Les épisodesPassion Médiévistes Les épisodes retranscrits

Épisode 39 – Floryan, le médiévalisme et Jeanne d’Arc

Comment Jeanne d’Arc est devenue l’une des figures du médiévalisme ?

Floryan Varennes au micro de Passion Médiévistes
Floryan Varennes au micro de Passion Médiévistes

Floryan Varennes est un plasticien toulonnais et a réalisé en 2019 un mémoire de master 1 à l’Université Paris-Nanterre sous la direction de Franck Collard sur le sujet : “Médiévalisme, genre et costume : Représentations johanniques dans les arts visuels du XIXe au XXIe siècle”. Dans cet épisode nous parlons de médiévalisme via la figure de Jeanne d’Arc et aborder les ses représentations dans les arts visuels.

Qu’est-ce que le médiévalisme ?

Le médiévalisme est un concept qui apparaît après 1789, que ce soit de façon historique, idéologique, politique, sociologique, ou encore artistique. C’est un ensemble de références avec une idéalisation et une réflexion sur le Moyen Âge, beaucoup reprises par les artistes.

Pourquoi Jeanne d’Arc ?

« Jeanne d’Arc est un réservoir herméneutique et mythologique, elle fait partie de la triade du médiévalisme, avec Robin des Bois et le roi Arthur, et c’est la seule femme« , explique Floryan Varennes. Au cours de l’épisode nous revenons sur ce que l’on sait de l’histoire de Jeanne d’Arc, de sa vie et de sa personnalité.

Seule représentation contemporaine connue de Jeanne d'Arc
Seule représentation contemporaine connue de Jeanne d’Arc (source)

Pour Floryan Varennes, « on pense souvent qu’elle a été brûlée parce qu’elle était une sorcière […] mais avant d’aller voir le roi elle avait décidée de s’habiller en homme et elle a jugée et brûlée à cause de ça« . De la jeune bergère elle s’est transformée en guerrière, et de femme elle s’est transmutée en homme, de façon symbolique.

Représenter Jeanne d’Arc

La toute première représentation de Jeanne d’Arc est l’œuvre du greffier de Paris Clément de Fauquembergue en 1429, le seul portrait réalisé du vivant de la jeune femme. C’est une sorte de portrait robot réalisé par ouï-dire, parce que le greffier ne l’a jamais vu de ses propres yeux. Nous avons des informations sur ce à quoi elle ressemblait notamment grâce aux textes des procès.

A partir de cette première figure a découlé plusieurs types de représentations de Jeanne d’Arc, que Floryan Varennes a classé à partir de plus de 350 tableaux : en jeune bergère (pour faire référence à ses visions), l’entrée d’Orléans, le sacre du roi, en captive, ou sur le bûcher. Plusieurs courants artistiques se sont ensuite emparés de la figure de Jeanne d’Arc : les troubadours, les romantiques, les préraphaélites, les symbolistes…

1863 Joan of Arc Kissing the Sword of Delivrance Dante Gabriel Rossetti
1863 Joan of Arc Kissing the Sword of Delivrance Dante Gabriel Rossetti

Floryan Varennes remarque qu’à partir de sa canonisation en 1920 l’intérêt des artistes pour la figure de Jeanne d’Arc diminue.

 

Pour en savoir plus sur le sujet de l’épisode, on vous conseille de lire :

  • BEAUNE Colette, Jeanne d’Arc. Vérités et légendes, Paris, Perrin, 2008
  • CONTAMINE Philippe, BOUZY Olivier et HELARY Xavier, Jeanne d’Arc. Histoire et dictionnaire, Paris, Robert Laffont, Bouquins, 2012.
  • COUTY Daniel et MAURICE Jean (dir), Images de Jeanne d’Arc, Actes du colloque de Rouen 25-27 mai 1999, Paris, PUF, collection Études médiévales, 2000
  • DI CARPEGNA FALCONIERI Tommaso, Médiéval et militant. Penser le contemporain à travers le Moyen Âge, Paris, Publications de la Sorbonne, 2015.
  • FERRE Vincent (dir.), Médiévalisme, modernité du Moyen Âge (Itinéraires LTC, 2010-3), L’Harmattan, 2010
  • MICHAUD-FRÉJAVILLE Françoise, Un habit déshonnête, Réflexions sur Jeanne d’Arc et l’habit d’homme à la lumière de l’histoire du genre, Recherches récentes sur Jeanne d’Arc, Francia, 34-1, 2007, p.185.
  • NEVEU François (dir.), De l’hérétique à la sainte. Les procès de Jeanne d’Arc revisités : actes du colloque international de Cerisy, octobre 2009, Caen, Presses universitaires de Caen, 2012.
  • SALOMÉ Laurent (dir), Jeanne d’Arc. Les tableaux de l’histoire, Paris, Réunion des Musées Nationaux, 2003.
  • SERGI Giuseppe, L’idée du Moyen Âge entre imaginaire et réalité historique, Paris, Flammarion, 2014.

    Visuel de l’épisode 37 créé par l’artiste Din
    Visuel de l’épisode 39 créé par l’artiste Din
  • UTZ Richard, Medievalism: A Manifesto, Bradford, Humanities Press, 2017.
  • WARNER Marina, Joan of Arc: The Image of Female Heroism, London, Vintage Publishing, 1991 (1981).

