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Épisode 84 – Clémentine et la domination sur les animaux et les femmes (au Musée de Valence)

D’où viennent les rapports de domination de l’homme sur les animaux et par extension, sur les femmes ?

Enregistrement de l'épisode à Valence en juin 2023
Enregistrement de l’épisode au Musée de Valence en juin 2023

Dans cet épisode de Passion Médiévistes, Clémentine Girault décortique pour vous les rapports d’égalité et de domination entre les hommes, les femmes et les animaux. Doctorante en Histoire médiévale à l’Université Paris Cité EHESS, sous la direction de Didier Lett et Pierre-Olivier Dittmar, elle prépare une thèse sur le sujet « La tête effroyablement haute à la manière du lion, elles marchent comme des hommes : Anthropologie du genre et de l’animalité à la fin du Moyen Âge ». Entre histoire des techniques et histoire culturelle, Clémentine Girault partage avec vous ses recherches sur la question du genre médiéval à travers les relations aux animaux.

À noter que cet épisode du podcast a été enregistré en public au Musée de Valence, Art et Archéologie. À l’occasion de l’édition 2023 des journées européennes de l’archéologie, le sujet de cet épisode fait écho à la thématique de l’exposition temporaire du musée, à savoir “L’Univers Sans l’Homme”. Au cours de votre écoute, vous entendrez d’ailleurs des références directes à des œuvres présentes dans la collection permanente du Musée de Valence, à vous de les retrouver in situ !

La théorisation de la domination sur les animaux

“Les animaux sont partout, et particulièrement au Moyen Âge.” – Clémentine Girault.

La fin du XIIIème siècle est marquée par la redécouverte des auteurs antiques. Clémentine Girault explique ainsi que le savoir antique sur les animaux va se mêler à la moralisation chrétienne de l’époque, alors que commence à apparaître le concept d’animal et qu’un nouveau mot, le mot bête, apparait en moyen français. Il y avait jusqu’alors deux types d’animaux : d’un côté le pecus, pour définir les animaux herbivores, restés fidèles à l’humain depuis le péché originel ; de l’autre, la bestia, désignant les carnivores sauvages chargés de rappeler à l’humain son péché. Le mot bête et le concept de bestialité – cet animal en soi, le corps contrôlé par les sens et non par la raison – vient donc remplacer ces deux termes, et regroupe à présent l’ensemble des animaux, à l’exception des humains.

“Les vaches ne sont pas représentées dans les bestiaires. Il n’y a pas vraiment de moralisation de la vache. […] Mais elles sont présentes dans les encyclopédies.” – Clémentine Girault.

À ce titre, le bestiaire masculin classique se compose du cheval, du chien et du faucon, qui ont tous un rôle passif, mais positif. À l’inverse, selon Le Livre du Chevalier de la Tour Landry, un manuel d’éducation des filles, l’expulsion du Paradis et tous les malheurs qui s’ensuivent, incombent à Ève. De fait, ayant désobéi, elle – et avec elle, les femmes – ont perdu l’obéissance des animaux et leur droit d’en disposer, qui sont les prérogatives de l’homme.

La théorisation de la domination sur les femmes

“C’est dans les récits de la Création que se mettent en place des modèles de domination analogiques.” – Clémentine Girault

Mosaïques du baptistère (Cerf) 6e siècle - 12e siècle Pierre, terre cuite Valence, baptistère AR. 730 Fonds ancien du musée, 1954 © Musée de Valence, photos Paul Vesseyre
Mosaïques du baptistère (Cerf) 6e siècle – 12e siècle Pierre, terre cuite, Valence, baptistère AR. 730, Fonds ancien du musée, 1954 © Musée de Valence, photos Fanny Cohen Moreau

Clémentine Girault vous parle dans l’épisode de la Genèse. Après avoir créé l’homme, Adam, et pour que ce dernier ne soufre plus de solitude, Dieu lui amène d’abord les animaux, puis la femme. Le récit qui circule au Moyen Âge place alors Adam et Ève sur un pied d’égalité, puisque tous deux sont faits à l’image de Dieu ; mais il instaure également une hiérarchie entre le premier homme et la première femme, parce que celle-ci a été créée dans un deuxième temps et à partir d’Adam. Cette double lecture justifie le conflit entre égalité et hiérarchie entre l’homme et la femme, tout au long de l’époque médiévale. Du reste, Clémentine Girault souligne que Dieu demande à Adam de nommer les animaux et de donner un nom à la femme, initiant déjà ce rapport de domination.

