même un roi qui a régné de la fin du VIIIe siècle jusqu’au début du IXe siècle, en Francie occidentale, et donc il a construit un empire.

Pourquoi on dit que Charlemagne aurait inventé l’école : alors j’ai pas compris exactement quel glissement il y a eu pour qu’on dise ça, mais en fait, à la fin du VIIIe siècle, Charlemagne, avant qu’il soit empereur, il cherche à renforcer l’administration royale, et il voudrait vraiment un peu plus former ses élites, et donc il va faire plein de mesures pour que les clercs soient mieux formés, pour qu’aussi les personnes de l’élite soient mieux formées. Alors bien sûr c’est pas tout le monde qui va à l’école à cette époque-là, même si c’est quand même très généralisé. Notamment on voit que Charlemagne par exemple forme ses propres filles, voilà, on voit qu’il y a vraiment une importance dans tout ça.

Pourquoi il y a eu ce glissement : en fait attention, c’est à cause de la IIIe république, parce que dans les manuels scolaires de la IIIe république, on dit que c’est à cette époque-là qu’il y a une méritocratie qui se met en place, sous Charlemagne — en fait non, pas tout à fait. Donc il faut vraiment prendre ça avec des pincettes : non, Charlemagne n’a pas inventé l’école, il a juste fait une grande réforme qui a servi après. Il y a vraiment eu pendant tout son règne une grosse réforme même culturelle, qu’on appelle la réforme carolingienne, c’est une grosse grosse chose. Pour ceux que ça intéresse, je vous conseille d’aller écouter l’épisode 4 du format Super Joute Royale de Passion Médiévistes, notamment sur passionmedievistes.fr, j’ai vraiment fait tout un descriptif sur le site.

Mais je tiens à dire que dans cette chanson il y a pas que tout à fait des bêtises, parce que tout simplement, elle dit à un moment qu’il est le fils de Pépin Le Bref, alors oui, déjà ça c’est pas mal.

Dam : Ça revient dans d’autres chansons qu’on va voir aujourd’hui, d’ailleurs.

Fanny : Mais oui, Pépin Le Bref ! Et elle dit que Charlemagne aurait mieux fait de mener des batailles et des chasses, oui bon ça d’accord, et à un moment elle parle de sa barbe fleurie et ça c’est vraiment une image d’Épinal, Charlemagne avec sa barbe, et tout, ça c’est vraiment un truc qui revient.

Donc petite conclusion : des bêtises, mais au moins on pense à Charlemagne, et ça c’est déjà pas mal, parce que finalement il y a pas tant que ça de rois du Moyen Âge qui sont parvenus jusqu’à nous en chansons, on verra qu’il y en aura d’autres tout à l’heure, mais moi j’aime bien cette chanson. A contrario de toi, moi je l’aime bien, quand j’ai fait du montage dessus j’étais toute guillerette, je hochais la tête, j’aimais beaucoup l’écouter… [rire]

Dam : Sachant que la chanson, elle est surtout sur l’école plutôt que Charlemagne, en fait. Quand on regarde dans les paroles elle dit quelque chose, je crois, du type : « c’est grâce à qui qu’on a seulement les dimanches et les jeudis ».

Fanny : Le livre et tout ça, oui. En fait, c’est juste une façon de parler de leur époque, au début des années 60, et pas forcément de parler de Charlemagne, oui, c’est un prétexte. Mais moi j’aime bien, quand même.

Dam : Et sinon, fun fact : en anglais, « Pépin Le Bref », ça se dit « Pepin The Short », et j’ai toujours trouvé ça rigolo.

Fanny : Oui, « Pépin Le Bref », c’est vraiment parce qu’il était petit, il y a pas à chercher plus loin que ça.

Dam : On passe au deuxième ? On va rester avec le même monsieur.

Fanny : Mais pas vu de la même façon !

Dam : Oui ça va pas être abordé de la même manière. On va s’attaquer à un grand monsieur qui s’est fait connaitre pour plein plein de choses, mais très tardivement dans sa carrière, pour la musique, puisqu’il a chanté à plus de quatre-vingt-dix ans, c’est monsieur Christopher Lee, qui a fait carrément deux albums sur le personnage de Charlemagne, qui s’appelaient « Charlemagne » [NdT : prononcé à l’anglaise [ʃaʁlemeɪn]]

Fanny : Donc là on va écouter laquelle ?

Dam : On va écouter « Charles The Great ».

Fanny : Yeah.

[Extrait de « Charles The Great » de Christopher Lee]

Fanny : Donc on vient d’écouter « Charles The Great » par Christopher Lee et son groupe. Alors pourquoi Christopher Lee a fait toute une petite fixette sur Charlemagne ? Parce qu’en fait il descendrait de Charlemagne : il avait fait des recherches sur sa famille avant, et apparemment il descendrait vraiment de Charlemagne — mais en soi, en fait, je crois que si tu fais ce genre de recherches, un tiers de l’Europe descend de Charlemagne, donc ça fait beaucoup de monde.

Dam : C’est ça, mais lui il avait une petite bagouse avec le sceau familial et tout.

Fanny : C’est ça, donc il avait quand même vachement la classe.

Donc là, dans la chanson « Charles The Great », je peux déjà juste dire quelques petits mots sur les paroles et après je te laisse enchaîner sur le côté musical. D’après les paroles, que j’ai un petit peu regardées, au début on a une discussion entre Pépin le Bref et son fils, le futur Charlemagne — donc pourquoi on dit Charlemagne (et après « Charles The Great ») : parce que Carolus Magnus, en latin c’est Charles le Grand, tout simplement — et après cette discussion c’est Charlemagne qui prend la parole et qui parle de comment il dirige.

Toi, est-ce que tu as aimé cette chanson mieux que la précédente, ou pas ?

Dam : En fait cet album-là, il a une vraie réputation d’album de mauvaise qualité, et c’est assez compréhensible. Alors sur cette chanson-là ça va encore, je l’avais écoutée tout à l’heure et je me suis dit « celle-là ça passe », d’abord parce qu’il y a l’autre chanteur, qui incarne Pépin le Bref : il y a plusieurs chanteurs et chanteuses qui arrivent sur l’album pour incarner différents personnages. Eux sont vraiment des chanteurs de différents groupes, et du coup ils ont un vrai métier de chanteur et ça s’entend.

Christopher Lee, il a une très très jolie voix, mais c’est pas un chanteur, et du coup il y a des endroits où il est carrément à côté. Alors c’est mignon, parce qu’on se dit « bon, allez, c’est un vieux monsieur de quatre-vingt-dix ans qui s’est fait son petit kif et tout ». Mais, force est de constater qu’à certains endroits ça tape bien à côté et c’est pas agréable à écouter. Cela dit…

Fanny : Tiens, juste, avant, je crois qu’on n’a pas dit qui était Christopher Lee, au cas où.

Dam : Ah mais oui !

Fanny : Juste pour préciser, donc, c’est un acteur, qui a notamment été très connu au début parce qu’il avait joué les Dracula, et qui a été plus connu sur la fin de sa carrière parce qu’il a joué Saroumane dans Le Seigneur des Anneaux puis dans Le Hobbit, donc voilà, le grand public le connait aussi beaucoup pour ça.

Dam : Oui, et puis il a une carrière dans le cinéma où il faisait souvent de l’autoréférence, notamment dans Gremlins 2 je crois, il joue un obscur docteur dans un laboratoire et ça fait référence à tout son passé dans les films d’horreur, etc., oui.

Et donc le truc sur cet album-là c’est que justement, il n’est pas compositeur. Alors les morceaux ont été composés par deux personnes, dont une en particulier. Cette personne c’est Richie Faulkner, c’est un guitariste, et aujourd’hui il travaille avec le groupe Judas Priest. Donc c’est pas un petit nom, par contre c’est pas un grand compositeur, en tout cas pour cet album-là, j’ai un peu l’impression que c’est des compositions qui ont été faites le dimanche sur le canapé devant Netflix, en fait [rires]. C’est-à-dire qu’en gros, c’est des bons musiciens et tout ce que tu veux. Alors il y a notamment un deuxième membre qui est important dans l’histoire, c’est celui qui a fait les arrangements, en partie, qui s’appelle Edras Ramos, c’est un guitariste d’origine du Guatemala, eh en fait ce mec-là ben j’ai regardé un petit peu ce qu’il faisait à côté et c’est un super bon guitariste, en plus il y a un joli phrasé, c’est vraiment joli ce qu’il fait, c’est sympa, c’est un peu dans l’esprit jazz fusion, c’est assez moderne et tout, c’est vraiment cool, par contre quand on écoute les morceaux, franchement ça pisse pas loin, c’est pas génial génial.

Alors je voudrais qu’on mette un autre morceau, qui s’appelle, bon je sais plus le titre exact, alors on va dire « Massacre des Saxons » parce que c’est un peu l’idée du morceau.

[Extrait de « Massacre of the Saxons » de Christopher Lee]

Dam : Alors ce morceau-là, en fait, il y a un truc qui est particulier, c’est que d’abord, dans ce morceau-là particulièrement, il chante pas bien, Christopher Lee, mais c’est surtout qu’en fait il y a un truc qui est super décalé, c’est ça qui m’avait fait dire « tiens mais, merde, c’est bizarre que ce soit des musiciens aussi talentueux » parce que tout le riff de départ, dès que la batterie se met en route, on a l’impression qu’ils sont décalés [rire], il y a un truc vraiment qui marche pas. Alors j’ai cru comprendre que c’est parce que le guitariste en fait jouait sur des contretemps, sauf que dans un contexte comme celui-là, ça a vraiment pas de sens, et du coup c’est juste moche, et on a l’impression d’un truc pas en place. Moi la première fois que j’ai entendu l’album de Christopher Lee, c’était avec ce morceau-là, et j’ai pas compris, je me suis dit « mais c’est vraiment un vrai album, c’est une démo, c’est quoi ce bordel ? ». [rire]

Alors je sais pas si tu as des choses à dire sur ce passage-là de l’album en particulier ?

Fanny : En fait c’est que sur celui-là et même sur les autres, en tout cas du point de vue historique, ils se sont bien amusés à remettre dans les morceaux des passages de la vie de Charlemagne qui est vraiment très très riche — vraiment, si ça vous intéresse, allez voir, parce que c’est un long règne. Mais le massacre des Saxons, c’est un moment assez ambigu dans le règne de Charlemagne, parce qu’il a vraiment massacré des milliers et des milliers de personnes. En fait la chanson « Charles The Great » ça raconte aussi comment Charlemagne est monté sur le trône de Francie occidentale lorsque son père puis son frère aîné, Carloman Ier, sont morts, donc comment lui a commencé à conquérir ce qui va devenir son royaume.

Et à la fin de la chanson, d’ailleurs j’ai dû demander à un des médiévistes avec qui je fais Super Joute Royale, parce qu’il parle des Rois Catholiques, et normalement les Rois Catholiques ce sont plutôt les rois dont on parle au XVe siècle après la Reconquista et tout ça, donc je me suis dit « mais qu’est-ce que ça fout là », alors que Charlemagne c’est donc normalement plutôt fin VIIIe. Et en fait, on m’a dit que ça faisait référence au royaume des Asturies qui a été fondé au début du VIIIe siècle par une poignée de seigneurs wisigoths qui ont été repoussés au nord de l’Espagne par les Omeyyades. Mais en vrai apparemment, Charlemagne se moquait un petit peu de ce royaume, il en avait un peu rien à faire parce qu’en plus, pour aller aux Asturies, il fallait passer par les Pyrénées et c’est chiant, et lui de toute façon il avait déjà un pied dans cet endroit parce qu’il s’était imposé en Castille. Donc en fait, vu que les Asturiens voulaient pas intégrer son empire, en vrai il s’en fichait.

