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Épisode 72 – Agathe et les carreaux de pavements

Apprenez-en plus sur les carreaux de pavements qui ornaient les murs et sols des maisons au Moyen Âge !

Dans ce nouvel épisode de Passion Médiévistes, Agathe Catelain vous parle de ses recherches sur les carreaux de pavements. Dans le cadre d’un master 2 à l’université de Heidelberg en Allemagne, elle a réalisé en 2020-2021 un mémoire sur un livre de modèle du début du XIIIe siècle, le Reiner Musterbuch. Elle a étudié l’influence de ce livre de modèle sur la conception de carreaux de pavement et de vitraux dans des abbayes cisterciennes allemandes et autrichiennes, tout en s’interrogeant sur la circulation des modèles dans le contexte cistercien de la première moitié du XIIIe siècle entre la France et l’Allemagne. Auparavant, elle avait étudié ce sujet à l’École du Louvre sous la direction de Jean-Christophe Ton-That.

Des décors des maisons

Détails des carreaux estampés de Lorsch. Crédit Agathe Catelain
Détails des carreaux estampés de Lorsch. Crédit Agathe Catelain

Élément constitutif du décor de la maison au Moyen Âge, en tout cas de tout édifice religieux ou laïc, les carreaux de pavements sont des éléments de prestige. On décore sa maison pour se faire voir, pour montrer son statut social, surtout si on est nobles. Les carreaux de pavements se trouvent aussi dans les grands lieux administratifs ou dans les édifices religieux comme les abbayes. On retrouve ce type de décor au Moyen Âge partout en Europe à partir du XIème siècle, et auparavant ce sont plutôt des pavages hérités de l’Antiquité.

Carreau de pavement France 2e moitié du XVe siècle Terre cuite glaçurée Musée de Cluny, Cl. 21208 © RMN-Grand Palais (musée de Cluny – musée national du Moyen Âge) / Jean-Gilles Berizzi
Carreau de pavement France 2e moitié du XVe siècle Terre cuite glaçurée Musée de Cluny, Cl. 21208 © RMN-Grand Palais (musée de Cluny – musée national du Moyen Âge) / Jean-Gilles Berizzi

Les carreaux de pavements servent aussi à s’isoler du sol, avec des décors différents en fonction de leur emplacement dans la maison. Par exemple, au rez-de-chaussé dans une maison noble ils seront très simples, et à l’étage dans la salle d’apparat ils seront plus richement décores, avec décor particulier. En général, les carreaux de pavements médiévaux font 15 centimètres de côté et sont en forme de carré.

L’étude des carreaux de pavements permet d’en savoir plus sur comment une famille ou une institution se représentait. Ils servent aussi de marqueurs temporels lors des fouilles archéologiques, pour dater une couche, il est possible d’en retrouver en l’état ou dans des dépotoirs.

Un carnet de modèles

Agathe Catelain explique dans l’épisode comment étaient réalisés ces carreaux, les différentes techniques de fabrication, et les spécificités des carreaux de pavements au sein de l’ordre cistercien et de ses abbayes.

En effet, elle a étudié un livre de modèles de carreaux de pavements, le Reiner Musterbuch, présents dans les 13 premières pages, avec presque un catalogue de formes. Sur ces modèles sont représentés tout un bestiaire, des décors végétaux mais aussi des formes géométriques. En France on trouve aussi quelques manuscrits avec des modèles de carreaux, comme le carnet Villard de Honnecourt conservé à la BnF. Les carreaux de pavements existent dans les maisons tout au long du Moyen Âge et même au-delà, même jusqu’au XVIIème siècle, mais avec différentes techniques utilisées.

Reiner Musterbuch, Österreichischen Nationalbibliothek, Anfang des 13. Jahrhunderts (1208-1213), Codex Vindobonensis 507.
Reiner Musterbuch, Österreichischen Nationalbibliothek, Anfang des 13. Jahrhunderts (1208-1213), Codex Vindobonensis 507, folio 8v

Pour en savoir plus sur le sujet de l’épisode, on vous conseille de lire :

Sur les carreaux de pavement en France :

Sur les carreaux de pavement dans le domaine germanique :

Corpus de carreaux de pavement du Sud-Ouest de l’Allemagne (en allemand) :

  • Landgraf, Eleanor, Ornamentierte Bodenfliesen des Mittelalters in Süd- und Westdeutschland 1150 – 1550, Vol. 1 Textband, Stuttgart 1993.
  • Landgraf, Eleanor, Ornamentierte Bodenfliesen des Mittelalters in Süd- und Westdeutschland 1150 – 1550, Vol. 2 Musterkatalog, Stuttgart 1993.

Sur l’abbaye de Lorsch et ses carreaux de pavement (en allemand) :

  • Pinsker, Bernhard, Erbach-Schönberg, Monika et Untermann, Matthias, Kloster Lorsch: vom Reichskloster Karls des Großen zum Weltkulturerbe der Menschheit ; Ausstellung, Museumszentrum Lorsch, 28.5.2011 – 29.1.2012, Petersberg 2011.

Sur les carreaux de pavement en angleterre :

  • Norton, Christopher et Park, David, Cistercian art and architecture in the British Isles, Londres 1986.

Sur l’art cistercien :

Sur le Reiner Musterbuch :

Manuscrit numérisé en ligne :

Fac-similé et commentaires (en allemand) :

  • Unterkircher, Franz, Reiner Musterbuch: Faksimile-Ausgabe im Originalformat des Musterbuches aus Codex Vindobonensis 507 der Österreichischen Nationalbibliothek, Graz 1979.

Sur le carnet de Villard de Honnecourt : Fiche de la BnF et manuscrit numérisé en ligne sur Gallica

Dans cet épisode vous avez pu entendre les extraits des œuvres suivantes :

Si cet épisode vous a intéressé vous pouvez aussi écouter :

Transcription de l’épisode 72 (cliquez pour dérouler)

Fanny : Hello ! Juste avant de commencer cet épisode, je tiens à remercier Ludovic, qui est le mécène du mois de ce podcast. Si vous voulez savoir vous aussi comment soutenir Passion Médiévistes, je vous en dis plus à la fin de l’épisode ! Bonne écoute !

[Générique]

Fanny : Est-ce que vous savez tout du Moyen Âge ? Mais d’abord, qu’est-ce que le Moyen Âge ? Bon, vous commencez à le savoir, mais vous pensez peut-être aux châteaux forts, aux troubadours et aux cathédrales, mais ça n’est pas que ça. En général, on dit que le Moyen Âge est une période de mille ans : de l’année 500 à l’année 1500, en gros. Mais vous l’entendez dans ce podcast, il y a autant de définitions du Moyen Âge que de médiévistes ! Je m’appelle Fanny Cohen Moreau et dans ce podcast, je reçois des jeunes médiévistes, des personnes qui étudient le Moyen Âge en master ou en thèse, pour qu’ils vous racontent leurs sujets passionnants et pour qu’ils vous donnent envie d’en savoir plus sur cette belle période.

