Hors-série 31 – La transidentité au Moyen Âge, avec Clovis Maillet
Comment fonctionne le genre dans la société médiévale et comment envisageait-on la transidentité au Moyen Âge ?
Clovis Maillet est l’invité de cet épisode du format hors-série de Passion Médiévistes. Artiste et historien, il est spécialiste des questions de genre et de parenté dans la société médiévale. Sa thèse, soutenue en 2010 à l’EHESS sous la direction de Jean-Claude Schmitt, porte d’ailleurs sur la parenté hagiographique entre le XIIIème et le XVème siècle. En 2020, Clovis Maillet a publié l’ouvrage Les genres fluides : de Jeanne d’Arc aux saintes trans, s’imposant comme une référence sur le sujet de la transidentité à l’époque médiévale.
Tout au long de l’épisode, par la voix de Clovis Maillet, vous découvrirez les histoires de nombreux individus, dont des récits de saints et de saintes, qui changent de genre au cours de leur vie.
À propos de l’ouvrage de Clovis Maillet, vous pouvez retrouver la conférence qu’il a donnée à l’Université d’Angers dans le cadre du Mois du genre 2021 ; ainsi que l’entretien que le chercheur a accordé en 2022 au site Actuel Moyen Âge.
Entre sexes et genres, l’identité au Moyen Âge
“Au Moyen Âge, on ne se balade pas avec des papiers d’identité. Les gens sont reconnus pour leur genre et pour leur statut social en fonction de ce qu’ils font et de leur apparence.” — Clovis Maillet
Clovis Maillet vous explique que la société médiévale est divisée en deux grandes catégories de personnes, réparties en fonction de la sexualité : les clercs et les laïcs. Les premiers observent l’abstinence tandis, qu’au contraire, les seconds pratiquent une sexualité à vertu reproductive, encadrée par le mariage.
En parallèle et comme le précise Clovis Maillet, au Moyen Âge, les traités de médecine parlent de trois genres : les femmes, les hommes et les hermaphrodites. Le genre est important socialement, pour exercer un métier ou faire des études ; mais aussi moralement, certains comportements relevant davantage du masculin ou du féminin.
Les manifestations de la transidentité au Moyen Âge
“On est à une époque où les vêtements sont régulés. En fait, ils le sont encore aujourd’hui. [rires]” — Clovis Maillet
Concrètement, Clovis Maillet précise que l’apparence a beaucoup d’importance dans la société médiévale. Ainsi, l’identité et le genre, de même que la catégorie sociale des individus, sont associés aux vêtements. Il insiste d’ailleurs sur ce dernier point : on ne peut pas porter des vêtements de nobles quand on ne l’est pas et cette règle est même notée dans la loi. Cependant, porter un vêtement différent de son sexe de naissance n’est juridiquement pas répréhensible en tant que tel puisqu’aucun document légal ne l’interdit. Clovis Maillet vous révèle que cela devient problématique dès lors que cela trouble l’ordre social : on ne peut s’empêcher de penser à Jeanne d’Arc, dont nous vous parlions avec Floryan Varennes, dans l’épisode 39.
“Il faut que les nobles aient l’air de nobles, les paysans aient l’air de paysans, que les hommes aient l’air d’hommes et les femmes aient l’air de femmes.” — Clovis Maillet
Dans les textes hagiographiques qu’il a étudiés, Clovis Maillet vous indique que la transidentité se manifeste par un changement dans le nom du personnage au cours de son histoire. Cette transidentité se traduit jusque dans les accords grammaticaux. Enfin, le changement de genre s’affiche dans les comportements de ces personnages. Ils adoptent les attitudes et les actions du genre auquel ils s’identifient. Loin d’être décriées, Clovis Maillet souligne que dans les textes hagiographiques, les figures de saints et de saintes sont célébrées. Leur transidentité n’est donc pas un problème et il vous en révèle la raison dans l’épisode.
