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Épisode 80 – Clémentine et les boulangers pâtissiers au Moyen Âge

Quelle était la place des boulangers et des pâtissiers au Moyen Âge à Toulouse ?

Photo de Clémentine lors de l'enregistrement du podcast
Photo de Clémentine Stunault lors de l’enregistrement du podcast en février 2023 (© Fanny Cohen Moreau)

Dans cet épisode de Passion Médiévistes, Clémentine Stunault vous met l’eau à la bouche et lève le voile sur les métiers de boulanger et de pâtissier au Moyen Âge dans la ville de Toulouse. Enseignante agrégée d’histoire, elle prépare une thèse sur le sujet « Boire et manger à Toulouse: des métiers de bouche à l’alimentation d’une ville médiévale » sous la direction de Sophie Cassagnes-Brouquet, à l’Université Toulouse II – Jean Jaurès.

À noter qu’à l’instar de l’épisode 78 sur les marchands, cet épisode du podcast a aussi été enregistré dans la Ville Rose, mais cette fois à la Maison de l’Image et du Numérique de l’Université de Toulouse.

Toulouse au Moyen Âge

Basilique Saint Sernin à Toulouse
Basilique Saint Sernin à Toulouse (© Fanny Cohen Moreau)

À l’époque médiévale, Toulouse est bien plus petite qu’elle ne l’est aujourd’hui. Clémentine Stunault vous informe que la ville du Moyen Âge comptait à son apogée près de 45 000 habitants. Après l’épidémie de peste noire qui sévit au milieu du XIVème siècle, la population tombe à 30 000, voire 25 000 habitants (selon les estimations) puis remonte progressivement jusqu’à la fin du XVème siècle.

Administrativement parlant, et ce jusqu’à la Croisade albigeoise engagée contre les Cathares, la ville de Toulouse est sous l’autorité du comte de Toulouse. Des suites de cette croisade, les comtes de Toulouse perdent le pouvoir et la ville, tout comme la région entière, tombe finalement dans le giron du royaume de France. Cependant, Clémentine Stunault explique que le roi choisit de conserver le consulat, l’autorité mise en place pendant le conflit. Les Capitouls, les dirigeants à sa tête, exercent donc un pouvoir local jusqu’au milieu du XVème siècle où le pouvoir royal, représenté par le Parlement, entre parallèlement en jeu.

Sur le plan commercial, l’économie toulousaine repose essentiellement sur le commerce du drap et notamment du pastel, spécialité de la ville à partir du XVème siècle, au sortir de la Guerre de Cent ans, et jusqu’au milieu du XVIème. Clémentine Stunault définit d’ailleurs cette période de renouveau économique comme le siècle d’or de la ville de Toulouse.

Les boulangers et les pâtissiers au Moyen Âge

“ Au Moyen Âge, et c’est une spécificité de la ville de Toulouse, les boulangers ne cuisent pas le pain. C’est le travail des fourniers.” — Clémentine Stunault

En occitan, le boulanger est initialement désigné sous le terme de pancossier qui, dans la langue occitane, se traduit par celui qui cuit le pain. Néanmoins, contrairement au reste du territoire, la ville de Toulouse adopte une mesure particulière à leur encontre. Aussi, afin d’éviter les incendies, la ville refuse aux boulangers le droit de cuire leur pain eux-mêmes, dans leur atelier. Du reste, cette mesure demeure en vigueur jusqu’à la fin du XVème siècle. Dans les faits, comme s’en amuse Clémentine Stunault, certains boulangers font fi de cette interdiction et choisissent de cuire leur pain chez eux. Cette transgression conduit au grand incendie de 1463 qui ravage alors les trois quarts de la cité.

Tacuinum sanitatis – Paris, BnF, ms. latin 9333, f° 61.
Tacuinum sanitatis – Paris, BnF, ms. latin 9333, f° 61v.

Mais en quoi consiste le travail du boulanger ? À Toulouse, et comme partout en France à cette époque, le boulanger est avant tout celui qui confectionne la pâte à pain. Il achète d’abord le grain, le confit au meunier pour le moudre, puis récupère la farine ainsi fabriquée. De retour dans son atelier, le boulanger mélange cette farine à de l’eau et du sel pour obtenir une pâte. Il façonne ensuite des miches qu’il laisse reposer sur des draps mouillés recouverts de peaux pour maintenir l’humidité et permettre à la pâte de lever. À Toulouse, c’est après cette étape que le boulanger confit ses miches au fournier pour la cuisson finale.

Cependant, au Moyen Âge, alors que beaucoup de gens ont pris l’habitude de réaliser leur pain eux-mêmes et d’en le confier la cuisson aux fourniers, qui achète le pain des boulangers ? Clémentine Stunault affirme à travers ses sources que certains boulangers travaillent sous contrat. Ils fournissent des institutions religieuses comme des couvents, ou d’autres organismes, tels que les universités. Elle vous confit également qu’il est difficile de savoir concrètement qui étaient les clients particuliers des boulangers parce qu’il n’y a pas vraiment de livre de comptes indiquant à qui chaque pain est vendu. Elle déduit toutefois que les pâtissiers, eux, du fait de la nature des produits qu’ils vendaient, devaient certainement faire affaire avec une clientèle aisée, ou du moins, plus riche que celle des boulangers.