Donc là, j’avoue, j’ai dit « bon ok, il a parlé de ça dans sa chanson », mais ça fait plutôt classe de parler des rois catholiques, j’imagine…

Dam : Il y a un autre truc, aussi, dans l’album, je sais pas ça si t’as eu le temps de le parcourir. Il y a des moments où il n’y a pas d’instrumental, c’est des espèces de scènes d’ambiance. Il y en a notamment un où on l’entend galvaniser ses troupes, et c’est marrant parce que j’écoutais l’habillage, je me disais « c’est un peu bizarre, déjà, ce roi qui s’adresserait directement à ses soldats », et puis on a l’impression d’avoir une armée avec des milliers de soldats, alors que je suis pas certain que ce soit comme ça que ça se passait à l’époque.

Fanny : Là j’avoue, je sais pas exactement.

Dam : En tous cas, il y a vraiment une volonté de faire une sorte de grande fresque, etc. C’est pas mégalomane mais c’est très pompeux, en fait, dans l’intention, et sachant que c’est le deuxième album, en fait, il y en avait un premier qui était en mode symphonique — qui était pas très réussi non plus, d’ailleurs.

Fanny : Mais en soi, Charlemagne, il y a vraiment eu toute la première partie de son règne, il a vraiment remporté beaucoup de batailles pour conquérir son empire, c’est quand même quelque chose de… Pour regarder un peu les rois de ce siècle-là, il y en a quand même qui ont fait vraiment un peu de la merde, lui c’est vraiment le deuxième roi carolingien (enfin troisième parce que son frère Carloman n’est pas resté longtemps), à conquérir l’empire, à se faire sacrer empereur par le pape ! Donc, ok, c’est de la mégalomanie, mais il y a de quoi dire, là. Bon, je suis influencée par le lobbying carolingien clairement (bah oui, parce qu’il y en a un) [rires], mais faut admettre, quand même, que c’était pas un p’tit gars.

Et moi ça me surprend pas tant que ça qu’il y ait un album à sa gloire, parce qu’il y a des choses à dire. Même une fresque, par exemple, il y aurait une série Netflix qui sortirait sur Charlemagne, en vrai, ça ne m’étonnerait pas ! Il y a vraiment plein d’épisodes à dire, en plus avec toutes ses femmes et tout ça, il y a vraiment une saga à faire, clairement.

Dam : Bon, vous l’avez compris, en tous cas, si vous ne connaissez pas encore Super Joute Royale, pour l’instant Charlemagne est devant tout le monde, et ça va être un peu compliqué de le rejoindre.

Fanny : Oui, voilà, bon après j’ai aussi du lobbying capétien, la dynastie d’après, ils sont forts aussi. Et on avait discuté un peu en off avec toi, Dam, sur le côté que dans la musique métal, le Moyen Âge, le côté historique était assez présent, mais tu avais regardé et c’était pas si exact que ça ?

Dam : Oui, en fait ce qu’il se passe, c’est que nous on cherchait des morceaux qui étaient vraiment du Moyen Âge avec des références historiques. On a effectivement des groupes qui s’inspirent de toute la période médiévale, mais en fait c’est un gros gros bordel. Déjà, quand on demande à des personnes (ce qu’on a fait) sur les réseaux sociaux de nous envoyer des morceaux, en fait on a des personnes qui se plantent d’époque, on a des références qui sont plutôt de l’Antiquité. Et puis ensuite, on parle souvent du black metal, par exemple. Or le black metal il pose plusieurs problèmes, notamment un qui est vraiment central, j’avais cherché du côté de par exemple Satiricon, je crois, qui avait vraiment un album qui s’appelait Medieval quelque chose, et en fait le souci c’est que oui, il y a bien des chansons qui s’appellent Medieval machin, et en fait il y a rien dedans qui parle d’un côté médiéval, c’est vraiment un décor, mais il est interchangeable, et en fait on s’en fout. C’est-à-dire que si on veut faire une chanson dans laquelle on va dire « death » toutes les trois secondes, on va le faire, et puis à un moment on va dire « castle » [rires], mais en réalité il y a vraiment rien qui soit vraiment référencé. Donc c’est plutôt une espèce d’ambiance globale.

Et puis le deuxième travers, c’est que souvent quand on pense à des groupes qui s’intéressent à la question de l’univers médiéval, on retrouve beaucoup de groupes type heavy metal etc., ou le métal progressif, mais, en fait, ce qu’ils ont comme ambiance, c’est davantage des ambiances de fantasy. Alors sachant que la fantasy habille ses récits avec des chevaliers et des choses comme ça, mais on n’est pas dans des récits réalistes du tout, c’est encore une fois une espèce de folklore plus qu’autre chose.

Et le troisième univers musical qu’on pourrait associer à tout ça, c’est la musique folk. Mais bon, la musique folk, c’est pas forcément les thèmes qui vont parler du Moyen Âge, c’est plutôt l’ambiance globale qui voudrait être la musique qu’on jouait à l’époque, donc on va aller sortir des vielles à roue et puis des violons et des trucs comme ça, mais dans l’absolu en fait c’est assez éloigné, finalement. Il y avait pas de référence à des personnages historiques, il y avait pas de références directes à des batailles ou des choses comme ça, et la plupart du temps, dès qu’il y en avait c’était pour nous parler de dragon derrière, et du coup c’est un peu bullshit et ça rentrait pas dans notre petit champ d’action qu’on avait prévu pour aujourd’hui.

Fanny : Et c’est dommage parce que bon, s’il y a des groupes de métal qui nous écoutent et qui veulent écrire des chansons sur le Moyen Âge, vraiment, allez voir du côté des rois mérovingiens. Mais c’est pire que Game of Thrones, ils passent leur temps à s’entre-tuer entre frères, cousins, neveux, c’est vraiment un massacre !

Pour parler des chansons où on a l’impression que c’est du Moyen Âge et en fait pas du tout, il y a aussi des gens qui m’ont dit « Ah, regarde “la tribu de Dana”, et tout ça », oui sauf que, alors en fait j’ai regardé, ils parlent des Cimmériens dans la chanson, les Cimmériens c’est au VIIe siècle avant Jésus Christ, donc, sachant que le Moyen Âge, on dit qu’à peu près ça commence en 500, donc c’était pas du tout ça.

Dam : Je pense d’ailleurs que ce serait intéressant que, alors on l’a pas fait au début mais on devrait le faire maintenant : juste que tu rappelles les dates, parce qu’en fait il y a un truc tout bête, c’est qu’effectivement dans les morceaux qu’on nous a donnés, il y en avait quelques-uns qui traitaient de l’Antiquité. Et puis après, souvent il y a des choses qui sont revenues et qui étaient soit de la Renaissance soit de l’époque moderne, or c’est pas du tout ce qu’on voulait cerner comme sujet. Et d’ailleurs on parlait tout à l’heure des groupes qui pouvaient faire référence à tous ces trucs-là : je sais qu’il y a un groupe, alors en plus je crois que c’est un groupe français, qui avait fait des albums thématisés sur Louis XIV, etc., on est carrément super éloignés de l’époque médiévale.

Fanny : C’est ça, donc pour petit rappel, le Moyen Âge, on va dire en Europe occidentale, selon les acceptations générales, parce qu’il y a quand même des gens qui différencient, on dit c’est 500 — 1500. En gros de la chute de l’Empire romain jusqu’à la découverte de l’Amérique et la Renaissance, donc ça fait un grand marasme de mille ans, donc effectivement c’est… On pourrait parler aussi beaucoup de pourquoi ça s’appelle Moyen Âge, mais ça c’est une acceptation postérieure, en fait, les gens au Moyen Âge n’ont pas dit « Ah, tiens, on vit au Moyen Âge », non, pas du tout, on a mis ensemble cette grande époque parce qu’effectivement, entre les gens du VIe siècle et les gens du XIVe siècle, ça n’a rien à voir, mais on a mis ensemble donc une grande période d’évolution, moi c’est pour ça que je consacre mon podcast là-dessus, parce qu’en fait, il y a tellement de choses à dire, il y a vraiment de grandes grandes évolutions ; et donc, pour info aussi, il y a Passion Modernistes, donc l’époque moderne, encore une fois, pour Europe occidentale, c’est 1500 — 1800, en gros de la Renaissance jusqu’à la Révolution française.

Donc nous, on s’est intéressés à ce qui concerne le Moyen Âge, donc, 500 — 1500.

Et justement, je te propose qu’on avance un petit peu dans le Moyen Âge, et dans la musique, enfin presque, avec une chanson de Michel Sardou.

Alors on va écouter une chanson qui n’est pas hyper connue de Michel Sardou, mais qui s’appelle « L’an mil ».

[Extrait de « L’an mil » de Michel Sardou]

Dam : Alors ça c’était le morceau « L’an mil », de Sardou. Alors Sardou grand ami du podcast, hein, j’ai l’impression qu’on va en faire un petit peu comme ça régulièrement…

Il y a un truc qui m’a frappé, dans « L’an mil », c’est que d’abord, donc, comme son nom l’indique c’est une chanson qui s’intéresse au passage entre l’avant l’an mil, puis l’an mil, puis l’après l’an mil. Et ce qu’il y a de marrant c’est qu’il a essayé de le faire aussi — alors c’est pas lui, parce que lui n’est pas compositeur — mais l’instrumental en fait essaie de créer lui aussi une rupture. Alors ça commence par une ambiance assez sombre — d’ailleurs on en reparlera, de ce côté « ambiance sombre » du Moyen Âge — et puis arrivé au milieu du morceau on comprend que ça y est, arrive l’an mil, le changement de millénaire. Et là ce qu’il y a de super drôle, c’est qu’il fait un changement de musique : on avait un truc avec des orgues, etc. donc pour évoquer l’imaginaire des cathédrales, etc., sauf qu’une fois qu’on passe l’an mil, on arrive dans une musique au synthé et tout ça, genre truc moderne [rires], comme si on était arrivé en l’an 2000 en réalité, c’est assez décalé. C’est vraiment un truc que j’ai trouvé bizarre, un peu anachronique finalement, mais ça marche bien ! Et c’est ce qui m’a super étonné, alors j’en ai marre de dire ça dans le podcast, mais Sardou en fait c’est pas si nul… [rires] Donc là il y a ce moment où ça change d’ambiance, et je me suis rendu compte en écoutant, donc ça va être des synthés et tout, ça date de 83, d’après ce qu’on a vu, et en fait, ça passe super bien encore aujourd’hui. Alors le retour de la synth wave et compagnie, ça fait qu’on s’est ré-habitués aux sonorités des claviers, si on avait écouté ça au début des années 2000 on aurait juste dit « Ahah c’est nul, c’est des années 80 », aujourd’hui ça passe beaucoup mieux, et en fait c’est une chanson que je trouve assez moderne, assez étonnante. Pourtant, c’est Sardou, hein…

Fanny : On embrasse nos amis du podcast Stockholm Sardou, donc Martin et Julien, avec qui j’avais fait une mini chronique là-dessus, sur « L’an mil ». Mais juste, pour vous dire un petit peu : donc, effectivement tu disais tout à l’heure « anachronique », et en fait c’est bien le mot, parce que dans cette chanson, il y a rien qui va [rires], au niveau des paroles, il y a rien qui va…

Déjà, dès le deuxième mot, ça part mal, parce que ça parle de cathédrales. Alors les cathédrales, petit rappel historique : ce qu’on a appelé « le blanc manteau d’églises », en fait ça a surtout recouvert l’Europe du XIe au XIIe siècle, par exemple la cathédrale de Notre-Dame de Paris, elle est construite à partir de 1163, donc bien après l’an mil, donc rien à voir.

Et deuxième phrase : Michel nous parle des « forêts noires que des sorcières ont envoûtées ». Alors ce qu’on sait des sorcières, au Moyen Âge, on le doit surtout aux sources judiciaires de la fin du Moyen Âge, où on a accusé des hommes de pratiques de sorcellerie. D’ailleurs la chasse aux sorcières c’est après, c’est encore Renaissance, donc voyez, quand on dit « les sorcières au Moyen Âge », non non non, on a beaucoup plus tué de soi-disant sorcières après.