L’ouvrage, la méthode de travail et les sources étudiées par Clovis Maillet
“Les saints, ce sont les stars de l’époque.” — Clovis Maillet
L’hagiographie, cette branche de l’histoire consacrée à la vie et aux actions des saint(e)s, est la spécialité de Clovis Maillet. Dans le cadre de ses recherches, il s’est majoritairement appuyé sur La légende dorée, de Jacques de Voragine, qui retrace des vies de saints, de saintes et de martyrs chrétiens. Il a également étudié de nombreuses images et travaillé en collaboration avec, notamment, des spécialistes de l’histoire byzantine.
“Je me suis concentré sur des saints et des saintes qui ont occupé un genre différent de celui de leur naissance.” — Clovis Maillet
Quant à sa méthode de recherche, Clovis Maillet a analysé son corpus d’un point de vue plutôt littéraire. Il s’est particulièrement penché sur les figures de chevaliers trans, ces héros oubliés pourtant présentés comme de véritables modèles à l’époque médiévale. Comme vous le confie plus précisément Clovis Maillet, ses sources traitent davantage de transmaculinité, soit des femmes de naissance, identifiées ensuite comme des hommes. Il cite, entre autres, l’exemple ambigu de Jeanne d’Arc, qui s’habille en homme, mais se présente néanmoins comme une femme ; ou d’une certaine Eugenia.
“[Avec ce livre,] j’ai voulu donner envie aux gens de travailler sur ce sujet ; […] je l’ai voulu comme un point de départ pour d’autres.” — Clovis Maillet
Pour écrire son livre, Clovis Maillet explique avoir, entre autres, voulu déconstruire les idées reçues. De fait, il vous révèle que la transidentité n’était pas vraiment un enjeu au Moyen Âge et qu’il était assez facile de changer de genre, au gré de ses déplacements, par exemple. Clovis Maillet mentionne que ces changements de genre ont réellement commencé à poser un problème au début du XVème siècle. Ses recherches ont par ailleurs conduit Clovis Maillet à s’intéresser à des romans de chevalerie ou encore à quelques comptes-rendus de procès.
Dans cet épisode, vous avez pu entendre les références suivantes :
- La légende dorée, par Jacques de Voragine, dominicain et archevêque de Gênes. Rédigé en latin entre 1261 et 1266, l’ouvrage retrace la vie d’environ 150 personnages chrétiens (des saints, des saintes et des martyrs).
- Magnus Hirschfeld (1868 – 1935) médecin allemand, pionner dans l’étude de la sexologie humaine au XIXème siècle.
- Marie Delcourt, (1891 – 1979) helléniste, historienne et philologue belge. Elle étudia l’ambiguïté de genre à travers des personnages issus de la mythologie grecque et parla notamment du Complexe de Diane (1958).
- Évelyne Patlagean (1932 – 2008) historienne française byzantiniste, écrivit L’histoire de la femme déguisée en moine et l’évolution de la sainteté féminine à Byzance (1976).
- Sophie Albert, spécialiste en littérature médiévale.
- George Sidéris, byzantiniste français, spécialistes des eunuques à Byzance.
- Caroline Baynen
- Alicia Spencer-Hall et Blake Gutt, Trans and Genderqueer Subjects in Medieval Hagiography
- Collectifs – Archéologies des transidentités : mondes médiévaux
Pour en savoir plus sur le sujet de l’épisode, on vous conseille de lire ou de consulter :
- Clovis Maillet, Les genres fluides, Arkhé Editions, 2020 (disponible dans toutes les bonnes libraires)
- La longue histoire des transidentités Constituer des archives trans, historiciser le genre, article du 16 avril 2024 par Clovis Maillet
- Trans and Genderqueer Subjects in Medieval Hagiography | Amsterdam University Press (aup.nl)
- Seeing Sodomy in the Middle Ages, Mills (uchicago.edu)
-
Entretien avec Gabrielle Bychowski, spécialiste de la question : Were there Transgender People in the Middle Ages? – The Public Medievalist
Si cet épisode vous a intéressé vous pouvez aussi écouter :
Merci à Alizée Rodriguez de la rédaction de cet article !