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Épisode 29 – Christophe et les compagnons de Jeanne d’Arc

Connaissez-vous La Hire et Poton de Xaintrailles, deux fidèles de Charles VII qui ont combattu aux côtés de Jeanne d’Arc ?

Christophe Furon
Christophe Furon

Christophe Furon, enseignant et doctorant en histoire médiévale à Sorbonne Université, prépare une thèse sous la direction de Jean-Marie Moeglin sur Etienne de Vignolles, dit La Hire, et Poton de Xaintrailles, deux capitaines de Charles VII et compagnons d’armes de Jeanne d’Arc. Son travail consiste à retracer leur carrière, étudier leur renommée et leur image à travers les siècles. Ses recherches permettent de décentrer le regard de Jeanne d’Arc, puisque les carrières de ses « compagnons » sont encore peu étudiées.

La guerre de Cent Ans

Dans la France du XVème siècle se déroule la guerre de Cent Ans, le conflit qui oppose les Français et les Anglais, ces derniers ayant des prétentions sur le royaume de France. Et depuis 1407 une guerre civile se déroule dans le royaume entre les Armagnac, qui soutiennent le dauphin Charles (le futur Charles VII) et les Bourguignons, qui s’allient aux Anglais.

Selon Christophe, depuis le XIXème siècle les historiens se focalisent beaucoup sur la figure de Jeanne d’Arc et très peu sur ses compagnons, sur qui assez peu de travaux ont été faits. La Hire (mort en 1443) n’a été l’objet que d’une seule biographie, publiée en 1968 par un érudit mais peu diffusée et peu fiable sur certains points, et Poton (mort en 1461) n’a été le sujet d’aucune publication scientifique depuis 1902.

Deux « inséparables compagnons »

La Hire et Poton de Xaintrailles (BnF, fr. 5054, fol. 18v : Martial d’Auvergne, Vigiles de Charles VII, 1484)
La Hire et Poton de Xaintrailles (BnF, fr. 5054, fol. 18v : Martial d’Auvergne, Vigiles de Charles VII, 1484)

Issus de la petite noblesse gasconne, La Hire et Poton de Xaintrailles apparaissent dans les sources en 1418 au service du futur Charles VII et du parti Armagnac alors en lutte contre les Anglo-Bourguignons. Ce sont des capitaines de routiers parmi d’autres mais ils s’illustrent et acquièrent une certaine renommée dans les régions du nord et de l’est du royaume.

Après l’avènement de Charles VII, ils s’illustrent dans de nombreux faits d’armes importants du règne : bataille de Verneuil en 1424, défense d’Orléans assiégée en 1428-1429, campagne du sacre en 1429, reconquête du Beauvaisis dans les années 1430, prise de Paris en 1436, reconquête de la Normandie et de la Guyenne qui mettent fin à la guerre de Cent Ans entre 1449 et 1453. Cette fidélité au roi leur vaut d’exercer de nombreux offices – La Hire est bailli de Vermandois à partir de 1429 ; Poton est sénéchal de Limousin en 1433, bailli de Berry en 1438, maréchal en 1454 – et d’obtenir des terres : la carrière des armes est, pour eux, facteur d’ascension sociale.

S’ils se forgent une renommée de fidèles soutiens du roi, de capitaines valeureux et de bons tacticiens, ils ont également une solide réputation de pillards, jouant par exemple un rôle non négligeable dans le phénomène des Écorcheurs entre 1435-1445 et le pillage étant à cette époque indissociable de l’activité guerrière. Toutefois, leur activité de pillard ne contrevient que très rarement aux intérêts du roi. À en croire les sources, La Hire et Poton sont deux capitaines de premier plan dans l’armée royale.

Enquête sur les pillages commis par Poton de Xaintrailles et Robert de Flocques dans le comté de Rethel et la châtellenie de Château-Regnault en mai 1445 (AD Côte-d’Or, B 11882, juin 1445)
Enquête sur les pillages commis par Poton de Xaintrailles et Robert de Flocques dans le comté de Rethel et la châtellenie de Château-Regnault en mai 1445 (AD Côte-d’Or, B 11882, juin 1445)
Pour en savoir plus sur le sujet voici quelques conseils de lecture :
  • Allmand Christopher, La guerre de Cent Ans. L’Angleterre et la France en guerre 1300-1450, Paris, Payot, 1989, rééd. 2013.
  • Bove Boris, Le temps de la guerre de Cent Ans, 1328-1453, Paris, Belin, 2009.
  • Contamine Philippe, Guerre, État et société à la fin du Moyen Âge. Études sur les armées des rois de France, 1337-1494, Paris-La Haye, Mouton, 1972.
  • Contamine Philippe, La Guerre au Moyen Âge, Paris, PUF, 1980.
  • Contamine Philippe, Charles VII. Une vie, une politique, Paris, Perrin, 2017.
  • Contamine Philippe, Bouzy Olivier et Hélary Xavier, Jeanne d’Arc. Histoire et dictionnaire, Paris, Robert Laffont, 2012.
  • Favier Jean, La guerre de Cent Ans, Paris, Fayard, 1980.
  • Krumeich Gerd, Jeanne d’Arc à travers l’histoire, Paris, Albin Michel, 1993, rééd. Belin, 2017.
  • Rousseau Francis, La Hire de Gascogne, Mont-de-Marsan, Lacoste, 1969.
  • Schnerb Bertrand, Armagnacs et Bourguignons. La maudite guerre, 1407-1435, Paris, Perrin, 1988.
  • Toureille Valérie (dir.), Guerre et société, 1270-1480, Neuilly, Atlande, 2013.
Les extraits sonores diffusés au cours de cet épisode sont :
Si cet épisode vous a intéressé nous vous conseillons d’écouter aussi :

Transcription de l’épisode 29 (cliquez pour dérouler)

[Générique]

Fanny : Est-ce que vous savez tout du Moyen Âge ? Est-ce qu’il vous reste encore des choses à découvrir, dans ce podcast peut-être ? Et d’abord, qu’est-ce que le Moyen Âge ? En fait, vous verrez, il y a autant de réponses que de médiévistes. Dans ce podcast, nous rencontrons des personnes qui étudient l’histoire médiévale, ils vous parlent de leurs sujets passionnants, de leurs recherches pour que vous en sachiez plus sur cette belle période de plus de mille ans.

Épisode 29, Christophe et les compagnons de Jeanne d’Arc, c’est parti !

Bonjour Christophe Furon !

Christophe : Bonjour Fanny.