“ Au Moyen Âge, le métier de pâtissier n’a pas le sens qu’on lui connait aujourd’hui. À Toulouse, le pâtissier relève davantage du traiteur.” — Clémentine Stunault

En parallèle des boulangers, au Moyen Âge, on rencontre également des pâtissiers. Bien souvent, le métier de pâtissier va de pair avec celui de boulanger, mais en théorie, c’est bel et bien une profession différente, régie par des normes qui lui sont propres. Les pâtissiers disposent en effet de leurs propres statuts ainsi que d’une corporation distincte. Dans la pratique, Clémentine Stunault remarque néanmoins que beaucoup de boulangers sont aussi pâtissiers, et inversement. En outre, elle insiste sur un point : à l’époque médiévale, le métier de pâtissier n’a pas la même définition qu’aujourd’hui. Du reste, le terme pâtisseries pour désigner l’ensemble des produits confectionnés par le pâtissier n’existe pas non plus, chaque produit est nommé séparément.

Si le boulanger confectionne du pain, le pâtissier, lui, fabrique des pâtés – sorte de tourtes sucrées ou salées –, des flans et des gaufres. Par ailleurs, en plus de ces réalisations traditionnelles, à Toulouse, il confectionne aussi les saucisses, ou se charge de cuire la viande. Clémentine Stunault indique que ces fonctions spécifiques diffèrent d’une ville à l’autre et cite en exemple la ville de Paris, où la cuisson des viandes est plutôt confiée aux rôtisseurs.

Alors comment devient-on boulanger ou pâtissier à l’époque médiévale ? Il faut comprendre que le métier de boulanger a mis du temps à se développer, en partie parce que les gens confectionnaient eux-mêmes leur pain. Clémentine Stunault mentionne qu’il faut attendre la fin du XIIIème siècle et plus précisément l’année 1290, pour voir apparaitre une corporation de boulangers. À noter que ce nouvel ordre professionnel n’inclut pas les pâtissiers qui demeurent une catégorie distincte et dont la première corporation est formée plus tard. Toutefois, si les deux métiers sont séparés, on y accède de la même façon : il suffit de payer une cotisation à la ville. Ainsi, n’importe qui peut exercer le métier de boulanger, de pâtissier, voire les deux, tant qu’il paie la redevance associée.

Puis petit à petit, Clémentine Stunault explique que d’autres conditions sont mises en place, notamment l’obligation de suivre un apprentissage. Cet apprentissage est sanctionné par un examen devant des représentants du métier pour lesquels le boulanger ou le pâtissier doit réaliser un chef-d’œuvre. En d’autres termes, il s’agit de confectionner des produits. Clémentine Stunault vous en donne les détails : deux pains blancs et deux pains bis pour le boulanger ; tandis que l’épreuve finale est plus complexe pour le pâtissier qui doit confectionner des préparations élaborées, loin des traditionnels pâtés et autres flans qu’il sera pourtant amené à réaliser au quotidien.

Le pain dans l’alimentation au Moyen Âge

Au Moyen Âge, le pain est l’aliment central du repas. Clémentine Stunault rapporte les estimations faites par les historiens à ce sujet et il semble que chaque individu pouvait consommer entre 700 g et 1,5 kg de pain par jour. Parallèlement, on sait que le pain est accompagné d’autres aliments dont la nature varie en fonction de la classe sociale et donc, des revenus. Ainsi, les populations les plus riches mangent leur pain avec de la viande, des fruits et des épices, qui sont des denrées réservées à une élite. À l’inverse, les familles les plus pauvres se contentent d’agrémenter leur pain avec légumes. Le repas est arrosé de vin, parfois coupé avec de l’eau – Clémentine Stunault insiste, il n’y a pas de bière à Toulouse.

Dessin d’une pelle à enfourner et d’un pâté (Archives municipales de Toulouse, HH 65, p. 24)
Dessin d’une pelle à enfourner et d’un pâté (Archives municipales de Toulouse, HH 65, p. 24)

Clémentine Stunault liste plusieurs sortes de pains, pour différents budgets. Le pain blanc est le pain de base des élites. Il est confectionné avec de la farine de pur froment. Les populations plus modestes se nourrissent davantage de pain bis. Il s’agit d’un pain fait à partir de plusieurs farines, moitié froment, moitié méteil – un mélange de céréales. Enfin, le pain moflet (ou mouflet) est un pain de luxe, réalisé avec une farine de qualité supérieure provenant d’une variété de blé très tendre. Il est traditionnellement servi pendant les jours de fêtes.

