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Épisode 9 – Thomas et les luttes de pouvoir en Auvergne

Dans ce neuvième épisode, Thomas Areal nous parle de sa thèse sur les luttes de pouvoir dans un territoire d’Auvergne.

Thomas Areal, doctorant de Clermont-Ferrand, étudie comment les sociétés cohabitent entre elles dans un territoire d’Auvergne situé entre les rivières Allier et Dore et les monts du Livradois, et les luttes de pouvoir qui s’y déroulent pour obtenir l’hégémonie au bas Moyen Âge.

Il nous raconte l’épopée qu’est devenue sa thèse, comment il enquête sur le terrain à la recherche des anciens toponymes enfouis dans les mémoires des anciens, et aussi quelques anecdotes sur des manuscrits longs de plusieurs mètres de long ou encore une histoire d’assiettes sur la tête.

Si le sujet vous intéresse voici quelques articles consultables en ligne :
Ainsi que quelques ouvrages conseillés par Thomas Areal :
  • L. BUCHHOLZER-RÉMY, Une ville en ses réseaux : Nuremberg à la fin du Moyen Âge, Paris, Belin, 2006.
  • D. MARTIN (dir.), Identité de l’Auvergne (Auvergne-Bourbonnais-Velay). Mythe ou réalité historique. Essai sur une histoire de l’Auvergne des origines à nos jours, Nonette, Éditions Créer, 2002.
  • F. MAZEL, L’évêque et le territoire. L’invention médiévale de l’espace (Ve-XIIIe siècle), Paris, Éditions du Seuil, 2016.
  • L. VIALLET, Bourgeois, prêtres et cordeliers à Romans (v. 1280 – v. 1530) : une société en équilibre, Saint-Étienne, Publications de l’Université de SaintÉtienne, 2001.
Les extraits sonores diffusés dans l’épisode : 
  • Au Nom de la Rose (1986)
  • Kaamelott, Livre III, 36 : Feue La Poule de Guethenoc
Retranscription de l’épisode 9 (cliquez pour dérouler)

[Annonce pour Podcasteo]

[Générique]

Fanny : Est-ce que l’on sait tout du Moyen Âge ? Est-ce qu’il reste encore des choses à découvrir ? Et d’abord, qu’est-ce que le Moyen Âge ? En fait, il y a autant de réponses que de médiévistes. Dans cette émission, nous nous intéressons à comment l’histoire médiévale est étudiée aujourd’hui par de jeunes chercheurs. Quels sont les sujets qui les intéressent ? Pour vous donner envie d’en savoir plus et, pourquoi pas, donner de l’inspiration aux futurs chercheurs.

Épisode 9 : Thomas et les luttes de pouvoir, c’est parti !

Aujourd’hui nous partons en Auvergne, à la fin du Moyen Âge… et pour nous accompagner : je reçois Thomas Areal. Bonjour Thomas !

Thomas : Bonjour.

Fanny : Tu es doctorant en histoire médiévale à l’Université Clermont-Auvergne et ton travail de thèse porte sur l’étude d’un territoire d’Auvergne, situé entre les rivières de l’Allier et de la Dore. Tu étudies précisément comment les sociétés cohabitent entre elles dans ce territoire, et les luttes de pouvoir qui s’y déroulent pour obtenir le contrôle de la région. Pour commencer : comment et pourquoi tu as choisi de travailler sur ce sujet ?

