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Épisode 35 – Pol et le chocolat (Passion Modernistes)

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Épisode 35 - Pol et le chocolat (Passion Modernistes)
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Quels liens existaient entre la ville de Nantes et le commerce du chocolat ?

Dans cet épisode du podcast Passion Modernistes, Pol Quintin vous présente son mémoire de recherches sur le sujet Le cacao et le chocolat à Nantes dans la deuxième moitié du XVIIIème : importation et distribution. rl l’a rédigé sous la direction de Bernard Michon et soutenu en 2020, dans le cadre de son master Histoire Civilisations Patrimoine, à l’Université de Nantes.

Au cœur des échanges portuaires dans la ville de Nantes au XVIIIème siècle, au détour de multiples allers-retours entre le Nouveau Monde et l’estuaire de la Loire, plongez dans l’histoire du chocolat sans prendre un gramme !

L’histoire du cacao  et du chocolat aux Amériques

Représentation du cacao par Maria Sibylla Merian (1647-1717), dans l’ouvrage Metamorphosis insectorum surinamensium paru en 1705
Représentation du cacao par Maria Sibylla Merian (1647-1717), dans l’ouvrage Metamorphosis insectorum surinamensium paru en 1705

“ […] le temps, le hasard et les expériences ont conduit à la consommation des fèves de cacao, vers -1000 avant notre ère.” — Pol Quintin

Le chocolat, c’est d’abord et avant tout, du cacao. Comme beaucoup de produits exotiques, à l’instar du sucre, du café ou du tabac, il est importé en France depuis les Antilles. De fait, depuis le début du XVIIème siècle, le pays a colonisé plusieurs territoires situés de l’autre côté de l’Atlantique. Saint-Christophe, la Martinique et la Guadeloupe, mais aussi l’île d’Hispaniola, disputée à l’Espagne avant d’être rebaptisée Saint-Domingue et que l’on connait aujourd’hui sous le nom d’Haïti, alimentaient les échanges maritimes avec le Vieux Continent par l’intermédiaire de navires marchands.

Comme la pomme de terre, la tomate ou encore le tabac, la plante qui sert à fabriquer le chocolat est originaire des Amériques. Le cacaoyer est donc un arbre tropical qui, à l’époque moderne, ne pousse que sous les tropiques, proche de l’équateur. On le retrouve dans les régions tropicales d’Amérique centrale et d’Amérique du Sud, en outre, au Mexique ou aux Antilles. Il pousse à l’ombre des autres arbres. En plus de ses grandes feuilles vertes, il produit de petites fleurs blanches qui poussent directement sur son tronc et dont la taille est semblable à celle des fleurs de jasmin. C’est cette toute petite fleur qui donne le fruit, la cabosse de cacao, que l’on compare facilement aujourd’hui à un ballon de rugby, mais qui, au XVIIIème siècle, était davantage assimilée à un concombre.

Le mot cacao provient de la langue olmèque. Ce peuple autochtone du même nom serait le premier du continent américain à avoir consommé des graines de cacao, vers -1000 avant notre ère. Le terme aurait ensuite été diffusé à l’ensemble des peuples autochtones, notamment les Aztèques. Pour ces peuples, l’intérêt premier du cacao réside dans la consommation, non pas des fèves, mais du mucilage. Il s’agit de cette pulpe blanchâtre, très sucrée, dont le goût de citron vert est très désaltérant. Puis, le le temps, le hasard et les expériences ont finalement conduit à la consommation des fèves de cacao sous la forme d’une boisson — le chocolat — mais beaucoup plus tard, vers -1000 avant notre ère, donc.

Depuis les origines, les premières transformations de base sont les mêmes. La cabosse est fendue en deux et la pulpe, ainsi que les fèves, sont d’abord exposées à l’air libre : c’est l’étape de la fermentation. Cette première fermentation est ensuite stoppée. La pulpe ainsi fermentée, toujours avec les fèves, est exposée au soleil pour y être séchée. Les fèves sont ensuite récupérées et torréfiées avant d’être broyées. Le broyage des fèves de cacao fait alors ressortir du gras, le fameux beurre de cacao. Des épices, éventuellement du miel et plus tard, du sucre, sont ensuite ajoutés à cette pâte de fèves de cacao avant de la diluer dans de l’eau chaude.

