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Épisode 22 – Jeanne et l’art macabre

Dans cet épisode 22 Jeanne Froment vous explique ce qu’est le courant artistique de l’art macabre. Jeanne a fait un mémoire d’histoire médiévale de deuxième année en 2017 sur les peintures murales de la collégiale d’Ennezat dans le Puy-de-Dôme. Peintes entre 1405 et 1420, elles représentent un Jugement dernier, un Dit des Trois Morts et des Trois Vifs et une Vierge aux donateurs. Avec elle on évoque dans cet épisode ce courant artistique qu’est l’art macabre, les artistes à la fin du Moyen Âge, les commanditaires, et elle nous raconte ses recherches.

Dans cet épisode plusieurs œuvres sont citées
Pour en savoir plus vous pouvez vous procurer les ouvrages suivants
  • Vifs nous sommes… morts nous serons : la rencontre des trois morts et des trois vifs dans la peinture murale en France, Groupe de recherches sur les peintures murales, Vendôme, éd. du Cherche-Lune, 2001
  • ANGHEBEN, Marcello, KLEIN, Peter K., JOUVET-LEVY, Catherine, MURATOVA, Xénia (dir.), Le Jugement dernier : entre Orient et Occident, traduit par REY-HERME, Isabelle, Paris, éd. du Cerf, 2007.
  • BASCHET, Jérôme, « Le Moyen Âge a-t-il eu peur de l’Enfer ? », L’Histoire, n° 184, novembre 1994, pp. 26-33.
  • CHIFFOLEAU, Jacques, La Religion flamboyante (1320-1520), Paris, éd. Points, 2011 (première éd. 1988, éd. du Seuil).
Les extraits diffusés dans cet épisode :
les peintures murales de la collégiale d'Ennezat
Les peintures murales de la collégiale d’Ennezat
Transcription de l’épisode 22 (cliquez pour dérouler)

 

Passion Médiévistes

Épisode 22 : Jeanne et l’art macabre

Intervenante : Jeanne Froment

 

[générique]

[musique]

[homme] Le Moyen Âge est à la mode et j’en suis très heureux parce que je crois que cette époque a été absolument décisive.

[femme] Je t’ai dit qu’elle soutenait sa thèse le 28 ?

[homme] Une thèse sur quoi ?

[femme] Les chevaliers paysans de l’an mille au lac de Paladru.

[homme] Au lac de ?

[femme, criant] Paladru !

 

[homme] Passion Médiévistes, l’histoire médiévale vue par ceux qui l’étudient.

 

[Fanny Cohen Moreau]

Est-ce que vous savez tout du Moyen Âge ? Est-ce qu’il vous reste encore des choses à découvrir ? Et d’abord, qu’est-ce que le Moyen Âge ? En fait, il y a autant de réponses que de médiévistes ! Dans cette émission, nous nous intéressons à comment l’histoire médiévale est étudiée aujourd’hui par des jeunes chercheurs, quels sont les sujets qui les intéressent, pour vous donner envie d’en savoir plus. Et pourquoi pas donner de l’inspiration aux futurs chercheurs.

Episode 22 : Jeanne et l’art macabre, c’est parti !

 

[homme] Excuse-moi mais, il y a des gens que ça intéresse ?

 

[fin du générique]

 

[Fanny Cohen Moreau]

Jeanne Froment, bonjour !

 

[Jeanne Froment]

Bonjour.

 

[Fanny Cohen Moreau]

Jeanne, en septembre 2017, tu as soutenu un mémoire d’histoire de l’art à La Sorbonne, sous la direction de Philippe Lorenz, à propos de peintures murales d’une église du Puy-de-Dôme. Quand on préparait cet épisode, tu m’as parlé d’un sujet plutôt intrigant, l’art macabre, et je me suis dit que ça ferait un très bon sujet d’épisode !

Alors, est-ce que tu peux nous expliquer, dans l’histoire de l’art du Moyen Âge, c’est quoi, l’art macabre ?