Episode 72 : Agathe et les carreaux de pavements, c’est parti !

Fanny : Peut-être qu’en cliquant sur cet épisode vous vous êtes dit : “Mais qu’est-ce que c’est que ce sujet, les carreaux de pavements ? Peut-être même que vous avez hésité, peut-être même que ça fait longtemps que vous devez écouter cet épisode et vous l’aviez un petit peu… mis de côté… Eh bien ! C’était une grave erreur ! Parce qu’aujourd’hui nous allons parler de vie quotidienne au Moyen Âge. Un petit sujet en apparence, mais très grand par tout ce que ça peut nous enseigner sur le Moyen Âge. Et comme guide aujourd’hui, j’ai le plaisir de recevoir Agathe Catelain ! Bonjour Agathe !

Agathe : Bonjour Fanny.

Fanny : Agathe je te reçois donc parce que tu es diplômée en Histoire de la sculpture et Histoire de l’architecture médiévale et je te reçois parce que tu as fait un M2 à l’Université de – attention – Heidelburg, c’est ça ?

Agathe : Heidelberg.

Fanny : Heidelberg, j’y étais presque (rires) ! En Allemagne, donc en 2020-2021, sur le sujet – attention là aussi il y a de l’allemand – “L’influence du Reiner Musterbuch sur l’élaboration de carreaux de pavements et de vitraux dans les domaines cirsterciens français et allemand”, donc un mémoire sur un livre de modèles du début du XIIIème siècle. Et avant ça tu as fait aussi un M1, à Paris, à l’école du Louvre, là aussi où tu avais un petit peu touché ce sujet avec Jean-Christophe Ton-That, dont on parlera un peu plus tard. Donc, dans cet épisode, nous allons parler d’un livre pour parler de la vie quotidienne dans les maisons au milieu du Moyen Âge.

Alors, déjà première question, Agathe : comment est-ce que tu as entendu parler de ce sujet et qu’est-ce qui t’a donné envie de travailler dessus ?

Agathe : Alors, tout d’abord, je me suis intéressée aux carreaux de pavements et il fallait trouver un support. Lors de mon M1 à l’école du Louvre, j’ai travaillé sur un château en ruine, dans le Cher, un château du duc de Berry donc à Mehun-sur-Yèvre. Dans les fouilles archéologiques on a retrouvé des carreaux de pavements qui ont été très utiles pour dater les vestiges du château étant donné qu’il est ruiné aujourd’hui. J’ai trouvé ça super intéressant, c’était pas mon sujet principal, j’ai plutôt travaillé sur des éléments archéologiques, des éléments architecturaux mais j’avais gardé en tête ces carreaux de pavements et tout ce qu’on pouvait en fait découvrir en les étudiant. Donc quand je suis arrivée en Allemagne en 2020, je devais chercher un sujet de recherche pour écrire un deuxième mémoire dans le cadre de mon M2 et en lien avec le Reiner Musterbuch donc, qui est un livre de modèles. Je devais choisir un support pour trouver des éléments de comparaison donc j’ai choisi les carreaux de pavements et les vitraux. Mais surtout les carreaux de pavements.

Fanny : Avant qu’on rentre en détail dans ce qu’est un carreau de pavement et tout ça, déjà est-ce que tu peux nous présenter la période que tu as étudié et l’espace géographique. Parce que vu qu’on a assez peu parlé de l’Allemagne au Moyen Âge dans ce podcast,donc c’est important je pense qu’on replace certaines choses.

Agathe : C’était assez spécifique, j’ai travaillé sur le premier quart du XIIIème siècle : le Reiner Musterbuch est daté entre 1208 et 1213. Et j’ai travaillé sur une zone géographique très précise, qui est la vallée du Neckar – donc le Neckar, c’est une rivière qui traverse la ville de Heidelberg et qui se jette plus loin dans le Rhin. Donc j’ai travaillé sur les abbayes cisterciennes de la vallée du Neckar et aussi un peu du coup de la vallée du Rhin.

Fanny : Et à l’époque c’est quoi le contexte historique là bas ?

Agathe : En Allemagne c’est toujours un peu particulier parce qu’on n’a pas, comme en France – au XIIIème siècle, c’est le royaume de France, la monarchie est installée depuis longtemps au XIIIème siècle – en Allemagne, il n’y a pas de monarchie, un seul royaume gouverné par un roi et un Etat centralisé. C’est des seigneurs qui ont des comtés et sur le territoire allemand il y a des abbayes qui sont disséminées un peu partout et qui – comme aussi en France – ont autorité sur des territoires et sont les seigneurs des territoires qu’elles occupent.

Fanny : C’est intéressant. Si jamais quelqu’un fait un sujet en lien avec l’Allemagne médiévale, j’aimerais bien traiter ça plus souvent dans les podcasts – je lance un petit appel. Alors, faisons un petit point définition. Qu’est-ce qu’un carreau de pavement au Moyen Âge ?

Agathe : Alors un carreau de pavement, c’est un élément constitutif du décor de la maison au Moyen Âge, ou en tout cas de tout édifice religieux ou laïc. On peut retrouver des carreaux de pavements dans des maisons – plutôt de la classe noble hein, c’est aussi un élément de prestige, on décore sa maison pour se faire voir, pour montrer son statut social. On trouve aussi des carreaux de pavements dans des grands bâtiments, des bâtiments importants, des lieux administratifs, mais aussi dans les églises et dans les abbayes.

Fanny : Et est-ce que ça sert seulement à décorer ou est-ce que ça peut avoir aussi une fonction pratique ?

Agathe : Il y a les deux. Il y a une fonction pratique, qui est de s’isoler du sol et aussi une fonction d’apparat. On peut avoir des carreaux de pavements au rez-de-chaussée qui vont être très simples, par exemple dans une maison noble, et si à l’étage on a une salle d’apparat, on va avoir des carreaux de pavements beaucoup plus décorés, richement décorés, qui vont constituer un décor particulier.

Fanny : En fait c’est un peu comme du carrelage moderne, si je puis dire ?

Agathe : Un peu. C’est pas exactement le même matériau, mais en tout cas pour les fonctions pratiques, oui, pour isoler du sol.

Fanny : Et les carreaux de pavements, on en trouve au sol, et sur les murs aussi ?