“Quand l’Argent Poussait sur les Arbres : une Étude du Cacao” — ‘When Money Grew on Trees: a Study of Cocoa’, titre de l’ouvrage de Renée Millon, historien américain (Columbia University., 1955)

Le cacao des Amériques à l’Europe

Illustrations de Le Bon Usage du thé, du caffé et du chocolat de Nicolas de Blégny, 1687
Illustrations de Le Bon Usage du thé, du caffé et du chocolat de Nicolas de Blégny, 1687

Le cacao est un produit d’importance pour les populations autochtones au fil des siècles. Le chocolat est d’ailleurs communément surnommé la boisson des dieux. C’est une boisson prestigieuse, par conséquent, elle est réservée à l’élite, car les fèves sont assez rares et servent aussi de monnaie. Elle a une valeur symbolique dans les rituels de présentation des peuples autochtones du Nouveau Monde, mais aussi une haute valeur diplomatique. Ainsi, les Conquistadors, qui ont été les premiers européens sur le continent, ont découvert cette boisson dès leur arrivée. Ils y ont été directement exposés, forcés de la boire et l’auraient trouvé très mauvaise. Sans doute la boisson préparée pas les autochtones était-elle très amère puisqu’elle n’était pas sucrée. S’ils utilisaient du miel, le sucre leur était alors inconnu étant donné que la canne à sucre est un produit originaire d’Asie.

Si les Conquistadors sont les premiers à boire du chocolat, Christophe Colon — pourtant le premier à avoir découvert ces nouveaux territoires outre-atlantiques — lui, n’a pas décrit en avoir bu. Hernan Cortès, l’un des plus célèbres Conquistadors espagnols, celui qui conquit le Mexique pour la Couronne d’Espagne, est le premier à décrire et à rapporter des fèves de cacao sur la péninsule ibérique au début du XVIème siècle. Nous sommes alors en 1520.

“ [Si les Espagnols ont d’abord détesté le chocolat], leurs goûts se sont américanisés.” — Pol Quintin

À mesure que les Espagnols s’installent dans les colonies qu’ils conquièrent, ils commencent à boire du chocolat et en rapportent en Espagne. Ce sont ces échanges qui, progressivement, font découvrir et adopter le chocolat à la cour espagnole. Selon l’historienne américaine Martine Horton, si les Espagnols ont détesté l’amertume du chocolat, leurs goûts ont évolué au fil de leurs installations sur place : ils se sont ainsi habitués aux goûts “locaux”. Ils les ont ensuite diffusés petit à petit, en Espagne d’abord, puis dans le reste de l’Europe. Par conséquent, les Conquistadors et les Espagnols installés sur place jouent un rôle important dans l’évolution du cacao en Europe. Mais les ordres monastiques prennent aussi part au processus. Les moines partent en Amérique évangéliser les populations locales, circulent entre les deux continents de chaque côté de l’Atlantique et rapportent du chocolat en Europe.

En France, c’est par les ports que transite le cacao en provenance du Nouveau Monde. Bordeaux, Marseille, Nantes, Le Havre et dans une moindre mesure, La Rochelle et Bayonne, sont les principaux ports en contact avec l’Amérique. Ils sont les plus propices aux échanges du cacao. Cependant, aucun port français n’est vraiment spécialisé dans le cacao. Seuls les échanges commerciaux se multiplient, à une époque où de plus en plus de denrées proviennent des Amériques. Voilà pourquoi on trouve de plus en plus de trace d’importation du cacao dans les registres de marchandises.

En outre, selon la loi, on ne peut importer du Nouveau Monde que des denrées produites dans les colonies françaises. Or, il arrive que du cacao soit, dans un premier temps, importé d’Amérique du Sud depuis des territoires non colonisés par la France. Il transite ensuite par les Antilles où l’on change le tampon d’importation avant de l’exporter en France — “ni vu, ni connu”.