Dans cet épisode vous avez pu entendre les extraits des œuvres suivantes :

  • Jeanne d’Arc, film de Luc Besson (1999)
  • Kaamelott, Livre II, épisode 4
  • Les Robins des Bois, Grands Procès de l’Histoire – Jeanne d’Arc
Transcription de l’épisode 39 (cliquez pour dérouler)

[Générique]

Fanny : Est-ce que vous savez tout du Moyen Âge ? Mais d’abord, qu’est-ce que le Moyen Âge ? En général, on dit que c’est une période de mille ans, de 500 à 1500. Mais vous l’entendez dans ce podcast, il y a autant de définitions du Moyen Âge que de médiévistes. Je m’appelle Fanny Cohen Moreau, et dans ce podcast, je reçois des jeunes médiévistes, des personnes qui étudient le Moyen Âge en master ou en thèse, pour qu’ils vous racontent leurs recherches passionnantes, et qu’ils vous donnent envie d’en savoir plus sur cette belle période.

Épisode 39, Floryan, le médiévalisme et Jeanne d’Arc, c’est parti !

Fanny : Bonjour Floryan Varennes.

Floryan : Bonjour Fanny.

Fanny : Tu es toulonnais, oui je voulais commencer ta description par ça, parce que j’aime bien et on me dit souvent « ouais, t’as que des parisiens ». Ouais, voilà, je n’ai pas que des Parisiens, je tiens à le dire. Tu es plasticien, avec notamment un master d’expression plastique supérieure, mais tu fais aussi un master d’histoire et l’année dernière, tu as rendu un M1 sur le sujet « Médiévalisme, genre et costume : Représentations johanniques dans les arts visuels du XIXe au XXIe siècle » sous la direction de Franck Collard à l’université Paris-Nanterre. Là tu es actuellement en M2, et tu as peut-être un projet de thèse, tu nous en parleras si tu veux tout à l’heure. Et donc avec toi Floryan, on va parler de médiévalisme via la figure de Jeanne d’Arc, et donc aborder les représentations de Jeanne d’Arc dans les arts visuels. Mais je voulais d’abord un petit peu commencer avec toi, pourquoi tu as choisi d’étudier l’histoire médiévale ? Parce que d’après ce que j’ai compris, tu as un parcours un peu plus complexe que mes invités d’habitude.

Floryan : Tout à fait. Mon amour, on va dire, pour l’histoire médiévale, remonte il me semble à mon enfance, comme beaucoup de personnes généralement. Quand j’avais à peu près 10, 11 ans, j’ai été happé par le Seigneur des anneaux. J’avais il me semble auparavant lu Bilbo, mais j’en avais moins souvenir. Et là j’ai découvert donc cette trilogie de Peter Jackson, et je me suis très vite intéressé, au début sans savoir ce que c’était donc, à cette époque médiévale un petit peu bizarre, chevaleresque et elfique. Par la suite, j’ai fait des jeux de rôle, des jeux de rôle grandeur nature. Et j’ai commencé après à intégrer des associations de reconstitution historique, et aussi des associations de danse médiévale. Et petit à petit en fait, je me suis fait surprendre par mon amour pour l’histoire médiévale et mon amour pour le médiévalisme.

Fanny : Et comment tu en es venu à faire un master ? Parce qu’on peut aimer l’histoire médiévale, mais de là à faire un master… Et en plus, tu l’as pas fait au début de tes études, là tu l’as fait… Voilà, tu as quel âge maintenant, environ ?

Floryan : J’ai une trentaine d’années.

Fanny : Voilà. Donc pourquoi avoir choisi de faire un master d’histoire médiévale au bout d’une trentaine d’années ?

Floryan : Je me présente pas comme un médiéviste. Je suis artiste plasticien, et si je devais me présenter, ça serait comme un médiévaliste. C’est quelque chose qui pour moi, c’est une petite… on va dire un petit détail. Comme tu l’as dit, j’ai un DNSEP, donc c’est un diplôme national supérieur de recherche en expression plastique. Donc en fait, je suis plasticien, donc je suis un artiste, je travaille dans des centres d’art, dans des musées. Et en fait, pendant mes études d’art, j’ai suivi des colloques, des conférences qui sont liées à l’histoire médiévale, et je me suis rendu compte au final que c’était une histoire médiévale qui était liée au XIXe siècle. Même plus précisément en fait, à partir de 1789 jusqu’à 2020, en quelque sorte, jusqu’à de nos jours. Et je me suis dit, c’est bizarre en fait, j’ai été happé par le Seigneur des anneaux, mais bien sûr a posteriori, je me suis dit, c’est pas du tout l’époque médiévale. Et donc j’ai été surpris pour mon amour de l’époque médiévale, de l’histoire médiévale, et en fait aussi de ses échos, de ses réceptions au XIXe siècle.

J’ai eu mon DNSEP en 2014, donc j’ai commencé à travailler assez vite, à continuer justement mon approche visuelle. Et je me suis dit au bout d’un moment, il va falloir que je sois plus précis dans mes recherches. Et surtout, à l’époque, je savais pas que je travaillais sur ces réceptions de l’époque médiévale, qui s’appelle médiévalisme. Ce qui était assez beau, c’est qu’en 2015, quelques mois après l’obtention de mon diplôme, j’ai découvert deux livres, le livre de Vincent Ferré Médiévalisme, modernité du Moyen Âge, et j’ai découvert le second livre de Tommaso di Carpegna Falconieri Médiéval et militant : Penser le contemporain à travers le Moyen Âge. J’ai compris que c’était les échos de cette époque-là qui m’intéressaient, et comment elle était travaillée par les artistes. Et comment en fait les artistes pouvaient tarir en quelque sorte, recomposer, imaginer, disséquer et se projeter dans le Moyen Âge. Et j’en suis venu il y a deux ans à vouloir préciser ce genre de recherches et à faire des études.

Fanny : Et tu as voulu travailler sur le médiévalisme à travers la figure d’une personnalité qui n’est pas n’importe quelle personnalité. En fait, on dit souvent que c’est même la femme la plus connue du Moyen Âge, Jeanne d’Arc. Pourquoi elle ? Pourquoi tu as voulu travailler sur elle et ses représentations ?

