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Sciences & Moyen Âge – Épisode 1 : Le vitrail

Comment a évolué la fabrication du vitrail au Moyen Âge ?

C’est peut être un des clichés les plus récurrents quand on parle du Moyen Âge : c’est une période sombre où rien n’a été inventé, une période de recul dans les connaissances et les technologies… Mais si vous avez déjà écouté d’autres épisode de ce podcast, vous savez que c’est faux ! Pour vous aider à mieux comprendre pourquoi, je vous propose une série d’épisodes concentrée sur les innovations et avancées techniques du Moyen Âge, dans différents domaines, avec des invités passionnants et passionnantes, comme d’habitude.

Dans ce premier épisode, Marjolaine Bacot, vitrailliste et peintre-verrier, étudiante en master conservation-restauration des biens culturels à l’Université de Paris Panthéon-Sorbonne, vous parle des évolutions techniques liées à la fabrication des vitraux tout au long du Moyen Âge. Elle décrypte pour vous les différentes méthodes de fabrication et de coloration du verre. Vous ne regarderez plus jamais les vitraux de la même façon.

Le vitrail, plus que du verre coloré

vitrail de Joseph, vaches grasses © NDC, fonds Gaud
Vitrail de Joseph à la cathédrale de Chartres, vaches grasses © NDC, fonds Gaud

En Europe occidentale au Moyen Âge, un vitrail est un objet qui prend place dans une architecture, et l’assemblage de plusieurs vitraux entre eux compose une verrière. On peut observer ces grands ensembles dans les églises et les cathédrales, mais aussi dans divers bâtiments civils, comme dans certains immeubles haussmanniens, par exemple. À cette description générale, Marjolaine Bacot ajoute la définition d’Isabelle Pallot-Frossart, présidente et conservateur général du patrimoine au Service des musées de France : le vitrail est un ensemble de pièces de verre peu épaisses, découpées en formes diverses, selon un dessin pré-établi ; ces pièces de verre sont translucides ou transparentes, peuvent être colorées ou non, et sont maintenues entre elles par un réseau de plomb.

Une fois la définition établie, Marjolaine Bacot insiste sur l’origine du vitrail. En effet, il existait déjà des vitraux dans l’Antiquité – bien avant l’invention du plomb ; on utilisait alors du bois ou du plâtre pour sertir les pièces de verre et les assembler. Si les vitraux n’ont pas été inventés à l’époque médiévale, les premières innovations liées à la fabrication de verrières remontent, elles, au VIème siècle, avec la maîtrise du sertissage en plomb.

Le plomb […], c’est un peu comme une motte de beurre que l’on sort du frigo. — Marjolaine Bacot

Marjolaine Bacot vous parle ensuite des caractéristiques physiques inégalées du plomb dans la conception de verrières. Cet élément chimique est en effet très malléable et également un matériau extrêmement souple. Le plomb se déforme ainsi facilement lors de l’assemblage des fragments de verre qui forment le vitrail, de sorte que les différentes pièces ne se brisent pas sous les pressions de la maçonnerie.

Un mélange de savoir-faire

Le vitrail est un objet composite, au carrefour de plusieurs métiers différents. — Marjolaine Bacot

Souffleur de verre - Dijon IRHT_094406-p
Souffleur de verre – Dijon IRHT

Du fait du nombre d’éléments qui composent un seul vitrail, une verrière représente finalement la partie visible d’un savant mélange de différents savoir-faire. L’art du vitrail repose ainsi sur un assemblage complexe de plusieurs techniques complémentaires impliquant une pluralité de métiers. Marjolaine Bacot en distingue d’ailleurs six. Il y a d’abord les tailleurs de pierre et les maçons qui construisent la baie, c’est-à-dire, le cadre pour accueillir la verrière dans l’architecture. Les serruriers façonnent ensuite les cadres métalliques qui permettent de tenir les panneaux sur lesquels chaque vitrail sera posé. Puis viennent les souffleurs de verre pour produire les feuilles de verre nécessaires à l’assemblage de la verrière finale. Enfin, les vitraillistes et les peintres verriers assemblent et sertissent ces pièces de verre avec du plomb, avant de les installer.

