Passion Antiquités

Épisode 18 – Mathilde et Apollon (Passion Antiquités)

Comment était représenté le dieu Apollon sur les céramiques attiques, dans l’Antiquité grecque ?

Portrait de Mathilde Naar en juin 2023
Portrait de Mathilde Naar en juin 2023

Dans cet épisode de Passion Antiquités, je reçois Mathilde Naar, doctorante à l’EPHE à Paris, qui étudie les représentations du dieu grec Apollon sur la céramique attique. Dans le cadre de sa thèse sur le sujet, intitulée Autour d’Apollon. Configurations divines dans l’imagerie attique aux époques archaïque et classique (VIe-IVe siècles avant notre ère), elle est sous la direction de Gabriella Pironti de l’EPHE et de Claude Pouzadoux de l’Université Paris-Nanterre.

“Contrairement aux historiens et historiennes de l’Art qui s’attardent sur l’esthétique et le style des céramiques représentant le dieu Apollon, moi, ce qui m’intéresse, c’est le discours, la pensée véhiculée par ces représentations. Pourquoi les céramistes athéniens représentent Apollon de cette façon ? Pourquoi le représente-t-on accompagné de ces dieux-là ? Ainsi, je cherche à comprendre ce que cela nous apprend sur les Athéniens.” — Mathilde Naar

La Grèce aux époques archaïque et classique

Apollon entouré de deux figures féminines. Amphore, Londres, British Museum, inv. 1843,1103.48.
Apollon entouré de deux figures féminines. Amphore, Londres, British Museum, inv. 1843,1103.48.

Mathilde Naar étudie la céramique attique, typique de la cité grecque d’Athènes, principalement à partir du VIème siècle, et cela, jusqu’au IVème siècle avant notre ère. Le premier de ses objets d’étude est d’ailleurs un vase daté d’entre 580 et 570 avant notre ère, dit Le Vase François. C’est un énorme cratère représentant pas moins de cent trente figures et de nombreuses scènes mythologiques.

“Le VIème siècle est une période d’apogée de la céramique attique : Athènes a son propre style de céramique qu’elle exporte dans tout le monde méditerranéen.” — Mathilde Naar

Concernant l’époque étudiée, Mathilde Naar vous rappelle que durant l’Antiquité, la Grèce n’est pas un pays, mais une multitude de cités-États indépendantes et ennemies. Elles sont réparties sur le territoire de la Grèce actuelle, mais également dans le sud de l’Italie, le long des côtes de l’actuelle Turquie ou encore sur le pourtour de la mer Noire. Si ces cités-États se font souvent la guerre, Mathilde Naar insiste néanmoins sur le fait qu’elles partagent toutes une culture commune. Et de préciser que chacune de ces cités-États forme ses propres associations de dieux à partir des divinités communes dont l’importance varie en fonction des espaces géographiques.

Athènes est donc l’une de ces cités-États, et une cité-État très puissante. Mathilde Naar précise d’ailleurs que la cité grecque produit un style de céramique qui lui est propre, avec notamment beaucoup de représentations de dieux, d’où son intérêt spécifique pour Athènes et la céramique attique dans sa thèse.

Le mythe d’Apollon pour les Grecs

“Apollon est un dieu très important pour les Grecs. C’est le fils de Zeus, le roi des dieux et le jumeau d’Artémis [, la déesse de la chasse]. Apollon est un dieu tellement important que l’ensemble du monde grec l’honore.” — Mathilde Naar

Mathilde Naar vous raconte le mythe d’Apollon, de sa naissance abritée par la petite île de Délos, dans les Cyclades, à la pythie de Delphes, cette femme qui délivre les oracles d’Apollon aux mortels. Divination, musique, communication, il est énormément vénéré et donc, représenté, cela, dans l’ensemble du monde grec, et peu importe l’époque. Mathilde Naar approuve même Apollon comme le dieu officiel des podcasts puisqu’il est le dieu de la communication.

Apollon est une divinité importante et extrêmement populaire dans l’Antiquité. À ce titre, sa geste, ses exploits, sont contés partout et il y a de fait énormément d’histoires associées au dieu Apollon. Elle vous en conte quelques-unes en détail dans cet épisode du podcast, comme celle de Niobé ou encore celle du satyre Marsyas, joueur de flûte qui se venta de manier cet instrument mieux qu’Apollon lui-même.

Mathilde Naar vous explique par ailleurs que dans la pensée commune, Apollon est idéalisé comme le dieu nu, beau, solaire, celui qui joue de la musique en permanence. Bref, il est l’allégorie de la beauté masculine parfaite, idéale. En revanche, elle insiste pour rétablir une vérité longtemps oubliée et vous parler du côté obscure de ce dieu. Ainsi, s’il est le dieu de la lumière, elle vous confie qu’Apollon est le dieu de la maladie, un dieu vengeur et violent, capable de tuer.