Floryan : Alors au début c’était une recherche pour moi de trois types de domaines. Je voulais travailler sur le domaine bien sûr du médiévalisme. Je voulais travailler sur le rapport aux arts visuels. Et je voulais travailler sur le genre. Et ben j’ai pas trop eu le choix. Je me suis bien sûr intéressé à d’autres figures, c’était pas la seule, j’avais pensé à Aliénor d’Aquitaine, j’avais pensé aussi à Anne de Bretagne, à Christine de Pizan et à Hildegarde de Bingen. Mais chez Jeanne d’Arc il y a quelque chose qui est extrêmement puissant, c’est qu’elle incorpore en quelque sorte, elle parle à tout le monde, et en plus c’est un réservoir herméneutique et mythologique.

Fanny : Herméneutique ?

Floryan : Herméneutique, c’est-à-dire que c’est un réservoir d’interprétations et de sens.

Fanny : D’accord.

Floryan : Elle a la particularité de faire partie de la triade du médiévalisme avec Robin des Bois et le roi Arthur. Et c’est la seule femme. Et Jeanne d’Arc est arrivée assez rapidement, Franck Collard me l’a proposée, on a discuté, parce qu’il est mon directeur de recherche. Il savait aussi que mon point de vue sur le médiévalisme était très fort et que je ne voulais pas m’en écarter. Et ce qui était assez incroyable, c’est que je fasse partie du labo d’histoire médiévale sur le médiévalisme, et non pas sur le XIXe siècle.

Fanny : Avant qu’on parle justement de Jeanne d’Arc et que tu nous dises un petit peu plus de choses sur elle, il y a un mot qu’on utilise depuis le début de cet épisode, et je pense que ce serait bien qu’on le définisse, parce que c’est pas évident pour tout le monde. Qu’est-ce que c’est, Floryan, le médiévalisme ?

Floryan : Alors le médiévalisme est une notion, on va dire un concept, qui apparaît sous diverses formes environ après 1789, et ces formes, elles sont aussi bien historiques, idéologiques, politiques, sociologiques qu’artistiques. Cet ensemble de références, on peut en parler comme une notion conceptuelle de rémanence. Ça c’est quelque chose d’assez important, puisqu’à travers ce mot conceptuel, on comprend en fait que l’époque médiévale est terminée, et en fait on a ici en quelque sorte une idéalisation du Moyen Âge, une réflexion sur le Moyen Âge et comment il est repris par des artistes à partir en quelque sorte du XVIIIe siècle, en fait c’est après 1789. Il apparait sous diverses formes et on sait à peu près maintenant, les courants historiographiques arrivent à dater et à comprendre où est-ce qu’il est apparu.

Fanny : Oui voilà, c’était important qu’on définisse ça. Maintenant Floryan, revenons sur Jeanne d’Arc. Est-ce que tu pourrais rappeler rapidement, pour ceux qui l’ignorent, qui était Jeanne d’Arc, et qu’est-ce qui l’a rendue célèbre, au point d’être peut-être maintenant la femme la plus connue du Moyen Âge en Europe occidentale ?

Floryan : Jeanne d’Arc est une figure emblématique de l’histoire de France qui est née en 1412 à Domrémy et qui est décédée à Rouen en 1431. Elle a eu une très courte expérience de vie, elle a vécu malheureusement dix-neuf ans, et surtout en fait, elle a vécu pendant la guerre de Cent Ans, et elle est assez connue, on va dire elle est même très connue, parce qu’elle a mené en fait une expédition militaire pour tenter de libérer son pays de l’envahisseur anglais au XVe siècle. Ce qui est assez beau chez elle, qu’on oublie assez souvent, c’est on va dire son rapport au divin. Parce qu’il faut savoir qu’à l’âge de treize ans, Jeanne d’Arc, pour la toute première fois, elle a entendu des voix. La voix de Saint-Michel, et par la suite on a compris que c’était celles aussi de Sainte-Catherine et Sainte-Marguerite.

Fanny : Ça fait du monde.

Floryan : Beaucoup de monde, n’est-ce pas ? Et en fait, elle a réfréné ses voix pendant à peu près trois ans et demi, quatre ans. Elle a fait complètement abstraction, jusqu’au jour où, pour des raisons qu’on ne connaît pas encore en fait, elle y a fait plus attention, elle a décidé de s’intéresser un peu plus vivement à ces voix. Ces voix, qui lui ont laissé le souvenir d’une très très grande peur chez elle, enfin à treize ans, entendre des voix, c’est quand même pas non plus tous les jours que ça arrive, lui ont ordonné de ramener le dauphin sur le trône du royaume et par la suite de libérer la France de la terrible présence anglaise.

Fanny : La pression quoi.

Floryan : N’est-ce pas, c’est une petite légère pression. Donc elle résista pendant quatre ans avant de répondre à cet appel. Elle a vraiment embrassé cet appel et elle se rendit en 1428 auprès de Robert de Baudricourt à Vaucouleurs pour vouloir rencontrer le dauphin de France. Bien sûr elle a été retoquée, elle est revenue, elle est repartie, elle est revenue. Ce à quoi s’en est suivi en fait la grande épopée de Jeanne d’Arc, où elle décida, à ce moment-ci précisément, de porter des habits d’homme et une coupe en écuelle pour aller voir le dauphin de France, Charles, par la suite Charles VII. Donc elle traversa les terres bourguignonnes et elle se rendit à Chinon où elle fut finalement autorisée à rencontrer le dauphin. Et elle lui fit quatre révélations, et plus précisément elle lui expliqua que quatre événements allaient se mettre en place.

