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Épisode 8 – Elsa et les peintres dans la couronne d’Aragon



Dans ce huitième épisode, Elsa Espin nous parle de sa thèse sur les peintres français, néerlandais et allemands dans la couronne d’Aragon,du règne de Jean Ier à celui de Ferdinand le Catholique (1387-1516).

Un recueil d’archives qu'a consulté Elsa mais assez mystérieux...
Un recueil d’archives qu’a consulté Elsa mais assez mystérieux…

La peinture du Moyen Âge est souvent perçue comme austère, en raison de son fort caractère religieux, et peu naturaliste lorsque elle est comparée au renouveau pictural qui s’opère avec la Renaissance italienne vantée par le père de l’Histoire de l’Art, Giorgio Vasari. Certains dirons même qu’il s’agit d’art primitif… « primitif » c’est justement en ces termes que l’historiographie qualifie encore nombre d’artistes des XIVe et XVe siècles. Or cette période comprend deux révolutions picturales majeures venues du nord de l’Europe : le gothique International et le nouveau réalisme flamand, parfois également dit ars nova. Ces deux courants se diffusent dans toute l’Europe et tendent petit à petit vers plus de réalisme, « on souhaite maintenant véritablement représenter ce que l’on voit » comme le souligne notamment le développement des portraits et des paysages en arrière-plan.
Pour l’époque interrogée, l’art Italien – avec l’art français – reste à ce jour certainement le mieux connu du grand public et le plus étudié, l’Espagne étant souvent reléguée au second plan. C’est dans une volonté de palier ce fait qu’Elsa a décidé de s’intéresser à la péninsule Ibérique dans le cadre de sa thèse en Histoire de l’Art, en se focalisant sur les artistes étrangers participants aux renouveaux artistiques précédemment mentionnés. Dans cet épisode, nous sommes donc invités à la suivre dans son travail de défrichement des archives, entre la France et l’Espagne. C’est également l’occasion de nous plonger dans le contexte géopolitique de l’époque encore marqué par la guerre de Cent Ans au nord tandis que la couronne d’Aragon, grâce à ses ports au marché florissant, attire de nombreux artistes en quête de travail.

Des études internationales

Elsa devant un tableau de mon corpus au Museu Nacional d’Art de Catalunya (une annonciation du maître de la Seu d’Urger vers 1490).
Elsa devant un tableau de mon corpus au Museu Nacional d’Art de Catalunya (une annonciation du maître de la Seu d’Urger vers 1490).

Depuis plus de 5 ans Elsa se spécialise sur les échanges artistiques entre le nord et le sud de l’Europe, plus spécialement le bassin méditerranéen, à la fin du Moyen Âge, dans le domaine de la peinture (son Master 1 était consacré aux liens entre Antonello da Messina et Petrus Christus tandis que son Master 2 lui s’intéressait au catalan Jaume Huguet et sa réception de l’ars nova).
Elle est actuellement en troisième année de thèse, un moment charnière car consacré à l’achèvement du dépouillement des archives espagnoles. Elle se conclura en 2019 par un séjour de deux mois de recherche en Belgique, au Centre d’étude des Primitifs flamands, au terme duquel elle entamera officiellement la rédaction de son travail. Sa thèse est réalisée dans le cadre d’un doctorat en cotutelle à l’Université Paris-Sorbonne et l’Universitat Autónoma de Barcelona. Elle bénéficie d’un contrat doctoral (FPI) avec l’université espagnole et a obtenu en 2016 une bourse de recherche de la Casa de Velázquez.

« Durant mes deux premières années d’études j’ai également eu l’occasion d’effectuer un premier séjour de recherche, de quatre mois, au Museu Nacional d’Art de Catalunya (Barcelone). Cela fut pour moi l’occasion de travailler au contact direct des œuvres de mon corpus et d’avoir un accès privilégié à la documentation les concernant » raconte-t-elle.
Elle a également eu l’occasion de partager une partie de ses travaux à Lisbonne en décembre 2017 (Les artistes au service de la globalisation. L’exemple de la peinture eyckienne dans l’ancienne Couronne d’Aragon.), à Tours en juillet 2018 (Capitols fets et fermats. Commander un retable en Catalogne au tournant du XVIème siècle.) puis à Madrid en octobre 2018 (Fortuna critica de los primitivos ibericos en Francia) dans le cadre des journées intitulées Les nouveaux chemins de l’Hispanisme à l’occasion du centenaire de la Casa de Velázquez. Cette dernière présentation a notamment été l’occasion de placer son travail dans la continuité d’une longue tradition d’études hispaniques médiévales en France initiée avec Émile Bertaux au début du XXème siècle lors de la redécouverte des peintres dits « primitifs ».