Thomas : Le choix s’est fait, tout d’abord, parce que je suis originaire de ce territoire et parce que j’y ai travaillé très tôt : dès le début de mes études d’histoire. J’étais guide dans un château situé dans ce territoire : à Montmorin. À la fin de ma licence d’histoire à l’Université de Clermont-Ferrand, un directeur de recherche en histoire médiévale, que je suis allé voir, a su que je travaillais dans ce château et m’a dit : « Vous savez, rien n’a été fait sur cette famille. Je veux bien vous encadrer. Je vous propose de travailler sur cette famille. » À la fin d’un Master 1, où j’étais à la fois salarié et étudiant, et où j’ai fini par découvrir que la famille de Montmorin disposait d’un fonds de sources énorme, mon directeur a décidé que nous poursuivrions en M2 ensemble, toujours sur cette famille de Montmorin. Pendant le Master 2, il m’a proposé de transformer ce potentiel élargissement de sujet en un sujet de thèse, pour lequel j’ai monté un dossier pour avoir une allocation de recherche, que j’ai obtenue de la part de la région Auvergne. Ainsi, j’ai décidé de travailler sur cet espace entre l’Allier et la Dore, qui regroupe 42 communes, 42 paroisses, que j’étudie entre le XIIIème et le XVème siècle.

Fanny : Tu as donc étudié les luttes de pouvoir dans cette région et tu as remis en cause la version officielle de l’histoire qui voulait que ce fût l’évêque qui dominait la région. Alors, quelle était vraiment la situation dans cette région ?

Thomas : “Version officielle”, c’est une manière de dire que cette région avait été étudiée, entre autres via une thèse – qui est celle de Roger Sève – qui avait étudié la seigneurie épiscopale de Clermont, au travers du fonds des archives des évêques du chapitre cathédral de Clermont – qui est très vaste -, conservé aux archives départementales du Puy-de-Dôme. Roger Sève démontrait que, dès le Xème siècle, les évêques de Clermont se taillaient, littéralement, une principauté – entre autres, outre Allier, c’est-à-dire à l’est de Clermont, de l’autre côté de la rivière Allier – pour avoir un véritable empire territorial. Néanmoins, mes travaux reprenant le travail de Roger Sève, je me suis rendu compte que l’évêque de Clermont n’était pas un évêque ultra dominateur. Plusieurs prélats se succèdent sur le siège cathédrale de Clermont. Chacun d’entre eux a une politique, une manière de fonctionner qui n’est pas celle du rentre-dedans et du « je suis le plus puissant ». Ces évêques arrivent à collaborer avec les autres pouvoirs qui sont en place : ne pas considérer qu’il n’y a qu’un seul pouvoir – celui de l’évêque – mais bien plusieurs. Il y a même des contre-pouvoirs. On en a l’exemple dans la petite ville de Billom que j’étudie très fortement, où l’évêque est confronté assez régulièrement au chapitre des chanoines de Saint-Cerneuf de Billom. Ils sont même ses principaux ennemis dans le territoire. Donc l’idée était, en reprenant le corpus de source, d’avancer et de montrer comment les pouvoirs – pas seulement l’évêque, mais aussi le pouvoir royal (car il est présent), le pouvoir urbain via une ville (Billom) – et finalement les sociétés arrivaient à collaborer, s’entendre, discuter, mais aussi s’affronter pour métamorphoser à la fois un territoire mais aussi leur propre société, leur propre corps.

Fanny : Dans ta thèse, tu as consulté plus d’un millier de documents différents. Comment tu fais, au quotidien, pour gérer cette énorme masse documentaire ?

Thomas : C’est vrai que c’est quelque chose sur lequel on échange et on rigole beaucoup avec d’autres collègues – entre autres, mes amis contemporanéistes -. J’ai un corpus de documents qui est assez énorme. Un millier consulté, même plus. Un millier retenu on va dire. Il a fallu, pour cela, prendre les inventaires, répertorier, inventorier tout ce qui pouvait intéresser ma zone. J’ai fait énormément de photographies pour pouvoir travailler sans être au centre d’archives. Je transcris, je prends des notes sur énormément de documents. Dès la fin de ma première année de thèse, je me suis rendu compte que je n’allais pas pouvoir gérer tout ce que je trouvais dans les documents. J’ai eu l’idée de monter un fichier “base de données”. Le problème était que je ne maîtrisais pas, à l’époque, la base de données informatique. J’ai lancé ça sous Word et je ne suis jamais passé au-delà dans mes méthodes de travail. Toutefois, la fonction « rechercher » me suffit amplement. Je constitue aujourd’hui une base de données prosopographique – c’est-à-dire avec le nom de toutes les personnes citées dans mes documents et étant acteurs du territoire – et une autre sur les communes – c’est-à-dire que chaque commune a une fiche où sont répertoriées toutes les informations les concernant : que ce soit la cote du document, où elle est évoquée et toute information (s’il y a un prieuré, s’il y a tel ou tel habitant, tels événements) -, ce qui me permet de pouvoir réutiliser mes données assez rapidement, en recherchant et en croisant.