Il faut savoir que ces évènements ne sortent pas de nulle part. Il faut savoir donc qu’à cette époque, dans le bas Moyen Âge, il y avait beaucoup de prophétesses, et les rois et les cours royales avaient l’habitude de recevoir des prophétesses, ce n’était pas quelque chose de novateur ni quelque chose de fou. Les puissants de ce monde faisaient attention à ce genre de devineresse. Et Jeanne d’Arc lui a annoncé donc, assez clairement, quatre évènements : de un, la libération d’Orléans, de deux, son sacre, de trois, la libération de Paris, et enfin la libération du duc d’Orléans, qui était captif en Angleterre. Jusque-là tout va bien, elle a réussi bien sûr à libérer Orléans en 1429. La même année, il y a eu le sacre par la suite de Charles VII, qui n’était plus le dauphin mais Charles VII.

Et c’est là où les problèmes se sont un petit peu empirés pour elle, puisqu’elle a voulu libérer Paris, mais en fait elle a été capturée par les Bourguignons en 1430, qui par la suite la vendirent aux Anglais. Elle a été donc emmenée à Rouen, elle a été jugée par un tribunal sous la conduite de Pierre Cauchon, le fameux évêque Chauchon, l’évêque de Beauvais et partisan des Anglais. Et là il faut savoir qu’on l’a accusée d’hérésie, de relaps, d’apostasie et d’idolâtrie. Et par la suite bien sûr, on l’a accusée en plus d’être une devineresse, une fausse prophétesse, sacrilège, idolâtre, apostate, maldisante, malfaisante, blasphème, et le pire dans tout ça, impudemment et surtout totalement oublieuse de la décence et des conventions de son sexe.

On oublie souvent cette partie-là dans l’histoire de Jeanne d’Arc, on pense souvent qu’elle a été brûlée parce qu’elle était une sorcière. Sauf qu’à cette époque-là, les prophétesses, on savait qu’elles existaient, il y avait aucun problème. Les sorcières sont arrivées un petit peu plus tard, surtout durant l’Époque moderne, à la Renaissance. Là on n’est pas vraiment sur des questions de sorcellerie, mais ce qui est assez important, c’est qu’on est sur des questions en fait où Jeanne d’Arc, avant d’aller voir le roi, elle a décidé de s’habiller en homme, et elle a été jugée et elle a été brûlée à cause de ça.

Fanny : Effectivement, on met pas forcément ça en avant, encore aujourd’hui.

Floryan : On n’en parle presque jamais, en fait. Et c’est ça qui m’a intéressé le plus dans son histoire. C’est assez flou, on a une figure emblématique de France qui est très connue, qui est extrêmement connue, qui est un petit peu déchirée par les partis politiques, mais au final on oublie ses voix divines, et comment elle est décédée, et surtout pourquoi elle est décédée. Parce qu’elle s’était habillée en homme, et parce qu’elle avait fait donc deux transgressions. De la jeune bergère, elle s’est transformée en guerrière, et de femme, elle s’est transmutée en homme. Bien sûr c’est symboliquement tout ça, on est au Moyen Âge. Mais ces deux faits lui ont valu le bûcher.

Fanny : Et tu t’es intéressé donc à comment on a représenté Jeanne d’Arc. Quelles sont les premières représentations qu’on a de Jeanne d’Arc, vraiment les premières premières ?

Floryan : Alors la toute toute première représentation est celle de Clément de Fauquembergue, qui a été réalisée en 1429. C’était le greffier de Paris. Et ce qui est assez beau dans cette histoire, c’est qu’on n’a aucun portrait de Jeanne d’Arc. Rien n’a été établi de son vivant, sauf ce portrait. Donc en fait, c’est un espèce de portrait-robot, qui a été dessiné par ouï-dire, où on voit Jeanne d’Arc de profil, avec une robe, les cheveux longs, une énorme épée, symbolique bien sûr, et un porte-étendard. C’est la toute première image qu’on a d’elle. Clément de Fauquembergue ne savait pas du tout à quoi ressemblait Jeanne d’Arc, c’est ça qui est intéressant.

Fanny : Mais dans le procès, elle est pas décrite pourtant ?

Floryan : Alors oui justement, elle est décrite mais elle n’est pas dessinée. C’est le premier dessin, donc par ouï-dire, c’est le tout premier portrait-robot de Jeanne d’Arc, qu’on a en 1429.

Fanny : Donc ce portrait, il est de son vivant. Quasiment hein, on sait pas si c’est fidèle mais en tout cas c’est le seul portrait contemporain avant qu’elle meure.

Floryan : Oui, de son vivant, en sachant que Clément de Fauquembergue ne l’a jamais vue, c’est du ouï-dire.

Fanny : Et ce qu’on connaît sur Jeanne d’Arc, c’est seulement le procès ou on a d’autres sources, donc j’imagine peut-être des correspondances ?

Floryan : Elle est extrêmement connue au Moyen Âge parce qu’on a beaucoup beaucoup de sources sur Jeanne d’Arc. Les deux sources viennent de ses deux procès. Il y a eu un procès en condamnation, et il y a eu vingt-cinq ans plus tard un procès en réhabilitation. Le procès en condamnation l’a malheureusement mise au bûcher en 1431, et ce qui a posé problème, c’est qu’on a quand même brûlé une jeune femme, avec tout ce que j’ai dit comme accusations, ce qui a porté à mal le dauphin, plus exactement Charles VII. Il a été pas obligé, mais sa famille lui a demandé de faire un procès en réhabilitation, parce qu’elle l’a quand même mené, Jeanne d’Arc, jusqu’à son trône, jusqu’à son sacre, et ça l’a aidé. Il était obligé, il devait être légitime grâce à ce procès de réhabilitation. Et de ces deux procès plus plusieurs témoignages que l’on a, on a réussi, et les historiens cette fois-ci contemporains, enfin les historiens, plus exactement Colette Beaune, Françoise Michaud-Fréjaville, on a aussi Philippe Contamine, qui ont pu, avec toute cette correspondance, ont pu retracer l’histoire de Jeanne d’Arc. Et grâce bien sûr à Jules Michelet, le tout premier qui a fait la vie de Jeanne d’Arc.