Comme le démontre Clémentine Girault, ce sont les clercs qui, au Moyen Âge et à partir des récits de la Création, ont identifié la relation humain/bête et le couple mâle/femelle comme des modèles de domination. Selon ces commentaires, c’est l’humain mâle qui détient le monopole de la raison. Cette théorie justifie ainsi le gouvernement des hommes sur les animaux, mais également sur les femmes, parce que les hommes sont identifiés comme ayant davantage de raison. Clémentine Girault vous rassure, ces récits reconnaissent néanmoins aux femmes le statut humain. Toutefois, quelques détails sont parfois matière à questionnement étant donné que femmes et animaux restent soumis à des logiques similaires.

Étudier le genre au Moyen Âge

“J’ai choisi ce corpus très normatif puisque ces textes cherchent justement à construire des modèles de masculinité et des modèles de féminité laïques.” — Clémentine Girault

L’étude de Clémentine Girault porte sur des sources du nord de la France et du duché de Bourgogne, datant de la fin du XIIIème siècle jusqu’au début du XVIème. Le titre de sa thèse est d’ailleurs basée sur Le Ménagier de Paris, à la fois traité d’économie domestique, mais aussi livre de recettes. Il s’agit de littérature didactique dont le but, à l’époque médiévale, est d’inculquer la bonne manière de se construire en tant que bonne épouse, ou bon prince par exemple.

 

Clémentine Girault insiste sur un point : elle définit le genre comme un concept au sens de science sociale, servant à trouver quelque chose, et en l’occurrence ici, à déconstruire ce qui apparait comme naturel. Cependant, Clémentine Girault explique que cette division de l’humanité est beaucoup moins stricte au Moyen Âge que ce que l’on pourrait penser. En effet, on observe une polarisation du monde entre le masculin et le féminin, qui voit son apogée à travers le mariage. C’est une construction culturelle, dans le temps et dans l’espace.

Pour en savoir plus sur le sujet de l’épisode, on vous conseille de lire :

Illustration de l'épisode 84 par Uvaat
Illustration de l’épisode 84 par l’artiste Uvaat

Article de l’invitée :

Ouvrages généraux :

  • Adams Carol J. La politique sexuelle de la viande. Une théorie critique féministe végétarienne, Lausanne, L’Âge d’homme, 2016 [1990].
  • Buc Philippe, L’ambiguïté du livre. Prince, pouvoir et peuple dans les commentaires de la Bible au Moyen Âge, Paris, Beauchesne, 1994
  • Dittmar Pierre-Olivier, « Le seigneur des animaux entre pecus et bestia », in Paravicini Bagliani Agostino (dir.), Adam premier homme (Micrologus’ Library, 45), Florence, Sismel, 2012, p. 219-254.
  • Maillet Clovis, « Blaise dans Les Heures de Louis de Savoie. Sainte domination sur les bêtes et les femmes », Clio. Femmes, Genre, Histoire, 2022/1 (n° 55), p. 241-250. URL : http://journals.openedition.org/clio/21927
  • McCracken Peggy, In the Skin of a Beast. Sovereignty and Animality in Medieval France, Chicago & Londres, University of Chicago Press, 2017.
  • Petrosillo Sara, Hawking Women. Falconry, Gender, and Control in Medieval Literary Culture, Columbus, Ohio University Press, 2023.
  • Plumwood Val, Feminism and the Mastery of Nature, Londres & New-York, Routledge, 1993. Traduction française à paraître.
  • Roy Bruno, « La belle e(s)t la bête. Aspects du bestiaire féminin au Moyen Âge », Études françaises, vol. 10, n° 3, 1974, p. 319-334. URL : https://id.erudit.org/iderudit/036584ar
  • Salisbury Joyce, The Beast Within. Animals in the Middle Ages, Londres & New-York, Routledge, 1994.
  • Steel Karl, How Not to Make a Human: pets, feral children, worms, sky burial, oysters, Minneapolis, University of Minnesota Press, 2019.
  • Voisenet Jacques, Bestiaire chrétien. L’imagerie animale des auteurs du Haut Moyen Âge (Ve-XIe siècle), Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 1994.

Si cet épisode vous a intéressé vous pouvez aussi écouter :

Merci aux équipes du musée de Valence,  Lena Hessing et Laura Locatelli pour leur accueil et cette belle collaboration !

Merci à Clément Nouguier qui a réalisé le magnifique générique du podcast et Alizée Rodriguez pour la rédaction de l’article !