Si le thème de recherche d’Elsa vous intéresse vous pouvez compléter l’écoute de ce podcast par la lecture du Carnet Hypothèses qu’elle dirige, Espagnes Médiévales, où toute une série d’articles sont consacrés aux primitifs espagnols.
https://espagnesmed.hypotheses.org/

Si le sujet de cet épisode vous intéresse voici quelques ouvrages :
  • El Renacimiento mediterráneo. Viajes de artistas e itinerarios de obras entre Italia, Francia y España en el siglo XV, Madrid. (cat. Expo)
  • YARZA LUACES J. « La couronne d’Aragon et la Flandre », dans BORCHERT T.-H. (dir.), Le siècle de Van Eyck. Le monde méditerranéen et les primitifs flamands. 1430-1530, Bruges (cat. Expo)
  • La pintura hispano-flamenca : Bartolomé Bermejo y su epoca, M.N.A.C. ed., Barcelone. (cat. Expo)
  • LACARRA DUCAY MA del C. (dir.), La pintura gótica durante el siglo XV en tierras de Aragón y en otros territorios peninsulares, Saragosse.
  • CORNUDELLA R., FAVÀ C., MACÍAS G., L’art gothique dans les collections du MNAC, Barcelone.
  • Aragón y Flandres. Un encuentro artístico (siglos XV-XVII), Saragosse, 2015 (cat. Expo)
Les extraits sonores diffusés dans l’épisode :
Transcription de l’épisode 8 (cliquez pour dérouler)

Fanny : Est ce que l’on sait tout du Moyen Âge ? Est ce qu’il reste encore des choses à découvrir ? Et d’ailleurs qu’est ce que le Moyen Âge ? En fait, il y a autant de réponses que de médiévistes. Dans cette émission nous nous intéressons à comment l’histoire médiévale est étudiée aujourd’hui par de jeunes chercheurs, quels sont les sujets qui les intéressent pour vous donner envie d’en savoir plus, et pourquoi pas donner de l’inspiration aux futurs chercheurs.
Episode 8, Elsa et les peintres dans la couronne d’Aragon, c’est parti !

Aujourd’hui, on va parler d’histoire de l’art, une discipline cousine de l’histoire. Nous verrons dans cet épisode que les méthodes de travail et d’analyse ne sont pas forcément les mêmes, mêmes si elles peuvent traiter des sujets similaires. Mon invité pour cet épisode est Elsa Espin. Bonjour Elsa.

Elsa: Bonjour Fanny.

Fanny : tu es doctorante en histoire de l’art, à la fois à l’université Paris 4 Sorbonne, et à l’université autonome de Barcelone.

Else: tout à fait.

Fanny: en ce moment tu travailles sur une thèse sur les peintres français, néerlandais et allemands dans la couronne d’Aragon, du règne de Jean 1er à celui de Ferdinand le Catholique, c’est à dire entre 1387 et 1515. Avant de parler de ce sujet, je voulais te demander: on a pas forcément une idée de ce que c’est la peinture au Moyen Âge, on a plus une idée des peintres de la Renaissance avec tout le renouveau, est ce que tu pourrais nous parler de ce qu’il se passe en terme de peinture a la fin du Moyen Âge, donc XIVe et XVe siècle ?

Elsa: la peinture a la fin du Moyen Âge, ça va être avant tout une peinture religieuse puisque c’est avec la Renaissance que se développe la peinture profane; c’est à dire les portraits, un retour à l’Antiquité, tout ce que l’on connait au final avec la Renaissance. Et ce sont essentiellement, au travers de retables qui vont servir de support aux dévotions.

Fanny : c’est quoi un “retable” ?

Elsa: un retable ca va être en général un panneau, parfois composé de plusieurs panneaux, avec une ou plusieurs scènes.