Agathe : On peut en trouver sur les murs. C’est des carreaux, du coup, décoratifs, mais on trouve aussi, notamment en Angleterre, y’ a pas mal d’exemples pour le Moyen Âge, de carreaux de pavements mis sur les murs et qui constituent un décor mural avec un motif.

Fanny : Et qu’est-ce qu’on a comme différents types de carreaux, est-ce que c’est possible de faire une typologie des carreaux de pavements ?

Agathe : C’est possible de faire une typologie. Ce qui est assez fou avec les carreaux de pavements, c’est qu’on peut faire plein de combinaisons. Par exemple, la majeure partie des carreaux de pavement, c’est des carrés d’environ 15 centimètres.

Fanny : [ton amusé] C’est très précis quand même ce format !

Agathe : C’est assez précis. Alors, au niveau de la taille, on ne fait pas forcément plus grand, parce que c’est des carreaux qui sont fragiles, c’est de la terre cuite, donc ça peut se briser facilement, donc plus grand ça multiplie les risques de fracture, même à la cuisson. Donc 15 centimètres, c’est vraiment les dimensions qu’on retrouve le plus souvent. Ensuite, si on réfléchit en terme de forme, un carré c’est deux triangles assemblés [Fanny approuve]. On peut aussi avoir des carreaux en forme de carré, en rectangle, ou aussi en triangle. Et parfois, il y a des pavements, donc des ensembles de carreaux de pavements qui sont constitués de ces trois formes géométriques.

Fanny : Et depuis quand est-ce qu’on trouve ce type de décor dans les maisons ? Parce qu’on pense parfois aux mosaïques antiques, là on a encore de très très très belles mosaïques, qui représentent des décors – bon là c’est effectivement pas la même chose mais depuis quand est-ce qu’on trouve cette forme de carreaux de pavements dans les maisons au Moyen Âge ?

Agathe : Pour le Moyen Âge, on retrouve des carreaux de pavements de ce type à partir du XIème siècle. Avant, je ne suis pas spécialiste, mais ce sont plutôt des pavages qui sont hérités de l’Antiquité.

Fanny : Est-ce qu’on sait comment ils étaient fabriqués ?

Agathe : Oui. On a très peu de sources sur les ateliers qui les fabriquaient, y a des sources un peu plus tardives au Moyen Âge au XVème siècle, des sources écrites notamment à Paris où les travaux des artisans sont documentés. Donc là, on trouve des noms d’artisans tuiliers, qui font des tuiles, mais ils font aussi des carreaux de pavements. On n’a pas de sources écrites ou en tout cas très peu, par contre comme c’est un objet utile, qu’on retrouve en fouilles, on sait comment il a été fait en l’étudiant. Par exemple, les carreaux, les bords sont très nets. Donc en comparant avec les techniques modernes d’élaboration de carreaux de pavements, on peut reconstituer la façon dont les personnes au Moyen Âge constituaient ces carreaux parce que finalement ça n’a pas beaucoup changé et c’est très simple et très logique.

Donc pour créer un carreau, on prend de l’argile, on la laisse à décanter pour enlever les impuretés, on la met dans des cadres en bois, donc de forme carrée, on laisse sécher. Ensuite, on grave le décor sur le carreau. On peut le laisser sans décor aussi, nu. Sinon, on grave le décor, ou alors on l’estampe avec une matrice en bois, comme un tampon. En fait, la matrice, on la grave, on l’applique sur le carreau, et le décor apparaît en creux ou en relief, ça dépend. On cuit les carreaux et ensuite on les laisse reposer. On peut aussi appliquer une glaçure sur les carreaux, ça va les imperméabiliser et ça va aussi leur donner un aspect brillant. La plupart du temps, les carreaux sont glaçurés.

Fanny : Parce que oui, toi tu as travaillé sur l’Allemagne, mais en fait ces carreaux de pavements, on les retrouve partout dans les maisons, pas seulement en Allemagne ?

Agathe : Non, on les retrouve partout en Europe, et moi j’ai travaillé donc sur le domaine cistercien en particulier. Et j’ai choisi de travailler sur le domaine cistercien, d’une part parce que le Reiner Musterbuch venait d’une abbaye cistercienne en Autriche, l’abbaye de Rein,  et l’ordre cistercien, c’est un ordre qui fonctionne par filiation. Donc les abbayes cisterciennes fondent d’autres abbayes, donc il y a des abbayes mères et des abbayes filles.

Il y a un grand principe dans l’ordre cistercien qui est l’uniformité. Théoriquement, toutes les abbayes cisterciennes doivent fonctionner sur le même principe, elles doivent être décorées de la même manière, en correspondant aux critères établis par Bernard de Clairvaux, le fondateur de l’ordre cistercien. Ces abbayes, comme elles doivent être entre guillemets “normées”, ça me paraissait intéressant d’étudier ces carreaux de pavements parce que logiquement, les carreaux de pavements qu’on retrouve dans le domaine cistercien en Bourgogne, là où naît l’ordre cistercien en France, on va retrouver les mêmes carreaux de pavements, des carreaux de pavements très similaires partout en Europe où l’ordre cistercien s’est dispersé.

Fanny : Donc avant la mondialisation, y avait l’ordre cistercien, c’est ça ?

Agathe (rires) : Exactement.

[Extrait : l’abbaye de Fontfroide, présentation architecturale]

Aparté : Le cloître de Fontfroide témoigne de deux époques de construction bien distinctes, la période romane et la période gothique, puisque le cloître d’origine du XIIème siècle était de style roman et ce cloître on y retrouvait aussi toute l’austérité, le dépouillement caractéristique de l’architecture cistercienne. Le toit d’origine, la couverture était plus basse, cette couverture était une grosse charpente de bois qui devait partir de la trace blanche qu’on parvient encore à distinguer à certains endroits sur ce mur, et ce toit arrivait juste au-dessus des arcs en plein cintre des arcs romans. On avait donc beaucoup moins de lumière qui pénétrait dans le cloître, première marque d’austérité. Le dépouillement se retrouve aussi dans des détails, les colonnettes à l’origine étaient en grès, comme les murs, la pierre utilisée au départ pour construire Fontfroide est essentiellement du grès, et les chapiteaux des colonnettes ont la particularité de n’être composés que de motifs végétaux. Bernard de Clairvaux, grâce à qui l’ordre cistercien s’est développé, avait refusé toute représentation humaine, toute représentation animale, tout ce qui selon lui aurait pu distraire les moines d’un état de méditation, d’une quête de Dieu qu’il voulait de chaque instant.