Mais donc vraiment, dans cette chanson, il y a rien qui va, par exemple, après il dit : « les chevaux fous des milliers de races humaines lancés sur nous du plus profond de la Bohème », donc là c’est un peu une référence à ce qu’on a appelé, avec des énormes guillemets aussi, les invasions barbares, avec les Goths, les Burgondes, les Vandales, et aussi les Francs, mais ça par contre c’est au VIe siècle, donc pas du tout à l’an mil, alors ça pourrait peut-être faire référence aux Vikings, où là ok c’est à peu près dans le moment, mais voilà.

Il y a encore plein d’autres choses à dire sur cette chanson mais c’est vraiment un gros pot-pourri de plein d’idées qu’on pourrait avoir sur le Moyen Âge et hop on le met ensemble. Mais en fait, en vrai, cette chanson, elle parle beaucoup plus de l’an 2000 que de l’an mil quand on regarde un petit peu, mais c’est pas notre sujet aujourd’hui.

Après, elle est drôle, moi j’aime bien justement le côté « ah, les cathédrales, les sorcières et tout ça, les barbares », c’est vraiment on a fait un gros mélange et ça fait un cocktail pas trop mal.

Dam : Ouais, musicalement, en plus, elle est cool, elle s’écoute bien… Voilà, c’est du Sardou, quoi.

Fanny : C’est ça, mais c’est vraiment une vision du Moyen Âge très… justement tu disais tout à l’heure le Moyen Âge période sombre, alors spoiler : non ! non ! C’est parce qu’à la Renaissance on a dit « Ouh là là, tout le monde avant nous, ils sont dans le sombre, nous, regardez, on redécouvre tout ça, avant il n’était qu’obscurantisme » et non, pas du tout en fait, c’est toujours ça, quand de nouvelles personnes arrivent ils disent toujours que ceux d’avant étaient nuls. Ben là c’est ça, sauf qu’ils ont fait une super propagande à la Renaissance, ce qui fait que jusqu’à aujourd’hui on a toujours cette image et c’est bien bien bien dommage. Et il y a toute une référence au côté apocalyptique de l’an mil, qu’on avait aussi en l’an 2000, en fait, il y a eu tout un truc comme quoi il allait y avoir « le bug de l’an 2000 » et tout ça, donc voilà, est-ce que Sardou, en 83, parlait finalement plus de l’an 2000, moi, c’est ce que je pense, quand même.

Dam : Ouais, surtout que c’est un grand progressiste, Sardou…

Fanny : N’est-ce pas ?! [rires]

Dam : On va continuer avec une autre chanson, puisque tu parlais de cathédrales, la transition est toute trouvée, je pense que rien qu’à dire « cathédrales » et « musique », tout le monde a la chanson en tête, alors crevons l’abcès tout de suite : on va passer « Le temps des cathédrales ».

[Extrait de « Le temps des cathédrales » de la comédie musicale Notre-Dame de Paris]

Fanny : Donc c’était « Le temps des cathédrales » chanté par l’équipe de la comédie musicale « Notre-Dame de Paris »… Ah, ça fait toujours du bien, moi je pense que ça fait vraiment du bien de se rincer les oreilles avec « Le temps des cathédrales ».

Dam : Tu veux que je te dise ? C’est mieux que France Gall. [rires]

Fanny : C’est un autre style ! Mais là aussi, même si c’est un autre genre musical, pour le coup — oh, quoique, ça ressemble plus à Sardou qu’à France Gall, effectivement — on a toujours des incohérences, mais c’est pour la beauté du geste… Notamment dans la chanson on parle de 1482, ben, comme je l’ai dit juste avant, ça fait un petit peu tard pour les cathédrales, on a un peu trois cents ans de retard…

Dam : C’est parce qu’elles sont longues à construire.

Fanny : Oui, ben oui, bien sûr… Alors je n’ai plus en tête en combien de temps s’est construite Notre-Dame, mais je pense quand même que ça n’a pas pris trois cents ans. Et on a des incohérences parce que dans la chanson ils parlent des Vandales, donc des invasions barbares. Donc comme je l’ai dit c’est plutôt VIe siècle donc mille ans avant, et donc on nous parle des Vandales, des peurs millénaristes, donc de fin du monde, des cathédrales et tout ça… À noter que dans la chanson, on parle de l’expression du « genre humain », qui est plutôt un concept du XIXe siècle, donc là rien à voir. Donc comme pour Sardou, cette chanson elle parle quand même beaucoup plus de notre époque que du Moyen Âge.

Tu as des choses à nous dire sur le style musical ?

Dam : Alors je l’ai réécoutée tout à l’heure, en fait depuis que je suis gamin — parce que cette chanson-là ça a dû sortir vers 97, 98, je crois, quelque chose comme ça — depuis que je suis enfant j’ai toujours entendu cette chanson en me disant « il y a un truc qui déconne ». Alors tout à l’heure, j’ai enfin réussi à mettre le doigt dessus : en fait ce qui se passe c’est qu’au moment où le chant du refrain commence avec cette fameuse phrase, là, « il est venu le temps des cathédrales », avec cette montée…

[Fanny chantonne]

Fanny : J’adore.

Dam : Fanny, experte en karaoké. Donc, dans le morceau, ce passage-là précisément, j’ai toujours trouvé super bancal, un peu merdique. Alors je me suis toujours demandé si c’était pas parce qu’on était dans une espèce de moment où on oublie un petit peu les temps métriques, c’est-à-dire on s’amuse plus à compter un, deux, trois, quatre, et auquel cas simplement on laisse le chanteur commencer sa ligne, et en fait on l’accompagne au fur à mesure. Ça c’était ce que je pensais au départ, et auquel cas je me disais c’est super chiant à mettre en place et ça fait bizarre.

Et en écoutant le morceau tout à l’heure je me suis rendu compte d’une petite particularité : en fait c’est que la phrase est juste trop longue. Donc normalement on devrait avoir un truc à quatre temps, très classique puisqu’on est dans la variété, faut pas surprendre l’auditeur, sauf qu’à ce moment-là précisément, on a une mesure à cinq temps. Et cette mesure à cinq temps, ben je vais repasser puis je vais compter en même temps, on verra ce que ça donnera, eh bien en fait, au départ on a l’impression — puisque ça ralentit — que c’est donc quatre temps qu’on étire. En fait non, quand on a le moment où la musique se répète, on a quelque chose derrière qui permet de garder le temps, et on se rend compte que c’est bien un temps qui est rajouté.

Alors je sais pas quoi penser de ça, parce que moi j’ai toujours trouvé que ça sonnait maladroit. Alors peut-être que quelqu’un qui justement aime bien cette comédie musicale, et donc aime bien la chanson qui passe à la radio sans vraiment se poser de questions, n’a jamais rencontré le problème. Moi c’est quelque chose qui me saute aux oreilles, et donc c’est vraiment un drôle de truc. Alors je sais pas trop, est-ce que finalement c’est intéressant ou pas. Moi je trouve que, dans un morceau comme celui-là, cette surprise d’avoir un truc à cinq temps qui pourrait me plaire en me disant « ouais, cool, un truc un peu bizarre, et tout, trop bien », non, c’est juste ça sonne bizarrement quoi. Je vais pas dire que ça sonne pas, parce que le morceau a eu le succès qu’on lui connait, c’est un morceau qui marche, la ligne qui monte c’est super joli et tout ce qu’on veut, mais c’est un truc à cinq temps.

Alors si tu veux bien on va se le mettre et puis on va compter en même temps et comme ça on verra un petit peu ce que ça donnera.

[Interlude extrait de film avec la réplique « apparemment tu t’es planté »]

Dam : Alors je viens d’essayer de compter, et en fait non, ça marche pas.

Fanny : Ah bon ?

Dam : Donc c’est pas cinq temps. Alors j’ai compté dans ma bagnole tout à l’heure en arrivant et j’avais l’impression que ça marchait, mais non, c’est bien un truc à quatre temps. Sauf qu’en fait le dernier temps il dure tellement longtemps que ça me donnait l’impression d’avoir un cinquième temps. En réalité, en essayant de compter, ça marche pas.

Ça ne change rien à l’impression globale, en fait, je trouve toujours que ce truc-là, ce moment-là, il traîne tellement que ça fait un truc bizarre. Alors, quand on laisse un temps durer un petit peu, qu’on essaie de faire un peu au feeling, on appelle ça faire du rubato. Et quand on a quelque chose qui est très métrique derrière, soit on fait quelque chose de rubato tout le temps, c’est-à-dire qu’on essaie de mettre de l’ambiance, de faire un petit truc un petit peu romantique, donc on va laisser des traînes, et puis à d’autres moments on va accélérer légèrement, c’est des choses qui se font beaucoup, en fait, dans le classique, ou alors même, dans l’improvisation. Là en l’occurrence c’est pas ça, on est dans de la variété, donc on a quelque chose qui est super métrique, qui se compte nickel, sauf ce passage-là. Alors, comme je dis, c’est juste une question de goût, parce que visiblement ça n’a dérangé personne d’autre que moi, en tant que bon emmerdeur, mais oui, apparemment c’est bien un quatrième temps mais qui dure longtemps. Et moi j’ai toujours trouvé que c’était super difficile de se caler dessus, maintenant je sais pourquoi. C’est pas grave, je fais pas de karaoké, donc c’est pas gênant.

Fanny : Moi j’en profite pour faire un petit coucou aux gens du podcast « Le roi du monde est stone », qui parle de comédies musicales. Alors il me semble qu’ils n’ont pas encore traité Notre-Dame de Paris, et comme je sais que Julien notamment dedans, fait pas mal d’analyses musicales des chansons, j’espère qu’il en parlera et qu’on pourra analyser tout ça.

Dam : Alors, juste un point aussi, on va parler rapidement d’une autre thématique importante. Tout à l’heure on faisait un rappel sur les dates, dans la chanson ils parlent des troubadours, on aura l’occasion d’en reparler aussi avec un autre morceau dans la playlist, je pense que c’est le bon moment pour faire un petit point sur qui étaient ces fameux troubadours, quand est-ce qu’on peut parler de troubadours et quelle image on en a, parce qu’on a une image complètement éloignée de la réalité…

Fanny : Alors moi, les troubadours, en plus il y aura un épisode de Passion Médiévistes qui sortira je crois en mars 2020, peut-être que quand vous écoutez il est déjà sorti, je ne sais pas… [NdT : épisode 37] Alors en fait, les troubadours, on dit notamment que le premier troubadour était Guillaume d’Aquitaine, donc le grand-père de la fameuse Aliénor d’Aquitaine qui était reine de France puis reine d’Angleterre, on dit donc que les troubadours sont apparus XIe ou XIIe siècle en Aquitaine. Il faut savoir qu’un troubadour, alors c’est pas du tout une sorte de saltimbanque qui ne faisait que ça, en fait un troubadour c’est souvent un noble qui chante à la cour. Mais il ne gagne pas du tout sa vie comme ça, en fait c’est une de ses activités, c’est un hobby.

Et on n’a gardé quasiment aucun texte de l’époque, en tout cas écrit par la main d’un troubadour. C’est souvent des compilations a posteriori quand on a commencé à mettre par écrit tout ça. Parce qu’il faut se dire qu’au Moyen Âge, on a commencé à écrire au fur et à mesure, mais c’est surtout à partir du XIIIe siècle qu’on commence à écrire des choses, et que donc il y a beaucoup la culture de l’oral. Donc en fait si ça se trouve les chansons qu’on a aujourd’hui, c’est un résultat de transmission orale d’un troubadour à un autre, d’une tradition à une autre. Et en fait ces troubadours étaient surtout dans la couronne d’Aquitaine, dans le royaume d’Aquitaine, mais se sont vraiment répandus dans tout le reste du royaume, en Espagne, et tout ça, donc c’est pour ça qu’on en trouve un peu partout autour. Et donc ils chantaient en langue d’oc. Donc en gros il faut différencier la langue d’oïl, qui était au nord de ce qui est aujourd’hui la France, la langue d’oc, c’était le sud, vraiment en résumant beaucoup.