Fanny : Tu es enseignant et doctorant en histoire médiévale à la Sorbonne, et tu vas nous parler aujourd’hui un petit peu d’un personnage que tout le monde connaît, mais surtout de ses compagnons. Effectivement aujourd’hui, on va vous plonger à l’époque de Jeanne d’Arc, mais pas seulement, de ses compagnons qui s’appellent La Hire et Poton de Xaintrailles. Avant que tu nous parles précisément de ces deux personnages, est-ce que tu peux nous présenter le contexte historique de la période sur laquelle tu travailles ? Quelle partie du Moyen Âge ? Qu’est-ce qui se passe ? Enfin, où sommes-nous ?

Christophe : On est en France au XVe siècle. C’est la guerre de Cent Ans, donc les Français et les Anglais qui s’opposent. Les Anglais qui cherchent à conquérir le royaume de France, qui ont des prétentions pour gouverner le royaume de France. Et en plus de cela, il y a une guerre civile depuis 1407 entre ceux qu’on appelle les Armagnacs et les Bourguignons. Les Armagnacs sont groupés autour du connétable d’Armagnac et soutiennent le dauphin Charles, le futur Charles VII. Tandis que les Bourguignons sont sous la direction du duc de Bourgogne et ont tendance un peu plus à s’allier aux Anglais. En 1418, ce sont les Bourguignons qui prennent le pouvoir en fait, qui conquièrent Paris. Ils en profitent pour tuer le connétable d’Armagnac, et le dauphin Charles, lui, est obligé de s’enfuir de façon un peu rocambolesque, de nuit, emmené par le prévôt de Paris, Tanguy du Chastel.

À partir de là, les Bourguignons vont organiser la succession de Charles VI avec le traité de Troyes de 1420, qui prévoit que le successeur de Charles VI ne sera pas son fils Charles VII mais le roi d’Angleterre. Et donc du coup, le dauphin Charles décide de faire de la résistance en quelque sorte. Dès 1418, il y a des capitaines qui se regroupent autour de lui, autour de sa personne. En 1422 effectivement, Charles VI meurt, et donc, en vertu du traité de Troyes, c’est le roi d’Angleterre qui devient roi de France, mais le dauphin Charles décide de porter le titre de roi de France sous le nom de Charles VII.

Fanny : Donc tu travailles sur deux des capitaines de Charles VII. Pourquoi tu as choisi ce sujet ?

Christophe : En fait j’ai arrêté mes études à partir de la maîtrise. J’ai passé les concours de l’enseignement, tout ça, et au bout de quelques années j’ai eu envie de reprendre la recherche, donc j’ai commencé à regarder quel sujet pourrait m’intéresser. Et j’avais envie de travailler sur la guerre au Moyen Âge. Et il se trouve qu’en contactant monsieur Moeglin, mon directeur de recherche, eh bien au cours de la discussion qu’on a eue, il m’a proposé plusieurs sujets, dont un sujet sur La Hire pour faire un master 2. J’ai compris tout de suite que voilà, c’était ce qu’il me fallait, puisque qu’à la fois j’allais travailler sur la biographie d’un capitaine qui est peu étudié, et ensuite travailler aussi sur sa manière de faire la guerre et qu’est-ce qui a construit sa renommée. Et sa renommée, pas seulement de son vivant, mais aussi jusqu’à aujourd’hui. En fait, je travaille aussi sur son image.

À la fin du master 2, il est très vite apparu qu’on pouvait faire un sujet de thèse là-dessus, pour compléter le sujet en fait. Il apparaissait vraiment nécessaire en fait d’étudier aussi la carrière de Poton de Xaintrailles en parallèle, puisque ces deux capitaines ont combattu ensemble. Ils apparaissent dans l’histoire en même temps, 1418. Leurs plus grands faits d’armes, ils les ont faits ensemble. Et du coup, ce sont deux capitaines qui deviennent vraiment importants sous le règne de Charles VII. C’est pour ça que les séparer, ça n’avait aucun sens, puisqu’en plus de cela, les historiens les considèrent comme d’inséparables compagnons, c’est souvent l’expression qui revient. Et donc ça m’intéressait aussi de voir un petit peu comment s’est construite cette image.

Fanny : Mais quand même, des compagnons comme ça, de tels personnages n’avaient pas du tout été étudiés ?

Christophe : Très peu, bizarrement. En fait, ce qui s’est passé, c’est que depuis le XIXe siècle les historiens focalisent beaucoup sur Jeanne d’Arc et très peu sur ses compagnons. Alors ça a commencé au XIXe siècle avec quelques études sur La Hire et Poton de Xaintrailles, mais finalement je me suis rendu compte que tout était à reprendre. Sur La Hire, par exemple, la dernière publication, la dernière recherche importante qui a été publiée dessus date de 1968, et c’est un bouquin qui est très rare, difficile à trouver et mal fait.

Fanny : On ne le conseillera pas alors.

Christophe : Non, non, non. (rires) De toute façon, il est introuvable, donc voilà. Et pour Poton de Xaintrailles c’est encore pire puisque je crois que le dernier article qui a été publié dessus date de 1902.

Fanny : Ah oui quand même.

Christophe : Donc en fait, il y a vraiment tout à faire quoi. Voire refaire.

Fanny : Alors qui sont ces hommes ? Donc on a La Hire et Poton de Xaintrailles. On commence par La Hire. Qui c’est ?

Christophe : Alors La Hire c’est Étienne de Vignolles de son petit nom. On ne sait pas quand il est né, mais c’est à la fin du XIVe siècle, et il est mort en 1443. Il vient de Gascogne, il est issu de la très petite noblesse de Gascogne, c’est vraiment… il n’y a pas moins noble que lui. En plus de ça, c’est un cadet et donc en fait sa seule issue, sa seule perspective d’avenir finalement, c’est soit être prêtre — bon, ça a pas l’air d’être dans son tempérament — soit faire la guerre, voilà.

Fanny : Et faire carrière.

Christophe : Exactement, en espérant gagner quelques terres, un petit peu de gloire, etc. Et pour Poton de Xaintrailles, son prénom c’est Jean, mais Poton, j’arrive pas à déterminer si c’est vraiment son deuxième prénom ou si c’est un surnom, parce que son frère aîné s’appelle Jean aussi. Un peu bizarre. Alors lui aussi il vient de Gascogne, mais d’une noblesse un peu moins ras des pâquerettes. Xaintrailles se situe au sud d’Agen. En gros, comme c’est un cadet, il a peu de perspectives d’avenir, mais il a quand même quelques petits revenus, même si j’arrive pas à déterminer dans quelle mesure. Il n’empêche que lui aussi, s’il veut gagner en ascension sociale, il faut qu’il fasse la guerre, il n’a pas le choix.

