Épisode 86 – Margot et la fauconnerie
Qu’est-ce que la fauconnerie et comment considérait-on ce type de chasse, faucon au poing, au Moyen Âge ?
Souvenez-vous, dans l’épisode 60 de Passion Médiévistes, Marthe Czerbakoff vous parlait des chiens de chasse dans l’Espagne médiévale. Dans ce nouvel épisode, Margot Constans vous emmène à la chasse faucon au poing, dans la France méridionale, entre les XIème et XIVème siècles. Sous la direction de Sophie Brouquet Cassagnes et de Baudoin Van Den Abeele, la thèse de Margot Constans sur le sujet s’intitule Fauconnerie et société aristocratique en France méridionale du XIe au XIVe siècle.
À noter qu’à l’instar de l’épisode 78 sur les marchands et de l’épisode 80 consacré aux boulangers pâtissiers, cet épisode du podcast a, lui aussi, été enregistré à Toulouse. Nous remercions d’ailleurs la Maison de l’Image et du Numérique de l’Université Toulouse Jean-Jaurès de nous avoir prêté son studio insonorisé.
La France méridionale au Moyen Âge
Margot Constans vous emmène en France méridionale, dans ce vaste espace géographique qui désigne l’ensemble du sud de la France, d’est en ouest. C’est le territoire linguistique de la langue d’oc dans lequel, au Moyen Âge, la population parle l’occitan médiéval. Comme vous l’explique Margot Constans, il s’agit d’une version différente de l’occitan parlé aujourd’hui, mais elle englobe déjà un ensemble de dialectes tels que le provençal ou le gascon.
D’un point de vue plus politique, c’est l’époque de la croisade contre les Albigeois (il y aura bientôt un épisode consacré à ce sujet), qui a eu lieu au XIIIème siècle et qui a profondément marqué le territoire. Cet épisode a de fait beaucoup influencé la culture méridionale, et notamment la langue.
Ainsi, Margot Constans fonde ses recherches sur un traité de fauconnerie rédigé en langue occitane, à savoir le Roman dels auzels cassadors. Jusqu’alors, cet ouvrage n’avait jamais été ni traduit, ni étudié. Daté du XIIIème siècle, il a été rédigé en vers provençaux par le troubadour et clerc Daude de Pradas.
Les spécificités de la fauconnerie médiévale
“ La fauconnerie – ou la volerie – c’est la pratique de la chasse avec un auxiliaire : les oiseaux de proie en général pour la volerie ; les faucons en fauconnerie.” — Margot Constans
Qu’ils soient rédigés en latin ou en langue occitane, les traités de fauconnerie médiévaux distinguent d’un côté les oiseaux de bas vol, qui chassent leur proie en volant près du sol, comme les autours et les éperviers ; de l’autre, les oiseaux de proie appartenant à la famille des faucons, ces oiseaux de haut vol qui eux, chassent en volant très haut dans le ciel avant de fondre sur leur proie.
“ Il faut savoir qu’à l’époque, on ne pouvait pas contrôler la reproduction des oiseaux de proie. En France, cela ne fait d’ailleurs qu’une cinquantaine d’années que nous y parvenons.” — Margot Constans
Les oiseaux de proie sont majoritairement l’apanage des élites. En effet, au Moyen Âge, un oiseau de proie est une acquisition onéreuse. Toutefois, malgré le coût élevé d’un oiseau de proie, la volerie est une activité plutôt commune à l’époque médiévale. Elle est du reste dépeinte dans de nombreuses représentations iconographiques. Margot Constans fait ainsi référence, entre autres, au magnifique calendrier publié dans le livre d’heures du Duc de Berry, dont la page du mois d’août représente des scènes de chasse avec des oiseaux de proie.
“ Au Moyen Âge, les espèces d’oiseaux de proie sont hiérarchisées.” — Margot Constans
Margot Constans note que la fauconnerie, la chasse avec des oiseaux de haut vol, est une activité valorisée socialement, car elle est très impressionnante. À ce titre, les oiseaux de proie pouvaient faire l’objet de cadeaux diplomatiques et, selon l’espèce choisie, apporter plus ou moins de prestige à leur destinataire. Dans son traité, l’auteur Daude de Pradas classe d’ailleurs ces animaux en fonction de leur lignage.