Dam : Tu parlais justement du fait qu’ils s’étaient dispersés un petit peu partout en Europe. Alors j’ai re-regardé tout à l’heure un petit peu les dates liées à ces évènements-là. Il y a eu la peste, qui a eu lieu au XIVe siècle, et en fait il y a eu une grosse partie de l’Europe qui est morte, et comme les troubadours s’étaient un petit peu dispersés partout et que la culture orale ça marche quand il y a beaucoup de personnes à qui transmettre son savoir, il y a eu beaucoup de pertes. Et les manuscrits dont tu parlais tout à l’heure qui sont en fait les compilations de textes, ce sont des choses qui ont été réécrites par la suite, et c’est pas juste cinq ou dix ans plus tard, c’est plutôt de l’ordre de cent cinquante ans derrière, donc déjà à ce moment-là il y a une relecture.

Faut imaginer, c’est comme si nous on se disait « hé, on va réécrire les chansons qui datent de 1850 ». En fait on sait déjà pas le faire, enfin on sait le faire parce qu’on a de la trace écrite aujourd’hui de ce que pouvait être la musique, mais on a déjà des pertes qui sont dues aux types d’instruments, parce qu’aujourd’hui quand on joue du piano et qu’on a le clavier bien tempéré, dès qu’on revient sur des choses plus anciennes, on n’a pas tout à fait les sonorités des pianos et des instruments de l’époque. Donc imaginez avec de la culture orale et de la musique, qui était même pas encore véritablement écrite à ce moment-là ou qui du moins avait pas le même type d’écriture.

Et donc c’est des choses qui sont complètement paumées, et donc tout ce qu’on connait nous, c’est déjà une réécriture faite cent cinquante ans plus tard, avec l’idéologie peut-être qui a changé aussi entre-temps, puisque la vision du Moyen Âge au moment de la Renaissance, comme tu disais tout à l’heure, c’était pas glorieux, donc il y a des choses qui ont bougé.

Dans les clichés qu’on a aussi des troubadours, c’est « ah, ils chantent l’amour courtois, blablabla ». Pareil, ça c’est de la relecture : dans les chansons qu’on a retrouvées des troubadours, en fait beaucoup de chansons étaient des chansons grivoises. Alors j’en ai un petit extrait, je l’ai gardé de côté. Alors je vais citer tout de suite ma source, quand même, parce que ça me semble être honnête de le faire. Alors je vous invite à écouter et regarder la chaîne YouTube Scherzando, c’est une fille qui fait des superbes analyses de musique et qui elle du coup s’intéresse beaucoup à toutes les périodes liées au Moyen Âge et à la Renaissance, c’est passionnant ce qu’elle dit. Et dans un de ses épisodes elle parlait notamment d’un troubadour qui s’appelle Montan, je vais te lire un passage d’une chanson, d’un poème, qui date du XIIIe siècle. Tu es prête ?

Fanny : Ah oui ! J’ai hâte !

Dam : Je suis désolé d’avance pour tes oreilles chastes.

« Je viens à vous, Seigneur, jupe levée,

Car j’ai entendu dire que vous aviez pour nom sire Montan.

J’ai le cul large, épais et frétillant,

Et le plus grand con qu’eut jamais femme au monde. »

Réponse de monsieur Montan :

« Et moi je viens à vous la culotte baissée,

avec un vit plus gros qu’un âne en chaleur,

et nous ne partirons pas d’ici, ni moi ni mes grosses couilles,

sans vous avoir si bien foutue que vous resterez gisante et pâmée. »

Fanny : Eh bien on embrasse les auditeurs et les auditrices qui écoutent ça avec leurs enfants.

Dam : Bisous !

Fanny : Et on vous laisse expliquer tous les mots que Dam vient de dire de sa bouche toute sale, mais tu n’as pas honte, voyons ?! [rires]

Dam : C’est pas moi, c’est monsieur Montan, c’est de l’histoire. [rires]

Fanny : Oui…

Dam : D’ailleurs je le rajoute dans la progression sur le Moyen Âge avec mes CM1.

Fanny : Non mais alors oui, l’amour courtois ça n’a pas grand-chose à voir avec ça, mais c’est sûr qu’au Moyen Âge on aime bien les choses un petit peu…

Dam : salaces…

Fanny :… un petit peu crues comme ça, mais l’amour courtois ça n’a rien à voir ! D’ailleurs, l’amour courtois si tu veux je peux t’en parler maintenant, parce que c’est la glorification de la femme, souvent la femme mariée donc inaccessible, donc en fait dans l’amour courtois on ne se touche pas, c’est à peine si on se regarde, c’est vraiment le fantasme et tout ça, mais donc en fait on pense que c’est la femme qui est toute puissante : pas du tout. C’est vraiment une façon un peu patriarcale de mettre la femme comme un objet, c’est vraiment un objet de séduction, —

Dam : — le trophée…

Fanny : — un trophée, voilà, qui est en place, et les hommes doivent se battre ou non pour l’obtenir, mais elle n’a pas le choix : elle n’est pas dans le désir, elle n’est que désirée. Elle n’est pas, elle, dans le désir. Donc oui, l’amour courtois, euh, à prendre avec des pincettes quand on dit que c’est la chose la plus romantique au monde, hmm, pas tout à fait.

On voulait aussi parler des chansons traditionnelles, style « À la claire fontaine », et tout ça. Alors par contre, en regardant, la plupart en fait c’est des références sexuelles, donc je me suis dit que ça faisait pas trop Moyen Âge…

Dam : Par exemple, le « Il court il court, le furet », qui est une très célèbre contrepèterie alors il y a des enfants qui écoutent mais on va juste dire « Il mmh il mmh, le curé »…

Fanny : Aah ! Oh mon Dieu, ok, voilà. Non, mais il y a une chanson, par contre, qui est pas forcément très grivoise — c’est ça le mot : grivois — et qui est intéressante, c’est la chanson « Le bon roi Dagobert ». On l’écoute ?

Dam : Allez, on l’écoute. Quelle horreur… [rires]

Fanny : On n’a pas dit qu’on la chantait, celle-là ? [rires]

[Extrait de « Le bon roi Dagobert »]

Fanny : Alors cette merveilleuse chanson/comptine « Le bon roi Dagobert », dont souvent vous connaissez le premier couplet mais pas du tout les autres, donc on tourne en ridicule le roi Dagobert. Alors il faut savoir que cette chanson, elle date du XVIIIe siècle, et en fait, elle est beaucoup plus une attaque déguisée contre Louis XVI, notamment au moment de la Révolution, pour ridiculiser la monarchie. Mais qui était Dagobert ?

Dagobert était un vrai roi de France, il a récupéré le royaume franc à la mort de son père en 629, on est au VIIe siècle. Alors par contre, Dagobert, je sais pas si comme dit la chanson il était aussi maladroit que ça, mais par contre il aimait beaucoup voire trop les femmes, parce que contrairement à son père il a réintroduit la polygamie, mais dans un but politique, pour pouvoir s’allier à différentes factions aristocratiques. Mais il s’est comporté pas forcément bien avec elles, donc nous, dans Super Joute Royale, on dit que c’est à la fois un bon et un mauvais move. Je sais plus si on a réussi à lui mettre des points ou pas pour ça.

Mais par contre Dagobert il a un peu foiré ses successions, parce qu’à sa mort en 639 — tu vois, il a pas régné très longtemps, il a régné dix ans —, son royaume il était divisé en deux et confié à ses très jeunes fils. Et en fait c’est le problème des Mérovingiens — donc Dagobert était un roi mérovingien —, c’est que les Mérovingiens en fait souvent ils meurent en laissant des enfants très jeunes sur le trône. Donc soit ça donne des guerres de succession, donc ce qui est cool, c’est que ça a pu laisser un peu la place aux femmes, style comme Brunehaut, qui ont été des reines qui ont pu vraiment exprimer leur pouvoir. Mais malheureusement on a dit des mauvaises choses d’elle, parce que bien sûr, une femme qui a le pouvoir, c’est forcément une mauvaise femme. Mais ça a aussi permis à ce qu’on appelait les maires du palais, en quelque sorte un peu les Premiers ministres, de prendre la place, et c’est pour ça qu’en fait surtout au Moyen Âge, on voit que le pouvoir est récupéré par des maires du palais et ensuite ça devient de nouvelles dynasties. C’est notamment comme ça qu’on passe de la dynastie des Mérovingiens à celle des Carolingiens — ça, vous savez : Charlemagne, on en a parlé tout à l’heure.

Mais c’est pour ça que je l’aime bien cette chanson, pour ça, parce que mine de rien, dans Super Joute Royale on parle de rois mérovingiens. Tu vois, le père de Dagobert il s’appelait Clotaire II, personne ne sait qui est Clotaire II. Au moins, grâce à cette chanson on connait au moins un roi mérovingien, à part Clovis qui est le premier d’entre eux en quelque sorte, donc j’ai une petite affection quand même, pour cette chanson.

Toi, sur le style musical, tu as des choses à dire ?

Dam : [rires] Ah non non, pas du tout, j’ai pas grand-chose à dire sur ces chansons-là, je m’y suis jamais penché en fait, je pense qu’il y a des choses intéressantes à aller chercher sur le côté historique, mais je t’avoue que là, non, j’ai rien du tout là-dessus. Je ne m’avance pas.

Fanny : On voit qu’il y a plein de comptines qui datent du Moyen Âge, mais comme on disait, souvent des références un petit peu grivoises, sexuelles, donc on va pas trop s’attarder là-dessus.

Dam : On continue avec un personnage qui a souvent été qualifié de troubadour lui-même, à savoir Brassens. Alors je reparlais tout à l’heure de Scherzando, elle a fait une super vidéo qui s’appelle « Brassens était-il un troubadour ? », et où elle compare un petit peu tous les critères qui font d’un personnage un troubadour, et elle regarde un petit peu si tous ces critères correspondent à ce que faisait Brassens. Sa conclusion étant que oui, on peut considérer Brassens un peu comme un troubadour. Alors je te laisserai regarder la vidéo…

Fanny : Oui, on mettra le lien dans la description de l’épisode.

Dam :… et c’est vraiment super intéressant. Alors, Brassens a fait une chanson qui s’appelle « Le Moyenâgeux ».

[Extrait de « Le Moyenâgeux », de George Brassens]

Fanny : C’était donc Brassens, « Le Moyenâgeux ». Alors moi je veux dire que j’aime beaucoup Brassens, et en fait cette chanson je la connaissais quasiment pas, vraiment. On me l’avait mentionnée au début de mon podcast, « ouais, est-ce que tu vas la placer ? », et j’avais jamais vraiment écouté… Je m’attendais, tu vois, avec tout ce qu’on avait dit juste avant, à encore une chanson sur le Moyen Âge un peu basique, mais en fait non ! C’est trop bien, Brassens ! Parce qu’il fait des références géniales en fait, où vraiment à chaque vers, il y a des choses très très approfondies, parce que j’ai trouvé un site qui analyse chaque chanson de Brassens donc vers par — on dit un vers pour une chanson, on dit quoi ?

Dam : On peut.

Fanny : Parole par parole, et déjà ça commence avec « je suis né avec cinq siècles de retard », il se dit comme « foutrement moyenâgeux ». Donc bon, « moyenâgeux », normalement c’est un peu…

Dam : … péjoratif…

Fanny  :… péjoratif, mais dans sa bouche en fait, dans sa chanson, ben non en fait ça passe. Bon donc, cinq siècles après, plutôt fin Moyen Âge, ok, on est pas mal, ça commence bien. Et la chanson, vraiment, croule sous les références, donc en voici quelques-unes que j’ai un peu extirpées.