Fanny : Parmi tous ces documents, est-ce qu’il y en a un dont tu es particulièrement fier ? Celui où tu t’es dit : « Waouh ! Je suis vraiment le premier à découvrir ça ! ».

Thomas : Il arrive rarement chez les médiévistes de retrouver des documents. On en perd des fois : ce n’est pas exceptionnel. Récemment, en rouvrant une boîte qui n’avait pas été consultée depuis quelques années, j’ai redécouvert deux rouleaux – sans doute non consultés depuis les années 70 – qui étaient des créances de dettes d’un des évêques de Clermont et qui n’étaient inventoriés nulle part. Du coup : signalement auprès de la direction des archives. Le dossier est en cours. On va voir ce qu’on peut en faire, mais c’est assez exceptionnel. Après, il est vrai que le médiéviste travaille sur des documents qui peuvent être exceptionnels par leur beauté, par leur taille. J’ai, par exemple, un contrat de mariage qui fait 2 mètres 60 de long, ce qui fait un très très beau document.

Fanny : Comment tu travailles sur un document de 2 mètres 60 de long ?

Thomas : Tu réserves une table entière aux archives départementales et des poids pour pouvoir tenir le document entièrement déroulé. J’ai même beaucoup plus long, puisque l’un de mes rouleaux les plus intéressants est un procès du XVème siècle, concernant des limites de seigneurie, doit mesurer – si mes souvenirs sont bons – 18 mètres 60.

Fanny : 18 mètres 60 !

Thomas : Effectivement ! 18 mètres 60. Ce sont plusieurs peaux de parchemin cousues les unes aux autres, qui reprennent des témoignages en faveur de l’évêque. Ce jour-là, aux archives, on sort le document, on déroule et on prend en photo, témoignage par témoignage, pour pouvoir ensuite utiliser et retranscrire ce qui est contenu dans le document.

[Extrait audio de Le nom de la Rose]

Fanny : Tu m’as aussi raconté que, pendant tes recherches, des témoignages oraux ont pu t’aider à avancer…

Thomas : Effectivement, en tant que médiéviste, je fais aussi de l’enquête orale. C’est assez paradoxal de dire cela, mais je vais énormément sur le terrain. C’est d’ailleurs une des parties du titre de ma thèse : « des archives au terrain ». J’insiste énormément là-dessus, tout simplement parce que sur le terrain, on peut rencontrer des personnes, souvent issues des vieilles générations – je dis ça sans leur manquer de respect -, qui ont dans leur mémoire, dans leur inconscient, des souvenirs médiévaux. C’est assez impressionnant. Par exemple, dans le cadre de recherches de micro-toponymes – c’est-à-dire de noms de terroirs -, je prends contact avec les vieilles générations paysannes, les vieilles générations des villages sur lesquels je travaille, et je leur demande si des noms de terroir – que j’essaie de franciser au maximum, puisque, moi, je les ai souvent en version latine, voire en version occitane –, et je leur demande si ça leur parle. Le cas s’est produit, déjà à l’époque de mon master, et se produit encore et toujours pendant ma thèse : j’ai, des fois, un papi ou une mamie qui me dit qu’effectivement, il connaît. C’est une terre. Soit il m’y emmène, soit il me montre sur une carte. Ce qui me permet, à ce moment-là, de localiser – avec un point d’interrogation au moins – un micro-toponyme qui a complètement disparu des cartographies IGN, qui n’est pas sur les cartes d’état-major du XIXème siècle, qui n’est même pas sur les levées de Cassini parfois.