Nantes à l’époque moderne

Portrait de l’épouse du négociant et armateur Dominique Deurbroucq, Marguerite Deurbroucq née Sengstack par le peintre dijonnais Pierre-Bernard Morlot (1753) © Château des ducs de Bretagne – Musée d’histoire de Nantes
Portrait de l’épouse du négociant et armateur Dominique Deurbroucq, Marguerite Deurbroucq née Sengstack par le peintre dijonnais Pierre-Bernard Morlot (1753) © Château des ducs de Bretagne – Musée d’histoire de Nantes

Dès le début du XVIIIème siècle, l’économie de Nantes est en pleine expansion. Les échanges maritimes se développent dans le port, située dans l’estuaire de la Loire, plus particulièrement autour de la traite des esclaves qui y transitent dans leur périple imposé entre l’Afrique et le continent américain. Ce commerce contribue grandement à l’enrichissement de la ville. Pour preuve, tout au long du XVIIIème siècle, Nantes voit sa population doubler, passant de 40 000 à 80 000 habitants.

Le territoire urbain s’étend, avec la création de nouveaux quartiers que construisent, et dans lesquels s’installent — notamment sur l’Île Feydeau — une nouvelle catégorie de population : les négociants. Ces derniers arment des navires marchands à destination des Antilles et du continent américain, ou en provenance d’Afrique. Les négociants ne font pas du cacao leur principale source de revenu puisqu’ils ne se spécialisent pas dans un seul domaine d’importation. La plupart des négociants s’intéressent d’ailleurs plutôt au sucre, au tabac ou aux esclaves. Néanmoins, certaines familles s’enrichissent en partie grâce à ce produit et choisissent d’en importer davantage parce qu’il est moins présent à Nantes.

En effet, les négociants ne se spécialisent pas dans le commerce d’un seul produit. Leurs navires sont destinés aux échanges commerciaux, quelles qu’en soient les marchandises. Ils exportent des esclaves et importent ainsi toutes sortes de denrées : du sucre, du tabac ou encore du café, et dans une moindre mesure du cacao. Aussi, le cacao équivaut seulement à une infime partie des importations, comparé au sucre, qui est la principale denrée exploitée. Pour preuve, en 1788, 53 millions de livres de cet or blanc arrivent dans le port de Nantes, contre 320 000 livres de cacao seulement.

Enfin, même si la ville de Nantes prospère grâce aux échanges maritimes favorisés par sa situation géographique, plusieurs bouleversements freinent son expansion. La seconde moitié du XVIIIème siècle est en effet marquée par deux changements de rois et de multiples conflits. Ces bouleversements politiques ont des répercussions sur les importations de produits exotiques, mais également sur l’échange des esclaves.

Les usages du chocolat en Europe à l’époque moderne

Représentation d’un atelier de chocolatier dans DEMACHY, L’Art du distillateur liquoriste, 1775
Représentation d’un atelier de chocolatier dans DEMACHY, L’Art du distillateur liquoriste, 1775

“C’est l’Espagne qui, tout au long de l’époque moderne, reste [le pays] le plus grand fan de chocolat ; [comme c’est davantage le cas pour] le thé au Royaume-Uni et le café en France ” — Pol Quintin

D’abord largement consommé par l’élite en Espagne, c’est Anne d’Autriche qui aurait popularisé le chocolat en France. Princesse espagnole, mariée à Louis XIII en 1615 et mère de Louis XIV, elle est habituée à consommer du chocolat à la cour d’Espagne. C’est également le cas de Marie-Thérèse d’Autriche, l’infante d’Espagne, fiancée par la suite au futur Roi Soleil, qui elle aussi, conserve cette habitude et transmet peu à peu ce goût pour le chocolat à la cour de France. Parallèlement aux élites, les Juifs tiennent une place centrale dans la diffusion du chocolat auprès des populations aisées non issues de la noblesse. Expulsés d’Espagne, beaucoup s’installent alors à Bayonne qui devient une ville de chocolat grâce à eux.

Au XVIème et XVIIème siècles, le chocolat est un produit de luxe, réservé à l’élite des cours européennes. Néanmoins, avec l’expansion des échanges commerciaux transatlantiques, il y a de plus en plus de cacao sur le marché de l’importation. On en trouve de différentes qualités, à des prix plus ou moins élevés et par conséquent, il devient abordable pour une plus large partie de la population. Néanmoins, et même s’il est vrai que de plus en plus de personnes peuvent en consommer parmi les classes élevées, la consommation du chocolat ne se démocratise pas pour autant.