Ils apparaissent dans l’histoire en 1418, au moment où ils se rallient au dauphin Charles, le futur Charles VII. Ils faisaient très probablement partie du camp Armagnac depuis 1415, mais on n’a pas de source qui permette de le déterminer. À partir de 1418, ils mènent une guerre sans répit contre les Anglais et les Bourguignons, surtout au nord de la Seine. Mais c’est pas des grands faits d’armes au début, c’est juste de la pillerie, voilà, des escarmouches, on prend une place on la perd deux mois après. C’est pas une guerre très prestigieuse avec des grandes batailles rangées de chevaliers, tout ça, c’est très rare à cette époque-là. Et en fait, c’est comme ça qu’ils vont commencer à construire leur renommée, parce que mine de rien, petit à petit ils arrivent à s’enkyster dans les territoires contrôlés par les Bourguignons, notamment en Champagne, et ils arrivent à s’illustrer de cette manière-là. D’autant que les principaux chroniqueurs de l’époque, notamment Monstrolet, est bourguignon d’origine picarde, et donc du coup il est aux premières loges donc il rapporte tous leurs faits d’armes, et c’est vraiment ce qui va construire le début de leur renommée.

Et puis après, de fil en aiguille, ils en viennent à participer à toutes les grandes campagnes, toutes les grandes batailles du règne de Charles VII. Même dans les défaites, ils arrivent à s’illustrer en fait. À Verneuil par exemple, c’est le deuxième Azincourt, ça a lieu en 1424, c’est une véritable hécatombe pour l’armée française, mais eux ils ont conduit une charge de cavalerie qui a fait impression visiblement, puisque toutes les chroniques en parlent, et d’après certains chroniqueurs même, ça aurait pu être décisif. Donc même dans les défaites, eux ils arrivent à sortir du lot en fait, et c’est ce qui fait que finalement ils deviennent des capitaines très en vue. Et on les retrouve très souvent ensuite aux côtés de Charles VII, ce sont vraiment des fidèles de Charles VII. Charles VII il a très peu confiance aux gens, mais de ce que j’ai pu lire dans les sources, ces deux-là, il leur fait pleinement confiance.

Fanny : Pourquoi ils étaient ensemble tout le temps ? Pourquoi on les associe en fait ?

Christophe : Déjà, ils apparaissent au service du dauphin Charles en 1418 ensemble. Ensuite, ils opèrent dans les mêmes régions le plus souvent. Et quand ils sont sur le champ de bataille, eh bien là aussi ils sont souvent ensemble, soit à l’avant-garde, soit à l’arrière-garde, c’est-à-dire aux endroits les plus dangereux. En campagne et sur le champ de bataille, c’est l’avant-garde qui est vraiment la plus dangereuse car ce sont les premiers qui sont au contact, mais quand il s’agit de faire retraite, ils sont à l’arrière-garde, pour protéger justement la retraite de l’armée. Donc on les voit tout le temps ensemble au final.

Fanny : On sait pas comment ils se sont rencontrés, à part qu’ils étaient peut-être à peu près de la même région ?

Christophe : Alors à peu près de la même région, et sans doute issus du même réseau.

Fanny : C’est-à-dire le même réseau ?

Christophe : En Gascogne, il y a trois familles importantes, et l’une des plus importantes, ce sont les Albrets, qui soutiennent la cause du dauphin Charles, et il semblerait — alors c’est clair pour les Xaintrailles, pour les Vignolles j’ai un peu plus de mal à déterminer puisqu’on a très peu de sources sur les débuts, c’est vraiment des petites familles, hein — et donc du coup pour les Albrets, il semblerait qu’ils soient au service des Albert dès 1418, c’est ce qui les amène dans le camp du dauphin Charles, voilà. Et pour les Xaintrailles, ils auraient des liens aussi avec la famille des ducs d’Orléans, autre grande famille Armagnac, et c’est ce qui aura mené Poton et un de ses cousins Pierre au service des ducs d’Orléans.

Fanny : Et comment on a retrouvé ces deux capitaines au siège d’Orléans ? Et d’ailleurs, est-ce que tu peux nous rappeler pourquoi ce siège d’Orléans est si important ?

Christophe : Eh bien en fait, ce sont les Anglais qui ont décidé d’assiéger la ville d’Orléans en septembre-octobre 1428. Orléans, c’est la ville sur la Loire la plus proche de Paris. Ça leur permettait de progresser vers le sud, d’avoir une porte d’entrée, ça leur aurait permis en tout cas d’avoir une porte d’entrée vers le sud de la Loire. Alors on ne sait pas trop quelle était la suite des projets, parce qu’on imagine mal les Anglais essayer de faire une grosse jonction entre Paris d’un côté et puis la Gascogne de l’autre, puisque l’Aquitaine est aussi anglaise à cette époque-là. Alors on imagine aussi qu’ils ambitionnent de redescendre la Loire, la vallée de la Loire. Le plan de campagne des Anglais est assez flou au final. (rire de Fanny)

Et il n’empêche qu’Orléans, c’est la ville du duc. Le duc d’Orléans, il peut pas défendre sa ville puisqu’il est prisonnier en Angleterre depuis la bataille d’Azincourt en 1415. Du coup, ce sont des fidèles à lui qui décident de prendre la défense de la ville. Alors parmi ces fidèles, il y a son frère bâtard, Jean d’Orléans dit le bâtard d’Orléans, futur comte du Dunois, et Raoul de Gaucourt qui est le capitaine de la ville à cette époque.

Et il se trouve que La Hire et Poton de Xaintrailles sont en train de vadrouiller autour en fait. La Hire a repris quelques petites villes aux alentours de la vallée de la Loire, Montargis notamment, et donc du coup il est aussi capitaine de Vendôme, et donc en fait il est dans les parages. Dès que la menace anglaise arrive, eh bien La Hire et Poton sont parmi les premiers à arriver dans Orléans.

Fanny : Et comment La Hire et Poton se retrouvent à être aux côtés de Jeanne d’Arc à Orléans ?

Christophe : Ce qu’il faut comprendre, c’est que Jeanne d’Arc, elle, n’arrive à Orléans que le 29 avril 1429. Donc ça fait déjà pas mal de mois que La Hire et Poton sont dans Orléans. Alors pas tout le temps, parce qu’ils font pas mal d’allers et retours avec la cour, ils ramènent pas mal de vivres, de renforts en hommes, et puis aussi d’argent pour payer les hommes, on fait pas la guerre sans argent. Et donc du coup il y a pas mal d’allers et retours, mais disons que La Hire et Poton, quand ils voient Jeanne d’Arc pour la première fois, ça fait déjà plusieurs mois qu’ils sont en train de galérer pour défendre Orléans.