Fanny : En plus de ces témoignages oraux, et des manuscrits bien sûr, tu t’es aidé de l’archéologie, de l’histoire de l’art et de la géographie. Comment tu gères, au quotidien, ces différences entre toutes les disciplines ? Est-ce que c’est pas trop compliqué de jongler entre elles ?

Thomas : On reproche souvent de ne pas faire de la pluridisciplinarité ; on reproche souvent de faire de la pluridisciplinarité. C’est assez paradoxal. Néanmoins, l’historien ne doit pas se fermer sur lui-même. L’historien ne doit pas s’enfermer dans sa tour d’ivoire. Il faut arrêter de voir l’historien comme un vieux sage barbu au milieu de ses grimoires. Surtout, l’historien doit parler avec ses collègues. Effectivement, j’ai une formation d’histoire « spécialité archéologie » à l’origine, donc déjà j’ai quelques connaissances, quelques rémanences de ma formation d’archéologue qui me servent. Je suis régulièrement en contact avec les différents organismes d’archéologie qui fouillent dans ma zone, qui me contactent parce qu’ils savent que je travaille sur le territoire. Lorsqu’ils trouvent du médiéval, ils me demandent au moins de les aider pour l’historique, par exemple. Ensuite, les historiens de l’art, tout simplement parce que, comme je vous l’ai dit, je vais sur le terrain et j’ai la chance d’avoir toujours du patrimoine bâti, en élévation. Il y a des châteaux. Il y a des maisons médiévales. Il y a des ponts médiévaux. Je cherche même des bornes – des pierres qui servaient à délimiter les parcelles-. Donc, j’essaie aussi de travailler, de prendre conseil auprès des spécialistes – ce que je ne suis pas dans ces disciplines -. Je me tourne aussi vers les linguistes. Je travaille sur des textes qui sont en latin, sur des textes qui sont en ancien français – ça je maîtrise à peu près -, mais j’ai aussi des textes en occitan, que je ne maîtrise absolument pas. Il faut savoir que l’Auvergne est carrefour de plusieurs langues : entre la langue d’oïl, la langue d’oc et le franco-provençal. C’est assez compliqué, je préfère me tourner vers les gens qui savent : leur demander conseil et avis plutôt que de tenter d’identifier moi-même, par exemple, un micro-toponyme que je ne comprendrais pas, alors que eux pourraient m’apporter une réponse plus rapidement. Enfin, je me tourne aussi vers la géographie – c’est vrai que c’est le couple qu’on met souvent ensemble : histoire-géographie, dès le collège et le lycée -, tout simplement parce que mon sujet étant, à l’origine, établi sur un territoire, je considère que je fais de la géo-histoire. Je me dois aussi de travailler, d’avoir les connaissances liées au moins à la représentation géographique et cartographique. J’ai fait une formation en cartographie. Je réalise mes propres cartes pour pouvoir illustrer mon propos. Mais ce n’est pas juste une carte pour faire joli. Cette carte doit me permettre de démontrer quelque chose ou, au contraire, d’illustrer ce que j’ai pu expliciter dans une des parties de la thèse.

Fanny : On en a parlé un petit peu tout à l’heure, mais est-ce que tu peux nous dire qui étaient les personnes qui luttaient entre elles pour avoir le contrôle de ce territoire ? En plus de l’évêque.