[Fin de l’extrait]

Fanny : Tu en as parlé, pour tes recherches, tu as travaillé sur une source principale, est-ce que tu peux présenter ce livre en quelques mots ?

Agathe : Donc le Reiner Musterbuch, c’est un livre de modèles, littéralement en allemand ça veut dire “le livre de modèles de Rein”, tout simplement parce qu’il vient de l’abbaye de Rein en Autriche, c’est une abbaye cistercienne. C’est un livre qui peut être divisé en deux parties : les 13 premiers folios, c’est ce que j’ai étudié, c’est le livre de modèles à proprement parler. Les 150 restants, c’est des traités, des traités de philosophie, sciences naturelles…

Fanny : C’est un grand mélange de plein de sujets !

Agathe : Voilà. C’est assez passionnant aussi parce que : pourquoi, au début de ce livre, il y a des figures représentées vraiment sous forme de catalogue, on peut vraiment parler de catalogue de formes, c’est 13 folios où se succèdent des alphabets… il y a un bestiaire, donc des représentations animales, des décors végétaux, des décors géométriques, et après vous avez du texte, qui n’a rien à voir avec les 13 premières pages ! (rires)

Fanny : Ce qui est intéressant effectivement, c’est que là – on en a déjà un peu parlé dans les podcasts – au début du XIIIème siècle, c’est une période où tout ce qui est écrit se développe beaucoup au Moyen Âge, où on conserve aussi de plus en plus les écrits, comment est-ce que tu as analysé la présence de ces modèles dans ce manuscrit ?

Agathe : Au fil de mes recherches, je me suis aperçue que ce n’était peut être pas simplement un livre de modèles, au sens où on conserve 13 folios de ce livre – on appelle ça un livre, mais on pourrait appeler ça un carnet…

Fanny : Oui c’est une sorte de cahier en fait.

Agathe : Voilà, une sorte de cahier. Après on ne peut pas savoir si à la base, ce carnet,  il comportait plusieurs folios. Est-ce qu’on a une toute petite partie de ce carnet ? Est-ce que c’est des feuillets qui ont été rassemblés ensuite en carnet – ce qui est probable, hein, parce que la suite n’a absolument rien à voir  ? Donc c’est possible que quelques années plus tard, ça a été relié à d’autres écrits.

Par exemple, on a un autre exemple de carnet qui est très connu, qui est conservé en France, à la Bibliothèque Nationale, c’est le carnet de Villard de Honnecourt, qui est daté de la première moitié de XIIIème siècle. Donc le Reiner Musterbuch, il est un petit peu antérieur au carnet de Villard de Honnecourt. C’est ce qui m’intéressait aussi parce que souvent quand on parle de carnet de modèles au Moyen Âge, de livre de modèles au Moyen Âge, on pense au carnet de Villard de Honnecourt.

Fanny : Tu peux en parler un peu ?

Agathe : Donc le carnet de Villard de Honnecourt, c’est un carnet qui est constitué de folios, rédigés par un artiste, appelé Villard de Honnecourt. C’est intéressant parce que selon les sources qu’on étudie, on ne sait pas vraiment qui c’est. Il y a des mentions de cette personne, il écrit dans son carnet, après il y a plusieurs mains dans ce carnet, il y a plusieurs personnes qui ont écrit dans ce carnet, donc sur ces folios qu’est-ce qu’on peut attribuer à Villard de Honnecourt ? La même problématique que pour le Reiner Musterbuch, il manque probablement des feuillets à ce carnet. Donc est-ce que c’est une toute petite partie du travail d’un ou de plusieurs artistes ? Ca, on ne sait pas.

Fanny : Et le livre que tu as étudié, à quoi ça servait d’avoir un carnet de modèles comme ça ? Il était utilisé par qui ? Est-ce qu’on sait qui écrit ça, pas du tout ?

Agathe : Pas du tout. C’était l’axe de recherche principal de mon mémoire. C’était comment et pourquoi : comment on utilise les carnets de modèles, les livres de modèles, pourquoi on les utilise. Et je me suis rendue compte au fil de mes recherches qu’ on se base sur ce qu’on a, mais finalement c’est une toute petite partie de ce qui a été produit au Moyen Âge comme pour les manuscrits : on a conservé qu’une infime partie des manuscrits médiévaux. Pour faire nos recherches et pour émettre des hypothèses, on a que cette toute petite partie, on n’a pas le reste, donc ça peut biaiser la recherche et les hypothèses.

Je me suis aperçue que finalement, dans ce travail, la question ce n’était pas tant de savoir qui avait fait ce livre et s’il avait clairement été utilisé pour réaliser tel ou tel carreau de pavement, mais plutôt comment il a été utilisé et comment les modèles circulaient. Parce que peut-être que ces folios qui sont arrivés à Rein, peut-être qu’ils n’ont pas été copiés à Rein, peut-être qu’ils ont été faits ailleurs en Europe, peut-être en France, peut-être en Allemagne, ailleurs en Autriche, et ils sont probablement arrivés à Rein par un cheminement, et probablement un cheminement via les abbayes, rendu possible par la filiation des abbayes cisterciennes.

Parce qu’il faut savoir que l’ordre cistercien, c’est un ordre qui se rassemble chaque année à Citeaux.

Fanny : Ils font un grand “meet up”.

Agathe : C’est ça, il font un grand meet up à Citeaux chaque année avec tous les abbés des abbayes cisterciennes, les grandes abbayes cisterciennes, et au cours de ces réunions, ils discutent. Ils discutent de la théologie, des grands principes de l’ordre, mais on peut penser aussi qu’ils discutent  esthétisme : comment on décore les abbayes ? Du coup, les modèles circulent probablement. Est-ce qu’il y a une description orale de ces modèles, est-ce qu’on les copie sur des feuillets et on est-ce qu’on se les échange ? Ça passe d’abbaye en abbaye ? Est-ce qu’il y a aussi des noms d’ateliers qui passent d’abbayes en abbayes ? Est-ce qu’entre guillemets on a les mêmes “fournisseurs” ? Ca, c’était l’axe principal de mon travail.

Fanny : Et est-ce que tu as pu étudier d’autres modèles de carreaux de pavements pour mieux comprendre ce que tu avais sous les yeux ?

Agathe : J’ai d’abord étudié les carreaux de pavements du domaine cistercien en Bourgogne, parce que c’est de là que part l’ordre. Robert de Molème fonde l’abbaye de Citeaux en 1098. La naissance de l’ordre cistercien, c’est la relecture de la règle de Saint Benoît. On est à un moment dans l’Église où il y a une crise, une remise en question. Robert de Molème, il remet en question l’humilité que les moines doivent avoir, et lui il tente une expérience : il part s’isoler, et il veut créer une communauté de moines isolés,  qui subviendrait à ses besoins par elle-même. Il tente cette expérience, il fonde l’abbaye de Citeaux en 1098. C’est de l’abbaye de Citeaux que part Bernard, qu’on appellera ensuite Bernard de Clairvaux, tout simplement parce qu’il fonde Clairvaux, en 1115.