Et quand Jeanne d’Arc arrive dans Orléans, c’est vraiment la déprime totale. Le siège s’éternise, les Français n’arrivent pas à chasser les Anglais, les Anglais ont l’air déterminés. Les Orléanais ont même cherché à négocier avec le duc de Bourgogne pour qu’il intervienne auprès des Anglais pour relâcher le siège. Alors des Orléanais en train de négocier avec le duc de Bourgogne, ça dit un peu la situation de désespoir.

Fanny : Ils sont vraiment désespérés, oui.

Christophe : Et donc du coup, eh bien quand arrive Jeanne d’Arc, en fait… Alors c’est difficile à expliquer parce que les sources ne sont pas très claires, mais on sent que les capitaines sont un peu en retenue. Pas uniquement parce que ça fait plusieurs mois qu’ils se battent pour Orléans et qu’elle elle débarque comme ça, “je suis l’envoyée de Dieu, hop je vais bouter les Anglais”, mais aussi parce que c’est une paysanne. Elle a deux tares en fait pour eux : c’est une femme, et c’est une paysanne, donc elle a pas le droit de faire la guerre. Et donc du coup il y a une très grande méfiance envers Jeanne d’Arc, de la part des capitaines en général, à tel point qu’en fait, à certains conseils de guerre, on la prévient pas qu’il y en a, et puis on la prévient pas des décisions et elle est mise devant le fait accompli quoi.

[Extrait de Les Robins des Bois — Grands Procès de l’Histoire — Jeanne d’Arc]

Fanny : Mais là, à ce moment-là, quel est son statut ? Qu’est-ce qu’on sait de Jeanne d’Arc ? Qu’est-ce qu’ils savent en fait de Jeanne d’Arc quand elle arrive, à part que c’est une paysanne qui dit avoir entendu Dieu ? Même si tu me dis qu’elle est pas tout le temps impliquée, qu’est-ce qui fait quand même qu’on la prend un minimum au sérieux ?

Christophe : Bah en fait, quand on lit les sources, notamment le journal du siège, on se rend compte que les décisions sont rarement prises par Jeanne d’Arc. Elle c’est vraiment l’envoyée de Dieu, c’est un petit peu l’emblème de l’armée.

Fanny : C’est la mascotte, quoi.

Christophe : Ouais, oui, on peut dire ça comme ça, ouais. Alors des fois elle va essayer de pousser vraiment les capitaines à être un peu plus, comment dire, un peu plus offensifs, et ça va fonctionner pour le coup. Mais en fait leurs relations sont, enfin de ce que j’ai pu comprendre en tout cas des sources, ils n’ont pas envie de la suivre vraiment.

Fanny : Ils mettent du temps à lui faire confiance, ils ne sont pas tout de suite subjugués par son aura, quoi.

Christophe : Voilà, eux c’est des militaires, enfin à l’époque les chevaliers preux, tout ça, ça existait quasiment plus, c’est des gros bourrins quoi, (rire de Fanny) c’est des capitaines, ils ont bourlingué dans toute la moitié nord du royaume de France, ils se castagnent tout le temps, enfin…

Fanny : Ils ont quel âge à ce moment-là ?

Christophe : Ben on sait pas justement, on sait pas quand ils sont nés, mais voilà, en 1428–1429, La Hire il a la trentaine, quarantaine et puis Poton de Xaintrailles peut-être pareil. Ils en ont déjà vu des vertes et des pas mûres, donc une paysanne qui se prend pour l’envoyée de Dieu, à la limite, bah c’en est une de plus quoi. Mais c’est au moment de la victoire justement, quand les Anglais vont abandonner le siège, donc une semaine après son arrivée, le 8 mai…

Fanny : Au moins elle est efficace.

Christophe : Voilà ! Bah qu’il y a cette idée finalement que Dieu est du côté des Français. Et là ça va changer la donne, puisqu’elle va davantage être prise au sérieux. D’ailleurs elle arrive à convaincre Charles VII d’aller se faire sacrer à Reims, alors qu’il était plutôt réticent et que pas mal de personnes dans son entourage étaient réticentes. Et du coup, c’est ce qui va un peu lancer la dynamique. Mais sur cette histoire, enfin sur tout ce qu’il se passe dans l’été 1429, donc il y a la campagne qui mène au sacre plus quelques victoires après le siège d’Orléans, eh bien on n’a pas l’impression que La Hire et Poton soient plus fervents que d’autres à suivre Jeanne d’Arc. C’est aussi ce qui m’intéressait dans mon sujet de thèse, c’est qu’on dit souvent que La Hire et Poton ce sont deux fidèles capitaines, deux fidèles compagnons d’armes de Jeanne d’Arc. Bah j’ai pas l’impression que ce soit plus que d’autres en fait.

Fanny : Ça aurait été un peu romancé en fait ?

Christophe : Bah disons que l’histoire s’est construite autour de Jeanne d’Arc, donc voilà… Au XIXe siècle, on commence à travailler sur la canonisation de Jeanne d’Arc, qui arrive en 1920, mais elle était déjà dans les tuyaux à partir de la moitié du XIXe siècle. On est à une époque où on a besoin de héros, parce qu’on s’est pris une raclée avec les Allemands en 1870, donc c’est Vercingétorix, et puis il y a Jeanne d’Arc. Et du coup on a eu envie de voir ce qu’il n’y a peut-être pas eu. Faut tenir un propos nuancé, c’est pas non plus… voilà, ils ont suivi quand même Jeanne d’Arc sur quelques mois, mais justement, sur quelques mois. J’ai calculé que La Hire et Jeanne d’Arc ne s’étaient côtoyées sur les champs de bataille que de fin avril 1429 à début septembre 1429.

Fanny : Oui, ils n’ont pas eu beaucoup de temps pour tisser une relation assez forte quoi.

Christophe : Ça on n’en sait rien, puisque bon, le compagnonnage d’armes, enfin il y a la célébration de la victoire, et puis ça c’est sur les champs de bataille, c’est ce qui est le plus visible dans les chroniques, mais par la suite il l’a sans doute côtoyée un petit peu à la cour du roi en période plus calme quoi. Donc finalement, sur toute une carrière comme celle de La Hire, ça ne représente pas beaucoup. Et surtout, il n’y a pas eu d’impact sur sa carrière, visible. Il ne se réclame pas de Jeanne d’Arc. Alors là c’est difficile à affirmer avec certitude puisqu’on a très peu de documents qui émanent de La Hire lui-même, et puis il ne va jamais parler de sa vie personnelle. Du coup on a peu de documentation là-dessus, peu de renseignements. Et pour Poton de Xaintrailles, c’est pareil. C’est à peu près la même période, plus il la retrouve à Compiègne en mai 1430, au moment où elle va se faire capturer par les Bourguignons, mais ça s’arrête là au final.