Les supports de représentation d’Apollon

“Les vases sur lesquels Apollon est représenté ne servent pas du tout à mettre des fleurs, mais ce sont bien des contenants.” — Mathilde Naar

Peintre des Niobides, Musée du Louvre, Département des Antiquités grecques, étrusques et romaines, MNC 511 - https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010270201
Peintre des Niobides, Musée du Louvre, Département des Antiquités grecques, étrusques et romaines, MNC 511 – https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010270201

Mathilde Naar classe les vases qu’elle étudie en deux grandes catégories : les vases à parfum et les vases de banquet. Les vases à parfum sont utilisés aussi bien par les hommes que par les femmes et servent à contenir du parfum ou des huiles parfumées. Les vases de banquet, eux, sont l’apanage des hommes, des hommes citoyens, qui s’en servent entre eux, lors des banquets auxquels ils participent. Ces vases, amphores, cratères et autres cruches, contiennent le vin servi pendant les banquets. Boisson très importante dans l’Antiquité, la consommation de vin fait partie des rituels citoyens masculins par excellence, comme le souligne Mathilde Naar. Apollon est ainsi beaucoup représenté sur ces ensembles de vaisselles utilisés lors des banquets, comme sur les vases à parfum, du reste. En revanche, Mathilde Naar précise bien que ce ne sont pas les mêmes types de représentations selon la catégorie de vase.

“Si Apollon est représenté vêtu d’une tunique à l’instar des femmes qui l’entourent, alors on insiste sur le groupe et la musique. Là, c’est le dieu musicien. À l’inverse, représenter Apollon nu met davantage l’accent sur sa virilité.” — Mathilde Naar

La plupart des représentations en céramique dépeignent l’Apollon musicien : cheveux longs coiffés d’une couronne de laurier, la cithare ou la lyre à la main. Dans le cadre de ses recherches en réseaux, Mathilde Naar a remarqué qu’Apollon est aussi souvent représenté avec sa sœur Artémis, le dieu Hermès ou encore le dieu du vin, Dionysos. Mathilde Naar oriente ses recherches sur les groupes de dieux qui accompagnent Apollon sur ses représentations en céramique. Elle vous confie par exemple l’une de ses observations : Apollon est un musicien qui joue au centre de chœurs et, tel que théorisé par Platon, le chœur est constitutif de la communauté de citoyens. La pratique collective de la musique revêt alors une dimension sociale très importante dans l’Antiquité grecque puisqu’elle permet d’apprendre à se contrôler pour devenir un citoyen civilisé, un adulte capable de faire partie de la communauté.

L’apprentissage de la musique, de la danse, de la coordination et du contrôle du corps au sein d’un groupe – au sein d’un chœur de musiciens – est donc une façon d’éduquer les jeunes garçons à devenir de bons citoyens. En ce sens, Mathilde Naar conclut sur le fait qu’en tant que chef de chœur, tel qu’il est représenté sur la céramique, Apollon est le dieu protecteur des communautés. Il protège la communauté civique, précisément parce qu’il veille sur les chœurs de musiciens.

Enfin, dans la cadre de ses recherches, Mathilde Naar s’attarde également sur les vêtements – ou l’absence de vêtement – d’Apollon dans ses représentations sur les céramiques attiques. Elle vous livre l’une de ses découvertes : Apollon est fréquemment représenté nu ou vêtu des mêmes vêtements que les femmes qui l’entourent – sa sœur, leur mère Léto, ou des muses, ces déesses gardiennes des arts. Mathilde Naar vous dévoile alors différentes clés d’interprétation selon la garde-robe d’Apollon.

Les références données par l’invitée pendant l’épisode :

  • Le Vase François, Florence, Museo archeologico nazionale : inv. 4209
  • Detienne, Marcel (1998), Apollon le couteau à la main. Une approche expérimentale du polythéisme grec, Paris, Gallimard.

Pour en savoir plus sur le sujet de l’épisode, on vous conseille de lire :

  • Hélène Collard, Montrer l’invisible. Rituel et présentification du divin dans l’imagerie attique, Liège,  2016.
  • Marcel Detienne, Apollon le couteau à la main : une approche expérimentale du polythéisme grec, Paris, 1998.
  • Philippe Montbrun, Les voix d’Apollon. L’arc, la lyre et les oracles, Rennes, 2007.
  • Annie-France Laurens, « Athéna, Apollon, Dionysos et les autres. Panthéons de terre cuite : jeux de poses, jeux de rôles. (à propos de regroupements de dieux sur quelques vases attiques de la fin du VIe siècle) », Kernos, 11, 1998, p. 35-62.
  • Vasiliki Zachari, « Puissance divine au figuré. A propos de quelques vases attiques représentant Apollon à l’autel », dans C. Bonnet et alii, Puissances divines à l’épreuve du comparatisme constructions, variations et réseaux relationnels, Brepols, 2017, p. 125-143.
  • Gabriella Pironti, «  “Fabriquer” des configurations divines en Grèce ancienne (et au-delà)  » , Annuaire de l’École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences religieuses, 129, 2022, p. 215-226.

Merci à Clément Nouguier qui a réalisé le magnifique générique du podcast, à Baptiste Mossiere pour le montage, et Alizée Rodriguez pour la rédaction de l’article !