Thomas : L’évêque est le principal acteur, le principal pouvoir présent. Néanmoins, le Roi est représenté par des officiers. Entre autres, il est représenté à Billom puisque Billom a un statut très particulier qui est celui d’une « bonne ville » : elle fait partie des 13 bonnes villes d’Auvergne. Ville close, fortifiée et qui est au service – on va dire – du Roi de France. Sur le territoire, les bonnes villes participent, par exemple durant la guerre de Cent ans, à l’effort de guerre en collectant diverses aides qui peuvent être reversées au Roi et au royaume. On a aussi des seigneurs locaux. Certains rendent hommage à l’évêque, mais d’autres sont indépendants : le cas de la famille de Montboissier – qui est une des grandes interrogations de ma thèse – pour laquelle je retrouve très peu d’hommages et même très peu de documents, au point que je pense qu’ils tournent leur fidélité vers quelqu’un d’autre. On a des petits seigneurs parachutés, aussi. Un exemple, celui de la famille Flote. Pierre Flote qui était le chancelier de France au début du XIVème siècle, et à qui le Roi de France Philippe le Bel offre un château : le château de Ravel. À partir de là, la famille Flote va faire souche, s’implanter en Auvergne et devenir de plus en plus puissante, créant, dans ma zone, une enclave au sein de la seigneurie épiscopale. Enfin, il y a un autre groupe qu’il ne faut pas oublier : c’est celui des habitants, tout simplement. Il y a les urbains, avec le cas de Billom, mais aussi les habitants de toutes les paroisses, de tous les villages et hameaux aux alentours. J’essaye d’étudier les diverses couches de la société, de ne pas me concentrer uniquement sur les grands – ceux qu’on appelle les puissants – parce que les petites gens sont aussi représentées. La majeure partie des villages peuvent avoir, par exemple, le droit de consulat, c’est-à-dire d’avoir quelques élus qui peuvent prendre la parole, en face de représentants de l’évêque, la plupart du temps, ou de l’évêque lui-même, pour négocier, organiser et gérer.

Fanny : Comment tu fais pour avoir des informations sur ces petites gens ? Parce qu’on est habitués à avoir dans les sources seulement des traces des grands.

Thomas : C’est en ça que ma base de données est assez intéressante. Je m’intéresse à tous les hommages, par exemple, qui ont pu être rendus. Alors, je liste les gens. Je les répertorie. Quand je dis “petites gens”, la plupart du temps, ce sont ceux qu’on appelle les laboureurs, les tenanciers – ceux qui tiennent la terre -, mais j’ai aussi des mentions de charpentiers, des mentions de maçons, de fabricants de briques par exemple dans la ville de Lezoux, qui était connue à la période gallo-romaine pour sa sigillée et sa céramique. Après, à la période médiévale, je sais qu’il y a énormément d’ateliers de fabrique de briques qui vont servir à restaurer le palais épiscopal de Clermont. Tous ces gens-là, je ne fais aucune discrimination. Que je croise le comte d’Auvergne ou que je croise Jean Faure qui est un habitant de Chauriat, je le rentre dans ma base de données. Si j’ai une information, je la note.

Fanny : Tu m’en as parlé en préparant cette émission : tu as rencontré beaucoup difficultés pendant ta thèse. Est-ce que c’était une véritable épopée ?