Au XVIIIème siècle, le chocolat est donc une boisson et n’est pas consommé sous sa forme solide. Cette boisson est toujours servie chaude. Une fois les fèves de cacao transformées, c’est-à-dire broyées et assaisonnées avec du sucre, de la vanille et différentes épices, on en fait des pains qui durcissent en refroidissant. Ainsi solidifié, le chocolat est ensuite râpé et mélangé à de l’eau chaude ou du lait chaud. À l’aide d’un moulinet ou d’une chocolatière, on fait ensuite mousser cette boisson ainsi obtenue. Cette dernière étape est d’ailleurs très importante. Les consommateurs de l’époque raffolent de cette mousse née du gras que produit le chocolat lorsqu’il est vigoureusement fouetté.

Le chocolat est alors l’une des trois boissons exotiques par excellence à l’époque, avec le thé et le café. Il est aussi un ingrédient en pâtisserie, déjà à l’époque ! Dans des gâteaux, des crèmes et autres glaces, les recettes sont nombreuses et ressemblent d’ailleurs à nos recettes modernes. Le chocolat n’existe cependant pas encore sont sa forme à croquer qui, elle, arrive un plus tard avec l’industrialisation de la production et les nombreuses avancées techniques — dont la presse hydraulique de Van Houtten — au début du XIXème siècle.

Par ailleurs, à l’époque de la théorie des humeurs, tous les aliments ont quelques vertus thérapeutiques. En tant que boisson chaude, le chocolat est considéré comme un aphrodisiaque. Il est également utilisé pour ingérer d’autres médicaments, notamment le mercure, alors employé pour traiter la syphilis. Pressée, la pâte de cacao produit le beurre de cacao, aussi utilisé — comme aujourd’hui d’ailleurs — en tant que produit cosmétique.

Pour en savoir plus sur le sujet de l’épisode, on vous conseille de lire :

Ouvrages généraux et spécialisés :

  • HARWICH Nikita V., Histoire du chocolat, Paris, Desjonquères, coll. « Outremer », 2008
  • GRATALOUP Christian, Le monde dans nos tasses, trois siècle de petit déjeuner, Paris, Armand Colin, 2017
  • COE Michael, COE Sophie, The True Story of Chocolate, Londres, Thames & Hudson, 2013
  • MEYZIE Philippe, L’alimentation en Europe à l’époque moderne manger et boire XVIe s.-XIXe s., Paris, Armand Colin, coll. « U », 2010
  • QUELLIER Florent (dir.), Histoire de l’alimentation, de la Préhistoire à nos jours, Paris, Belin, 2021
  • VILLERET Maud, Le goût de l’or blanc : le sucre en France au XVIIIe siècle, Rennes/Tours, Presses universitaires de Rennes/Presses universitaires François-Rabelais de Tours, coll.
    « Tables des hommes », 2017
  • PETRE-GRENOUILLEAU Olivier, Nantes au temps de la traite des Noirs, Pluriel, Paris, Hachette Littératures, 2007 [1998]
  • MICHON Bernard, Le port de Nantes au XVIIIe siècle construction d’une aire portuaire, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Histoire », 2011
  • LE MAO Caroline, Les villes portuaires maritimes dans la France moderne XVIe-XVIIIe siècle, Paris, Armand Colin, coll. « U », 2015
  • CRADOCK A. F., Journal de Mme Cradock : voyage en France (1783-1786), Paris, Perrin, 1896 — aussi disponible sur Gallica, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1028087.texteImage

Articles :

  • NORTON Marcy, « Tasting empire: Chocolate and the European internalization of Mesoamerican Aesthetics », The American Historical Review, vol. 111, n° 3, 2006, p. 660-691.

Podcasts

Dans cet épisode, vous avez pu entendre les extraits des oeuvres suivantes :

Si cet épisode vous a intéressé, vous pouvez aussi écouter :

Merci à Clément Nouguier qui a réalisé le magnifique générique du podcast et Alizée Rodriguez pour la rédaction de l’article !