Fanny : Si je t’écoute, l’appellation compagnons de Jeanne d’Arc pour tes deux capitaines, elle est un petit peu exagérée en fait.

Christophe : Ben oui et non. D’un côté, ils ont bien combattu ensemble, donc là on peut dire qu’ils sont compagnons d’armes. De l’autre, c’est vrai qu’ils n’ont pas fait beaucoup de batailles ensemble quoi. Donc c’est à nuancer. Ils ont bien été compagnons d’armes, mais ce ne sont pas les fidèles compagnons qu’on a voulu décrire dans les bouquins quoi.

Fanny : Sur quelles sources tu as travaillé pour ces deux capitaines ?

Christophe : Alors j’ai déjà commencé par éplucher toutes les chroniques de l’époque, pour voir un petit peu où ils étaient passés, ce qu’ils avaient fait, et aussi pour comprendre un petit peu leur renommée. Et je me suis rendu compte que, ben aujourd’hui La Hire et Poton en fait on les connait pas du tout, alors qu’à leur époque c’était de véritables célébrités, il y a pas d’autre mot. C’était vraiment la crème des capitaines quoi. Au-dessus, il y avait juste les aristocrates. Donc il y avait une ascension par la renommée chez La Hire et Poton de Xaintrailles.

Fanny : Ils avaient vraiment réussi à partir de leur statut, donc tu nous as dit au début qui était un petit peu faible, ils ont vraiment réussi par la carrière, par les armes, à vraiment se faire un nom et une réputation.

Christophe : Exactement. Et puis aussi par la faveur royale, tout vient du roi hein.

Fanny : Oui, mais ils ont mérité quand même cette faveur.

Christophe : Oui voilà, ils ont prouvé, et c’est en cela je pense que Charles VII leur faisait confiance, c’est qu’ils ont pu prouver leur valeur à travers les armes, et surtout leur fidélité. Et à l’époque de Charles VII, vu toute la série de complots qu’il y a, enfin Charles VII il passe son temps à déjouer des complots au final, le fait de ne pas avoir trop traîné là-dedans ou d’avoir gardé leurs distances, déjà pour Charles VII c’était bien. Et donc il ne pouvait pas s’appuyer sur beaucoup de personnes pour mener sa guerre, donc là La Hire et Poton, ils l’ont bien jouée.

Fanny : Donc les chroniqueurs de l’époque là n’ont pas exagéré sur leur importance.

Christophe : Non, là ils n’ont pas exagéré, il n’y a pas d’exagération. Pour preuve, les chroniqueurs bourguignons eux-mêmes reconnaissent, pourtant ennemis de Charles VII hein, eux-mêmes reconnaissent la valeur de La Hire et Poton.

Fanny : Et à part les chroniques, sur quels textes tu travailles ?

Christophe : Toutes les sources d’archives que j’arrive à trouver. C’est-à-dire que les chroniques m’ont servi à déterminer un itinéraire de base que j’ai pu compléter par la suite avec les archives. En fait, quand les chroniques me disent “ils sont à tel endroit”, moi je vais aux archives de tel endroit pour voir ce qu’ils ont fait, pour compléter ce que disent les chroniques.

Fanny : Mais tu dois beaucoup voyager alors !

Christophe : Ouais, c’est ça le problème, c’est que La Hire et Poton ont beaucoup voyagé hein, ils ont sillonné en fait tout le royaume de France, en retirant la Bretagne, et il y a tout un quart sud-est dans lequel ils n’ont pas mis les pieds visiblement, mais sinon oui, je les suis à la trace et donc je vais de Lille à Pau. C’est vraiment beaucoup beaucoup, je m’attendais pas à voir autant d’archives. Et puis bon après les documents d’archives sont très divers, ça va de la petite quittance qui stipule qu’ils ont bien été payés à des comptes urbains, des délibérations de ville, parce que quand ils se pointent à un endroit, c’est parce que tout le monde a peur. Ils ont une belle réputation de pillards aussi.

Fanny : Ah oui, c’est pas très glorieux ça.

Christophe : Ouais, donc ils laissent quelques traces quand même sur leur passage, et justement ça laisse des traces dans les archives et c’est ça qui est intéressant, c’est que là j’arrive à voir un petit peu comment les populations locales les perçoivent. Alors on sent bien la peur, hein, quand ils arrivent on sent que, voilà, ils ont un peu de ce qui va leur arriver, donc du coup ils préfèrent donner un petit peu d’argent, un peu de vivres pour éviter le pillage en règle.

Fanny : Et est-ce que tu as trouvé leurs propres archives à eux, aux deux capitaines ? Est-ce qu’il y avait un petit fonds quelque part ?

Christophe : Non non, il n’y a pas de petit fonds quelque part, il y a des documents dispersés un petit peu dans tous les fonds, donc c’est un peu compliqué et puis on a vite fait le tour, au final il n’y a pas grand-chose. Finalement eux de toute façon ce sont des capitaines qui ne maîtrisent pas l’écrit. La signature de La Hire, on a une main toute tremblante sur sa plume, il arrive pas à écrire droit, et il arrive juste à écrire La Hire.

Fanny : Ils sont pas lettrés du tout ? Ou juste ils ont pas l’habitude.

Christophe : Non, ils ne sont pas lettrés du tout. D’ailleurs Poton dans son testament, parce qu’on a une copie du testament à la BnF, qui explique bien qu’il ne sait pas écrire, hormis son nom. Et donc quand il signe Poton, eh bien en fait ce sont des lettres qui sont dessinées quoi, c’est vraiment du dessin, on voit qu’il ne maîtrise pas du tout l’écrit.

Fanny : Pourtant, même si c’était une petite aristocratie, c’était quand même une… non, petite noblesse, ils avaient rien, ils avaient pas eu d’éducation, quand même ?

Christophe : Eh bien ça visiblement, apparemment, non.

Fanny : Ou alors ils l’ont oubliée.