 

[Jeanne Froment]

L’art macabre c’est plutôt un thème qu’un courant artistique, que les hommes de la fin du Moyen Âge vont beaucoup apprécier, et vont mettre en image à peu près partout, sur différents supports… Ce qu’on connaît le plus, c’est les livres d’heures ou les différentes enluminures, mais il y a eu aussi de nombreuses représentations du thème de l’art macabre sur des peintures murales, ou sur des tableaux. Ou alors aussi, ce qu’on connaît beaucoup, c’est tout ce qui est les gisants et transis…

 

[Fanny Cohen Moreau]

Tu peux nous dire ce que c’est, les gisants et les transis ?

 

[Jeanne Froment]

Alors, le gisant c’est ce qui est plus connu, puisque c’est la représentation d’un homme ou d’une femme sous ses traits de vivant, et qui est donc allongé, comme presque endormi, et qui est en fait, ça va être la représentation liée à son tombeau.

Alors que le transi, ça va être en général la même chose, sauf que l’individu est sous une forme décomposée, en fait, il est en train de pourrir. Souvent on a la vision d’une peau parcheminée, très tendue. Et parfois on a même la représentation de morceaux du corps qui manquent, avec parfois des vers, ce genre de choses, pour vraiment montrer la putréfaction en cours du corps.

Un des exemples les plus célèbres c’est Ligier Richier, donc le sculpteur, qui a représenté René de Chalon, et donc c’est vraiment ce qu’il y a de plus connu.

 

[Fanny Cohen Moreau]

Et donc, dans l’art macabre, qu’est-ce qu’on montre ? Il y a un lien avec la mort, avec le corps en décomposition ?

 

[Jeanne Froment]

Oui, c’est ça en fait, l’art macabre c’est vraiment représenter la mort. Soit donc, un personnage mort, soit la mort elle-même. Et donc ça c’est vraiment ce qui définit l’art macabre, ce n’est pas du tout un sujet qui tourne autour de la mort, ça ne va pas du tout être forcément des gens qui sont déjà morts et qu’on va représenter vivants, non c’est vraiment la représentation du cadavre, voire de la mort personnifiée.

 

[Fanny Cohen Moreau]

Quelles sont les origines de ce thème ?

 

[Jeanne Froment]

On a souvent cru que l’art macabre était lié à la hausse de la mortalité, due notamment à la peste et aux guerres, et notamment la guerre de Cent Ans. Mais plus récemment en fait on s’est aperçus que c’est un thème qui est apparu bien plus avant que l’arrivée de la peste, parce qu’on a déjà des exemples d’art macabre au 13ème siècle, donc avant la peste, parce que la peste c’est plutôt 14ème, et avant le grand conflit d’Europe occidentale, donc la guerre de Cent Ans.

Donc ce n’est vraiment pas lié à ça, on pense que c’est plutôt une façon de voir la mort différemment, en fait. On va concevoir la mort comme quelque chose d’individuel et en même temps comme quelque chose qui est liée à l’individu, qui est également liée à tout ce qui est de l’ordre du rapport au Christ et au divin, c’est vraiment un changement de rapport, finalement.

 

[Fanny Cohen Moreau]

C’est ça parce que, justement, dans… au Moyen Âge donc, il y a beaucoup beaucoup d’art religieux, le Christ n’est pas vraiment représenté comme quelqu’un de mort. Donc il y a un changement dans la représentation artistique par rapport à la religion, aussi…

 

[Jeanne Froment]

Oui, bien sûr, parce que justement c’est à partir de ce moment-là qu’on commence à avoir des christs qui ne sont plus magnifiques sur leur croix mais qui commencent à pendre, on va insister sur le pathétique du corps du Christ qui est en train de rendre l’âme, voire qui est déjà mort. Et c’est aussi à ce moment-là qu’on commence à avoir sur certains tableaux des sortes de christs verts, en fait, des christs qui…

 

[Fanny Cohen Moreau]

Verts ?

 

[Jeanne Froment]

Voilà, qui sont déjà en train de, enfin qui sortent du tombeau…

 

[Fanny Cohen Moreau]

Comme des zombies ?!