“La fauconnerie est une mise en scène du pouvoir et de la domination du groupe aristocratique. C’est une représentation d’un idéal social.” — Margot Constans
Privilège d’une élite, la chasse avec des oiseaux de proie est donc davantage pratiquée par des seigneurs, en groupe, et dans le seul but de se divertir. C’est avant tout un spectacle. Margot Constans insiste notamment sur le fait qu’au Moyen Âge, les femmes aussi chassent. Dans l’iconographie médiévale, elles sont ainsi souvent représentées chassant l’alouette, accompagnées de leur épervier.
Le savoir enseigné dans les traités de fauconnerie
“Les traités de fauconnerie sont des textes techniques. Ils font état d’un savoir concret, pragmatique, empirique, et [ce savoir est même] parfois actualisé durant le Moyen Âge.” — Margot Constans
Margot Constans vous détaille les différents types de savoirs que l’on peut retrouver dans les traités de fauconnerie médiévaux. Les auteurs y consignent ainsi des informations ornithologiques, avec les qualités de chaque espèce pour aider à déterminer le choix de l’oiseau ; un savoir cynégétique – relatif à la chasse en tant que telle ; mais aussi un savoir médical sur le traitement des maux (maladies et autres blessures) et les soins quotidiens à apporter à son oiseau. Margot Constans vous cite en exemple le traité de fauconnerie de l’empereur d’Allemagne Friedrich II, le plus important traité parvenu jusqu’à nous.
“Un oiseau de proie peut être apprivoisé et affaité, mais il ne peut en aucun cas être domestiqué.” — Margot Constans
Comme vous le détaille Margot Constans, à l’époque médiévale, les traités de fauconnerie expliquent les différentes étapes de conditionnement des oiseaux, de leur capture dans le nid à l’affaitage – comprenez, le dressage d’un oiseau de proie. Dans le traité de Daude de Pradas, elle vous dévoile même que ce dernier commente les informations qu’il transmet dans son ouvrage en donnant son propre avis sur certaines questions.
Dans cet épisode, vous avez pu entendre parler des œuvres suivantes :
- Le Roman dels auzels cassadors, le traité de fauconnerie de Daude de Pradas
- Les Très Riches Heures du duc de Berry, le livre d’heures du duc de Berry
- De arte venandi cum avibuse (De l’art de chasser au moyen des oiseaux), le traité de fauconnerie de l’empereur d’Allemagne Friedrich II
Pour en savoir plus sur le sujet de l’épisode, on vous conseille de lire :
- Delort Robert, Les Animaux ont une histoire, Paris, Éditions du Seuil, 1984.
- Van den Abeele Baudouin, La fauconnerie au Moyen Âge : connaissance, affaitage et médecine des oiseaux de chasse d’après les traités latins, Paris, Klincksieck, 1994.
- Van den Abeele Baudouin, La fauconnerie dans les lettres françaises du XIIe au XIVe siècle, Louvain, Presses universitaires de Louvain, 1990.
- Van den Abeele Baudouin, La littérature cynégétique, Turnhout, Brepols, 1996.
- Centre d’Études Médiévales de Nice, La chasse au Moyen Âge. Actes du colloque de Nice (22‑ 24 juin 1979), Paris, les Belles Lettres, 1980.
- Paravicini Bagliani Agostino, Van den Abeele Baudouin (éds.), La chasse au Moyen Âge. Société, traités, symboles, Florence, Sismel, 2000.
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Saulnier Chantal de, Strubel Armand, La poétique de la chasse au Moyen Âge. Les livres de chasse au XIVe siècle, Paris, Presses Universitaires de France, 1994.
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Beaufrère Hubert (éd.), Lexique de la chasse au vol : terminologie française du XVIe au XXe siècle, Nogent-le-Roi, J. Laget, 2004.
Dans cet épisode vous avez pu entendre les extraits des œuvres suivantes :
- Bernard de Ventadour : Non es meravelha s’eu chan
- « De Amore ». Polyphonie française du XIIIe siècle – Le Manuscrit de Montpellier.
Si cet épisode vous a intéressé vous pouvez aussi écouter :
- Épisode 37 – Sébastien et les troubadours en Aquitaine
- Épisode 60 – Marthe et les chiens de chasse en Espagne au Moyen Âge
- Passion Modernistes : Épisode 9 – Élise et les chasseurs du Mississippi
- Épisode 78 – Emma et les marchands à la fin du Moyen Âge
- Épisode 80 – Clémentine et les boulangers pâtissiers au Moyen Âge
Merci à Clément Nouguier qui a réalisé le magnifique générique du podcast et à Alizée Rodriguez pour la rédaction de l’article !