Épisode 92 – Léa et la croisade contre les Albigeois
Qui était Foulques de Toulouse et quel rôle a-t-il joué pendant la croisade lancée contre les Albigeois, au XIIIème siècle ?
Doctorante en histoire médiévale à l’Université Paul-Valéry Montpellier 3, Léa David est l’invitée de l’épisode 92 de Passion Médiévistes. Elle rédige une thèse intitulée « L’archevêque et les évêques de la province ecclésiastique de Narbonne sur l’échiquier politique du Midi entre 1198 et 1271″, sous la direction de Thomas Granier et d’Alessia Trivelone.
Dans cet épisode, elle revient avec vous sur les recherches qu’elle a menées à bien dans le cadre de son mémoire de master, sur le sujet « Foulques de Toulouse (1155-1231). L’exemple de l’affirmation du pouvoir épiscopal dans le Midi au XIIIe siècle« . Au cours de ses recherches en archives, elle a fait la lumière sur ce personnage important et étudié le rôle central qu’il a joué pendant la croisade contre les Albigeois, au début du XIIIème siècle.
A noter que cet épisode a été enregistré en public en novembre 2023 à Montpellier au bar à jeux Les Castors, merci beaucoup à eux pour le bel accueil !
Folquet de Marseille vs Foulques de Toulouse
“On ne savait pas grand-chose sur ce bon vieux Foulques. [Mener ces recherches] c’était une véritable enquête policière !” – Léa David.
Léa David commence par vous expliquer pourquoi ce personnage est nommé sous deux identités différentes. D’abord connu sous le nom de Folquet de Marseille, Foulque est né dans la cité phocéenne où il exerce son premier métier de troubadour. Il compose des chansons pour de puissants seigneurs de son époque, notamment Richard Cœur de Lion. Chantant l’amour ou la croisade en Orient, il reproche souvent aux seigneurs occidentaux leur manque d’engagement en Terre Sainte.
À la mort de ses protecteurs pour lesquels il composait ses chansons, Folquet de Marseille se rend à l’Abbaye cistercienne du Thoronet, en Provence : nous sommes en 1195. Léa David vous confie qu’en raison de l’absence de sources, on dispose de très peu d’informations sur la vie de Folquet de Marseille une fois qu’il entre au monastère. En 1205, il est élu évêque de Toulouse et devient alors connu sous le nom de Foulques de Toulouse. En tant qu’évêque, il occupe d’ailleurs une position importante au sein de l’Église puisqu’il ne joue pas seulement un rôle religieux, mais aussi un rôle politique.
Dans le cadre de la croisade contre les Albigeois, et alors même qu’il est évêque de Toulouse, Foulques de Toulouse se range du côté des Croisés. Léa David insiste sur le fait qu’à l’époque, aucun des membres de l’Église ne prend parti pour les Albigeois. Il est très proche de Simon IV de Montfort, dont il est le conseiller. Par ailleurs, pendant son épiscopat, Foulques de Toulouse met notamment en place les premières condamnations pour hérésie. À la fin du conflit, en 1229, il crée également les premières procédures inquisitoires – ancêtres de l’Inquisition, officialisée en 1233 par le pape Grégoire IX – dont il est le juge.
Léa David conclut avec la mort de Foulques de Toulouse. Il avait quitté son diocèse de Toulouse en 1211 pour rejoindre l’armée Croisée et a donc passé la majorité de son épiscopat en exil. C’est d’ailleurs en exil qu’il meurt, au château de Verfeil, dans la région de Toulouse, en 1231.
La croisade contre les Albigeois en est-elle une ?
“Dans les sources que j’ai étudiées […] on parle d’hérétiques, de parfaits et de bonshommes, mais à aucun moment, on utilise le terme Cathare.” – Léa David.
Pour vous aider à y voir plus clair, Léa David fait la distinction entre les termes Cathares et Albigeois, souvent employés dans le cadre de cet épisode de l’Histoire de France. À l’origine, et cela, dès 1163, les sources désignent les Cathares comme les hérétiques présents dans la région rhénane. Or, lorsqu’il est question de la croisade dans le Midi de la France, ce même terme n’est pas repris et n’apparait jamais en tant que tel dans les sources que Léa David a étudiées. Quant au terme d’Albigeois, il semble faire référence à la région du même nom, située dans l’actuel département du Tarn. C’est donc bien sous le nom d’Albigeois que l’on désigne ces hérétiques dans les sources médiévales sur le sujet.
En ce qui concerne le terme de croisade, vous pourriez vous demander s’il est approprié dans ce contexte puisque la première définition du Larousse est très précise. Elle parle de l’ensemble des “expéditions militaires entreprises du XIe au XIIIe s. par les chrétiens d’Occident à l’instigation de la papauté qui leur fixa pour but la délivrance des Lieux saints occupés par les musulmans.” Cependant, la deuxième définition est plus générale et indique qu’il peut aussi s’agir d’une “expédition militaire menée avec un dessein religieux.” Et à Léa David de compléter en vous précisant qu’en effet, le pape promet les mêmes indulgences aux participants de la croisade contre les Albigeois que celles promises aux Croisés partis en Orient. Le terme de croisade est donc tout indiqué dans ce contexte-ci.
Le contexte de la croisade contre les Albigeois
“L’accusation d’hérésie est très souvent politique.” – Léa David.