 

[Jeanne Froment]

Oui, ils sont verts comme des zombies, parce qu’il est mort, en fait. Et donc l’idée est de représenter le Christ mort : il faut montrer que le Christ est vraiment mort pour expier les péchés de l’humanité, et que ensuite, d’un état vraiment mort comme un être humain, il ressuscite, parce qu’il est divin. Ça c’est vraiment le 13ème siècle qui va commencer à amener tous ces sujets-là. Et après c’est vraiment au 14ème et au 15ème siècles qu’on va voir vraiment le souhait de montrer la mort comme une chose tout à fait naturelle, et normale, et que c’est vraiment quelque chose d’on ne peut plus normal quoi, vraiment de montrer la mort dans ses aspects les plus putrides.

 

[Fanny Cohen Moreau]

Sur Twitter et Instagram, quand j’ai parlé un petit peu du sujet de l’art macabre en demandant aux gens qu’est-ce que ça leur inspirait, beaucoup ont parlé de la danse macabre. Il y a un lien, ou est-ce que c’est plus tardif ?

 

[Jeanne Froment]

Alors ça a totalement un lien, en fait c’est… Donc la danse macabre c’est effectivement le premier, avec les gisants, je pense que c’est le premier… la première chose à laquelle les gens pensent. Parce qu’on en a un exemple très célèbre à La Chaise-Dieu notamment, qui est encore visible aujourd’hui d’ailleurs.

Et donc ça c’est plutôt la fin de l’art macabre, parce qu’on a plutôt des exemples qui datent du 15e siècle, et avant ça, on a… on pense que l’ancêtre de la danse macabre, c’est le Dit des Trois Morts et des Trois Vifs.

 

[Fanny Cohen Moreau]

Qu’est-ce que c’est ?

 

[Jeanne Froment]

C’est une légende qui est apparue plus tôt au 13ème siècle, et où trois jeunes vifs, qui sont souvent des jeunes à cheval, des jeunes nobles, du coup, parce qu’ils sont à la chasse. Et ils rencontrent au détour d’un carrefour trois squelettes qui sont en train d’essayer de leur faire une leçon de morale.

Les trois squelettes sont là pour rappeler que l’état dans lequel ils sont, donc morts, arrivera un jour aux trois vifs, et que leur existence doit être tournée vers l’humilité et non vers la vanité.

Et donc en général les trois vifs sont représentés d’une façon où leur vanité est vraiment exacerbée en fait, on a des chevaux richement harnachés, ils ont de luxueux vêtements, ils sont à la chasse. C’est vraiment l’idée de montrer d’un côté la vanité, notamment des plus riches donc des nobles, et de l’autre côté l’humilité qui est associée à la mort, et que tout le monde doit avoir devant le Christ et devant Dieu.

 

[extrait du reportage « Les trois morts et les trois vifs de Lindry »]

[homme] Est-ce qu’on peut dire aujourd’hui qu’il y a un regain d’intérêt pour les peintures murales, au niveau du public ?

[autre homme] Oui indiscutablement. Je crois parce que d’abord c’est le retour sur une période qui a été gommée par la Contre-Réforme et par l’esthétique baroque. Et puis je crois aussi que c’est aussi un retour à un moment qui est relativement oublié, qui est celui du balancement entre le Moyen Âge et la Renaissance.

 

[musique classique]

 

[Fanny Cohen Moreau]

Où est-ce qu’on trouve de l’art macabre ? En France, en Angleterre, partout en Europe occidentale ?

 

[Jeanne Froment]

Oui à peu près partout, je connais surtout le corpus français. Mais effectivement il y en a en Allemagne, il y en a en Italie aussi beaucoup, parce qu’on a le Campo Santo de Pise notamment, où il y a un Dit des Trois Morts et des Trois Vifs, et un Jugement Dernier, et “le Triomphe de la Mort” aussi.

On a vraiment plusieurs exemples un peu partout finalement. Ce n’est pas du tout quelque chose qui est typique d’un pays, parce que de toute façon à cette époque-là les thèmes, l’iconographie, même le style, voyageaient beaucoup en fait, avec les artistes eux-mêmes parfois. Et donc on a des choses qui apparaissent à peu près partout au même moment en Europe.