Le prix du pain est fixé chaque année par la municipalité qui tente de trouver le meilleur prix. Il ne doit pas être trop élevé pour permettre au consommateur de l’acheter. Mais il est aussi essentiel que les boulangers soient bien rémunérés pour pouvoir poursuivre leur activité. L eprix du pain varie donc d’une année sur l’autre. Cependant, en période de mauvaise récolte, Clémentine Stunault révèle que le prix du pain ne change pas. C’est le poids de la miche qui varie pour s’ajuster au prix en vigueur et, encore une fois, c’est la municipalité qui fixe ce poids. À noter qu’à partir de la fin du XVème siècle, dans tout le royaume de France, pour prévenir les émeutes sur le prix du pain, on met en place le système parisien – expérimenté un peu plus tôt dans la capitale. Désormais, le poids de la miche reste fixe, il est harmonisé partout, et c’est le prix du pain qui fluctue en fonction des récoltes.

Parallèlement au pain des boulangers, Clémentine Stunault peut affirmer que les produits confectionnés par les pâtissiers sont davantage salés que sucrés. Elle vous rappelle en effet que le sucre de canne est encore une denrée très rare à l’époque médiévale. Découvert au cours des Croisades, le sucre est considéré comme une épice. À ce titre, il coûte très cher et est donc peu utilisé. Les pâtissiers s’en servent pour réaliser des mets servis lors de grandes occasions, pendant les jours de fête ou qui ne sont bien souvent consommés que par les élites. En Europe occidentale, il faut attendre la fin du XVème siècle pour que le sucre devienne un produit commun.

Pour en savoir plus sur le sujet de l’épisode, on vous conseille de lire :

Ouvrages généraux et spécialisés :

  • Illustration de l'épisode 80 par Din
    Illustration de l’épisode 80 par l’artiste Din

    CATALO Jean, CAZES Quitterie et alii, Toulouse au Moyen Âge : 1000 ans d’histoire urbaine, Portet-sur-Garonne, Loubatières, 2010.

  • DESPORTES Françoise, Le pain au Moyen Âge, Paris, Olivier Orban, 1987.
  • FERRIÈRES Madeleine, Histoire des peurs alimentaires : du Moyen Âge à l’aube du XXe siècle, Paris, Seuil, 2002.
  • FLANDRIN Jean-Louis et MONTANARI Massimo (dir.), Histoire de l’alimentation, Paris, Fayard, 1996.
  • LAURIOUX Bruno, Manger au Moyen Âge : pratiques et discours alimentaires en Europe aux XIVe et XVe siècles, Paris, Hachette Littératures, 2002.
  • QUELLIER Florent, La table des Français : une histoire culturelle, XVe-début XIXe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2007.
  • TAILLEFER Michel, Vivre à Toulouse sous l’Ancien Régime, Paris, Perrin, 2000.

Publications de l’invitée :

  • STUNAULT Clémentine, « L’inégale professionnalisation de la vente du vin et de la viande à Toulouse à la fin du Moyen Âge », dans Juliette SIBON et Sandrine VICTOR (éd.), Rives méditerranéennes n° 55 : Normes et marchés en Occident, XIIIe-XVe siècle. De la professionnalisation des activités économiques autour du vin et de la viande, 2017, p. 79-94.
  • STUNAULT Clémentine, « L’intervention des autorités urbaines dans la protection du consommateur à Toulouse (XIVe-XVe siècle) » dans Judicaël PETROWISTE et Mario LAFUENTE-GOMEZ (éd.), Faire son marché au Moyen Âge : Méditerranée occidentale, XIVe-XIVe siècle, Madrid, Éditions de la Casa de Velázquez, 2018, p. 209-225.
  • STUNAULT Clémentine, « Les solidarités professionnelles des bouchers toulousains au prisme des enregistrements de maîtrises (1465-1510) », Anthropology of Food S13, 2019 (en ligne : https://journals.openedition.org/aof/9183).
  • Photo de Clémentine Stunault lors de l'enregistrement du podcast en février 2023 (© Fanny Cohen Moreau)
    Photo de Clémentine Stunault et Fanny ohen Moreau lors de l’enregistrement du podcast en février 2023

    STUNAULT Clémentine, « Les repas des capitouls à l’appui des comptes de la municipalité de Toulouse (1444-1470) ». Comptabilité(S), n° 12, 2019 (en ligne : http://journals.openedition.org/comptabilites/3882).

  • STUNAULT Clémentine, « De la pâtisserie à l’auberge : la pluriactivité d’un artisan toulousain du XVe siècle », Annales du Midi, vol. 131, n° 305-306, janvier-juin 2019, p. 193-218.
  • STUNAULT Clémentine, « La formation technique dans les métiers de bouche toulousains (fin XIVe-début XVIe siècle) : un renouvellement des perspectives », L’Atelier du Centre de recherches historiques, n° 24, 2022 (en ligne : http://journals.openedition.org/acrh/25480).

Dans cet épisode vous avez pu entendre les extraits des œuvres suivantes :

Si cet épisode vous a intéressé vous pouvez aussi écouter :

Merci à Clément Nouguier qui a réalisé le magnifique générique du podcast et Alizée Rodriguez pour la rédaction de l’article !