On va représenter des scènes de la Bible, et les prêtres dans les églises, lorsqu’ils font faire leur prêche, vont pouvoir au fil de leur prêche, avoir un support visuel pour toutes ces personnes, tous ces fidèles qui vont venir les écouter, et qui n’ont pas accès à la Bible parce qu’à cette époque là, au Moyen Âge, très peu de personne savent lire; il y a 5% de la population qui sait lire a cette époque là, et ce sont essentiellement les nobles et parmis les nobles pas nécessairement tous.

Et donc au travers de ces supports visuels, on va pouvoir avoir véritablement quelques chose qui vient palier en fait à cette absence de possibilité de lire le texte directement. On peut aussi les avoirs sur les murs d’église justement. On a conservé quelques peintures murales qui vont justement, comme les retables par la suite, servir de support.

Dans certaines chapelles qui ont été repeintes, notamment aux XIXè siècle quand il y avait cet engouement justement pour le Moyen Âge, il y a un exemple à Paris avec Saint-Germain-des-Prés qui a été repeint où on peut avoir une idée de ce que ça pouvait être au Moyen Âge avec directement des visuels sur les murs.

[Extrait :  Le Moyen Âge, documentaire sur l’historienne Marguerite Gonon]

Les églises au Moyen Âge sont des églises qui sont toutes entières peintes, toujours pour une même raison : il faut expliquer aux gens les vérités de la religion. Alors en même temps, il faut que ce soit joli, alors on fait des peintures et puis on attire l’attention sur des grands sujets et on a ces grandes fresques qui sont dans les arcs de décharge. Ces fresques-là sont du XIIIe et représentent d’un côté le personnage qui est en noir c’est évidemment Saint Benoît, le patron de tous les moines bénédictins, alors qu’ici on a un évêque qui est probablement l’évêque Saint Irénée, le premier évêque de Lyon.

Fanny : Alors on vient au sujet qui nous intéresse aujourd’hui c’est à dire les peintres dans la couronne d’Aragon. Alors la couronne d’Aragon à cette époque, donc la fin du Moyen Âge, regroupe à la fois le royaume d’Aragon – tu me dis si je me trompe – le comté de Catalogne, le royaume de Valence et de Majorque. Est ce que tu peux nous dire un peu quel était le contexte politique à cette époque ? Comment se situe la couronne d’Aragon sur l’échiquier politique européen ?

Elsa : quand moi je commence à m’intéresser à la peinture dans la couronne d’Aragon, le règne de Pierre le Cérémonieux vient juste de se terminer. On est dans une couronne beaucoup plus étendue qui regroupe aussi la Sardaigne et la Sicile. Elle va s’étendre encore un tout petit peu plus au cours de l’époque que j’analyse avec le règne d’Alphonse V le Magnanime qui va conquérir Naples, puis après au fil des successions ça va un petit peu se disperser, et on a la réunification avec la Castille au début de la Renaissance. Moi je m’intéresse exclusivement à la partie Ibérique. Avec ces conquêtes, on a un royaume relativement stable, on va avoir quelques petits troubles politiques à l’intérieur même, mais globalement on a quand même quelque chose de beaucoup plus stable, de beaucoup plus rayonnant que par exemple la France à la même époque qui est avec la guerre de Cent Ans est en proie aux Anglais et qui donne l’image d’un royaume un petit plus appauvri, plus faible, Charles VII est retranché derrière la Loire…

Fanny : est ce que tu peux nous dire comment tu as choisi ton sujet, qu’est ce qui t’y a amené ?

Elsa : j’ai toujours aimé la peinture flamande et l’époque de Jan van Eyck. C’est une époque qui est très étudiée, Jan van Eyck, il y a déjà milles études qui ont été faites sur le sujet. Et en fin de licence j’ai eu à étudier un catalogue sur le siècle de van Eyck, le développement de sa peinture dans le bassin méditerranéen, et je me suis rendu compte qu’à défaut d’étudier Jan van Eyck directement, qui l’avait déjà été mille fois, je pouvais aussi étudier le développement de sa peinture et son rayonnement dans tout le reste de l’Europe. J’ai des appétences pour les langues latines donc j’ai commencé avec le bassin méditerranéen évidemment. Mon sujet de master pour la première année c’était le peintre sicilien Antonello de Messine. J’en ai fait le tour donc j’ai changé de sujet en master 2 et je me suis plus intéressée à la partie ibérique, qui est aussi une partie qui est beaucoup plus délaissée dans la recherche, avec le peintre catalan Jaume Huguet. Le sujet de thèse est venu de manière assez naturelle ensuite, je m’étais déjà intéressé à la couronne d’Aragon, il était donc logique de rester avec la couronne d’Aragon. Le XVè siècle qui était central, reste central. J’ai cette fois un peu changé la manière de voir les choses en essayant de m’intéresser à la manière dont cet art septentrional, donc venu du nord de l’Europe, vient se développer dans le bassin méditerranéen. Et je le fais cette fois au travers des voyages d’artistes et de leur œuvres.