Christophe : De toute façon, pour eux, c’était pas là l’essentiel. Franchement, l’idée d’écrire pour eux, c’est pas vraiment ça. Leur but dans la vie, c’est de tuer de l’Anglais, du Bourguignon et puis de massacrer un peu de paysans au passage s’ils veulent pas payer la rançon et puis voilà quoi. Donc au final, ils n’ont pas besoin de l’écrit eux pour ce qu’ils ont à faire. Puisqu’ils sont de la petite noblesse, c’est juste de la main-d’œuvre aussi, de la main-d’œuvre militaire. Par contre ils sont capitaines d’une compagnie, donc un ensemble d’hommes d’armes, mais dans cette compagnie il y a aussi toute une intendance qui se met en place, et il y avait aussi certainement des clercs. Alors j’ai pas pu déterminer s’il y avait des clercs dans leur compagnie attitrés, mais vu toutes les quittances qu’ils ont délivrées, vu les traités qu’ils ont négociés aussi, il fallait bien qu’ils aient des gens qui savent écrire et qui aient un minimum de droit pour éviter de se faire arnaquer. Donc du coup, ils avaient des gens qui écrivaient pour eux.

[Extrait de Kaamelott]

Fanny : Et comment s’organisent tes recherches entre tous ces voyages, entre toutes ces recherches dans les archives ?

Christophe : C’est ça le plus compliqué en fait puisque je suis enseignant. Les déplacements ne se font que pendant les vacances. Et encore, faut être assez organisé, ce que j’ai eu du mal à faire, puisqu’entre la préparation des cours et la correction des copies finalement on n’a pas beaucoup de temps. Et donc ouais, les vacances s’arrêtent beaucoup à aller dans les archives. Alors cette année j’ai pu finir puisque je bénéficie d’un congé de formation pour l’année scolaire, le rectorat me laisse la possibilité de finir ma thèse sans enseigner, donc ça c’est bien.

Fanny : Tu as bien avancé alors ces derniers temps.

Christophe : Oui. Heureusement, sinon je crois que j’aurais jamais pu finir. Tout simplement parce qu’il restait encore beaucoup de travail. Il y a non seulement les archives, mais après il y a le traitement des archives. C’est bien de prendre des photos, mais ensuite faut les lire, faut retranscrire les documents et ensuite faut rédiger la thèse, évidemment.

Fanny : Oh un détail. (ton ironique)

Christophe : Ouais, un détail, ouais. (rire) Et c’est quand on rédige que les nouvelles questions apparaissent évidemment, et que donc on perd du temps à vérifier les informations.

Fanny : Là tu es en quelle année de thèse ?

Christophe : Alors officiellement je suis en cinquième année mais ça fait beaucoup plus longtemps que je travaille dessus, puisqu’il a fallu que je reprenne mes études en master 2, comme je le disais. Après le master 2, j’ai enchaîné avec une thèse. J’ai demandé une année de suspension pour passer l’agrégation.

Fanny : Que tu as eue.

Christophe : Oui, que j’ai eue.

Fanny : Bravo.

Christophe : Merci. Et donc ensuite j’ai repris la thèse et donc voilà, ça fait une huitaine d’années que je suis dessus. L’année prochaine ma sixième année, je pense que ce sera la dernière cette fois-ci.

Fanny : Tu vas vraiment finir l’année prochaine ?

Christophe : Oui. Ben déjà parce que ça commence à être long. Et puis ensuite il y a un moment où il faut que ça se termine. Et puis honnêtement, les archives là aussi ça se termine, je trouve plus grand-chose de nouveau. J’ai déjà trouvé pas mal, je vais pas me plaindre, mais voilà j’ai plus vraiment de nouveautés à découvrir, enfin de gros documents intéressants. Je pense que là j’ai fait le tour.

Fanny : Tu as déjà hésité à arrêter la thèse ?

Christophe : Ouais. Honnêtement oui, parce que quand on fait un métier d’enseignant, contrairement à ce qu’on croit on n’est pas tout le temps en grève, on n’est pas tout le temps en vacances, et même quand on est en vacances on travaille quoi, on corrige les copies, et par conséquent je voyais un petit peu le temps avancer et le temps que je consacrais à ma thèse n’était pas suffisant pour terminer. C’est là où au final j’ai été plutôt bon je pense, c’est que dès le début de ma thèse, j’ai fait une demande de congé de formation, parce que sachant que je l’aurais pas tout de suite, il faut attendre quelques années parce que c’est un système de points, comme pour les mutations, eh bien je me disais que si j’arrive, si je tiens jusqu’au congé de formation, j’aurai peut-être des chances de la finir. Et donc c’est tombé cette année, donc c’est plutôt pas mal en fait.

Fanny : Et avec ton directeur de thèse, ça se passe comment ?

Christophe : Très bien, parce qu’il est très compréhensif déjà. Il sait que j’ai une vie professionnelle à côté. Il sait que je travaille, je fais remonter régulièrement un petit peu mes avancées, donc en fait ça se passe très bien, il n’y a pas de souci.

Fanny : Oui, les directeurs de thèse préfèrent de toute façon que les personnes aient un travail à côté de la thèse, parce que sinon c’est beaucoup plus compliqué de la faire en fait.

Christophe : Bah oui, parce que je rappelle, tout le monde peut faire une thèse, à partir du moment où on a un master à peu près correct et il n’empêche que les débouchés ne sont pas nombreux. Donc le fait que je me sois présenté devant lui en tant qu’enseignant, déjà c’était un trac en moins finalement, la thèse c’était juste du bonus.

Fanny : Il n’y a pas de contrat doctoral à trouver ou de choses comme ça.

Christophe : Bah non. Et puis dans mon cas, contrat doctoral c’est moins bien payé que prof en fait, donc il y avait pas d’intérêt à ce que je coure après les contrats doctoraux. Après un poste universitaire, c’est toujours bien, c’est toujours intéressant. Mais là pour le coup, j’ai une source de revenus, qui me permet en gérant bien de faire mes recherches. Donc il n’y avait vraiment aucune contrainte particulière.

Fanny : À part les conditions donc matérielles de la thèse, quelle a été ta plus grosse difficulté ?

Christophe : Je pense que c’est la gestion du temps, vraiment. Parce que justement, le temps que je passais à enseigner, je ne le passais pas sur ma thèse. Donc en fait, pendant très longtemps, j’ai eu l’impression d’être un doctorant mais de seconde zone si tu veux, pas plein temps. Et quand je voyais à côté les collègues doctorants qui avançaient bien, qui étaient investis à fond dedans, c’est vrai qu’à côté moi je me disais je vais pas réussir à faire la même chose quoi. Et puis finalement bon ben, on va dire que j’ai réussi à rattraper le coche, enfin j’espère en tout cas. Ce sera le jury de soutenance qui décidera. Mais voilà, ça a été le plus difficile. Parce que mine de rien, le soir des fois, il faut travailler, il faut se mettre après une journée parfois fatigante, ça dépend dans quel établissement on est, mais il y a des journées qui peuvent être difficiles, eh ben le soir il faut s’y mettre quand même, donc c’est pas évident. C’est pas évident. Donc ça a été le plus difficile.