Alors au début il dit que ses parents « faisaient le jeu de la bête à deux dos », donc la bête à deux dos, voilà, je vous laisse réfléchir à ce que ça peut être, mais c’est vraiment une référence à Rabelais, qui est un auteur de la fin du Moyen Âge, qui serait le premier à avoir utilisé cette expression, dans Gargantua.

Ensuite, dans sa chanson il s’adresse aux princes, donc l’allusion aux princes c’est vraiment quelque chose d’assez traditionnel dans les ballades du Moyen Âge, comme les troubadours à la cour qui parlaient aux nobles et aux princes, donc là, c’est bien maintenu.

Il dit après « j’aurais retrouvé mes copains ». Donc là le mot il est pas anodin, parce que vraiment c’est un mot qui est attesté à partir du XIe siècle, donc « copain » : quelqu’un avec qui on partage le pain, et pour Brassens, il dit que « c’est la meilleure chose au monde ».

Et dans toute la chanson il y a beaucoup de références à un poète du Moyen Âge qui s’appelle François Villon. Donc juste pour vois dire François Villon c’est un poète de la fin du Moyen Âge, il est né en 1431, il est mort en 1463. C’était un écolier de l’université dans le Quartier latin, donc à Paris, à la Sorbonne, et en fait François Villon, à vingt-quatre ans, il a tué un prêtre, et il a fui, ce qui fait que tout le reste de sa vie après, il était vraiment un peu un marginal. Et donc à la fin de sa vie il a publié plusieurs textes, donc le Lai, le Testament, et La Ballade des pendus, je vous incite à les lire, moi je les avais étudiés quand j’étais en khâgne, mais qui sont vraiment très bien écrits. Et vraiment, quand on lit Brassens aujourd’hui, on comprend vraiment qu’il a lu du François Villon, allez lire, parce que notamment, Brassens a chanté le poème « La Ballade des Dames du Temps Jadis ».

Et donc dans la chanson « Le moyenâgeux », il y a plein de références, notamment il parle de la Pomme de Pin, c’est une taverne qui est citée par Villon dans un de ses poèmes. Il parle de l’abbesse de Pourras en disant que peut-être elle avait la cuisse un peu légère, et pareil, François Villon en parlait. Ensuite dans la chanson il parle de Montfaucon. Alors Montfaucon c’est vraiment une référence où je me dis « mais voilà ! enfin ! » et on va un peu plus loin que juste les châteaux, les princesses, pour parler du Moyen Âge, parce que Montfaucon c’était un gibet très connu à Paris, probablement dans le quartier du Temple — pas loin de chez moi d’ailleurs — à l’époque, qui était utilisé du XIIe au XVIIe siècle, donc où on pendait les gens quand ils avaient fait des choses pas bien.

Et il parle aussi du cimetière des Innocents, qui est un ancien cimetière de Paris dans l’ancien quartier des Halles, qui [a existé] de 1186 jusqu’au XVIIIe siècle, mais donc il a été un peu créé au Moyen Âge. Il a été remplacé par un marché puis par un square, et d’ailleurs dans la chanson il dit « voilà, maintenant il n’y a plus que des bars américains à la place d’un cimetière royal ».

Donc voilà, vraiment j’aime beaucoup cette chanson. Et donc il y a beaucoup de références aussi au Quartier latin qui est donc celui de l’université au Moyen Âge.

Donc pour savoir plus de choses sur l’œuvre de Brassens et sur les références au Moyen Âge : allez voir sur le site analysebrassens.com, tout simplement, et sur le cimetière des Innocents il y a le blog Savoirs d’Histoire, dont j’avais interviewé l’autrice Priscille, qui parle de ce fameux cimetière des Innocents, parce que voilà en fait, quand on est à côté des Halles à Paris, vous voyez il y a une grande fontaine, eh ben c’était là, en fait, le cimetière des Innocents, donc on se dit que sous nos pieds il y a peut-être encore des petits crânes qui traînent encore un petit peu.

Donc, « Le moyenâgeux » ça a plein de références au Moyen Âge, et il y a ça dans plein d’autres chansons de Brassens.

Toi, niveau musical, qu’est-ce que tu as à dire sur Brassens ?

Dam : Alors sur Brassens en général, j’aurais des tas de choses à dire, mais rien qui soit vraiment lié à cette chanson-là. Je pense que j’ai déjà dû l’entendre et j’avais dû zapper parce que musicalement, elle est pas super intéressante, elle est pas super riche. C’est très typique du Brassens pompier en mode « tou tatou tatou tatou », et c’est pas super super riche. Je trouve surtout qu’en plus de ça, la ligne de chant, il y a des endroits où je trouve qu’elle suit pas très bien les accords, mais en fait c’est pas très grave parce que finalement, l’intérêt il est historique. Heureusement que tu es là pour décrypter, parce qu’en réalité, moi quand j’ai entendu la chanson la première fois, et même la deuxième, moi j’avais pas les références, et du coup je profitais même pas non plus du texte, ce qui fait que j’avais une chanson qui était pas super bien ni en musique ni en paroles. J’y referai un petit peu plus attention grâce à toi.

Fanny : C’est peut-être pour ça qu’elle est pas très retenue, parce qu’effectivement comme tu dis la ligne musicale est pas top, mais en fait au début je la lance et après j’entends quelques mots voilà sur Villon, etc. et je fais « ah ! ooh… ooh, mais c’est bien, ça, dites donc », voilà, donc j’ai envie [de vous dire], vraiment, allez écouter « La Ballade des Dames du Temps Jadis » de Brassens. Il a juste mis de la musique mais le texte c’est vraiment du François Villon, et c’est quand même beau, moi j’aime beaucoup.

Dam : On va continuer avec un morceau qui date de 1959, un titre de Bourvil qui s’appelle « Les Rois fainéants ».

[Extrait de « Les Rois fainéants », de Bourvil]

Dam : C’était donc « Les Rois fainéants » de Bourvil. Bourvil, en fait, ce que je trouve intéressant c’est que… J’aime beaucoup Bourvil, en fait, j’aime beaucoup Bourvil en tant qu’acteur, déjà, et je l’aime énormément en tant que chanteur. Il a un côté un petit peu Charles Trenet, ce genre de choses, fin des années 50, fin des années 60, et en fait, ce que j’aime bien chez lui, c’est qu’il a un chant malicieux. Quand on l’écoute, et peu importe la chanson, franchement vous pouvez écouter toutes les chansons qu’il a faites et qui sont un petit peu connues, vous allez voir qu’on sent qu’il a un sourire jusqu’aux oreilles quand il chante, il y a même des petits endroits où on refaisait pas les pistes donc on avait peut-être du one shot les trois quarts du temps, ce qui fait qu’il y a un petit moment où on l’entend fourcher, mais c’est pas grave on continue, et c’est quelque chose que je trouve super mignon.

En plus de ça l’instrumental est intéressant lui aussi dans les chansons. Je pense notamment à « Salade de fruits », c’est une chanson qui a un petit côté sud-américain dans son instrumental, et là c’est un peu pareil, on a aussi un côté… je saurais pas dire, c’est cubain ou quelque chose comme ça, et tout ça mêlé avec une espèce d’ambiance un peu jazz. Ça m’a fait beaucoup penser à de la musique type Burt Bacharach — alors ceux qui connaissent un petit peu l’émission savent que Burt Bacharach c’est quelqu’un que j’aime énormément —, et en fait on retrouve ce genre d’orchestration typique du début des années 60, c’est-à-dire un jazz très accessible, un peu pop en fait dans sa structure, et vraiment assez mignon, joli… Alors en plus on a une trompette avec une sourdine, etc. C’est vraiment sympa comme tout à écouter, et en plus de ça, lui il a son petit côté malicieux, un peu espiègle, qui est super mignon… Et puis en plus ses paroles sont plutôt rigolotes, mais là je vais te laisser regarder ça un peu plus en détail.

Fanny : Oui, en fait, là, c’est sympa à écouter après Brassens, parce que ok, bon, là on revient dans le côté un peu cliché, mais c’est du cliché qu’on entend pas forcément, un peu moins évident que « châteaux et princesses ». Là il nous parle des « rois fainéants », donc en les mettant en scène dans la chanson… Il faut savoir que l’expression des « rois fainéants », elle est apparue sous la plume d’un certain « [Éguinhard] » ou Éginhard, je sais jamais comment on dit, qui était le biographe de Charlemagne, oui on y revient…

Dam : Encore !

Fanny : Si on avait dû boire un shot à chaque fois qu’on a dit « Charlemagne », on serait totalement saouls.

Et donc c’est un biographe du temps de Charlemagne, au IXe siècle. Et en fait il désigne les rois avant lui de « rois fainéants », donc il parle des Mérovingiens, et il les dévalorise ainsi pour légitimer le fait que les Carolingiens auraient pris le pouvoir. Certains, dans « Passion Médiévistes », disent « recyclé » le pouvoir, parce que oui, en fait, on laisse pas un pouvoir tout seul, donc quand on voit que des rois ne s’occupent pas bien d’un pouvoir, eh bien, on les récupère.

Alors dans les faits, et je précise bien, selon les sources de l’époque, et si on lit un petit peu entre les lignes, effectivement à la fin de leur dynastie, c’est un peu compliqué pour les mérovingiens. Il y a eu des petits accidents généalogiques, c’est-à-dire que les rois mouraient jeunes et régnaient donc peu, en [ne] laissant pas forcément des héritiers, donc ça entraîne des problèmes de succession. Donc on nous sort des soi-disant héritiers mérovingiens d’un peu n’importe où. Il y a vraiment un moment où un mec de douze ans qui est ramené d’un monastère et hop, « ohé si, c’est un mérovingien, celui-là », je sais plus, il avait un nom vraiment bête…

Mais il faut savoir que le premier roi qui a été désigné par la suite de « fainéant », c’était Thierry III — oui alors on a eu trois Thierry rois de France, je tiens à le dire, on a même eu un Raoul roi de France —, donc ça c’est aux VIIe, VIIIe siècle… On dit que c’est un roi « fainéant » parce qu’il s’est un peu laissé gouverner par son maire du palais — donc, on l’a dit tout à l’heure, son Premier ministre — Ebroïn, qui était l’ancêtre du futur Pépin le Bref, donc du futur Charlemagne. Donc en fait, on voit là que la dynastie des Capétiens, elle s’est au fur et à mesure mise en place en parallèle des Mérovingiens. Au fur et à mesure que les Mérovingiens perdaient du pouvoir les Carolingiens prenaient du pouvoir, jusqu’à ce que les Carolingiens prennent le dessus.

Et donc on a aussi parlé des « rois fainéants » pour donc Clovis III, Childebert III, Dagobert II, Chilbéric II, Thierry IV et enfin Childéric III, voilà !

Dam : [rires] On se croirait dans le Groland.

Fanny : C’est ça. Alors que c’est des vrais noms !

Dam : [Sigismond] Ier.

Fanny : Alors ça c’est plus dans l’est.

Mais par contre, dans la chanson, à un moment il y a une phrase qui m’a fait mais mourir de rire : « Enfin bref, comme disait Pépin » [rire]

Dam : Oui ! Évidemment.

Fanny : Je suis partie de rire, j’ai envie de la caser tout le temps, maintenant, celle-là… [rires] Je pense que je vais au moins essayer de la caler beaucoup plus souvent… Voilà, mais je l’ai bien aimée, aussi celle-là, cette chanson.

On passe maintenant à une chanson sur laquelle alors moi j’ai pas grand-chose à dire mais je crois que toi, tu as plein de trucs à me dire, c’est donc « Tournent les violons », de Jean-Jacques Goldman.