Fanny : quelle est la différence entre une thèse d’histoire de l’art, et une thèse d’histoire médiévale ? Quelles sont les différences en terme de traitement ?

Elsa : je ne sais pas s’il a véritablement une différence si fondamentale. Les historiens de l’art sont évidemment des historiens, car on ne peut pas faire fi de l’histoire, on est obligé de s’en servir, on doit utiliser les mêmes sources manuscrites qu’eux. Ça va être néanmoins une approche évidemment qui va être plus tournée sur l’esthétique peut-être. Avec l’étude des tableaux, on ne va pas étudier les tableaux de la même manière qu’un historien ne va s’y intéresser. L’historien va plus s’y intéresser peut-être comme une preuve, alors que nous on va essayer de comprendre les tenants, les aboutissants de ceux qui font cette oeuvre à ce moment donné.Fanny : Et du coup on va rentrer dans le sujet directement, quel sont les principaux peintres qui sont présents pendant cette période, sous la couronne d’Aragon, à la fin du Moyen Âge ?

Elsa : ces peintres étrangers venus travailler dans la couronne, on va surtout les retrouver dans les grandes villes telle que Barcelone et Valence qui sont de très grands ports. Et qui vont bénéficier de la Cour. La Cour a cette époque est itinérante, elle n’est pas fixée à un seul endroit, donc le Roi va être véritablement dans toutes les capitales de son royaume. C’est à dire Saragosse à la fin du XIVè, il va être à Barcelone au XVe siècle, il peut passer aussi par Valence, on a des ambassades étrangères qui viennent à Valence pour voir le roi. Donc ça va être véritablement des lieux qui vont attirer potentiellement tous ces artistes étrangers qui vont être en quête de travail. On a Marçal de Sax qui arrive vers la fin du XIV, début XVè siècle à Valence. Au XVème siècle on a Louis Alincbrot qui va être à Valence également. On peut avoir Antoine de Lonhy aussi au XVème siècle qui passe à Barcelone pour répondre à des commandes qui lui ont été faites. Et après aussi on a énormément de petits artistes, dont parfois on a juste une seule mention. On va avoir un Nicolas Français qui va être présent pour réaliser de l’enluminure etc.

Fanny : donc ils viennent travailler à la demande de quelqu’un, ou c’est eux qui viennent d’abord pour ensuite proposer leur art ?

Elsa : il y a différentes possibilités. Dans le cadre d’Antoine de Lonhy ce sont vraisemblablement des confréries qui sont venues le chercher alors qu’il était dans le sud de la France à Toulouse, pour lui demander des oeuvres. Il a notamment réalisé un vitrail pour une église à Barcelone, et on voit bien dans les sources que c’est un peintre de Toulouse. Par la suite on voit qu’il s’établit à Barcelone, vraisemblablement pour réaliser ces commandes. Dans le cadre de Marçal de Sax, il serait plutôt venu de lui même. Il va travailler avec un artiste local, il s’établit probablement avec son propre atelier par la suite, même si on n’a pas de mention pour cela on peut le supposer, car il a malgré tout une influence assez importante: on retrouve nombres de mentions de son nom concernant des travaux qui sont faits à cette époque là, à Valence.

Fanny : Et quel est leur style de peinture ? Dans quel mouvance artistique ils évoluent ?

