Épisode 42 – Bérénice et l’esclavage dans les Antilles françaises (Modernistes)
Comment la France a-t-elle instauré l’esclavage dans les Antilles françaises à l’époque moderne et quelles en furent les évolutions ?
Bérénice Juret a étudié la mise en place de l’esclavage dans les Antilles françaises. Dans cet épisode de Passion Modernistes, elle revient avec vous sur ce sujet auquel elle s’est intéressée dans le cadre de son master à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Sous la direction de Frédéric Régent et de l’archéologue Thomas Romon, son mémoire de recherches s’intitule La mort de l’esclave en Martinique et Guadeloupe (1802-1848) et elle l’a soutenu en juin 2022.
Les Antilles françaises
“On est là où se passe Pirates des Caraïbes.” — Bérénice Juret
Bérénice Juret s’est concentrée essentiellement sur les îles de la Martinique et de la Guadeloupe, situées dans les Antilles, au sud de Cuba. Elle précise que les puissances européennes commencent à s’installer dans les Antilles dès les premiers voyages de Christophe Colomb. Aussi, les Espagnols sont les premiers à coloniser ces territoires dont ils conservent le monopole jusqu’au début du XVIIème siècle.
La France, elle, commence à s’intéresser aux Antilles après la ratification de l’édit de Nantes, en 1598, qui met fin aux guerres de religions dans le pays. Dans le but de faire concurrence à l’Espagne, la France se livre alors à une guerre de course. Des corsaires sont ainsi mandatés par le roi pour attaquer les navires espagnols et établir des zones de peuplement dans les Antilles.
Parmi les possessions françaises dans les Antilles, Bérénice Juret énumère les îles d’Hispaniola, de la Tortue – Tortuga – et bien entendu, la Martinique et la Guadeloupe, dont la colonisation débute en 1635. En s’installant dans ces îles, la France espère récupérer des terres riches en or, pour faire concurrence à l’Espagne.
La mise en place de l’esclavage
“L’esclavage existe depuis l’Antiquité, ce n’est rien de nouveau.” — Bérénice Juret
Bérénice Juret vous rappelle que l’esclavage a perduré depuis l’Antiquité et avait encore lieu au Moyen Âge. L’importation d’esclaves avait alors lieu depuis l’Orient, mais elle cesse brusquement avec la prise de Constantinople en 1453. Les Européens ont donc besoin d’une autre source et Espagnols et Portugais se tournent notamment vers l’Afrique, d’où ils exportent des esclaves vers la péninsule ibérique. Si les premiers esclaves à servir les Espagnols outre-Atlantique sont les populations locales colonisées, ils vont aussi envoyer des esclaves d’Afrique vers les Amériques.
Outre l’Espagne et le Portugal, la France aussi a besoin de main d’œuvre dans ses nouvelles colonies et, dans un premier temps, fait appel à des engagés. Comme le définit Bérénice Juret, il s’agit de personnes venues d’Europe auxquelles on offre la traversée de l’Atlantique si elles s’engagent à travailler gratuitement pendant quelques années, une fois sur place. Cependant, les conditions de travail sont extrêmement difficiles et le nombre d’engagés diminue progressivement. La France se tourne, elle aussi, vers la traite des esclaves venus d’Afrique.
“D’après les sources, 15 à 20 millions de personnes ont été réduites en esclavage en Afrique et envoyées dans les colonies françaises des Amériques entre les XVème et XIXème siècles, et dont on estime que la moitié venait d’Afrique Centrale.” — Bérénice Juret
En Martinique et en Guadeloupe, ainsi qu’à Saint-Domingue – l’actuelle Haïti – Bérénice Juret souligne que ces esclaves étaient majoritairement employés dans les plantations de canne à sucre. Ce type de culture se met en place dans la seconde moitié du XVIIème siècle. Elle supplante le tabac qui était la principale ressource exploitée jusqu’alors dans les Antilles, notamment par les engagés. En outre, Bérénice Juret mentionne que le café et le coton sont aussi cultivés sur ces territoires, mais sont plutôt des cultures secondaires.