[Extrait de « Tournent les violons », de Jean-Jacques Goldman]

Fanny : C’était « Tournent les violons », de Jean-Jacques Goldman. Donc on revient sur des références un petit peu générales sur le Moyen Âge. Donc là on nous parle d’une servante, voilà.

Moi, ce que j’avais vu c’est que Goldman, quand il a écrit cette chanson, il avait l’idée du thème, sur le fait des mots qui changent une vie, mais que voilà, il s’est dit « pourquoi pas le caser dans un cadre historique ». J’ai un peu l’impression que c’est plus, tu me diras, la musique qui l’a inspiré pour parler du cadre historique après. Il y a des références lointaines à l’amour courtois, donc comme on disait, là on voit bien que la femme elle est désirée mais en fait, ben finalement, on s’en occupe pas… Il y a quand même donc une tradition médiévale de la thématique de l’amour qui est vraiment très forte. Et d’ailleurs moi j’ai pensé que cette chanson a une similitude avec aussi la chanson « Le Bal de Laze », mais pour le coup, « Le Bal ds Laze » de Polnareff, en fait c’est plus l’époque moderne, donc là c’est pour ça qu’on n’en a pas parlé. D’ailleurs quand on voit le clip de Goldman c’est pas du tout médiéval, c’est plutôt des fraises et des collerettes beaucoup plus époque moderne.

J’ai pas beaucoup plus de choses à dire sur le côté historique de la chanson, mais je crois que toi tu as plein de choses à nous dire dessus…

Dam : Eh bah oui, c’est Goldman ! [rires] Goldman, il y a toujours plein de trucs à dire.

Déjà, c’est une chanson narrative, donc c’est une chanson qui raconte une histoire. Alors qu’est-ce qu’elle raconte : elle raconte l’histoire de Manon, qui est donc une servante, et qui un jour voit arriver dans le château où elle sert un lieutenant. Alors, sachant que j’ai regardé un petit peu, je crois que le grade de lieutenant ça existait pas non plus de toute manière aux moments médiévaux, donc bon a priori…

Fanny : D’ailleurs, même, j’ai regardé, Manon, pour le coup c’est plutôt un prénom qui est diffusé à partir du XVIIIe siècle. Mais bon, on voulait parler quand même de Goldman, donc on s’en fiche, on en parle quand même.

Dam : C’est pour la rime, c’est pour la rime.

Et donc Manon, elle voit arriver ce lieutenant, et la façon qu’a Goldman de décrire la scène, on voit arriver un lieutenant qui est lors différent du reste. Alors il illumine la pièce, c’est quelque chose d’extraordinaire, elle est subjuguée, et le lieutenant en fait il lui frôle la hanche et lui glisse quatre mots à l’oreille, alors les quatre mots c’est : « tu es bien jolie ». Et en fait, l’histoire, c’est qu’elle, elle va graver ça au fond de sa tête, et elle va tomber en amour pour lui, elle se fait un film toute seule en se disant qu’un jour il va revenir la chercher. En réalité, Goldman l’a dit en interview — d’ailleurs j’adore quand Goldman parle de ses chansons parce que quand on regarde la chanson, on se dit « c’est une histoire un peu tragique », et tout, mais c’est fait de façon mignonne, en plus Goldman quand il chante il n’y a pas d’humour en fait, dans sa chanson, mais lui-même il est très décalé. Et donc il explique : bah oui, en fait ce mec-là c’est juste un soldat bourré qui a une compagne dans chaque ville où il s’arrête, et là il a juste fait un petit peu de gringue à la serveuse, genre « Hey ! [claquement de langue] Tu as vu ?! » Et en fait elle, elle se met le truc toute seule dans la tête, et elle va pourrir sa vie à penser à ça à chaque instant. Et lui, à côté, ben… non. Parce que ça, il l’a dit à peu près deux cents fois dans la semaine, et voilà.

Et en fait Goldman, il a pensé à ça parce qu’un jour, il y a quelqu’un qui est venu le voir en concert et qui lui a dit « vous m’avez dit… » alors il a pas précisé ce que c’était, ce qu’il avait expliqué vraiment. Mais il avait dit apparemment plusieurs années auparavant à une personne une phrase, qui apparemment l’avait vraiment beaucoup marquée, alors encore une fois c’est parce qu’il y a une forme de dissymétrie entre Goldman, qui est une personnalité importante pour un fan, etc., et le fan qui est juste un des je sais pas combien de milliers de fans. Et en fait Goldman avait complètement oublié la conversation, ce qui est tout à fait logique, alors que l’autre non, il s’était foutu le truc dans la tête jusqu’au bout. Et en fait, lui, ce qui l’intéressait, c’était de parler du côté absurde et jusqu’au-boutiste, en fait, de cette relation qu’elle se met toute seule dans la tête.

Alors ça c’est pour les paroles, après pour la musique il y a quand même des choses intéressantes à dire.

Alors déjà ce morceau-là, il vient de l’album qui s’appelle « Chansons pour les pieds ». Alors ça peut faire marrer comme nom, mais en fait c’est pas con, c’est parce que chacun des morceaux sur l’album est fait pour illustrer une danse. Donc chaque morceau reprend des types de danse différents et ça parcourt un peu toutes les époques, il y a des chansons de blues, de rock, etc., et il y a celle-ci qui est une chanson donc qui se veut être une tarentelle. Sachant que la tarentelle c’est un style musical qui date du XVIIIe, donc ça tape à côté. Cela dit, en fait dans l’habillage sonore qu’il va utiliser, il va faire référence au Moyen Âge. Alors il a demandé — en fait il a expliqué en interview quelque chose que je trouve vraiment chouette, c’est que quand il fait ses musiques, il travaille qu’avec des gens extrêmement talentueux, des gens qui sont des requins de studio…

Fanny : Oui, tant qu’à faire.

Dam : …qui vont faire des expériences de malades, et en fait lui il se dit, « nous, il faut qu’on s’amuse ». Ce que j’aime bien chez lui, c’est ça, moi quand j’écoute Obispo ou Florent Pagny, j’ai l’impression que tout le monde s’emmerde parce qu’il y a rien d’intéressant dedans. Là c’est tout le contraire le mec se dit « on va s’amuser ». Alors il a dit à son arrangeur, qui s’appelle Erick Benzi : « la chanson doit faire médiévale, avec un passage Renaissance, et passer sur NRJ ». Donc c’est un peu un défi, et l’idée c’est que même en live, la chanson elle est jouée — alors c’était le live de la période 2001, donc vraiment à la fin de sa carrière publique — et en fait ils jouent, ils sont tous très resserrés, ils sont pas nombreux sur scène, ils devaient être cinq ou six, et ils sont tous dans un espace qui est ridicule, il sont dans quatre mètres carrés, et ils sont tout proche les uns des autres c’est super joli à regarder, Goldman est au violon. Et c’est quelque chose qui est vraiment chouette, on sent qu’il y a un truc de musiciens, à cet endroit-là, moi c’est quelque chose que j’aime beaucoup chez Goldman.

Alors en fait dans la musique, il y a aussi des trucs intéressants, c’est que la version radio doit durer quelque chose comme trois minutes. En réalité, sur le CD, déjà la chanson en fait sept. Parce qu’il y a toute une très très longue intro, en fait, qui est plutôt douce et qui veut en fait symboliser deux ambiances différentes. Le début est plutôt modeste, on a des instruments qui vont nous rapprocher du côté médiéval, alors on va avoir de la flûte par exemple, on va avoir du violon. Sachant que le violon c’est aussi un instrument qui arrive tardivement, c’est un instrument du XVIe, donc en fait c’est pas vraiment du violon qu’on utilise, c’est l’ancêtre du violon. Alors j’ai regardé c’est rigolo ça s’appelle le crouth [prononcé croute], [rires] ça s’écrit C.R.O.U.T.H. Et le truc rigolo c’est que ce nom-là, en anglais il se dit aussi « crouth », mais en fait le truc c’est que ça s’écrit qu’avec des consonnes : C.R.W.T.H. C’est un petit peu comme en latin, le « u » qui fait « ou », etc.

Fanny : C.R.W.T.H, mon Dieu.

Dam : C’est ça, le crwth. Donc il y a ce genre d’instruments, et surtout il y a l’instrument mais vraiment par excellence, si tu veux faire un truc qui fait un peu moyenâgeux tu utilises ça, ça s’appelle la vielle à roue.

Fanny : Si tu veux faire du médiéval. Attention, ne dis pas « moyenâgeux »…

Dam : Ah oui ! Alors pour moi c’est pas péjoratif, mais tu as raison, il faut faire attention. Donc un instrument qui fait vraiment médiéval, c’est la vielle à roue. Alors la vielle à roue c’est quoi ? Vous imaginez une espèce de grosse planche en bois, assez volumineuse, et en fait avec la main droite on fait tourner une manivelle, cette manivelle en fait elle fait tourner une sorte de cylindre qui est au milieu de l’instrument, sur lequel il y a plusieurs cordes qui sont tendues. Et donc en tournant c’est ce disque qui va faire frotter les cordes, en fait. Donc c’est exactement le même principe qu’un archet sur les cordes d’un violon, sauf que les cordes elles vont sonner plus ou moins en même temps, je crois, si je dis pas de bêtises, et donc ça va faire un bourdon. Et du côté de la main gauche, la main gauche passe sur l’instrument, il y a des espèces de très très grosses touches qui permettent de changer les notes. Donc c’est un instrument mais typique dès qu’on veut faire quelque chose qui sonne… médiéval…

Fanny : Oui, voilà…

Dam  :… et non pas moyenâgeux, donc on utilise la vielle à roue. Et en fait, ce qu’il y a d’intéressant dans l’instrumental, c’est que toute cette première partie elle a un côté un peu intimiste, elle a un côté surtout un petit peu populaire. Et en fait, l’idée, pour lui, c’était de signifier musicalement la différence entre les deux mondes.

Parce qu’au départ on est dans le monde de Manon, qui est donc une roturière, et de l’autre côté, quand arrive le fameux lieutenant, là on est dans le faste du château, et c’est là qu’on arrive avec un instrumental beaucoup plus élaboré, avec une superbe mélodie au violon. Moi quand j’écoute les mélodies de Goldman, je la trouve vraiment super bien foutue, c’est un vrai plaisir à écouter. Et voilà, donc c’est une chanson que je trouve vraiment chouette, à cause de ça, à cause de ce décalage entre les deux instrus, les paroles qui sont super jolies, et en même temps un peu cyniques, c’est un petit peu grinçant.

Fanny : Ah oui, oui moi ça me rend super triste à chaque fois que je l’écoute, je l’écoute pas trop à cause ça, mais oui, c’est… On a pitié pour elle, quoi… D’ailleurs dans le clip c’est encore plus manifeste, on voit le côté pas tout à fait bourré mais tu vois, vraiment… Elle en fait, l’actrice, tient un verre sur un plateau, donc lui, juste, il prend le verre et puis au passage, il lui glisse ce petit mot à l’oreille, et juste il se barre, et en fait elle, elle fait « oh », enfin tu vois qu’en fait elle l’observe de loin, et lui, elle existe déjà plus, pour lui, et ça me rend super triste pour elle…

Dam : Eh oui, c’est sur la naïveté, en fait. Mais c’est joli, mais c’est aussi parce qu’on se laisse bercer par toute l’idée de l’amour courtois, c’est presque du Madame Bovary, c’est qu’à un moment donné on lui dit juste… Elle se fait un film toute seule, parce que culturellement, c’était « un jour mon prince viendra, c’est celui-là ». Ben non, c’est juste un mec bourré qui t’a dit une petite gentillesse, comme ça, au passage.

Moi c’est vraiment une chanson que je trouve super, dans cet album-là en particulier.

Fanny : Une autre chanson sur laquelle j’ai pas grand-chose à dire mais qui est très belle c’est « Excalibur », de William Sheller.