Pour vous permettre de bien vous représenter la période, Léa David revient également sur le contexte historique entre la fin du XIIème siècle et le début du XIIIème. À cette époque, cette région du royaume de France est très indépendante. Elle est aux mains des puissants seigneurs en présence – le comte de Toulouse, celui de Foix, ainsi que le roi d’Aragon ; et d’évêques, tout aussi indépendants vis-à-vis du pape.
C’est l’assassinat du légat pontifical, Pierre de Castelnau, qui met le feu aux poudres et donne au pape Innocent III un excellent prétexte pour lancer une croisade dans la région, au printemps 1209. Léa David vous explique par ailleurs que c’était, entre autres, parce qu’ils refusaient les sacrements, avaient leurs propres églises, s’habillaient en noir ou encore qu’ils ne mangeaient pas de viande, que les Albigeois étaient considérés comme hérétiques.
“À [lire] les chroniqueurs, le Midi est gangréné [par les hérétiques]. Il y en a partout ! Mais dans les faits, on n’en sait rien, il n’y a pas de sources.” – Léa David.
Chronologiquement, comme vous le raconte Léa David, la croisade contre les Albigeois commence avec l’offensive et la prise de Béziers, en juillet 1209. C’est la première phase de cette croisade, marquée par l’avancée de l’armée croisée. Les barons du nord se rassemblent sous l’autorité du légat du pape, Arnaud Amaury. Ils sont opposés aux Toulousains, alliés notamment au roi d’Aragon.
En 1211, les Croisés, avec à leur tête Simon IV de Montfort, se dirigent ensuite vers Toulouse où les sièges – et les échecs – se succèdent, comme les énumèrent Léa David. C’est la deuxième phase de la croisade contre les Albigeois. Avec la mort de Simon de Montfort en 1218, lors du troisième siège de Toulouse, son fils, Amaury VI de Montfort, reprend le commandement des troupes, mais avec moins de succès que son père.
Commence ainsi la troisième phase de ce conflit au cours de laquelle les armées toulousaines reprennent l’avantage. Cet épisode est également marqué par l’entrée du roi de France dans le conflit – Philippe Auguste, d’abord, et à sa mort en 1223, son successeur, Louis VIII. Cet évènement redonne un second souffle aux Croisés qui poursuivent l’offensive. Léa David vous précise que ces derniers multiplient les exactions au fil des batailles. Finalement, la signature du traité de Meaux-Paris, en 1229, met fin à la croisade contre les Albigeois.
Dans cet épisode, vous avez pu entendre les références suivantes :
- Histoire et Doctrine de la Secte des Cathares ou Albigeois, ouvrage publié en 1849 dans lequel l’auteur, Charles Schmidt, parle pour la première fois des Cathares.
- Pierre des Vaux de Cernay, (1218), Historia Albigensium ou Historia Albigensis, chronique sur la croisade contre les Albigeois.
- Arnaud Amaury, légat du pape Innocent III, et sa fameuse citation : “Tuez-les tous car Dieu reconnaîtra les siens.”
Pour en savoir plus sur le sujet de l’épisode, on vous conseille de consulter :
A écouter :
- Hérétiques ! L’invention des « cathares » – Le Cours de l’Histoire (France Culture, septembre 2023)
Article personnel :
-
David Léa, « Folquet de Marseille ou Foulques de Toulouse ? La mémoire d’un troubadour devenu évêque à travers ses représentations », in BUCEMA, 27.1, juillet 2023, [en ligne] (URL : https://journals.openedition.org/cem/20008).
Généralités (hérésie, croisade, contexte) :
- Bériou Nicole, Hodel Bernard, Saint Dominique de l’ordre des frères prêcheurs, Paris, Cerf, 2019.
- Biget Jean-Louis, Hérésie et inquisition dans le Midi de la France, Paris, Picard, 2007.
- Biget Jean-Louis, « Le Midi hérétique. Construction d’une image (vers 1140-1209) », in Religions & Histoire, 46, 2012, p. 3-7.
- Biget Jean-Louis, Théry Julien, Église, dissidences et société dans l’Occitanie médiévale, Lyon, CIHAM Éditions, 2020.
- Théry Julien, « Le triomphe de la théocratie pontificale du IIIe concile du Latran au pontificat de Boniface VIII (1179-1303) », in Cevins Marie-Madeleine (de), Matz Jean-Michel (dir.), Structures et dynamiques religieuses dans les sociétés de l’Occident latin (1179-1449), Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2010, p. 17-31.
Sur les évêques :
- Alvira Cabrer Martin, « Le “vénérable” Arnaud Amaury : image et réalité d’un cistercien entre deux croisades », in Heresis, 32, 2001, p. 3-35.
- Biget Jean-Louis, « Quelques remarques à propos des seigneurs de Rabastens, et plus particulièrement de Raimond, évêque de Toulouse », in Écho de Rabastens, 201, 1998, p. 35- 46.
- Cabau Patrice, « Foulque, marchand et troubadour de Marseille, moine et abbé du Thoronet, évêque de Toulouse (v. 1155/1160-25.12.1231) », in Cahiers de Fanjeaux, 21, 1986, p. 151-179.
- Dossat Yves, « La répression de l’hérésie par les évêques », in Cahiers de Fanjeaux, 6, 1971, p. 217-251.
- Hodel Bernard, « Dominique de Caleruega, Diègue d’Osma, Foulque de Toulouse. Quels liens entre eux au service d’une même institution ? », in Cahiers de Fanjeaux, 55, 2020, p. 285-297.
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Merci à Clément Nouguier qui a réalisé le générique du podcast, à Baptiste Mossiere pour le montage de l’épisode et à Alizée Rodriguez pour la rédaction de l’article !