Elsa : Alors, à la fin du XIVe se développe dans le nord de la France, le style qu’on appelle “gothique international”.  C’est un style très élégant, des figures très élancées, c’est vraiment un art de Cour qui, justement avec ces artistes notamment qui vont se déplacer, va se diffuser dans tout le reste de l’Europe, c’est d’ailleurs pour ça qu’on l’appelle le gothique “international” c’est parce qu’on le retrouve partout à cette époque là.  Dans la première moitié du XVè siècle apparaît Jan van Eyck en Flandres, qui lui va venir justement faire la transition avec le gothique international, et développer un art nouveau dit “Ars nova” qu’on qualifie aussi parfois de Renaissance flamande avec cette fois une volonté de représenter la nature encore plus poussée à l’extrême. On veut maintenant véritablement représenter ce que l’on voit. On n’a plus de portrait de personnes un peu stéréotypées qu’on va pouvoir reconnaître de par leurs armoiries. Bien sur pour aujourd’hui on a besoin de ces armoiries ou de mentions pour savoir qui est représenté. Mais quelqu’un de l’époque, lorsqu’il voyait par exemple La Vierge du chancelier Rolin de Jan van Eyck qui est au musée du Louvres, le chancelier Rolin devait se reconnaître. Le peintre a véritablement voulu représenter le commanditaire. Et donc avec Jan van Eyck on a un peu le même phénomène qu’avec le gothique international: on va avoir de quelque chose qui va se développer dans toute l’Europe, on le retrouve en France, on le retrouve dans le bassin méditerranéen, on le retrouve aussi dans les pays germaniques, c’est un véritable phénomène de mode. Donc est vraiment dans une approche plus réaliste, on va avoir un soucis du détail extrêmement fin. On avait d’ailleurs cette idée que peut être Jan van Eyck peignait avec une loupe. Ça ne veut pas dire que ses successeurs vont faire de même, mais chez tous les autres artistes qui vont peindre dans ce même courant, on va toujours avoir ce soucis du détail extrêmement précis, on peut voir les poils de barbe, on peut voir les cheveux, on peut voir les fils qui vont s’échapper des brocarts etc.

[Extrait : Kaamelott, saison 2 épisode 4, Le portrait]

 

  • Léodagan : Voilà y’avait déjà mon père, mon grand père, manquait plus que moi.
  • Arthur : Comment, parce que c’est vous ça ?
  • Léodagan : Bah évidemment qui voulez vous que ce soit ?
  • Arthur : Baaah la vache faut avoir l’oeil
  • Léodagan : Vous rigolez ou quoi ? Vous me reconnaissez pas la dessus ?
  • Arthur : Peut être… Non mais non mais non mais pas du tout. Qui c’est qui vous a demandé de sourire comme ça ?
  • Léodagan : Bah c’est l’autre con là avec ses pinceaux
  • Arthur : Ouai enfin bon moi je crois que c’est la que ça coince
  • Bohort : Mais pourquoi est ce que vous n’avez pas dit au peintre que vous ne souriez jamais ?
  • Léodagan : Comment ça je souris jamais ?
  • Arthur : Allez y, souriez pour voir ?
  • Arthur : Ah bah voilà non mais cherchez pas, je vous assure c’est hyper flippant
  • Léodagan : Qu’est ce qu’il y a ? Il vous plaît pas mon sourire ?
  • Arthur : Ah voilà ! Là par contre c’est vous, là je vous reconnais ! Tenez, regardez moi je souris pas sur les pièces de bronze
  • Léodagan : Quoi, c’est vous sur la pièce de bronze là ?

 

Fanny : comment tu as pu avoir des renseignements sur ces artistes ? Et sur quel type de documents tu as travaillé ?

Elsa : les renseignements pour ces artistes ils vont être au travers des sources picturales, mais surtout au travers des sources manuscrites. Ce sont les manuscrits qui vont pouvoir – quand je dis manuscrits ce sont les sources d’archives, ce n’est pas forcément un livre enluminé, quelque chose d’extrêmement riche, ca va plutôt être les notes des notaires, les comptes de la Cour, etc.

On peut avoir énormément d’informations sur ces artistes dans les archives. Dans l’ancienne couronne d’Aragon, à la fin du Moyen Âge, on avait cette tradition d’aller chez le notaire un petit peu pour tout et n’importe quoi. C’est à dire que si aujourd’hui on achetait un frigo on serait aller chez le notaire pour en faire mention. A cette époque là ca va être plutôt “bon  je vais acheter une oeuvre du coup je vais chez le notaire”. Ce sont des personnes qui sont assez aisées, elles vont même passer la commande en disant “voilà, on veut une oeuvre de tel artiste, on veut que tel chose soit représentée, de telle manière, faut que ce soit fait avant telle date, il faut que ce soit avec l’aide de telle ou telle personne etc.”. On va avoir aussi tous les paiements qui vont être référencés parce que c’est important l’argent quand même. Il faut que l’artiste soit payé, il faut que la personne qui passe la commande respecte l’engagement dans lequel elle s’est mis.