Thomas : La thèse est une aventure. Je le dis ; je ne veux décourager personne. Il faut être au courant de ce que représente une thèse. On dit souvent qu’une thèse est un travail en solitaire. C’est à la fois vrai, c’est à la fois faux. j’ai beaucoup travaillé en collaborant, comme je vous l’ai dit, avec des archéologues, avec des géographes. Ça a été un plaisir d’échanger avec d’autres disciplines et d’autres personnes. J’ai eu la chance de bénéficier d’une allocation et de travailler au sein de mon université, d’enseigner, ce qui me prend du temps ; du temps que je ne pouvais plus consacrer à ma thèse. Mais ça a été une expérience de formation exceptionnelle et j’en suis, encore aujourd’hui, très content. Ce contrat terminé, j’ai dû repartir sur une situation un petit peu plus précaire, où j’enchaînais quelques petits contrats. J’ai fini par retrouver du travail : je suis reparti dans le secondaire. Je n’ai pas passé concours, mais j’ai été surveillant en lycée. Personnellement, j’ai eu la bonne idée de me casser la jambe. Ça gêne un peu pour se rendre sur le terrain. En revanche, quand on doit passer ses journées alité, on peut travailler sur ses sources beaucoup plus rapidement et avancer. C’est vrai que mon parcours est assez chaotique. Ma thèse est longue et j’en ai bien conscience. Sur le côté solitaire de la thèse, j’ai réussi à le vaincre d’une certaine manière : via les réseaux sociaux. J’étais inscrit sur Facebook depuis déjà très longtemps et sur les recommandations d’un ami croisé lors d’une formation au CNRS – qui est quelque chose de tout à fait sérieux – je me suis mis sur Twitter. À l’origine, je ne connaissais pas du tout. J’ai commencé à développer un petit peu mon compte, mon réseau. J’avais rejoint aussi un réseau de doctorants ; c’est vrai qu’on a commencé à s’hyperconnecter un petit peu tous. Au fur à mesure, j’ai commencé à beaucoup y parler de mon travail, d’une manière plus ou moins sérieuse. Il faut savoir que, quand je travaille sur ma thèse, je suis plus ou moins sérieux. Ça peut être quelque chose de très long et très explicatif, comme je peux partir en fou rire devant un manuscrit et partager cela avec la communauté. Twitter a fini par devenir une espèce d’open space pour moi, où j’échangeais avec d’autres historiens – pas seulement médiévistes-, où je cherche aussi parfois de l’aide. Il m’arrive de publier, par exemple, une photo d’un manuscrit, en soulignant un mot que je n’arrive pas à lire. Une personne compétente, surtout plus douée et mieux réveillée que moi, va arriver à m’aider et me donner la réponse.

Fanny : Qu’est-ce qui te fait rire dans les manuscrits ?

Thomas : Alors, dans les manuscrits, on peut croiser des expressions assez rigolotes, assez fortes. On peut croiser aussi des cas complètement exceptionnels. J’ai le cas, par exemple, à Billom, d’une requête déposée devant le Parlement de Paris où un sergent de l’évêque se plaint de n’avoir pu entrer dans l’église Saint-Cerneuf de Billom pour aller voir les chanoines. On est dans le conflit entre l’évêque et les chanoines – un conflit qui dure et qui va durer même après la fin de la période que j’étudie -. Le sergent explique qu’il n’a pas pu entrer, que les portes étaient closes, et que par une fenêtre, un des chanoines l’a insulté en le traitant, je cite de « vilain merdeux ».

[Extrait audio de Kaamelott]

Thomas : C’est retranscrit tel quel dans le document. C’est donc assez sympathique. Récemment, en fouillant dans le Trésor des Chartes aux Archives nationales à Paris, j’ai découvert le cas d’un homme qui soupçonnait le curé du village de coucher avec sa femme. L’homme l’accuse publiquement. Ce curé, pour se défendre, lui dit « mais non, je ne couche pas avec votre femme, par contre je couche avec sa mère ». On a donc le cas d’un homme qui pour se défendre d’un péché en confesse un autre. Des fois, on peut prendre des petits fous-rires en regardant nos documents. On peut avoir aussi des choses rigolotes ou des bons souvenirs en allant sur le terrain. Un jour, j’ai voulu rencontrer un propriétaire privé d’archives. J’avais fini par apprendre par plusieurs relations qu’il détenait sans doute des manuscrits médiévaux provenant d’une des communes sur lesquelles je travaille. Je me suis rendu dans la commune où habitait ce monsieur, perdue au fin fond du Livradois-Forez. On m’a indiqué qu’il habitait non loin d’ici : il fallait prendre un petit chemin et arriver vers une maison forte avec une tour. Je m’y rends. J’arrive, je trouve le monsieur dans son jardin, à côté. Je me présente tout à fait poliment. Je lui explique l’objet de ma requête. Je lui explique pourquoi je suis là et ce que je voudrais voir. Il m’écoute tout à fait correctement et puis à un moment, il pose toutes ses affaires, s’en va et rentre chez lui, me laissant planté devant ses laitues. Je ne comprends pas. Et là, il ouvre la fenêtre du premier étage et s’est mis à me jeter un service à vaisselle sur la tête. J’ai donc pris mes jambes à mon cou. J’ai détalé et je suis reparti dans le bourg, un petit peu plus loin, en ne comprenant pas très bien ce qui s’était passé. Je suis allé au troquet du coin. J’y ai croisé le facteur et je sais toujours que les facteurs sont au courant de beaucoup de choses qui se passent dans les communes. Il m’a expliqué, qu’effectivement, oui, ce monsieur-là avait quelquefois des petits pètes au casque et que ça pouvait mal se passer.