Comme le vitrail est un élément architectural à part entière, Marjolaine Bacot vous détaille diverses évolutions apparues au Moyen Âge ou perfectionnées tout au long de l’époque médiévale – et que les artisans utilisent encore de nos jours. En outre, elle décrit deux techniques de soufflage très développées au Moyen Âge : le soufflage en cive, ou soufflage en couronne, et le soufflage en manchon. Le premier consiste à utiliser la force centrifuge pour former un disque de verre à partir d’une bulle préalablement soufflée au bout d’une canne métallique. Le second permet de former un rectangle de verre plat à partir de la même bulle, mais que l’on transfère d’abord dans une fosse, pour l’étirer et lui donner une première forme plus oblongue.

Un art de la couleur

L’artisanat du vitrail, c’est également l’art de la couleur. Les verres sont généralement teintés dans la masse, par les souffleurs de verre. Ces artisans, en plus de façonner le verre, y ajoutent différents oxydes qui, après cuisson et une fois le verre refroidi, lui donnent sa couleur finale. Mais les souffleurs ne sont pas les seuls à maîtriser la couleur. Les peintres-verriers sont également versés dans cet art, à cela près qu’ils ajoutent la couleur a posteriori, sur un verre incolore, lorsqu’ils posent les vitraux.

Bourreau vitrail de la Sainte Chapelle - N° Inventaire : Cl.14476
Bourreau vitrail de la Sainte Chapelle – N° Inventaire : Cl.14476

En parlant de couleur, Marjolaine Bacot mentionne une importante innovation créée et développée au Moyen Âge, à savoir, la grisaille. Il s’agit d’une peinture opaque, faite de verre pilé, de plomb et d’oxydes métalliques – généralement du cuivre, ou du fer. La grisaille a une couleur noir-brun, idéale pour dessiner les petits détails, comme les traits du visage ou encore les plis des drapés. À partir du XIVème siècle apparaît également le jaune d’argent. Si cette peinture était déjà employée pour colorer des objets en 3D, les artisans la maîtrisent désormais pour les vitraux.

Outre la couleur, les peintres-verriers perfectionnent aussi des techniques de décor, comme la cage à mouche. Popularisée au XIIIème siècle, il s’agit de colorer les fonds des vitraux ornementaux – c’est-à-dire, à motifs floraux, – avec de petits croisillons de couleur noire. Au XVème siècle apparaissent ensuite les émaux, poudres de verre colorées qui se vitrifient à la surface après cuisson et permettent d’obtenir des bleus, des violets et des verts. Et enfin, à la toute fin du Moyen Âge, au XVIème siècle, les artisans développent la sanguine, sorte de grisaille, mais de couleur rouge, utilisée sur les vitraux pour colorer la peau.

C’est également à l’époque médiévale que ces avancées techniques et artistiques sont compilées dans des ouvrages de référence. Aussi, au XIIème siècle, le moine Théophile rédige un traité technique éponyme dans lequel il regroupe le savoir-faire technique de plusieurs métiers d’art. Il y détaille notamment la manière dont les vitraux sont fabriqués.

Enfin, Marjolaine Bacot conclut en précisant que les évolutions architecturales comme les progrès techniques dans l’édification des bâtiments et des monuments accompagnent les avancées de l’artisanat du vitrail. De fait, le passage du style roman au gothique ainsi qu’une meilleure gestion des forces dans l’érection des murs – et notamment des voutes – confèrent aux vitraux une place plus importante dans l’architecture.

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Merci à Clément Nouguier qui a réalisé le magnifique générique du podcast, à Manu Perreux pour le montage et Alizée Rodriguez pour la rédaction de l’article !