Fanny : justement, est ce que tu peux nous raconter comment s’organise ton travail, parce que tu travailles à la fois en France, et la fois en Espagne, donc comment tu fais pour travailler entre les deux pays ?

Elsa : donc je travaille entre les deux pays parce que je fais une thèse dite en “co-tutelle”, donc je me suis inscrite dans deux universités. Je suis sous la direction de 2 directeurs de recherche, et mon travail est régi par une convention de co-tutelle qui me demande d’être un certain temps dans chaque pays pour répondre aux demandes de chaque université. A Paris je dois être à la Sorbonne pour réaliser la formation doctorale, et l’université de Barcelone me demande aussi de respecter certaines règles, il faut composer avec tout cela.

Fanny : et au cours de tes recherches, bon tu viens de commencer ta thèse, mais qu’est ce qui t’a déjà le plus surpris

Elsa : y’a peut-être 2 aspects. Justement cette systématisation du recours au notaire pour tout notifier. Et puis va aussi y avoir l’organisation et la capacité d’adaptation de ces artistes qui vont venir du Nord. Parce qu’à l’époque il n’y a pas d’anglais, il y a le latin certes, mais tout le monde ne le maîtrise pas. Donc ces artistes viennent du Nord, dans un pays étranger, dont en général il ne maîtrise pas la langue. Et ils arrivent à s’adapter, à avoir malgré tout des commandes, on voit d’ailleurs dans certains contrat la présence d’une personne tierce qui va en fait faire office de traducteur car l’une des parties contractantes ne parle pas la langue locale.

Fanny : en préparant cette émission Elsa, tu m’as raconté qu’en histoire de l’art les limites entre les grandes périodes historiques ne sont pas forcément claires, elles sont même un petit peu plus flou qu’en histoire générale. Et que notamment les bornes chronologiques du Moyen Âge ne sont pas forcément évidentes. Alors en tant qu’étudiant d’histoire de l’art, est ce que tu peux nous dire qu’est ce que c’est le Moyen Âge pour toi ?

Elsa : en tant qu’étudiante en histoire de l’art, j’ai envie de dire que le Moyen Âge c’est le Vè au XVe siècle comme on apprend en histoire au final. Mais quand on fait du cas par cas, on se rend compte que c’est beaucoup plus compliqué que ça. En Italie par exemple, pour eux dès le XIIIe siècle ils sont en pleine Renaissance. Donc est ce qu’on peut vraiment dire parce qu’ils ne sont pas au XVe siècle, ils sont toujours au Moyen Âge ? C’est finalement une étiquette qui est difficile à accoler de manière aussi stricte qu’on le voudrait bien. En Espagne, en revanche, jusqu’à la fin du XVe siècle on a tendance à parler de Moyen Âge, aussi par comparaison avec l’Italie. Les historiens vont avoir considéré pas les mêmes avancées dans l’art que cela a pu être le cas en France ou en Italie, donc on va avoir une image parfois un peu plus négative. Alors que ce n’est pas du tout comme ça qu’il faut le voir finalement. Le Moyen Âge c’est ce que disait Vincent dans l’épisode 5, les personnes qui vivaient à cette époque “Oh je suis au Moyen Âge, demain ce sera la Renaissance”, non pas du tout.

Donc au final aujourd’hui on se retrouve avec ces découpages qui ont été fait pas non plus de manière arbitraire parce qu’ils correspondent à quelque chose, ça correspond à des changements importants dans le cours de l’histoire, mais au final dans l’histoire de l’art, ça va vraiment être du cas par cas. Dans mon cas on me considère plutôt comme une médiéviste, si j’étudiais l’art de cette époque là pour l’Italie, certains me considèreraient plutôt comme moderniste.

Fanny : quelles sont les difficultés que tu rencontres dans le cadre de ta thèse ?