 

[Fanny Cohen Moreau]

Justement, quels sont les artistes qui ont marqué ce courant, est-ce qu’on les connaît ?

 

[Jeanne Froment]

Alors, non. [rires]

 

[Fanny Cohen Moreau]

Oh !

 

[Jeanne Froment]

Le problème du… Enfin le problème. Un des… oui un petit problème, on va dire, du Moyen Âge est qu’on a très peu de sources sur les artistes eux-mêmes, et donc on connaît plutôt les commanditaires. Je parlais de Pise, on a quand même Buffalmacco, qui est l’auteur des peintures à Pise. Mais à part Buffalmacco en fait on a très très peu de noms d’artistes. On a par contre souvent, comme pour toutes les autres œuvres du Moyen Âge, on a le nom du commanditaire, voire des commanditaires.

Du coup ça nous en dit beaucoup, parce que par exemple, l’un des plus grands commanditaires d’art macabre à la fin du 14ème siècle, et au début du 15ème siècle, c’est le duc de Berry. Le duc de Berry, notamment, il est connu pour avoir commandé au cimetière des Innocents à Paris, un Dit des Trois Morts et des Trois Vifs, qui est depuis disparu évidemment. On a d’autres exemples aussi dans ses livres d’heures, d’œuvres qui ont un lien avec l’art macabre.

 

[Fanny Cohen Moreau]

Tu as travaillé sur ce thème artistique dans le cadre donc de ton master, que tu as soutenu donc, je le disais, en septembre 2017. Et plus précisément tu as étudié des peintures murales du début du 15ème siècle qui se trouvent dans une église.

Alors déjà, pourquoi tu as voulu travailler sur ce sujet ?

 

[Jeanne Froment]

Je cherchais à la base des peintures murales qui n’avaient que peu été étudiées avant… avant moi. Et je cherchais en Auvergne parce que c’était plus pratique pour moi. Je suis tombée par hasard, enfin plus ou moins par hasard, sur les peintures d’Ennezat, donc l’église sur laquelle je travaille. J’ai été complètement… ébahie, on va dire, devant la qualité de cet ensemble de peintures murales. Bon, il a été beaucoup restauré mais on a quand même un état de conservation qui est assez exceptionnel pour des peintures murales, parce qu’en général on a des cycles de peintures murales dans les églises qui sont très abîmés à cause de l’humidité, et du manque de travaux qui ont été réalisés dans les églises sur l’humidité.

On imagine bien que cinq siècles sur du matériau à base de pigments ça ne tient pas très très bien. J’ai été vraiment surprise par la beauté de ce cycle, et quand je me suis rendue sur place c’était encore plus beau, et donc vraiment je me suis dit « voilà, je veux travailler là-dessus », parce que ce sont des peintures qui n’ont pas été étudiées en tant que telles depuis très très très longtemps. Enfin il y a eu une petite monographie, donc une monographie c’est une étude très précise sur un sujet, et qui essaye de traiter tous les aspects de ce sujet. La dernière sur Ennezat elle date de 1924.

 

[Fanny Cohen Moreau]

Ah oui !

 

[Jeanne Froment]

Et après il y a eu quelques petites études par-ci par-là mais dans des ouvrages plus conséquents, et donc en général on a un paragraphe, voire quelques pages, mais c’est tout. Alors que c’est un très très beau cycle qui mérite quand même un peu plus.

 

[Fanny Cohen Moreau]

Qu’est-ce qui t’a particulièrement intéressée dans ces peintures ? Est-ce que tu peux nous les décrire, pour qu’on comprenne pourquoi tu les as tant aimées et pourquoi tu as voulu les étudier ?

 

[Jeanne Froment]

Je parle d’un cycle de peintures murales, en fait ce sont deux… enfin ce sont trois peintures murales qui sont à deux endroits différents. Elles sont toutes les deux dans le chœur de l’église, et donc la première c’est un Jugement Dernier, qui date de 1405, et on a le nom du commanditaire d’ailleurs, pour les deux peintures.