Bernard de Clairvaux, c’est lui qui a théorisé l’art cistercien. Dans l’art cistercien, il n’y a pas de figure humaine, en tout cas quasiment pas – en Allemagne on trouve des figures humaines, mais ce sont des petites particularités régionales (petits rires), on est un petit peu moins proche de la règle, plus on s’éloigne de l’épicentre de l’ordre, plus on se permet des petites digressions.

Avant tout, le décor, déjà il est très simple, au niveau de l’architecture et aussi au niveau du mobilier, des carreaux et des vitraux. On va retrouver pour les carreaux et les vitraux des décors ornementaux, donc géométriques ou végétaux. Très peu de couleurs, tout ça pour ne pas perturber la méditation, la prière des moines. Les carreaux de pavements, ça s’inscrit aussi dans une volonté de mettre en avant une humilité, une pauvreté. Le carreau de pavement, c’est de la terre cuite, c’est pas du marbre, ce n’est pas une pierre précieuse très chère.

Donc j’ai d’abord étudié les carreaux de pavements du domaine bourguignon, pour voir déjà comment les premiers carreaux de pavements dans les abbayes cisterciennes étaient faits, les décors qu’on y retrouvait. Donc c’est des décors très simples, géométriques, la plupart du temps. Et ensuite je les ai comparés à des carreaux de pavements dans le domaine germanique, dans la vallée du Neckar, et là je me suis rendue compte qu’il y avait toujours des motifs géométriques, des motifs végétaux et un peu plus d’animaux représentés sur les carreaux qu’en France.

Fanny : Tu les retrouves aussi dans ton livre.

Agathe : Oui, exactement.

Fanny : Et c’est les mêmes ?

Agathe : C’est les mêmes, on peut pas dire qu’ils ont été copiés directement d’après le livre, par contre, ce sont des codes de représentation qui sont communs à plusieurs régions européennes. On retrouve par exemple les aigles : la manière de représenter les aigles sur les carreaux de pavements, en Angleterre, en Bourgogne, en Allemagne, au Danemark, c’est les mêmes.

Fanny : C’est fou ça ! Parce qu’en plus tu as apporté aujourd’hui un fac-similé de ton manuscrit, et on voit les dessins, ça fait penser aux dessins qu’on peut retrouver dans les bestiaires, dans les manuscrits, dans les enluminures, là on voit qu’il y a une continuité du dessin de certains animaux, de certaines façons de représenter les végétaux entre les manuscrits et les carreaux de pavements. On voit que là, au niveau de l’imaginaire artistique qu’on pouvait avoir au Moyen Âge, il y a une vraie continuité.

Agathe : Exactement. Il y a vraiment cette idée de modèle qui ressort. On représente un lion, un ours, une licorne, ou même des entrelacs géométriques d’une manière, et cette manière elle se retrouve sur les carreaux bourguignons, allemands et anglais. Ce que j’ai remarqué aussi, c’est qu’on a des particularités régionales : dans le domaine germannique on va représenter plus d’animaux que dans le domaine cistercien français, et on va aussi les représenter différemment. On ne s’éloigne pas du modèle, mais on va s’adapter au support sur lequel on le retranscrit. Tracer un animal, par exemple un lion, sur un parchemin, c’est pas la même chose que de le tracer sur un carreau de pavement.

Fanny : Oui c’est là où la continuité est aussi étonnante en fait, c’est que çe n’est pas la même technique de dessin !

Agathe : C’est pas la même technique, c’est pas non plus les mêmes contraintes. Par exemple, j’ai étudié des carreaux de pavements où les lignes ne sont plus courbes mais droites, pour rentrer dans l’espace du carré du carreau. Mais dans l’idée, c’est le même motif, il est juste adapté à la surface sur laquelle on le reporte.

[Extrait musical : Chant Cistercien XIIe siècle – Ascension: Répons de procession (par l’ensemble Organum) ]

Fanny : On a parlé du livre, on a parlé effectivement que tu es allée dans certains endroits pour les voir. Quelles autres sources est-ce que tu étudiais pour tes recherches ?

Agathe : Alors au niveau des sources écrites, je n’ai pas utilisé autre chose que ce livre. J’ai utilisé des publications récentes qui parlaient de ce livre mais je n’ai pas utilisé d’autre source manuscrite, par exemple des registres d’abbayes ou des notes sur des artisans, des ateliers… ça je n’avais pas du tout de sources. En fait je me suis basée uniquement sur les restes retrouvés enfouis, donc sur des carreaux de pavements, des fragments de carreaux de pavements parfois. Et j’ai vraiment fait une analyse iconographique…

Fanny : donc seulement ce qui est représenté dessus, c’est ça ?

Agathe : Exactement. Et ensuite, en comparant les dates, les datations, la qualité du dessin, qu’il soit gravé ou estampé, et ensuite en recoupant avec les zones géographiques des abbayes, j’en ai déduit que ces carreaux étaient similaires parce qu’il y avait une continuation entre les abbayes cisterciennes, parce qu’elles sont liées entre elles. Mais aussi, il y avait une perméabilité entre les abbayes cisterciennes et les abbayes bénédictines, qui étaient dans la même région.

Fanny : Et là on parle depuis tout à l’heure beaucoup des abbayes mais on l’a dit aussi, on retrouve les carreaux de pavements dans les maisons, dans les maisons plutôt nobles, c’est ça ?

Agathe : C’est ça. Du coup je n’ai pas étudié d’exemple dans les maisons, on retrouve aussi les carreaux de pavements dans les maisons, dans les maisons nobles, parce que ça a un coût, de paver sa maison et ça a aussi une fonction de prestige. On pave sa maison pour des questions de confort mais aussi d’apparat, pour montrer son statut social. Ca permet aussi d’affirmer son identité en représentant sur les carreaux de pavements les armes de sa famille, par exemple. On peut aussi représenter les armes du roi de France si on est lié directement au roi de France.

Fanny : Donc ça veut dire effectivement tu l’as dit, que les carreaux de pavements peuvent aussi servir de marqueurs chronologiques pour identifier, là une maison, de quelle époque elle date ou identifier une strate chronologique en archéologie, c’est ça ?

Agathe : Exactement. On peut retrouver des carreaux de pavements in situ, donc des carreaux de pavements qui sont retrouvés sur place, en l’état.