Dam : Ah ouais, cette chanson-là, on va passer deux extraits, d’abord on va passer la version originale.

[Extrait de « Excalibur », de William Sheller]

Dam : Alors ça c’était « Excalibur » version originale, c’est-à-dire que c’est une version symphonique, avec vraiment une composition qui est incroyable. En fait, William Sheller c’est un peu un mec qu’on a oublié parce que c’est un gars tout discret. En fait il est oublié du grand public mais il a visiblement… quand il faisait encore des tournées il remplissait sans aucun problème, et franchement quand on écoute sa musique, ça se comprend.

Fanny : C’est « Déjeuner en paix » — non c’est Stephan Eicher, je confonds !

Dam : Oui, William Sheller c’est « Je cours tout seul », il y en a d’autres encore, là tu me prends un peu au dépourvu. Mais d’ailleurs, je pense à « Je cours tout seul », parce que [dedans] en fait il y a un passage mélodique qu’il réutilise, ou en tout cas il y a un type de composition qu’on retrouve entre « Je cours tout seul » [et « Excalibur »], c’est… à un moment ça fait : [Dam chantonne une ligne mélodique] — et en fait on retrouve quasiment la même ligne dans « Excalibur ». Donc, il y a ce truc-là.

C’est une chanson que je trouve vraiment divine, ça me fait vraiment dire, à chaque fois que je tombe sur un morceau de William Sheller, je me dis « Oh bordel mais qu’est-ce que c’est bien ». Je crois vraiment qu’il y a un truc à faire, faut que je me refasse la discographie de William Sheller parce que c’est un énorme trou dans mes connaissances…

Fanny : Et tu feras un épisode dessus qui durera cinq heures trente…

Dam : Ah mais, il y a de très fortes chances, parce que vraiment, à chaque fois que je suis tombé dessus je me suis dit « mais, wow ! ça a l’air d’être vraiment formidable ! ». Il avait fait un clip qui avait marqué les esprits à l’époque…

Fanny : Oui ! Il est incroyable, ce clip…

Dam : Fait par un certain Philippe Druillet. Pour donner une idée, parce qu’en audio c’est pas évident, c’est un peu comme si Fritz Lang rencontrait Jean-Pierre Jeunet. Donc en gros c’est un truc en noir et blanc, type film expressionniste allemand des années 30, et en fait à côté de ça on a des trucs robotiques. William Sheller il a un œil, c’est une espèce de truc qui permet de scanner autour de lui. Enfin on est entre du Fritz Lang et du Jean-Pierre Jeunet avec un petit côté…

Fanny : … c’est du court-métrage, en fait, ce clip, c’est vraiment un vrai court-métrage.

Dam : … Ah oui oui, c’est incroyable. Et en fait le truc rigolo c’est que c’est tellement typé que ça pourrait avoir très très mal vieilli, et en fait non, c’est pas du tout le cas, ça marche encore vachement bien.

Alors je voulais juste redire un dernier truc sur ce morceau-là : c’est qu’il existe dans une deuxième version, c’est-à-dire qu’en live c’est complètement différent, il en a fait une version rock avec des guitares électriques et tout, et ça sonne super bien. On va en mettre un petit extrait.

[Extrait de « Excalibur », de William Sheller, version live]

Fanny : Pour finir — enfin, presque finir, attention —, on va parler d’une chanson… moi ça me tenait un petit peu à cœur parce que je voulais, dans ce hors-série, un peu traiter des genres musicaux différents, et en fait le genre un petit peu parodique de Naheulband, c’est-à-dire en fait le groupe de musique qui est issu de la saga mp3 Naheulbeuk, et on va écouter un extrait de « Dix sous dans ma poche ».

[Extrait de « Dix sous dans ma poche », du Naheulband]

Dam : Alors donc ça c’était le Naheulband, avec sa chanson des dix sous dans la poche. En fait c’est une structure bretonne…

Fanny : Ouiiiii !

Dam : Alors tu as des origines bretonnes, j’ai cru comprendre.

Fanny : Mais oui ! En plus je suis contente parce que c’est cet été que j’ai vu Tri Yann en concert, donc Tri Yann, LE plus vieux groupe français encore en activité sans s’être arrêté, je crois que c’est vraiment… ils ont le record. Et en gros, Tri Yann, c’est un vieux groupe de papys, vraiment, bon ils ont quelques jeunes avec eux, mais c’est des papys, ils sautent sur scène, eh ben ils envoient du pâté, hein, les gars, parce que donc ils chantent des chansons traditionnelles bretonnes qu’ils ont remises un peu au goût [du jour], ils ont toute une mise en scène très extraordinaire, enfin je vous laisse aller voir des vidéos, mais notamment, c’est eux qui avaient popularisé « Tri Martolod » et après Nolwenn avait repris, et clairement, bah tout à l’heure on parlait de Manau, Manau s’est clairement inspiré de Tri Yann…

Dam : Ouais, ils ont pompé la mélodie, hein, de Tri Yann.

Fanny : Voilà.

Mais donc, dans cette chanson du Naheulband, on retrouve clairement ce côté, je sais pas si c’est le bon mot musicalement, mais ce côté « ritournelle », moi j’ai juste envie de prendre des gens à côté de moi et de danser, comme les danses bretonnes en fest-noz quand on danse en cercle, là, de façon très répétitive, comme si tout le monde était en transe, donc voilà.

Mais il y a aussi dans cette chanson, et dans Naheulbeuk en général, il y a l’inspiration médiévale plutôt fantasy, qu’on a pu entendre un tout petit peu tout à l’heure quand on parlait de métal, quand on parlait un petit peu de Christopher Lee, ce côté un petit peu on va dire « Tolkiennesque » de la vision du Moyen Âge. D’ailleurs je vais bientôt faire chez « Passion Médiévistes » un autre hors série spécial « Tolkien et le Moyen Âge », peut-être que vous pourrez l’écouter aussi [NdT : hors série 9], et là pour le coup on est plutôt on va dire fin Moyen Âge. Si on devait un petit peu le classer, en tout cas moi je dirais qu’on est plutôt fin Moyen Âge, parce que voilà, on est de plus en plus urbains, il y a beaucoup plus de mobilité, donc je dirais plutôt fin Moyen Âge.

Toi, musicalement, tu dis quoi du Naheulband ?

Dam : Alors en fait cette chanson-là c’est typique de ce qu’on appelle les chants à répondre. Donc en fait c’est une structure qui fait chanson bretonne, c’est donc les chansons où on a une phrase. Alors il y a un meneur et il y a des chœurs, donc le meneur donne une phrase, alors soit le chœur répond, donc il y a vraiment une réponse avec une phrase différente, ou alors elle répète simplement la même phrase. Donc là c’est ce cas de figure là, et c’est aussi non seulement un chant à répondre, mais c’est aussi ce qu’on appelle un chant à la dizaine, l’idée c’est que la structure c’est : on part de dix, on a une phrase, et on décompte, et on arrive jusqu’à un, et voilà.

Et en fait c’est quelque chose qu’on connait notamment pour la chanson qui s’appelle « la jument de Michao ». Alors c’est une chanson traditionnelle aussi, on a du mal à la dater, on la retrouve dans plein d’endroits différents, et c’est le titre breton. En fait, cette chanson-là c’est aussi « Le loup, le renard et la belette », parfois on change les animaux, on met je sais plus quoi à la place du renard, donc c’est quelque chose qu’on a l’habitude de rencontrer.

Fanny : On met un loup, c’est un loup.

Dam : Voilà. Et en fait, c’est comme tu disais Tri Yann qui l’a re-popularisée dans les années 70. Depuis elle a été reprise effectivement par Nolwenn Leroy notamment, et donc c’est un type de chanson très courant. En fait, les chansons à répondre, c’est quelque chose qu’on a réussi à dater, et qu’on retrouvait déjà en Antiquité.

Fanny : Ah oui !

Dam : En fait, l’idée, c’était de, ben comme tu disais tout à l’heure, de fédérer. Le petit ajout qu’il y a eu et qui peut donner un côté médiéval, c’est l’ajout des danses. En fait, les danses elles sont arrivées dans les chants à répondre à partir du XIIe siècle, et donc pareil, pour ce côté un petit peu groupe, fédérer, etc. Et en fait, il y a deux types de danses, tu parlais tout à l’heure — alors j’ai découvert que ces danses avaient des noms — donc en fait on fait effectivement une ronde, on tourne, alors j’ai compris qu’il fallait tourner vers la gauche, c’est très important…

Fanny : Il y a plein plein de danses différentes, c’est assez impressionnant.

Dam : Donc on tourne vers la gauche, on se tient par les petits doigts, on fait des six et des neuf, et on avance et on recule. En gros, c’est à peu près le squelette de toutes ces danses-là.

Fanny : Parfois, il y a une grosse serpentine, aussi, où tu as un meneur qui fait en sorte qu’on ne se croise pas et que ça ne fasse pas un gros nœud à la fin.

Dam : Oui, aussi, c’est super rigolo, j’en ai fait plein, quand j’étais petit, c’est trop bien.

Et donc en fait, ces choses-là, on appelle ça soit un rond de Saint-Vincent, soit un rond paludier, c’est selon la zone géographique, il y a des petites différences entre l’un et l’autre, et voilà, c’est comme ça que ça s’appelle.

Alors en fait, toutes ces pratiques-là, j’ai appris qu’elles étaient inscrites au patrimoine immatériel français, donc c’est vraiment quelque chose qui est reconnu comme étant quelque chose qu’il faut garder, alors sachant qu’en fait on les retrouve aujourd’hui dans les fest-noz. L’idée du fest-noz, c’est de perpétuer des traditions qui se perdent à cause de, simplement de la modernité, puisqu’en fait les réunions de village, ça avait encore fortement cours au début du XXe siècle, et à partir des années 30, en fait, ça s’est fait de moins en moins. Donc dans les années 50, 60, 70, on a commencé à instituer des fest-noz, dont l’idée est vraiment de se réunir, pour faire des danses traditionnelles. Et en fait c’est pas tant les danses traditionnelles qui comptent même si c’est le ciment, en fait.

Fanny : C’est le cidre !

Dam : Ouais. [rires] C’est surtout l’idée de se retrouver ensemble, et donc ces danses-là sont une des façons de communier, en fait, d’une certaine manière.

Cette chanson, donc, en fait je me suis rendu compte, parce que j’écoutais la chanson, je me disais « ouais, ok, c’est rigolo », alors le truc qui fait que c’est le Naheulband, c’est parce qu’à la fin on fait référence au nain, mais en réalité je me suis rendu compte en cherchant un petit peu sur Deezer, c’est une chanson traditionnelle.

Fanny : Aah !

Dam : C’est une chanson qui existe déjà, et qui a été faite par d’autres groupes, et je propose qu’on en passe une version plus classique.

[Extrait d’une autre version de « Dix sous dans ma poche »]

Fanny : Et pour finir, on va écouter une chanson que… bon allez, soyons clairs : j’ai pas eu le temps de la préparer, donc je vais un peu la découvrir en même temps que vous, les auditeurs.

Dam : Elle est cool !

Fanny : Ah ! Donc « C’est la fête médiévale », du groupe Les Fatals Picards.

[Extrait de « C’est la fête médiévale », des Fatals Picards]

Dam : Alors c’était donc les Fatals Picards, avec le morceau « [C’est] la fête médiévale », un espèce de gros n’importe quoi, mais super référencé. Alors, tu me diras si je me trompe, mais en fait j’ai l’impression que c’est peut-être ceux qui se plantent le moins, en tous cas sur certaines références. J’avais noté, alors, ils parlent des Vikings. Ah non, les Vikings, c’est IXe ?

Fanny : Oui, Vikings c’est plus IXe…

Dam : Donc ça va, c’est correct, on est dans les bonnes dates.

