Épisode 82 – Élodie et les parfums au Moyen Âge
Quelle était la place des parfums au Moyen Âge ?
Dans cet épisode de Passion Médiévistes, l’invitée Élodie Pierrard vous entraine dans une histoire enivrante, celle des parfums. Doctorante à l’Université de Tours, sous la direction de Bruno Laurioux, elle prépare une thèse sur le sujet « Les parfums du corps en France entre 1350 et 1500 ». Entre histoire des techniques et histoire culturelle, Élodie Pierrard partage avec vous ses recherches sur l’histoire du corps, de la perception et des sens. À noter que cet épisode du podcast a été enregistré en public à la Médiathèque de Chatenay-Malabry, à l’occasion des vingt ans du lieu.
La place des parfums à la fin du Moyen Âge
“Le parfum est un objet d’histoire multidimensionnel. Il reflète les valeurs des sociétés et des époques auxquels il a été produit.” – Élodie Pierrard.
Période charnière, les deux derniers siècles du Moyen Âge sont synonymes de grands bouleversements pour l’espace français – et pour l’espace occidental en général – à la fois sur le plan politique, économique et culturel. Sous fond de Guerre de cent ans, le pays fait face à une nouvelle épidémie de peste tandis que la papauté se divise et que le pouvoir royal s’affirme.
Dans ce contexte, quand est-il alors de la place du parfum ? Élodie Pierrard vous explique que le parfum n’est pas inventé à l’époque médiévale. Il existait déjà dans l’Égypte antique, de même qu’en Grèce ou dans le monde romain. On s’en servait donc déjà à cette époque, autant pour se parfumer le corps et pour se soigner que dans les rites funéraires. Si l’Antiquité considérait les parfums comme un symbole de luxe et d’opulence, à mesure que le christianisme s’étend, ils ont progressivement été décriés. Le parfum est devenu synonyme de la frivolité du monde païen. Ce sont les croisades, au XIIème siècle, qui suscitent à nouveau le goût pour les substances aromatiques avec de nouveaux parfums venus d’Orient.
Les formes et les usages des parfums
“À cette époque, on a vraiment une société odoriphobe !” – Élodie Pierrard
Suite à un nouvel épisode de peste noire, Élodie Pierrard vous révèle que les produits parfumés prennent une place importante dans les soins d’hygiène. L’essor des parfums augmente notamment à mesure que les bains sont délaissés, car considérés alors comme vecteurs de maladies. En effet, Élodie Pierrard vous explique qu’à la fin du Moyen Âge, on considérait les mauvaises odeurs – en particulier celles répandues dans l’air – comme responsables de la propagation des maladies. En dissimulant ces mauvaises odeurs, le parfum servait donc de rempart, de barrière protectrice. On le transportait sur soi, sous forme solide, enfermé dans une pomme d’ambre – sorte de pendentif sphérique que l’on portait au bout d’une courte chaîne pendue à la ceinture.
Outre cette utilisation quasi thérapeutique, Élodie Pierrard dresse une liste impressionnante des formes et des usages du parfum à l’épode médiévale. Eaux parfumées, huiles, poudres, fumigations : au Moyen Âge, les parfums se retrouvent aussi bien dans la fabrication des cosmétiques, sur les coiffes des dames et jusque dans l’onguent utilisé pour l’onction des fidèles lors de la messe. Ils sont le symbole de Dieu. On les applique directement sur la peau et les vêtements, on les respire, ou on les porte sur soi en pendentif.
“[Pour les plus modestes,] il existe même des recettes de contre façon !” – Élodie Pierrard
L’étude des sources laisse à penser que ce sont les élites qui ont majoritairement recours aux parfums, en particulier parce que les matières premières coûtent extrêmement cher. Cependant, Élodie Pierrard confirme que les bourgeois et même les populations moins aisées pouvaient faire usage des parfums. Elle cite par exemple une livre de recettes destinés à la bourgeoisie dans lequel l’auteur partage des recettes d’eau de rose à fabriquer soi-même ; et elle mentionne même des ouvrages qui conseillent des parfums moins coûteux à ceux qui n’auraient pas les moyens d’acquérir de l’ambre grise pour remplir leur pomme d’ambre.