Fanny : C’est encore possible d’en retrouver comme ça ?

Agathe : Oui. Et on retrouve par exemple à Paris dans les années 90 quand il y a eu notamment le chantier des Halles, ou dans d’autres chantiers de Paris mais aussi dans d’autres grandes villes. On creuse et en fait on trouve des carreaux de pavements.

Fanny : On trouve directement sur le sol et tout ! C’est génial !

Agathe : Exactement. Parce que ces carreaux, quand les maisons sont ruinées, donc si elles s’effondrent sur elles-mêmes, s’il y a un incendie, si elles s’écroulent, on reconstruit par dessus. Et le carreau de pavement, c’est de la terre cuite, c’est pas un matériau noble, donc on n’a pas de scrupule à le laisser sur place ou à le jeter quand il est usé. Donc on retrouve aussi des fragments de carreaux de pavements dans des dépotoirs. Et si on peut dater le carreau, par notamment son décor, par exemple, très simplement.

Donc au XIème-XIIème siècle on va plutôt retrouver des carreaux qui sont décorés avec un décor qui est gravé à la pointe, directement sur le carreau. Au XIIème-XIIIème, on va retrouver des décors qui sont estampés, à l’aide d’une matrice en bois qu’on a gravée, donc ça fait un décor beaucoup plus net, beaucoup plus lisible en creux ou en relief. Et ensuite, à la fin du XIVème siècle, on va retrouver des carreaux à décor d’engobe, là ce sont des carreaux qui présentent un décor estampé donc un décor en creux et sur ce décor on va venir déposer une couche d’argile plus claire, une argile liquide qu’on va essuyer et ensuite on va faire cuire. Ce qui fait que l’argile liquide s’est déposée dans les creux et vous avez le décor qui apparaît en contraste avec le reste du carreau.

Donc si on peut dater les carreaux de pavement, très grossièrement avec le décor, si on retrouve un fragment avec un décor gravé dans un dépotoir, on peut en déduire que ce dépôt, cette couche, elle a été déposée soit au XIIIème siècle, au XIVème siècle… en tout cas pas avant le XIIème siècle. Après, ça marche pas vraiment dans tous les cas, étant donné que parfois on a aussi un décalage au niveau des styles. C’est ce que j’ai remarqué aussi pendant mes recherches, c’est que les carreaux qui sont faits au XIIIème siècle en Bourgogne, ils vont présenter un décor un petit peu différent des carreaux qui sont élaborés en Allemagne.

Fanny : Oui c’est ce que tu disais, que chaque région a un petit peu sa spécificité.

Agathe : Exactement. Par exemple, quand on étudie un carreau de pavement, quand on le regarde, on se rend compte que sur les côtés les bords sont biseautés.

Fanny : Ça veut dire quoi ?

Agathe : Biseauté ça veut dire que le bord est coupé en diagonale vers l’intérieur. En gros la base du carreau de pavement est un tout petit peu plus petite que la surface. Et cette découpe, elle est faite tout simplement pour que le mortier sur lequel est déposé le carreau pour les souder les uns aux autres adhère plus facilement sous le carreau et donc que ça tienne mieux en place.

Fanny : Et là en étudiant le carreau de pavement on se rend compte de comment étaient faites les maisons, comment étaient décorées les maisons et les abbayes au Moyen Âge.

Agathe : Exactement.

Fanny : Là tu parles de la fin du XIVème siècle mais est-ce qu’on a arrêté d’utiliser les carreaux de pavements avec la fin du Moyen Âge ou on les retrouve après dans les autres époques ?

Agathe : Non ça ne se limite pas qu’au Moyen Âge. On en retrouve au XVème, XVIème, XVIIème siècle. C’est la technique qui change. Au XVIème-XVIIème, on va retrouver des carreaux de faïence. Donc ça n’est pas la même technique, c’est de l’argile mais c’est pas la même composition, c’est pas les mêmes glaçures, c’est des carreaux qui sont peints à la main, c’est pas les mêmes décors, il y a beaucoup de couleurs, ça ressemble pas… Un carreau du XVIème siècle et un carreau du XIIème siècle, dans la matérialité de l’objet, c’est le même objet, ça a la même fonction, par contre ça ne se ressemble pas du tout.

Fanny : Mais oui, il y a quand même une continuité dans la façon de le faire, en tout cas j’imagine au niveau des tailles en fait, on passe pas à des carreaux de 1 mètre quoi.

Agathe (rires) : Non.

Fanny : Et Agathe, pour ton mémoire, comment se sont passées tes recherches ? Parce qu’elles se sont passées en plein dans une période qui était un peu compliquée, pandémie et compagnie et tout ça… Comment est-ce que ça a impacté tes recherches ?

Agathe : Alors mes recherches de M2 se sont mieux passées que mes recherches de M1. C’était aussi en pleine pandémie, y a eu aussi des confinements. Mais j’ai eu accès à la bibliothèque en Allemagne, toute l’année, chose que je n’avais pas eu en M1, où à partir de mars j’ai plus remis les pieds à la bibliothèque et c’était très compliqué de continuer les recherches quand on n’avait pas accès aux publications. Donc ça a été plus facile au niveau de l’accès des sources. Par contre, ça a été plus difficile de se mettre dans la recherche. Parce que quand on arrive dans un pays étranger, qu’on fait de la recherche à l’étranger, on ne se rend pas forcément compte mais on connaît pas forcément l’état de la recherche dans le pays. Moi je suis arrivée en Allemagne en septembre, je ne savais pas vraiment ce qui avait été fait sur le XIIIème siècle. Je savais que je voulais travailler sur le XIIIème siècle et les échanges en Europe mais je ne savais pas d’où partir parce que je ne savais pas ce qui avait déjà été fait.

Fanny : Et d’ailleurs, pourquoi est-ce que tu es allée en Allemagne pour ton M2 ?

Agathe : Alors je suis allée en Allemagne parce que j’avais envie de quitter Paris.

Fanny : C’est un choix radical : ” je me casse” !

Agathe (rires) : Voilà, j’avais surtout envie de découvrir d’autres sujets et comme ce qui m’intéressait c’était la question des échanges au Moyen Âge et la circulation des modèles, je me suis dit que c’était l’occasion d’étudier des modèles ailleurs et d’étudier en Allemagne. L’université de Heidelberg est aussi réputée pour les études médiévales, donc c’est aussi pour ça que j’y suis allée.

Fanny : Et vraiment, voilà, techniquement, ça n’est pas trop compliqué de s’inscrire quand on vient de l’université pour faire ton M2 en Allemagne, ça a été plutôt facile ?