Fanny : Oui, d’ailleurs on dit « Viking » mais en fait on peut plus parler de « l’invasion normande ». Mais vas-y, continue.

Dam : Ensuite ils parlent des croisés, les croisades, ça c’est pas mal, c’est bien.

Fanny : Oui, on coche.

Dam : Ils parlent de certaines maladies : la lèpre, la gale.

Fanny : Oui, bah…

Dam : Après, la gale, on en trouve encore aujourd’hui.

Fanny : C’est ça, mais effectivement, c’est malheureusement un peu affilié au Moyen Âge.

Dam : Et puis, derrière, on parle de la torture, c’est vrai qu’on n’a pas parlé trop de la torture.

Fanny : Oui…

Dam : Et notamment ils évoquent la fameuse « vierge de fer ». Alors la « vierge de fer » c’est ce fameux instrument de torture que tout le monde connait, alors notamment à cause de Iron Maiden, le groupe de heavy metal : « Iron Maiden » veut dire « vierge de fer ». La « vierge de fer » pour celles et ceux qui ne connaitraient pas, c’est donc une sorte de sarcophage dans lequel il y a des épines. Et en fait ce truc-là, visiblement, il n’y a pas du tout de trace d’utilisation, c’est une espèce de truc qu’aujourd’hui on attribue comme étant une sorte de moyen de torture, mais en fait ça n’a jamais été utilisé, donc c’est quelque chose plutôt, bon ben voilà, c’est du folklore, en fait.

Fanny : Alors j’avoue que je ne sais pas exactement, donc je vais pas m’avancer, peut-être qu’on fera un petit rectificatif après.

Mais en fait, dans cette chanson, j’ai bien aimé parce que — alors j’ai pas fait beaucoup de fêtes médiévales, d’ailleurs faudrait que j’en fasse un petit peu plus pour voir un peu, mais j’étais allée notamment à la fête médiévale d’Andilly, donc c’est à côté d’Annecy, c’est une grande grande grande fête médiévale, vraiment, sur plusieurs hectares, dans une forêt, et tout ça, et en écoutant la chanson, j’avais l’impression d’y être, totalement. Parce que voilà, tous les stands, toutes les présentations des métiers, sur le côté reconstitution, sur vraiment, alors pour le coup comme tu disais, il y avait à la fois les Vikings, les croisés, ok on est au Moyen Âge, mais alors…

Dam : C’est mille ans, quand même, hein.

Fanny : C’est mille ans, donc c’est un gros gloubiboulga, et on voit bien, en fait, là aujourd’hui… Alors de nos jours, au XXIe siècle, le Moyen Âge est beaucoup présent dans ce genre d’évènements, on appelle ça le « médiévalisme ». Donc c’est en quelque sorte — et je résume — de comment on s’approprie aujourd’hui toutes ces traditions médiévales, notamment dans des films, ou dans des évènements, avec notamment tout le boulot — qui est plus ou moins bien fait mais souvent c’est pas mal – des reconstituteurs. Je fais notamment un petit bisou à l’association des Bâtisseurs médiévaux, dont j’avais reçu déjà un membre l’année dernière dans un épisode sur les idées reçues sur le Moyen Âge [NdT : hors série 6], donc de montrer comment on construisait à l’époque médiévale. Mais ben écoute, la chanson donne pas mal d’éléments, et ouais j’aime bien entendre tous les noms de métiers, c’est assez agréable.

Dam : Sachant que, alors j’avais des amis qui étaient dans des associations qui étaient un petit peu dans le même esprit mais qui étaient, eux, sur l’Antiquité, et en fait il y a toute une partie dans l’univers de toutes les personnes qui font des recherches sur l’histoire qui se développe beaucoup ces dernières années, qui est celle de faire de l’histoire en éprouvant les objets, c’est-à-dire…

Fanny : C’est expérimental, c’est notamment l’archéologie expérimentale, ce genre de choses, et de reconstitution, effectivement.

Dam : Ouais, et donc l’avantage en fait de ces évènements-là, c’est aussi qu’à certains moments, ben par exemple quand on fait du béhourd, là, des combats où on se rentre dans le lard, ça permet aussi de comprendre, « est-ce que, tiens, ce type d’armement était utilisé réellement, ou est-ce que c’était de l’ornement, est-ce que c’est vraiment maniable, tous ces trucs-là ». Parce que les gens n’étaient pas non plus des gros débiles, ils allaient pas juste se foutre sur la gueule avec des trucs qui pesaient vingt-cinq kilos juste parce que c’était beau et tout ça. Et donc du coup en fait l’intérêt de ce genre de démarche, ce qu’il y a d’intéressant c’est de se confronter entre le fantasme qu’on pourrait avoir et la réalité, le fait de pouvoir véritablement fabriquer ou manipuler ces objets.

Fanny : Oui. Ben écoute, cette chanson, pourquoi pas. Niveau musical, tu as quelque chose à dire dessus ?

Dam : Alors d’abord, j’adore les Fatals Picards, ils me font beaucoup marrer.

Fanny : Moi aussi j’aime beaucoup.

Dam : Et en plus de ça ils arrivent à faire vraiment de la chouette musique, quoi, ils ont des morceaux qui sont drôles et en même temps super bien. Je recommande l’album « Pamplemousse mécanique » qui est formidable.

Fanny : Oui !

Dam : Alors il y a des petits trucs qui m’ont fait marrer, par exemple de faire rimer « cheval » avec « médiévale » en faisant une erreur de pluriel parce qu’il faut que ça rime, ça marche bien, c’est un peu enfantin et c’est rigolo. Parler d’un groupe qui s’appellerait « System of Inquisition » pour parler de « System of a Down » je trouve que c’est toujours rigolo, et en fait musicalement bah comment on fait, encore une fois, si on veut évoquer le Moyen Âge ? Ben on va faire un truc tout con : on va prendre une flûte à bec et on va mettre une guitare acoustique, bim !

Et là on a une guitare classique plus ça, et en deux secondes on se retrouve avec un esprit médiéval. En fait c’est tout le principe de la musique folk dont je parlais tout à l’heure. Vous voulez faire une caricature de musique qui voudrait s’ancrer dans la période médiévale, prenez une guitare classique, vous faites un accord majeur, un accord mineur, c’est très joli, et derrière vous mettez de la flûte à bec, et en quelques secondes ça marche.

Alors j’en parlerai tout à l’heure parce qu’en conclusion de cet épisode je mettrai un extrait — enfin je mettrai pas un extrait, je vais mettre le morceau entier — qui vient des Cool Cavemen, qui est l’ancien groupe dans lequel j’officiais avec Tom — mon comparse de podcast, hein, puisqu’on a des auditeurs de « Passion Médiévistes » et « Passion Modernistes » aujourd’hui —, et en fait ce morceau-là c’est un morceau qui est une caricature de musique médiévale aussi et quelle est LA petite particularité un petit peu caricaturale qui est utilisée pour faire cette évocation de la période ? Eh ben la guitare acoustique plus la flûte à bec ! Parce que voilà, ça marche tout seul…

Fanny : Moi j’aime bien le côté foutraque des Fatals Picard. C’est que, tu vois, ils font plein de styles différents, tu disais tout à l’heure dans « Pamplemousse mécanique », ils font du reggae, et à un moment… En fait, tu sais que tu es chez les Fatals Picards, mais hop, ils se promènent dans différents styles musicaux.

Effectivement, finir avec eux je trouve que… [rire] On est partis de France Gall et on finit avec les Fatals Picards, je trouve que c’est une bonne boucle.

Dam : Ça marche bien.

Fanny : Si tu dois retenir une des chansons parmi tout ce qu’on a fait, c’était quoi ta préférée ?

Dam : Goldman ! [rires] Non, alors j’aurais vraiment un gros cas de conscience. Goldman c’est parce que je la connais très bien et je trouve qu’elle est vraiment super bien foutue. En réalité le gros coup de foudre, là sur la sélection, c’était William Sheller. Quand j’ai entendu William Sheller j’ai trouvé ça vraiment extraordinaire, si j’avais découvert les deux en même temps j’aurais été très emmerdé. Là c’est l’attrait de la nouveauté.

Fanny : Moi je pense que c’est celle de monsieur Brassens. Vraiment, ça m’a donné envie, là je pense que sur le trajet retour je vais aller me réécouter du Brassens et peut-être écouter, voilà, toutes ses chansons où il a mis en chanson François Villon, le poète du Moyen Âge.

Bon, Dam ! … Hé, déjà, encore félicitations pour le prix que tu as gagné au Podcast Festival en 2019 !

Dam : Merci ! Ça veut dire que le podcast, il est bien. Vous pouvez l’écouter.

Fanny : Et en plus je tiens à dire qu’on avait prévu ce hors-série avant que tu gagnes le prix, hein.

Dam : C’est vrai.

Fanny : Parce que c’est pas de l’opportunisme de ma part, de dire « tiens, vu que tu as gagné, viens on fait un hors-série » : on l’avait prévu bien avant.

Donc, Dam, on te retrouve dans le podcast « Écoute ça », où tu parles de, donc, un peu comme ce que tu as fait [ici] mais en version vachement plus détaillée, de nous parler de chansons, de leurs paroles, de leur musique, de leur histoire, de leur style musical, vraiment de façon hyper détaillée. De toute façon j’apprends tout le temps des choses avec ton podcast, donc voilà, on te retrouve sur toutes les applications de podcasts et sur les réseaux sociaux, j’imagine.

Dam : Ouais, c’est ça, alors sachant que pour les réseaux sociaux, si vous voulez nous suivre, le plus simple c’est Twitter, @ecoute_ca [il l’épelle], c’est là que je publie le plus régulièrement effectivement. Bah dans l’épisode tu as tout dit hein, on essaie de décortiquer, de casser un petit peu tous les… de donner du sens, en fait, à la composition, d’expliquer comment est-ce qu’on fait pour évoquer certaines… pour donner aux auditeurs et aux auditrices certaines impressions.

Et toi de ton côté donc, c’est, pour mes auditeurs et auditrices, ton podcast — enfin, tes podcasts, pardon —, on a Passion Médiévistes et Passion Modernistes, qui est un format plus récent.

Fanny : Effectivement, et à chaque fois, « Médiévistes » avec un s et « Modernistes » avec un s, parce que j’interviewe des gens, donc j’ai la passion pour les médiévistes et les modernistes.

Et vous pouvez tout retrouver sur passionmedievistes.fr, et sur les réseaux sociaux, par exemple si vous cherchez peut-être que sur Instagram vous trouverez des stories de cet enregistrement, voilà, j’aime bien prendre des petites photos des coulisses et tout ça.

Dam : J’étais pas au courant, j’ai rien vu !

Fanny : Haha, tu vas voir… [rires]

Et encore merci, Dam, c’était un chouette moment. On remercie encore Pomme de nous avoir prêté son appartement à Lille, pour qu’on puisse se rencontrer, entre Valenciennes et Paris on a trouvé Lille, et Pomme qui nous a prêté son appartement, et son chat qui était dans le coin donc on a eu un chouette petit public.

Dam : Ouais, merci beaucoup, Pomme, c’est très très cool.

Fanny : Au revoir, Dam !

Dam : Salut Fanny !

Fanny : Au revoir les auditeurs et à très bientôt pour un prochain épisode de « Écoute ça » ou de « Passion Médiévistes » !

Dam : À très bientôt, salut… On va se quitter avec un morceau qui s’appelle « Killian & Kevin », qui est un morceau des Cool Cavemen, donc comme je disais tout à l’heure, mon ancien groupe avec Tom, et qui est une espèce de parodie de chanson médiévale qui raconte la quête de deux chevaliers. C’est un poil grivois, je vous laisse découvrir, c’est d’une finesse hors du commun.

Fanny : Salut.

Dam : Salut.

[« Killian & Kevin », des Cool Cavemen]

Merci beaucoup à Lau et à So pour la retranscription !