La fabrication et les odeurs des parfums
“Le parfum le plus répandu est l’eau de rose.” — Élodie Pierrard
Élodie Pierrard vous révèle qu’à la fin du Moyen Âge, de nombreux ingrédients entrent dans la fabrication des parfums et leur confèrent différentes odeurs. Les sécrétions animales – telles que le musc ou l’ambre gris – sont particulièrement appréciées, car elles dégagent de fortes odeurs. Les épices entrent également en jeu : cumin, cannelle, mais aussi la sauge. Les fleurs sont bien entendu très utilisées, comme le nénuphar ou la rose.
La théorie des humeurs – comme vous l’avez entendu en détail dans l’épisode 4 de la série Sciences et Moyen Âge sur la médecine – conditionne aussi l’usage des parfums et le choix des odeurs. Élodie Pierrard explique que les odeurs étaient décrites en fonction de leurs qualités physiques, à deux degrés différents : froid et chaud au premier degré ; sec et humide au second. Outre la théorie des humeurs, les odeurs sont aussi classées en trois grandes catégories : les aromatiques, fortes et agréables ; les odeurs moyennes ; et les odeurs puantes, dangereuses pour la santé.
“On conseille de respirer de la rose pour se conforter le cœur ou pour reprendre ses esprits.” – Élodie Pierrard
Les parfums ont, en plus de leur usage cosmétique, une utilisation thérapeutique. Élodie Pierrard parle d’ailleurs du soin par l’odeur : à différents maux, différentes odeurs. Elle vous dévoile également qu’au Moyen Âge, les chirurgiens rédigent souvent des recettes de parfums destinés à l’embellissement – épilation, fards – et donnent des conseils en la matière. Ils décrivent ainsi prodiguer des soins par les odeurs. Toujours dans l’idée d’une utilisation thérapeutique des parfums, Élodie Pierrard vous parle aussi des apothicaires. En plus d’assister les médecins ou les chirurgiens en confectionnant les remèdes prescrits, ce sont des parfumeurs. Comme l’ajoute Élodie Pierrard, cela semble logique étant donné que beaucoup d’ingrédients médicinaux se retrouvent dans la composition des parfums.
Pour en savoir plus sur le sujet de l’épisode, on vous conseille de lire :
-
Alain Corbin, Le miasme et la jonquille. L’odorat et l’imaginaire social, XVIIIe-XIXe siècles, Paris, Aubier Montaigne, 1982.
- Les soins de beauté durant le Moyen Âge, Actes du Colloque international de Grasse (Centre d’Études Médiévales de l’Université de Nice, 26-28 avril 1985), Nice, 1987.
- Jean-Pierre Albert, Odeurs de sainteté. La mythologie chrétienne des aromates, Paris, École des Hautes Études en Sciences Sociales, 1990.
- Annick Le Guérer, Les pouvoirs de l’odeur, Paris, Odile Jacob, 1998.
- Jacques Le Goff et Nicolas Truong, Une histoire du corps au Moyen Âge, Paris, Liana Levi, 2003.
- Cultures de cour, cultures du corps, XIVe-XVIIIe siècle, Catherine Lanoë (éd.), Mathieu da Vinha (éd.), Bruno Laurioux (éd.), Paris, PUPS, 2011.
Parfums et odeurs au Moyen Âge. Science, usage, symboles, Agostino Paravicini Bagliani (éd.), Florence, SISMEL-Edizioni del Galluzzo, 2015.
Si cet épisode vous a intéressé vous pouvez aussi écouter :
Merci à Clément Nouguier qui a réalisé le magnifique générique du podcast, à Baptiste Mossiere pour le montage de l’épisode et Alizée Rodriguez pour la rédaction de l’article !