“Les esclaves coûtent assez cher et les maîtres n’ont pas d’intérêt à les voir mourir vite, mais ils n’ont pas de considération humaine pour eux non plus.” — Bérénice Juret
Si la grande majorité des esclaves est exploitée dans les plantations, d’autres sont employés dans les commerces ou dans les maisons des maîtres. D’ailleurs, posséder des esclaves en tant que domestiques dans sa maison ou son commerce est un moyen de montrer son statut social. Enfin, cas beaucoup plus rares, les esclaves peuvent également servir à faire la guerre. Lors d’affrontements contre les autres puissances coloniales dans les Antilles, on arme les esclaves avant, généralement, de les affranchir à la fin du conflit. Bérénice Juret cite l’exemple du gouverneur de la Martinique, en 1666.
L’esclavage en France métropolitaine
“Jusqu’en 1716, lorsqu’un esclave pose le pied sur le territoire français, il est censé être libre.” — Bérénice Juret
Au XIVème siècle, le roi Louis X le Hutin proclame un édit interdisant la présence d’esclave sur le sol du royaume de France. En 1716, les propriétaires d’esclaves dans les plantations obtiennent un décret royal leur permettant, sous certaines conditions, de conserver la propriété de leurs esclaves lorsqu’ils sont en France. En échange, les maîtres s’engagent ainsi à christianiser leurs esclaves et à leur apprendre un métier, conditions qui seront très peu respectées.
Outre cette règlementation en métropole, Bérénice Juret revient aussi sur les règlements mis en place dans les Antilles, dont le plus important est le Code Noir. Cet édit de 1685 définit le statut de l’esclave, désormais considéré comme un bien immeuble, indissociable de la plantation à laquelle il appartient. On lui reconnait également une âme, lui autorisant, de fait, d’être baptisé.
Bérénice Juret insiste sur un point : depuis les débuts de la colonisation et même s’ils sont traités comme des objets, les esclaves sont toutefois considérés comme des êtres humains. Certains papes se sont d’ailleurs opposés à l’esclavage, dès le Moyen Âge, comme le pape Eugène IV ou encore le pape Pie II au XVème siècle, avant même la découverte des Amériques en 1492. Parmi les grandes figures de l’opposition à l’esclavage, Bérénice Juret cite l’homme d’Église espagnol Bartolomé de Las Casas, qui défend notamment les droits des Amérindiens lors de la Controverse de Valladolid. Elle mentionne par ailleurs des figures des Lumières, comme Diderot ou encore l’abbé de Raynal.
Pour en savoir plus sur le sujet de l’épisode, on vous conseille de lire :
Base de données en ligne, consultable gratuitement par tous : Slaves Voyages
Sur l’esclavage depuis l’Antiquité :
- Paulin Ismard (dir.), Les mondes de l’esclavage, Paris, Seuil, 2021, 1168 p.
- Christian Delacampagne, Une histoire de l’esclavage, de l’Antiquité à nos jours, Paris, Le livre de poche, 2002, 319 p.
- Olivier Pétré-Grenouilleau (dir.), Dictionnaire des esclavages, Paris, Larousse, 2010, 575 p.
Sur l’esclavage dans les colonies françaises :
- Bruno Maillard, Gilda Gonfier, Frédéric Régent, Libres et sans fers. Paroles d’esclaves, Paris, Fayard, 2015, 300 p.
- Jean-François Niort (dir.), Le Code Noir, idées reçues sur un texte symbolique, Cavalier Bleu, 2023, 121 p.
- Frédéric Régent, La France et ses esclaves, de la colonisation aux abolitions, 1620-1848, Paris, Grasset, 2007, 360 p.
Une exposition récente : Guillaume Gaillard, Eric Saunier (dir.), Esclavage, mémoires normandes, Milan, Silvana Editoriale, 2023, 370 p.
Pour les enfants :
- Frédéric Régent, Raconter l’esclavage aux enfants, Paris, La Martinière, 2023, 72. p.
- Roman : Timothée de Fombelle, Alma, Paris, Gallimard, 3 tomes [A partir de 11 ans]
Dans cet épisode vous avez pu entendre les extraits des œuvres suivantes :
- 12 Years a Slave, 2013, réalisation Steve McQueen
- Joseph Bologne de Saint-Georges, aussi appelé le chevalier de Saint-Georges : Chevalier de Saint George – Concerto pour violon No. 2 en la majeur, Op. 5, joué par Jean-Jacques Kantorow et l’orchestre de Chambre Bernard Thomas
- Delgres – Promis le Ciel