[Extrait du film Jeanne d’Arc]

Fanny : On vient d’écouter un extrait du film de Luc Besson Jeanne d’Arc. Qu’est-ce que tu penses de ce film, Floryan, sur comment il représentait Jeanne d’Arc ?

Floryan : Il me semble que physiquement, elle est plutôt bien représentée, vis-à-vis de son armure. Vis-à-vis du film de Luc Besson, en parlant surtout de sa représentation visuelle, elle correspond plutôt bien, en quelque sorte, à ce que les historiens ont mis en avant. Après le film et l’histoire c’est autre chose. Mais la coupe en écuelle est respectée, après bon, elle est blonde alors qu’on savait très bien que Jeanne d’Arc était brune, plutôt petite, plutôt très forme, forte sportivement parlant. Et je pense que c’est une plutôt bonne représentation.

Fanny : Alors comment justement, après son procès et après sa mort, comment a évolué la représentation de Jeanne d’Arc au fil des décennies, puis des siècles ?

Floryan : C’est là où mes recherches ont été un petit peu compliquées, parce qu’en fait je me suis aperçu que Jeanne d’Arc, ou du moins ce que les historiens contemporains ont pu définir de Jeanne d’Arc, n’était pas du tout la réalité présentée dans les arts visuels. Ni dans les manuscrits ni dans la peinture. Ce qu’il faut savoir, c’est que beaucoup d’artistes connaissaient le portrait-robot de Clément de Fauquembergue. Et petite précision, Clément de Fauquembergue était affilié aux Bourguignons et aux Anglais. Et ça a été ma toute première révélation, c’est qu’on a un ennemi, en quelque sorte, qui représente Jeanne d’Arc. Donc on n’a pas une réalité historique directe. De un, elle avait les cheveux longs, alors qu’on savait très bien qu’elle n’avait plus les cheveux longs, et ce depuis trois ans, elle avait une coupe en écuelle, et en plus elle avait été rasée pendant son procès. Ensuite elle a une robe de femme, ce qui n’était jamais le cas, puisqu’elle portait des vêtements d’homme et une armure d’homme. Il y a deux seules choses qui sont extrêmement véridiques, c’est son épée et sa fonction de porte-étendard.

À partir de cette première figure, celle de Clément de Fauquembergue, s’en est suivi plusieurs. Il y a celle de Martin Le Franc, dans Le champion des dames. Là cette fois-ci, on a une Jeanne d’Arc en armure, une Jeanne d’Arc qui commence à être représentée de façon, on va dire, correcte aux yeux de cette représentation historique. Et en même temps, on a l’idéalisation de Jeanne d’Arc qui commence à légèrement pointer le bout de son nez. On la retrouve dans Les vigiles de la mort de Charles VII de Martial d’Auvergne, ou encore dans De la vie des femmes célèbres de Jean Pichore, où là on a une Jeanne d’Arc en armure complète en plaques, sur un cheval, avec un étendard. Et en fait, moi je me suis aperçu que Jeanne d’Arc avait des caractéristiques visuelles qui étaient reprises par les peintres, et qui ont, en quelque sorte, déterminé le personnage par des fonctions visuelles. Et ces fonctions visuelles, elles sont arrivées par son armure, sa coupe de cheveux, son étendard, son épée et ses habits d’homme.

Par la suite, au travers de mes recherches, dans mon mémoire, j’ai fait ce qu’on appelle une synthèse historiographique. J’ai fait des recherches, j’ai eu plus de trois cent cinquante tableaux. J’ai pris l’initiative aussi d’évacuer les dessins, d’évacuer les vitraux, parce qu’il y en a beaucoup trop. Mais je n’ai pas choisi d’évacuer, on va dire en quelque sorte, les peintres qui sont moins connus dans l’histoire de l’art. Je me suis intéressé vraiment à la peinture, à la peinture sous toutes les formes, donc c’est-à-dire sur les manuscrits, sur les peintres de maître comme Ingres ou Delaroche, et en même temps aux personnes moins connues, mais qui se sont intéressées à Jeanne d’Arc, et surtout qui se sont déployées partout en Europe. Jeanne d’Arc s’est déployée dans le médiévalisme, et par la suite de ces représentations, je me suis aperçu qu’il y avait cinq types de tableaux normatifs qui sont liés à Jeanne d’Arc. La première, en jeune bergère, bien sûr, qui fait référence aussi à ses visions. Le second, à l’entrée d’Orléans. Le troisième, au sacre du roi. Le quatrième, captive, et enfin, le cinquième portrait type, malheureusement sur le bûcher.

Fanny : Donc sur les grandes étapes de sa vie. Les grands moments importants de sa vie sont représentés de différentes façons dans l’art.

Floryan : Par la suite, j’ai commencé mes investigations historiques en histoire de l’art, et je me suis intéressé à plusieurs courants de peinture. Les troubadours, la peinture romantique, les préraphaélites, les symbolistes, jusqu’à la modernité. Il faut savoir que Jeanne d’Arc, dans l’histoire visuelle, et dans l’histoire de l’art visuel, elle s’est vraiment éteinte à partir de 1920, quand elle a été canonisée. L’intérêt en fait a commencé à diminuer, donc on ne l’a presque plus jamais revue.