Fanny : Et au contraire, qu’est-ce que tu aimes faire dans la thèse ? Qu’est-ce que ça t’apporte de faire la thèse, personnellement ?

Christophe : En fait tout, au final. C’est-à-dire que le plaisir de la recherche, c’est vraiment pour ça que je me suis remis dedans, et là j’ai pas été déçu, le goût de l’archive, là aussi j’ai pas été déçu, toucher le papier, les écritures, tout ça c’est… le contact physique avec le passé finalement.

Fanny : Ouais là au bas Moyen Âge, on a la chance d’avoir plus de sources que les personnes qui étudient le début du Moyen Âge, où là tout est numérisé, on peut rien toucher en fait. Là tu as vraiment pu aller voir les documents eux-mêmes.

Christophe : Voilà. Alors j’ai pas mal de documents qui sont numérisés maintenant mais c’est clair qu’il y a beaucoup de documents qui restent encore à découvrir au final ou à redécouvrir. Et là ça a vraiment été un plaisir vraiment réel. Et puis finalement comme j’ai été amené à beaucoup circuler en France, j’ai révisé ma géographie française, (rire de Fanny) c’était pas mal aussi, donc voilà. Et puis ensuite il y a l’idée de construire un savoir finalement, puisqu’ils ont été très peu étudiés, il y a beaucoup de faits nouveaux que j’apporte dans ma thèse, même si c’est des faits secondaires, ça va pas révolutionner l’histoire du règne de Charles VII, il y a quand même pas mal de nouveautés. Donc il y a vraiment l’idée de construire un savoir, d’explorer aussi des passés inconnus finalement. Donc ça c’était vraiment intéressant. Au final je m’y retrouve. C’est pas facile mais disons que le bénéfice est plus grand que la contrainte.

Fanny : Quelle image ont laissée ces deux capitaines, La Hire et Poton ?

Christophe : Ils ont laissé une image au XVe siècle vraiment de héros, c’est vraiment ce qui apparaît. Quand La Hire meurt, Charles VII pleure.

Fanny : Ah bon ?

Christophe : Ouais.

Fanny : Comment on sait ça ?

Christophe : Alors on sait ça parce que Monstrelet je crois…

Fanny : Un chroniqueur a dit ça ?

Christophe : Un chroniqueur a dit ça, effectivement. Quand Poton de Xaintrailles meurt, alors lui c’est un peu différent parce qu’il meurt deux mois après Charles VII, en 1461, et là il est en période de disgrâce parce que son fils Louis XI, en fait, il a viré à peu près tous ceux qui servaient Charles VII. Donc il était maréchal de France à cette époque-là depuis 1454, c’est la grosse récompense qu’il a eue avec tout ce qu’il a fait sous Charles VII, la reconquête de la Normandie, puis de l’Aquitaine. Et donc du coup, il avait vraiment atteint le sommet, maréchal de France il pouvait pas espérer mieux, parce qu’au-dessus de lui dans la hiérarchie militaire, il y avait connétable et ensuite roi. La fonction de connétable c’est réservé aux aristocrates, du Guesclin est un peu l’exception, et donc du coup lui il a finalement atteint le sommet . Donc quand il meurt, il meurt un peu oublié puisque c’est Louis XI qui l’a défait de son maréchalat. Il n’empêche que dans les chroniques, dans les œuvres littéraires, pas seulement les chroniques, La Hire et Poton apparaissent. On a des hommages qui sont rédigés sur eux, ils servent d’exemples aussi dans les traités militaires de l’époque, leurs actions sont répertoriées dans certains traités pour dire ben voilà regardez, suivez leur exemple.

Fanny : Ah oui ?

Christophe : Et il y a des légendes aussi qui apparaissent, ça aussi c’est bon un signe, des récits totalement apocryphes qui apparaissent au début du XVIe siècle pour leurs actions. Alors c’est souvent des déformations de chroniques, mais il y a certaines légendes, j’ai pas réussi à déterminer leur origine. Il y a la famille de La Hire qui prend le nom de La Hire, justement. Son nom de famille c’est de Vignolles, et il a pas d’héritier, il a pas de fils. Ni Poton d’ailleurs. Et en fait…

Fanny : Ils étaient trop occupés.

Christophe : Ouais, voilà. (rires) Et donc en fait, les Vignolles se sont mis à s’appeler Vignolles La Hire. Donc ça aussi c’est un signe du prestige finalement…

Fanny : Alors qu’il était cadet, donc sa branche familiale a repris son nom à lui ? Ah c’est original, effectivement.

Christophe : Ouais, c’est ça ouais. Et pour Poton de Xaintrailles, c’est à peu près pareil. La famille s’appelait toujours Xaintrailles, mais dans les papiers familiaux, on voit les références au maréchal de France, c’est comme ça qu’on l’appelle, évidemment. Et donc on sent bien que derrière tout ça, il y a une volonté de rehausser une famille qui finalement est une famille de la petite noblesse. Ça reste toujours des petits nobliaux de province, mais le fait d’avoir un maréchal de France dans la famille, c’est quand même pas rien.

Et donc ensuite pour la renommée, il y a aussi une renommée nationale. Alors à Orléans on garde un peu la mémoire de ces deux héros qui ont défendu la ville, avec d’autres hein, ce sont pas les seuls. Mais il y a par exemple une pièce de théâtre, Le mystère du siège d’Orléans, dont on possède un seul manuscrit qui date du début du XVIe siècle, où ils apparaissent comme des personnages vraiment essentiels à la défense.

Dans les chroniques aussi, alors c’est ça qui est intéressant, dans les chroniques postérieures, XVIe, XVIIe siècle, qui reprennent beaucoup les historiens du XVe siècle, notamment Monstrelet, on les voit apparaître comme des personnages importants du règne de Charles VII. Alors ça reste des capitaines, donc faut pas s’imaginer des grands héros qu’on va mettre toujours en avant comme Jeanne d’Arc. Mais ils sont là, ils sont présents, on ne les a pas oubliés. C’est ça qui est intéressant, c’est que finalement l’oubli il est récent, il date finalement du XXe siècle. Et encore pas totalement, puisque La Hire, c’est le valet de cœur dans le jeu de cartes.

Fanny : Quoi ?

Christophe : Ouais.