Elsa : les difficultés ça va se résumer aux archives en fait. Mais les archives dans tout ce que ça englobe. Il y a évidemment la transcription, la paléographie est très difficile. Nombre d’historiens s’arrachent les cheveux devant les pattes de mouche réalisées au XIIIe, XIVe, XVe siècle ou même avant.

Ensuite il va y avoir l’absence d’archive. On y pense pas nécessairement, mais les archives qui ont été volées, les archives qui ont été perdues, détruites, ça peut être parfois très frustrant quand on a une piste qu’on ne peut pas mener, car on sait que de toute façon le document n’est plus là.

Et enfin, celui auquel je suis confronté maintenant c’est celui de la recherche d’archives. Jusqu’a présent j’avais essentiellement travaillé sur des documents qui étaient référencés, qui étaient transcrits. Et là maintenant, il me faut essayer de pousser plus loin, de voir qu’est ce qui a pu être oublié, qu’est ce qui a été laissé de côté, qu’est ce qui n’a pas été fouillé, et à partir de là il faut essayer de mettre en place une manière de travail pour ne pas perdre de temps : parce que sinon les archives on peut y passer toute sa vie et parfois trouver quelque chose et puis parfois jamais

Fanny : et pour terminer cette émission, j’aime bien demander à mes invités quels sont les conseils que tu donnerais à quelqu’un qui voudrait se lancer dans une thèse d’histoire de l’art?

Elsa : pour faire une thèse de manière général, je pense déjà qu’il faut avoir un fil conducteur entre le master et justement le doctorat. On a souvent tendance à penser que 3-4 ans voir 5 c’est énormément de temps et qu’on a la possibilité de se lancer dans quelque chose de nouveau. Mais en fait c’est extrêmement court. Le travail qui est demandé en thèse est celui qu’on avait en master mais puissance 10 peut être, je ne sais pas… Donc faut avoir une continuité pour justement essayer d’optimiser son temps au bout d’un moment il faut pouvoir dire et accepter même qu’on ne saura pas tout, et qu’on ne peut pas tout mettre car c’est un travail limité dans le temps et sinon il faut y consacrer une vie. Au même titre qu’il faut une continuité dans son sujet, je pense que si on en a la possibilité, le mieux c’est de garder le même directeur de recherche que ce qu’on avait en master, car c’est vraiment très important d’avoir quelqu’un qui vous connait, que vous connaissez, en qui vous avez confiance et qui surtout a confiance dans le travail que vous faites.

Et pour l’histoire de l’art plus particulièrement, peut être dire de ne surtout pas laisser de côté les sources textuelles, les manuscrits. C’est un reproche qui est fait très souvent par les historiens: que les historiens de l’art ne savent pas lire les manuscrits, ne savent pas les utiliser, ils ne savent pas travailler correctement avec. Et c’est vrai quand on regarde la formation que l’on a, on a pas les mêmes cours, on a pas de cours de paléographie qui sont imposés, on va pas nécessairement avoir des cours d’ancien français, des cours de latin… Ce qui est très dommage parce qu’au final, l’historien de l’art vu qu’il est un historien malgré tout, a besoin de ces mêmes outils pour pouvoir travailler de manière convenable. Donc si je peux donner un conseil ce serait si vous voulez lancer dans une thèse à terme, pendant votre licence, pendant votre master profitez de grandes institutions comme l’école des Chartes, comme la Sorbonne – parce que la Sorbonne dispense énormément de cours tel que de la paléographie, comme le latin, comme le français ancien / moyen, qui vont vous permettre de gagner du temps et de fournir un travail plus efficace possible et le meilleur possible.

Fanny : désormais chers auditeurs vous en savez un peu plus sur les peintres franco-flamands de la fin du Moyen Âge et sur la couronne d’Aragon. Alors merci beaucoup Elsa Espin d’être venue nous en parler

Elsa : merci Fanny de m’avoir invitée

Fanny : si vous, l’émission vous a plu et que vous souhaitez en savoir plus, n’hésitez pas à vous abonner aux comptes Facebook et Twitter de Passion Médiévistes. Vous pouvez aussi télécharger l’émission sur Soundcloud et iTunes et aussi sur les autres applications de podcast. Cette émission a été produite en partenariat avec Binge Audio qui nous prête du matériel et nous diffuse sur leur site, alors merci à eux. Salut !

Merci beaucoup à Bobu et Marion pour la retranscription !