Fanny : Tu en as déjà donné un petit peu, mais pour terminer l’émission je voudrais savoir : quels conseils tu donnerais à un futur médiéviste ?

Thomas : Pour se lancer dans les études médiévales, je vais vous dire qu’il faut être fou ! Il faut le reconnaître un petit peu et être honnête : on est tous un peu fous. Derrière cette folie, non : il ne faut pas avoir peur. Il faut avoir conscience que travailler sur la période médiévale nécessite certaines connaissances : maîtrise du latin, maîtrise de l’ancien français – que l’on peut acquérir dès la licence. – Il faut aussi avoir conscience que, pour travailler, il faut vous trouver un directeur de recherche – au moins en lien avec votre sujet – qui va pouvoir vous encadrer. On forme un véritable couple avec son directeur de recherche ; moi j’en parle ainsi. Il faut discuter d’emblée – dès la fin de la licence, quand vous voulez partir en Master – avec un enseignant, si jamais vous avez des envies, des passions. Ils pourront vous orienter, vous dire qu’ils sont intéressés, ou vous orienter vers l’un de leurs collègues qui sera plus intéressé. Il faut ne pas négliger la collaboration et la discussion. J’en ai parlé tout à l’heure, de cet open space Twitter qui s’est créé un petit peu involontairement. Ne pas hésiter à prendre conseil auprès des « anciens », je vais dire ça sans être trop méchant. On a déjà tous connu des troubles, des problèmes et des soucis qui ont été réglés par d’autres. Ne pas hésiter à chercher, à demander à ceux qui sont un petit peu plus avancés – qui sont en Master 2, qui sont en doctorat, qui sont maîtres de conférence ou professeurs -. Enfin, pour travailler sur la période médiévale, il faut aimer cette période, être passionné et se dire qu’elle offre un panel très large de sujets. On peut être passionné d’histoire politique, comme on peut être passionné de littérature. Ne pas se frustrer par rapport à un sujet, mais se dire que le champ des possibles est très vaste.

Fanny : Désormais, chers auditeurs, vous en savez un petit peu plus sur l’Auvergne au Moyen Âge et sur ce que c’est de faire une thèse. Merci beaucoup, Thomas, pour tes réponses, et bon courage pour la suite !

Thomas : Merci beaucoup ! On va essayer d’aller jusqu’au bout, c’est l’idée.

Fanny : C’est tout ce que je te souhaite ! Si le sujet de l’émission vous a intéressé, vous qui écoutez, et que vous voulez en savoir plus, n’hésitez pas à consulter la description de l’épisode sur SoundCloud où nous vous proposons une sélection d’ouvrages et de sites Internet. Et si vous voulez en apprendre encore plus sur l’histoire médiévale, n’hésitez pas à écouter les autres épisodes de Passion médiévistes, déjà en ligne. Vous pouvez nous retrouver sur les réseaux sociaux, c’est-à-dire Facebook et Twitter, pour nous dire ce que vous avez pensé de l’émission. Le prochain épisode sera consacré au concept de mode au Moyen Âge.

Salut !

Merci énormément à Lili et Youna pour la retranscription !