Fanny : Attends…

Christophe : Quand vous jouez aux cartes, eh ben La Hire, c’est le valet de cœur. [NdT : généralement orthographié Lahire]

Fanny : Comment ? Quoi ? Enfin qu’est-ce qui s’est passé pour qu’il soit valet de cœur ?

Christophe : Ça c’est le mystère, ça. Et j’ai pas réussi… alors j’ai pas encore épluché toutes les sources, les jeux de cartes sont un peu compliqués à retrouver, mais visiblement il y a un fabricant de cartes vers le XVIIe siècle qui a décidé d’appeler le valet de cœur La Hire. Et c’est tombé comme ça. Alors le pourquoi du comment, ça, je maitrise pas, j’ai pas trouvé vraiment d’indication, mais n’empêche que voilà, il est resté quand même dans le jeu de cartes comme le valet de cœur. Alors on peut partir du principe que le valet le cœur c’est le courage, c’est la vaillance au service du roi, etc., la fidélité au roi, d’où le terme de valet, donc je pense que c’est à partir de là qu’on a fait l’amalgame. Sachant que le roi, soit le roi de cœur ou le roi de carreau, je sais plus, s’appelle Charles. Alors c’est pour Charlemagne, mais évidemment la petite référence à Charles VII pouvait aussi passer.

Fanny : On jouera plus aux cartes de la même façon maintenant.

Christophe : (rire) Eh ouais. Mais voilà, donc on a quand même pas mal de choses sur La Hire et Poton de Xaintrailles, une mémoire qui perdure et qui s’est un peu renouvelée avec la redécouverte de Jeanne d’Arc au XIXe siècle. Il y a eu un petit regain d’intérêt, notamment pour les Gascons, qui ont trouvé qu’il y avait deux héros nationaux finalement, deux héros régionaux plutôt, qui avaient combattu aux côtés de Jeanne d’Arc et donc il y a quelques érudits locaux qui se sont mis à faire des recherches sur La Hire et Poton.

Fanny : Pour finir, les auditeurs doivent être habitués maintenant, je pense que je n’ai même plus besoin de la poser, mais bon je vais quand même la poser. Christophe, quel conseil tu donnerais à quelqu’un qui veut se lancer dans une thèse d’histoire médiévale ?

Christophe : Ben les mêmes conseils que précédemment, mais par contre je vais peut-être me permettre de donner des conseils à des enseignants…

Fanny : Oui, bien sûr.

Christophe : … qui souhaiteraient se lancer dans une thèse après avoir lâché pendant quelques années les études universitaires. Alors déjà ça serait de choisir un sujet vraiment motivant, parce qu’il faut vraiment s’accrocher, avec un travail à côté c’est pas évident. Donc un sujet qui soit motivant, mais un sujet qui soit réaliste, c’est-à-dire pas faire comme moi à vadrouiller partout en France, parce que forcément ça prend du temps. Ça coûte aussi un peu d’argent mais c’est surtout le temps qui manque, et donc éviter que les sources soient dispersées partout en France. Ça, ce sera vraiment le conseil important.

Deuxième conseil, faire comme moi aussi le congé de formation. Faire une demande dès le début de la thèse, puisque moi j’ai mis cinq ans avant de l’obtenir, donc ça arrive au moment où je devais commencer à rédiger. Ça tombait pile-poil au bon moment. Mais ça, ça se prévoit dès le début. Alors la contrainte elle est financière, puisque quand on est en congé de formation, on n’a que 85 % du traitement brut, sachant que le congé de formation est donné quand même très chichement, puisqu’ils doivent aussi, en plus de nous payer, payer un remplaçant sur notre poste. Donc c’est quand même compliqué de l’obtenir, donc faut pas non plus tout miser là-dessus. D’ailleurs j’ai des collègues qui n’ont pas fait la demande et qui ont fini leur thèse quand même, donc c’est pas non plus essentiel. Mais en tout cas, moi ça m’a bien servi. Là-dessus, il y a vraiment rien à redire.

Donc voilà, c’est vraiment les deux conseils que je ferais à un enseignant qui déciderait de se lancer là-dedans quoi.

Fanny : Et c’est jamais trop tard donc.

Christophe : Jamais trop tard, non. Mais cela dit, des fois ça peut être difficile de rattraper en plein vol. Surtout que moi en fait, quand j’ai fini ma maîtrise, les humanités numériques elles étaient encore à leurs balbutiements. Et quand j’ai recommencé en master 2, j’ai découvert tout le principe de la numérisation, même les articles sur Persée et CAIRN, enfin j’en avais très peu utilisé avant. Et donc du coup là il y a eu un problème de génération, on va dire ça. (rire) Vraiment. Mais bon, c’est pas difficile de se mettre à jour quoi, il faut juste s’accrocher un petit peu au début, et puis finalement le numérique c’est vraiment ce qu’il y a de mieux. Ça m’a évité de faire des trajets, ça permet de rendre plus accessibles les sources sans les abîmer, puisque quand on manipule, on abîme forcément un peu. Donc on peut y arriver et puis il est jamais trop tard pour reprendre, ça c’est clair.

Et au contraire, enfin c’était pas mon cas, mais quand on s’ennuie un petit peu dans son boulot, quand on a envie de voir autre chose, là pour le coup on a une stimulation intellectuelle qui est quand même vraiment importante, vraiment intéressante, et ça permet aussi de prendre du recul par rapport à ce qu’on enseigne. La Hire et Poton, dans les programmes de cinquième ou de seconde, on n’en parle pas, mais en revanche sur la façon dont on traite l’étude de documents, là je pense que ça m’a permis d’être un peu plus au point avec les élèves, et surtout dans une période où les fake news et les théories du complot qui circulent, apporter de la rigueur scientifique à l’analyse, en adaptant aux élèves bien sûr, là je pense que ça a été un plus.

Fanny : Désormais chers auditeurs, si vous vous baladez un jour à Orléans et que vous voyez une rue La Hire ou une rue Poton, eh bien vous saurez qui c’est grâce à Christophe Furon. Merci beaucoup Christophe !

Christophe : Merci Fanny.

Fanny : Les auditeurs, si vous voulez bien sûr en savoir plus, on vous mettra donc sur le site passionmedievistes.fr plus d’informations, de la bibliographie. Vous avez aussi sur le site plein d’autres podcasts, donc les épisodes, les Rencontres, les Super Joute Royale, notre nouveau podcast sur les classements des rois de France de façon totalement subjective et avec plein de mauvaise foi. Et aussi notre autre podcast, Passion Modernistes, qui parle de l’histoire moderne. À bientôt !

Merci à So’ pour la transcription