C’est un Jugement Dernier qui a une forme très… très allongée, on a donc le Christ au centre, à droite l’Enfer, ou plutôt l’entrée de l’Enfer, avec une multitude de démons qui sont en train de traîner les damnés dans la bouche du Léviathan. Et de l’autre côté on a trois éléments, d’une part, le paradis, mais qui est tout petit et vraiment dans un coin, juste en-dessous on a les deux commanditaires, un chanoine et sa tante, on n’a pas plus d’informations sur eux. Et juste en-dessous on a un élément qui est très intéressant, c’est un espèce… une sorte de transi dans un cercueil qui est en train de discuter avec un ange ! Le cadavre est en train de dire qu’il faut bien se conduire pendant toute sa vie, parce que après il faut pouvoir compter sur les gens qu’on a aidés pendant sa vie pour qu’ils nous aident à rentrer au paradis. Et l’ange est en train de le sermonner, il lui dit que quand on meurt on se décompose et que c’est vraiment horrible, et qu’il faut bien se conduire pendant sa vie.

 

[Fanny Cohen Moreau]

Ce n’est pas écrit, ça, donc comment tu peux percevoir tout ça juste à partir d’une image ?

 

[Fanny Cohen Moreau]

Alors si, en fait c’est inscrit sur des phylactères. Des phylactères ce sont des longs morceaux de parchemin qui sont représentés, et qui transcrivent en fait la parole des personnages. Et donc on a le squelette qui tient dans sa main un long phylactère comme ça, et l’ange pareil.

On sait comme ça que, on connaît comme ça les paroles en fait de chaque protagoniste, ça fait un peu comme une scène de théâtre, finalement, j’avais un peu fait des liens avec le théâtre justement parce que le fait que les textes soient associés à chaque personnage, ça fait très théâtre.

 

[Fanny Cohen Moreau]

Et la deuxième peinture ?

 

[Jeanne Froment]

C’est un ensemble de deux peintures qui a probablement été commandé par la même personne, un autre chanoine, un peu plus tard en 1420. Donc la première peinture c’est un Dit des Trois Morts et des Trois Vifs, donc un thème que j’ai expliqué tout à l’heure. Et juste en-dessous on a une Vierge à l’Enfant qui trône, sur son trône, et autour d’elle il y a toute la famille du donateur. D’un côté les hommes, donc le père du donateur puis le chanoine qui a commandé la peinture présenté par un saint, puis tous ses frères, et de l’autre côté on a sa mère et toutes ses sœurs.

Ce qui est assez exceptionnel avec cette peinture, c’est qu’on n’a, en fait on n’a aucune pièce d’archive sur ces peintures mais sur chaque peinture il y a un petit texte qui présente le donateur, donc le commanditaire de la petite inscription. On déduit que toute sa famille est décédée d’une façon subite, on ne sait pas pourquoi. Mais en fait il appelle les gens à prier pour sa famille. On suppose qu’ils sont déjà morts et que le chanoine demande à ce que leurs âmes puissent trouver du repos dans la prière des vivants pour pouvoir accéder ensuite au paradis.

 

[extrait de Kaamelott, Livre III épisode 10]

 

[Arthur] Tout va bien, tout va bien, et puis un jour, crac !

[femme] Quelle horreur !

[Guenièvre] Mais faut pas vous mettre dans des états pareils, c’est qu’un serviteur. Demain vous en aurez un autre et puis voilà !

[femme] J’ai peur de l’Ankou !

[Guenièvre] Ah, ça… L’Ankou !

[Arthur] C’est sûr, c’est pas bien marrant, enfin bon, voilà, il arrive, il prend le cadavre et il s’en va.

[femme] Ça m’angoisse ! Je supporte pas le bruit de sa charrette, on sait jamais si c’est lui ou un mauvais présage. Et puis j’ai toujours peur que ce soit pour moi ! [bruit de charrette] Ça y est… c’est lui !

[Guenièvre] Cette nuit au moins, on sait pour qui il vient.

[Arthur] Il pourrait quand même mettre un coup de graisse à son essieu. »

 

[Fanny Cohen Moreau]

Alors qu’est-ce que tu as voulu montrer dans ton mémoire en travaillant sur ces œuvres ?