Fanny : Mais ça veut dire qu’à partir du moment où elle est canonisée, c’est-à-dire où elle est censée être reconnue, on la représente plus ?

Floryan : C’est ce que j’ai remarqué au fil de mes recherches, c’est qu’en fait l’intérêt de Jeanne d’Arc s’est perdu après sa canonisation. Il faut dire aussi qu’il y a deux évènements importants, qui s’appellent des guerres mondiales, qui sont arrivés, qui ont un petit peu fracassé tout ça.

Fanny : Ah oui c’est vrai, un contexte important.

Floryan : Oui. Pour reparler un petit peu, pour revenir à l’histoire visuelle de Jeanne d’Arc, Jeanne d’Arc a été reprise par plusieurs peintres qui ont laissé une empreinte dans l’histoire de l’art assez forte. On pense bien sûr à Paul Delaroche, qui a peint Jeanne d’Arc malade et interrogée dans sa prison par le cardinal de Winchester en 1824, où ici on a une première représentation de Jeanne d’Arc qui est alitée, priante, brune, face au cardinal qui lui n’a jamais été présent physiquement et réellement. Mais là en fait, Paul Delaroche, il met en fait en confrontation deux personnages assez forts dans cette peinture, et qui en fait représente ici, on a une Jeanne d’Arc qui est extrêmement belle, extrêmement harmonieuse dans ses représentations, alors qu’on savait justement, on a petit à petit, Colette Beaune, on a ce portrait réaliste de l’histoire de Jeanne qui arrive, et qui se définit d’année en année de plus en plus, où on sait que Jeanne d’Arc était les cheveux courts, brune, plutôt petite, extrêmement sportive. Faut pas oublier non plus qu’elle était très pieuse, donc elle avait l’habitude de faire des carêmes, elle avait une astreinte du corps, elle avait un physique androgyne, elle était aménorrhée, donc elle avait une perte de règles. Donc il y a aussi cette construction du personnage.

Fanny : Ça on le sait grâce à quoi, quelle était aménorrhée ? C’est fou ce détail !

Floryan : On le sait en fait grâce à Françoise Michaud-Fréjaville et Colette Baune, qui en fait, par un regroupement de plusieurs témoignages de proches d’elle se sont aperçues que justement elle n’était plus « atteinte par ce mal que les femmes avaient ».

Fanny : Bonne périphrase dis donc hein.

Floryan : Petit aparté aussi, le romantisme et les troubadours ne sont pas apparus du jour au lendemain.

Fanny : Les troubadours, excuse-moi mais ça me fait tiquer, c’est quoi le troubadour en histoire de l’art. Moi je connais pas, je connais les troubadours au XIIe siècle, mais je connais pas les troubadours en histoire de l’art.

Floryan : Après 1789, il y a eu un petit chamboulement, on va dire, dans l’histoire de l’art. L’histoire de l’art, c’est fait de ruptures, ou c’est fait de continuités. Après 1789, c’était une époque, on était encore et on sortait du néo-classicisme, on avait encore tout cet amour pour la période hellénistique, pour les Grecs. Et petit à petit, tous ces artistes, tous ces chercheurs du, on va dire fin XVIIIe se sont intéressés à l’époque médiévale, puisqu’elle était plus proche, plus actuelle en quelque sorte. Et les troubadours et les romantiques, donc le troubadour c’est un mouvement artistique qui a voulu reconstituer une atmosphère très idéalisée et très courtoise du Moyen Âge.

Fanny : Et on sait ce qu’on pense sur l’amour courtois ! Voilà, on en a déjà parlé pas mal dans ce podcast, mais effectivement l’amour courtois, on a l’impression aujourd’hui que c’est quelque chose de très romantique. En fait non pas du tout, c’est avant tout du patriarcat. Voilà, je te laisse continuer.

Floryan : Donc le mouvement troubadour et le mouvement romantique en fait, il est apparu en réaction au rationalisme néo-antique, et tous les mouvements néo-classiques à la peinture rococo en fait. C’était quelque chose, une espèce d’overdose de couleurs, de lumières, d’effets de texture, et surtout de thèmes qui sont à l’époque hellénistique, à l’époque grecque. Et petit à petit, ce premier courant de peinture a initié une recherche picturale sur le Moyen Âge, et s’est intéressé, bien sûr avec des archétypes, qui ont été la chevalerie, l’amour courtois, des archétypes qui ont perduré dans le temps et qui ont marqué la plupart des artistes, et se sont par la suite intéressés à toutes ces oripeaux que l’époque médiévale a laissés.

Et on va dire que les romantiques, qui étaient extrêmement épris d’une certaine idéalisation du Moyen Âge et d’une certaine idéalisation du passé, se sont penchés sur cette période. Le romantisme en fait, avec sa portée extrêmement engagée et nostalgique, qui était aussi née des contrastes politiques et industriels au cœur de l’Europe, a voulu réinterroger ce Moyen Âge. Et pourquoi il a réinterrogé ce Moyen Âge ? Parce qu’il a voulu revenir un petit peu, en quelque sorte un retour aux sources. La période industrielle était très forte pour les artistes, et a vu des changements sociétaux qui sont arrivés très vite, très durement, parfois vécus très difficilement. Et ces courants de peinture en fait, sous couvert de recherches novatrices, se sont intéressés au Moyen Âge parce qu’il y avait cette espèce de recherche de véracité de l’histoire, et surtout comment la véracité historique pouvait être idéalisée grâce aux romantiques. Et de ceux-là, plusieurs peintres très connus ont repris la figure de Jeanne d’Arc. Jeanne d’Arc bien sûr qui était la seule femme qu’ils avaient en tête à cette époque, la seule femme qui était peinte. Et je me suis aperçu que la plupart de ces peintres étaient des hommes.