Agathe : Alors c’était facile parce que ça s’inscrivait dans un double diplôme avec l’école du Louvre. Donc de base, je devais faire mon M1 à l’école du Louvre et mon M2 en Allemagne.

Fanny : C’était déjà prévu de base ?

Agathe : Voilà.

Fanny : Donc ce n’est pas, à la fin de ton M1, tu t’es dit : allez, je vais en Allemagne, non, c’était prévu depuis le début.

Agathe: Voilà, c’était déjà prévu et c’était un double diplôme.

Fanny : Et justement dans ton M1, tu étais sous la direction de Jean-Christophe Ton That, que les auditeurs de passion médiévistes les plus assidus ont entendu il y a quelques années. Je l’avais reçu pour parler de la maison au Moyen Âge, de l’habitat dans le cadre d’une série d’épisodes que j’avais fait avec le musée de Cluny. Et donc il a été ton directeur de mémoire. Auditeurs, auditrices, il se trouve que Jean-Christophe Ton That est décédé il y a quelque temps, là maintenant que nous enregistrons cet épisode. J’ai appris ça quand il est décédé et en plus quand j’ai reçu ton sujet Agathe, je me suis dit que c’était une façon de faire la boucle et de lui rendre hommage aussi. Est-ce que tu peux nous parler un petit peu de comment c’était de travailler avec lui ?

Agathe : Donc j’ai travaillé avec lui pendant mon M1. C’était un de mes directeurs de mémoire. Il m’a vraiment accompagnée de septembre à juin, tout le temps de la rédaction. On a eu l’occasion aussi de travailler avec lui durant des groupes de travail et il nous a aussi donné beaucoup de pistes, de la méthodologie. C’était très intéressant de travailler avec lui, c’était quelqu’un de très impliqué dans les recherches de ses étudiants. Notamment, il m’avait donné des pistes de recherches pour mon sujet de M1, qui portait sur les ruines du château de Mehun-sur-Yèvre. Ce sujet, j’ai pas vraiment pu le finir à cause du confinement, j’ai rendu mon mémoire, mais y avait des pistes que j’avais pas pu explorer à cause du confinement, des bibliothèques fermées, des archives fermées, des services fermés. Il m’avait notamment donné des pistes à développer que je n’ai pas pu développer et que j’aimerais beaucoup continuer à creuser dans les mois qui viennent. Avec le travail, j’ai pas trop le temps mais c’est vraiment quelque chose qui me tient à cœur et j’aimerais vraiment aller au bout du sujet et explorer ce qu’il m’avait proposé pour aussi, oui, lui rendre hommage et aller au bout de la recherche.

Fanny : Je suis très contente que tu sois là aussi pour ça, parce qu’effectivement quand il avait parlé des carreaux de pavements dans l’épisode que j’avais fait avec lui, il en parlait tellement de façon passionnée et c’était vraiment intéressant de voir comment il transmettait ce sujet. Donc voilà, je suis contente qu’on en parle aussi pour ça aujourd’hui.

[Extrait de l’épisode de Passion Médiévistes : Vivre au Moyen Age : La maison et l’habitat]

[Aparté]

Jean-Christophe : Les couleurs dans la maison, en fait, je pense que dans le décor, alors typiquement sur les clichés, je pense que là il faut juste s’imaginer en fait en terme d’ambiance chromatique des choses avec des couleurs très très flashys on dirait aujourd’hui. Les archéologues du bâti ont relevé, y compris sur les façades, des traces de couleur sur les enduits qui pouvaient être jaunes, rouges… Donc en fait on a des couleurs chatoyantes. Et ces carreaux de pavements qui sont présentés dans l’exposition, dans les pièces dans lesquelles ils étaient disposés, modifiaient forcément cette ambiance chromatique. Donc en fait ce sont des carreaux qui sont en terre cuite vernissée qui sont de deux couleurs avec un fond rouge en terre cuite et un motif qui vire sur le jaune, ce qui est dû à la couverte plombifère qui donne cette teinte jaune.

Et là il faut s’imaginer un décor en tapis. Aujourd’hui dans les collections du musée qui conservent des carreaux de pavement, malheureusement, nous avons procédé à un échantillonnage en pensant plus à une typologie des décors, mais pas à l’ensemble. Donc en fait, on avait des motifs de tapis qui permettaient, soit dans les édifices religieux où on en a évidemment de nombreux, soit dans les édifices civils, on a une véritable organisation du décor, parfois avec un programme iconographique.

[Fin de l’aparté]

Fanny : Alors justement, depuis que tu as fini ton mémoire et ton M2, il me semble que tu fais encore autre chose ! Qu’est-ce que tu fais maintenant ?

Agathe : Je travaille à la bibliothèque du muséumnational d’histoire naturelle.

Fanny : Comment est-ce que tu t’es retrouvée là bas ?

Agathe : Je suis bien loin du Moyen Âge et des carreaux de pavements ! Je cherchais du travail (petit rire), tout simplement, après mon diplôme. Les sciences naturelles, c’est quelque chose qui m’a toujours passionnée. J’adore la géologie, la paléontologie. J’ai vu cette annonce au muséum, et j’ai postulé, en me disant que c’était quand même une super expérience. Et voilà ! C’est comme ça que je suis arrivée au muséum.

Fanny : Mais on peut se dire que tu n’as pas une formation pour ça, ou en fait, ou est-ce que c’est l’école du Louvre qui te donne une grande formation ? Comment est-ce que c’est compatible ?

Agathe : En fait, j’ai eu une formation en conservation du patrimoine.

Fanny (rires) : Ah, aussi ! Pardon, excuse-moi !

Agathe (rires) : En histoire de l’art, archéologie, et en conservation. En fait, à la bibliothèque du muséum, ce qui est assez spécifique, c’est qu’on conserve tous les objets qui ne sont pas des collections naturalistes, qui ne sont pas, en gros, des animaux empaillés ou des cailloux.

(rires)

Agathe : Voilà. Donc à la bibliothèque du muséum on a des livres, on a des trésors, et on a des bustes, on a des tableaux, on a des objets d’art. Donc moi je travaille dans le service de la conservation de la bibliothèque. Ca rejoignait aussi ma formation sur la conservation du patrimoine. C’est comme ça que je suis arrivée là.

Fanny : Et est-ce que tu aimerais reprendre la recherche, est-ce que tu as commencé à te fixer des objectifs ou c’est encore trop tôt ?

Agathe : J’aimerais vraiment reprendre la recherche, à la fois pour mon sujet de M1, que j’ai pas pu clore totalement, mais aussi pour ce sujet en particulier, que j’ai pas eu le temps de tout étudier.