 

[Jeanne Froment]

Mon but c’était de montrer à quel point il y avait quelques centres artistiques un peu partout en France qui rayonnent. Et notamment le cas à Ennezat c’est qu’on est proche de Riom, c’était la capitale d’Auvergne, qui était à l’époque une propriété du duc de Berry.

Mais le duc de Berry lui-même allait assez rarement à Riom, mais on a quand même des témoignages.

Donc il a fait construire une sainte chapelle à Riom, donc on sait qu’il y avait probablement plusieurs artistes à ce moment-là à cet endroit-là. C’est comme ça qu’on arrive à avoir une diffusion de modèle artistique, voire même de style, et qu’on arrive dans des petits bourgs qui aujourd’hui sont vraiment tout petits comme Ennezat, et qui à l’époque étaient quand même des plus grosses bourgades qui étaient très riches, grâce à des marchés etc. Parce que on est aussi, à Riom et Ennezat, en fait on est sur la route qui mène de Paris à Clermont.

Et donc c’est comme ça qu’on arrive à avoir des grands ensembles comme ça, dans des petites villes aujourd’hui, on penserait pas du tout qu’à Ennezat en plein milieu du Puy-de-Dôme il y aurait une peinture aussi… enfin des peintures aussi belles. Et en fait si, parce qu’à l’époque c’était vraiment une grosse bourgade qui était beaucoup plus riche qu’aujourd’hui.

 

[Fanny Cohen Moreau]

Et comment tu as travaillé dessus, donc, tu as pu les voir en vrai ?

 

[Jeanne Froment]

Pour moi c’était très important de pouvoir travailler sur ces peintures-là parce que je pouvais y aller tous les deux ou trois mois à peu près en fait. Et à chaque fois, le fait de me retrouver devant les peintures, ça me posait d’autres questions ou alors j’avais découvert des choses, notamment sur les restaurations, j’avais découvert plein de documents sur les restaurations.

Et donc du coup à chaque fois que j’y retournais et je voyais de nouveaux éléments et je comprenais d’autres choses, et je partais sur de nouvelles… de nouvelles pistes, finalement !

Ça m’a vraiment beaucoup aidée de pouvoir les voir en vrai plusieurs fois. En plus de pouvoir m’en approcher vraiment de très très près. Et c’est surtout qu’en plus de pouvoir, comme ça, à chaque fois aller les voir en vrai, et après aller voir d’autres peintures qui sont dans d’autres églises en Auvergne, parce que j’ai vraiment essayé au début de faire des liens avec les autres églises qui ont été peintes à peu près au même moment, à chaque fois j’affinais ma compréhension des peintures, à chaque fois que j’y retournais finalement.

 

[Fanny Cohen Moreau]

Et comment s’est passée la collaboration avec les personnes sur place, les responsables de l’église, en fait, ils te laissaient travailler sans problème, tu pouvais faire tout ce que tu voulais ?

 

[Jeanne Froment]

Alors, ce qui est bien avec Ennezat et pas mal d’églises, finalement dans le Puy-de-Dôme, c’est qu’elles sont ouvertes tout le temps, et donc on peut entrer librement dans l’église, elle est ouverte à quelque chose comme de 9h à 18h, quelque chose comme ça.

Je n’ai jamais croisé personne, enfin il y avait quelques visiteurs à chaque fois, mais il n’y avait jamais personne qui était là, et j’ai eu des contacts assez lointains avec la mairie, c’était assez dommage. Le problème c’est que ce sont des églises qui ne sont plus trop affectées au culte, en fait, il y a un prêtre pour six paroisses, en gros, six, sept paroisses.

 

[Fanny Cohen Moreau]

Est-ce qu’il n’y avait pas du tout d’archives en lien avec l’église que tu aurais pu consulter ?

 

[Jeanne Froment]

Il y a quelques archives pour l’église, mais ça commence surtout au 16ème siècle. Et avant on a en fait les chartes de fondations, mais bon, comme ce sont des fondations qui datent du 12ème, 13ème siècle, moi ça ne m’intéressait pas directement en tous cas.