Fanny : Comme par hasard.

Floryan : À la fin de mon mémoire, je me suis aperçu, ben que j’avais cinq femmes sur quarante-cinq hommes qui avaient repris Jeanne d’Arc. En même temps, c’est l’histoire de l’art, on sait pour quelle raison, donc les femmes sont arrivées, enfin elles ont toujours été présentes dans l’histoire de l’art mais elles n’ont jamais été mises en avant. Et je me suis dit, c’est bizarre quand même, on a une Jeanne d’Arc, on sait comment elle peut être représentée, on sait à quoi elle ressemblait, mais les peintres ne l’ont jamais représentée telle quelle. On avait une représentation idéalisée de Jeanne d’Arc extrêmement belle, souvent, très souvent les cheveux longs, très blonde, très rousse, les yeux bleus, avec une armure qui est cette fois-ci véridique mais avec une taille cintrée, avec des seins. Et en fait, c’était une représentation hétéropatriarcale de Jeanne d’Arc.

Fanny : Oooh, tu lâches le gros mot là !

Floryan : Ou du moins, c’était une représentation d’une culture patriarcale. Jeanne d’Arc représentée par les peintres était une Jeanne d’Arc extrêmement sensuelle, extrêmement sensible et n’avait pas vraiment de rapport avec la réalité, ce qui n’est pas en soi — il n’y a pas de jugement de valeur, je porte aucun jugement de valeur sur ça — mais il faut savoir aussi que l’image qu’on a tous de Jeanne d’Arc, elle passe par, on va dire, deux médiums, voire trois, qui sont la peinture, la sculpture, on a l’habitude de la voir dans l’espace public, ou le cinéma. Et tous ont une représentation, alors la peinture plus, le cinéma ça commence un petit peu à changer, parce que visuellement on a une Jeanne d’Arc qui recommence à prendre des traits, on a une représentation de Jeanne d’Arc qui commence à pointer le bout de son nez, qui commence à être de plus en plus véridique, et qui n’est pas non plus ce qui m’intéresse. Ce qui m’a intéressé aussi, c’est que ce n’est pas le propos des artistes. Le propos des artistes n’est pas une représentation de la réalité, mais une idéalisation, depuis ses souvenirs au travers d’un médium.

[Extrait de Kaamelott]

Fanny : Parmi toutes les représentations que tu as étudiées de Jeanne d’Arc, est-ce que tu as une préférée, une qui t’a particulièrement marqué ?

Floryan : Il y en a une que j’aime beaucoup, qui a été peinte par Dante Gabriel Rossetti, Jeanne d’Arc embrassant l’épée de la Délivrance, qui a été peinte en 1863, où en fait on a une Jeanne d’Arc qui tient une épée très proche de sa figure, et une figure qui est extrêmement anguleuse, extrêmement androgyne, une bouche très charnue, une mâchoire extrêmement présente qui pourtant est encerclée par plusieurs colliers, un tabard extrêmement lourd. On a une petite idée de son armure aussi, qui arrive sur son poignet. Et c’est une image qui est extrêmement belle, et qui je pense moi, traduit toute la complexité de la figure johannique, puisqu’en quelque sorte, on a quand même une Jeanne d’Arc qui fait référence à Clément de Fauquembergue, qui est de profil, cheveux longs, un tabard ou cette espèce de robe de femme avec une épée. Et en même temps, tout est contrecarré par la vision de Rossetti, où on a une Jeanne d’Arc extrêmement forte, puissante, presque même virile, avec une ossature très présente, où on a une Jeanne d’Arc qui s’incarne entre des principes masculins et des principes féminins. En fait je pense que pour moi c’est une très bonne synthèse de toute ma recherche. Elle me plait parce qu’on a aussi une Jeanne d’Arc qui est omniprésente sur le tableau, c’est un focus sur son visage, on n’a pas de corps, on a juste sa figure de profil.

Fanny : Son émotion.

Floryan : Tout à fait. Et aussi on a une fluidité du genre, c’est ça que j’aime beaucoup dans la plupart des peintres préraphaélites. Le genre de Jeanne d’Arc en fait on n’arrive pas trop bien à le voir, il est pas dissimulé, c’est juste que, en quelque sorte, ils font en sorte qu’on a une construction queer de cette figure.

Fanny : Là tu es en train de faire ton M2 en ce moment. Quelles sont les thématiques sur lesquelles tu travailles au cours de ton M2 ?

Floryan : L’année dernière, j’ai posé beaucoup de questions, des questions qui m’ont été importantes, puisqu’en fait j’ai posé un cadre historique et contextuel sur Jeanne d’Arc, et surtout j’ai posé un cadre historique et contextuel sur le médiévalisme à propos de Jeanne d’Arc au XIXe siècle, jusqu’au XXIe siècle. Et je me suis aperçu que ce rapport à l’hétéropatriarcat, il a été contrecarré de plus en plus par beaucoup de peintres femmes, et moi c’est ce qui m’intéresse le plus. C’est qu’en fait, on a une Jeanne d’Arc qui s’est incarnée et qui s’est déployée dans le médiévalisme, qui est devenue un modèle, parfois même un archétype, celui de cette espèce de femme guerrière, de la femme courageuse, de la femme meneuse. Et en cela, Jeanne d’Arc est vraiment marquante parce qu’elle est utilisée de manière répétitive dans la peinture d’histoire comme un personnage héroïque chrétien. Et parallèlement elle jouit d’un statut équivoque dans les courants troubadour, romantique, préraphaélite et symboliste, qui s’incarne dans le médiévalisme, et qui est utilisé, il faut que je le souligne, qui est utilisé comme un retour idéalisé et mythifié du Moyen Âge. Je pense qu’en fait le développement de sa figure, et la reprise de celle-ci permet de l’authentifier comme une, moi je parle, comme une anomalie légendaire. Jeanne d’Arc, de par sa transgression sociale de la jeune bergère qui est devenue guerrière, elle annihile l’image hiérarchisée du système féodal patriarcal occidental, que je requestionne cette fois-ci dans mon mémoire de M2. Et en même temps, sa place dans le médiévalisme historique ou fictionnel, et on peut même parler maintenant de néo-médiévalisme, et qui s’est déployé, parce que ce médiévalisme, j’oubliais d’en parler mais je pense que c’est quelque chose d’important, s’est déployé aussi dans les jeux vidéo, donc on a une dimension immersive. Si je parle de jeux vidéo, c’est qu’il y en a eu plusieurs sur Jeanne d’Arc. Il y en a eu beaucoup, les Japonais, faut dire que…