Fanny : Donc les carreaux.

Agathe : Voilà, les carreaux de pavements. J’ai étudié un corpus d’une centaine de carreaux de pavements…

Fanny : Han ! ah oui quand même !

Agathe : … Et d’une trentaine de vitraux. Et il y a tellement de choses à faire ! Par exemple, je n’ai pas du tout parlé de l’enluminure. Donc ça, je pourrais écrire une thèse dessus je pense, sur les modèles et le Reiner munsterbuch. On me l’a proposé, hein, mon directeur de mémoire me l’a proposé, mais ça n’était pas le bon moment pour écrire une thèse. Peut-être un jour… Là je prépare notamment des articles sur mes deux sujets de mémoire publiés en Allemagne. Donc j’espère que ça aboutira.

Fanny : Donc en allemand !

Agathe : En allemand. Donc je continue de chercher.

Fanny : D’ailleurs, s’il y a des gens qui veulent voir des carreaux de pavements, il y en a à Paris au musée de Cluny, il y en a des magnifiques, en plus le musée de Cluny a réouvert il y a quelques temps donc vous pouvez bien les voir, ils sont très bien mis en valeur. Est-ce qu’il y a d’autres endroits où on peut en voir, peut-être à d’autres endroits en France ?

Agathe : Alors il y a d’autres musées en France qui conservent des carreaux de pavements. Ce qui est assez fou c’est qu’on en trouve à peu près partout. Des carreaux de pavements, on en trouve partout. (rires) Au XIXème, quand on a fait des grands travaux, même des travaux de voirie, souvent même dans les villes de taille moyenne ou les petites villes, on a trouvé des carreaux de pavements. Et souvent ces carreaux de pavements, ils se retrouvent dans les musées municipaux.

Fanny : Donc allez voir, où que vous soyez en France, au musée d’histoire de votre région du coin où vous habitez, il y a peut-être des carreaux de pavements (rires) ! Mais alors, est-ce qu’il reste des choses à apprendre et à découvrir sur les carreaux de pavements ?

Agathe : Il reste encore des choses à découvrir. Comme je l’ai dit tout à l’heure, on a une toute petite partie des carreaux de pavements qui ont été produits au Moyen Âge, donc il y a encore énormément de choses à découvrir. Il y a probablement encore beaucoup de carreaux de pavements qui sont  enterrés sous Paris, sous les routes et dans les grandes villes. Ils peuvent nous apporter des éléments tellement variés sur l’étude du Moyen Âge. On peut comprendre comment on décorait sa maison, pourquoi on la décorait, comment les artisans travaillaient, quel décor on apposait sur ces carreaux, aussi comment ils étaient échangés, est-ce qu’il y avait des réseaux commerciaux, est-ce qu’il y avait des liens entre les différents ateliers, est-ce qu’il y avait des ateliers qui étaient rattachés à des abbayes, ces abbayes rattachées à d’autres abbayes qui, du coup, diffusaient ces carreaux ? … il y a encore tout ça à découvrir.

Fanny : Maintenant, chers auditeurs et auditrices, vous savez ce que c’est un carreau de pavement. Vous savez à quoi ça servait au Moyen Âge, où est-ce qu’on en trouvait, vous en savez beaucoup plus aussi sur la vie quotidienne et la façon dont on pouvait décorer tous ces carreaux de pavements au Moyen Âge. Donc merci beaucoup Agathe Catelin pour tout ce que tu nous as enseigné, c’est vraiment passionnant, et puis j’espère que tu pourras reprendre tes recherches bientôt alors !

Agathe : Merci Fanny.

Fanny : Auditeurs, auditrices, si vous voulez voir des carreaux de pavements, on vous a donné des idées de sortie pour aller au musée, mais sur le site passionmedievistes.fr, comme d’habitude il y a un article qui accompagnera cet épisode, on vous mettra plein de photos de carreaux de pavements, des liens…plein de choses, allez voir sur le site si vous voulez en savoir plus, même des conseils de lecture. Et tant que vous êtes sur le site, allez voir les autres épisodes de passion médiévistes. Je vous mettrai aussi en lien l’épisode qu’on avait enregistré avec Jean-Christophe Ton That sur la maison et l’habitat au Moyen Âge, là c’était des petits épisodes de vingt minutes, vraiment, un condensé, pour apprendre plein de choses sur la vie quotidienne au Moyen Âge. Si vous voulez un peu vous intéresser à l’Allemagne au Moyen Âge, le seul épisode que j’ai consacré sur un petit peu le sujet, c’est un épisode – là aussi on est un peu sur la vie quotidienne – sur les livres de recette, où on avait parlé là aussi d’un manuscrit du Moyen Âge allemand. Mais voilà, n’hésitez pas, sur le site passionmedievistes.fr à découvrir tous les autres épisodes, à aller aussi écouter mes autres podcasts, passion antiquités et passion modernistes.

Et je tiens à dire, peut-être vous ne le savez pas, que ce podcast est auto-produit, c’est à dire que je ne bénéficie d’aucune aide par un studio de podcast ou par de la publicité, c’est entièrement financé par les auditeurs et auditrices, par le don des auditeurs et auditrices, comme une sorte de mécénat. Donc maintenant je peux, grâce à vous, travailler à mi-temps sur mes podcasts et je me sens très chanceuse, et de pouvoir sortir encore plus d’épisodes. Donc si vous voulez aussi contribuer à ce que je puisse passer encore plus de temps sur les podcasts, je vous mettrai le lien : passionmedievistes.fr/soutenir où là je vous explique comment faire. Et d’ailleurs ce mois-ci, je tiens à remercier Franck, Virgile, Yann, Zoé, Loïc, Frédérique, Théo, Martin, et le Zèbre, eh oui, un zèbre ! Merci beaucoup à tous et toutes. Mais même si vous n’avez pas forcément les moyens de soutenir le podcast, eh bien vous pouvez aussi juste parler du podcast autour de vous, que ce soit à vos amis à vos collègues, à votre famille, sur les réseaux sociaux – vous pouvez d’ailleurs retrouver passion médiévistes sur facebook, twitter et instagram, sur instagram je m’amuse à mettre en story les coulisses du podcast, à montrer un peu comment j’enregistre, c’est quoi mon quotidien de podcasteuse, spoiler je fais beaucoup de montage. Je suis contente que le podcast vous plaise, que vous êtes de plus en plus à écouter le podcast. Et dans le prochain épisode, nous parlerons des images médiévales japonaises avec le retour d’une invitée !

Salut !

Merci à Brunhild pour la transcription et à Cornelia pour la relecture !