Fanny : C’est vrai que les Japonais, ils aiment bien Jeanne d’Arc.

Floryan : Les Japonais aiment beaucoup Jeanne d’Arc, et ceux qui aiment le plus Jeanne d’Arc, bizarrement, c’est les Anglais, les Américains et les Japonais. En France, on a une culture très historique de Jeanne d’Arc, mais on n’a pas cette culture énormément visuelle, hormis le fait qu’elle soit beaucoup représentée dans la statuaire publique, c’est pas quelqu’un qu’on a l’habitude de voir.

Fanny : Et il y a aussi en France le côté politique qui peut-être faire un peu peur, ou alors on veut pas s’en mêler, justement parce que c’est politique.

Floryan : Tout à fait. Et en même temps, c’est récupéré par, bref un certain parti politique que je ne nommerai pas, mais il faut savoir que cinquante ans auparavant, c’était l’autre extrême qui l’avait. Jeanne d’Arc, ce qui est très beau, c’est qu’elle parle à tout le monde, c’est une fille du peuple qui a voulu sauver son roi grâce à des voix qu’elle a entendues, des voix qui lui ont parlé, qui lui ont touché au cœur. C’est en ça que c’est un personnage complexe, Jeanne d’Arc. C’est quand même une jeune fille, déjà c’est une fille, une jeune fille, qui a entendu des voix, qui a voulu délivrer son pays d’un oppresseur et mettre son roi sur le trône. Ça donne un personnage extrêmement complexe, et qui permet d’être étudié en historiographie, dans les gender studies, dans les visual studies, dans les cultural studies. Elle embrasse plusieurs médiums aussi, artistiques, en peinture, en sculpture, elle embrasse aussi les jeux vidéo. Je pense que ça fait partie en fait de ces personnages mythiques qui sont un réservoir mythologique, et qui sont récupérés par les politiques, mais dans cinquante ans, on sait pas si ce personnage sera pas accaparé par un autre parti politique.

Fanny : Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter pour la suite de tes recherches, Floryan ?

Floryan : Eh bien chère Fanny, de réussir mon M2, sur Jeanne d’Arc et le médiévalisme. Et par la suite de pouvoir commencer un doctorat à l’Académie royale des Beaux-Arts de Bruxelles.

[Extrait de Les Robins des Bois, Grands Procès de l’Histoire]

Fanny : Maintenant, chers auditeurs et auditrices, vous en savez un petit peu plus sur la figure de Jeanne d’Arc, sur ses représentations au fil des siècles, et sur le médiévalisme. Donc merci beaucoup Floryan Varennes.

Floryan : Merci beaucoup Fanny.

Fanny : Si vous les auditeurs, le sujet vous a intéressés, vous pouvez retrouver sur le site passionmedieviste.fr tout ce dont on a parlé, notamment les tableaux, je vais essayer d’en mettre le plus possible dans la limite des droits d’auteur. Si le contexte de la guerre de Cent Ans et de Jeanne d’Arc vous intéresse, allez écouter l’épisode 29 sur les compagnons de Jeanne d’Arc. Et je finis cet épisode en vous parlant du Tipeee de Passion Médiévistes, une plateforme où vous pouvez me donner quelques euros par mois, même juste un euro. Et ce mois-ci, j’ai l’impression de dire ça à chaque épisode, mais en vrai ça a vraiment été un record, vous avez été près de quatre-vingts à contribuer sur Tipeee, donc vraiment ça me fait énormément plaisir. Et je commence à tendre de plus en plus à pouvoir me dire, ben je peux consacrer du temps à mon podcast, comme si c’était un travail, et ça c’est grâce à vous, c’est vraiment grâce à vous donc je vous remercie. Ce mois-ci d’ailleurs, je dois remercier tout particulièrement Jean-Marie, Julie, Jérôme, Vincent, Pascal, Romain, Olivia, Marion, Roxane, PL (oui), Stéphanie, Hélène, une autre Hélène mais qui est en Allemagne cette fois-ci, Coline, Coralie. Et je tiens à remercier aussi trois personnes qui ont donné à nouveau, Charles, Céline et Robert. Et d’ailleurs, peut-être que cette partie du message sera caduque dans quelques mois, mais pour l’instant je n’envoie pas les goodies, vu la période un petit peu compliquée, mais vous inquiétez pas, ils sont bien réservés et je les prépare. Et en plus des dons, le mois d’avril 2020 a vraiment été un record en termes d’écoutes, puisqu’en un mois, j’ai fait plus de 35 000 écoutes grâce à vous. Vraiment encore merci beaucoup. Dans le prochain épisode, l’épisode 40, déjà 40, on parlera des sourds au Moyen Âge, mais avant ça, je vous publierai l’épisode de Super Joute Royale sur XIIe siècle, ça va être quelque chose ! À bientôt !

[Générique]

Merci beaucoup à So pour la retranscription !