Moi j’ai surtout travaillé sur des documents du 19ème siècle, finalement. Parce qu’il y a eu des travaux dans l’église au 19ème siècle, et j’ai aussi travaillé sur des documents du 20ème siècle parce qu’il y a eu des restaurations à ce moment-là. Mais sinon j’ai travaillé sur aucun… je n’ai directement, pour mon sujet, travaillé sur aucun, aucune archive ancienne.

 

[Fanny Cohen Moreau]

Actuellement tu es en train de t’orienter vers des études donc sur le patrimoine. Quelle continuité est-ce que tu vois entre ton mémoire et le fait que tu veuilles t’orienter justement vers le patrimoine en général ?

 

[Jeanne Froment]

Moi, ce qui m’intéresse c’est vraiment d’avoir un lien avec les objets eux-mêmes en fait. Et donc effectivement toute la partie patrimoine ça permet d’avoir un lien direct avec l’objet, donc le conserver, de le… voire éventuellement de le mettre en valeur.

Et ça c’est vraiment quelque chose qui m’a pris, on va dire, quand j’ai travaillé sur Ennezat, parce que ce sont des peintures qui sont très peu connues en-dehors d’un petit cercle de médiévistes, pourtant elles gagneraient vraiment à vraiment être mises en valeur.

J’aimerais vraiment faire en sorte que ce genre d’objets, ce genre d’œuvres, soit beaucoup plus mis en avant qu’il ne l’est aujourd’hui parce que effectivement donc, comme je l’ai dit, l’église est ouverte aujourd’hui et n’importe qui peut rentrer dedans, mais personne n’a l’idée de se dire « je vais rentrer dans cette église-là ». Parce que de l’extérieur effectivement elle est assez majestueuse, mais on ne se dit pas « en entrant à l’intérieur je vais trouver deux cycles de peintures du tout début du 15ème siècle ». Ce n’est vraiment pas quelque chose qui nous vient à l’idée. Et je sais que de façon générale l’art médiéval est assez peu étudié, assez peu transmis en fait, dans toutes les questions du patrimoine on va plutôt connaître des artistes à partir du 16ème siècle, voire du 17ème, 18ème siècles.

De façon générale l’art du Moyen Âge est très peu connu, et moi j’aimerais vraiment faire en sorte que ça change, parce qu’on a une grande diversité en fait en France ! On ne se rend pas du tout compte, mais on a énormément d’objets, énormément d’œuvres, qui sont complètement oubliés…

 

[Fanny Cohen Moreau]

Jeanne, maintenant que tu as en quelque sorte fini tes études d’histoire de l’art, quels conseils tu donnerais à quelqu’un qui voudrait faire de l’histoire de l’art ?

 

[Jeanne Froment]

Prendre un sujet sur lequel on a un coup de cœur, parce que moi j’ai vraiment eu un coup de cœur sur mes peintures, ce n’est pas du tout scientifique comme pourrait le dire Noémie. Mais on va quand même travailler un an, voire deux ans dans le cadre du master, comme moi j’ai travaillé deux ans sur mes peintures, et après pareil si on continue en thèse, ce sont des sujets où il faut vraiment qu’on puisse s’engager dedans entièrement.

Après, ça serait d’être curieux, en fait, d’être curieux de tout, et de ne pas hésiter à aller chercher un peu partout, et de… de même sortir de sa zone de confort finalement, parce qu’à la base je voulais travailler sur l’iconographie mariale plutôt. J’ai un peu pu travailler là-dessus dans le cadre de mon mémoire, mais j’ai surtout travaillé sur l’art macabre finalement.

Je voulais vraiment travailler sur l’iconographie de la femme, l’iconographie de certaines saintes, voire de Marie elle-même donc dans le cadre de l’iconographie mariale, et finalement je suis quand même sortie de ça. Et donc ça serait vraiment d’être curieux et investi dans ce qu’on fait.

 

[générique]

 

[Fanny Cohen Moreau]

Désormais chers auditeurs, vous savez ce qui était l’art macabre au Moyen Âge, donc merci beaucoup Jeanne Froment et bonne continuation.

 

[Jeanne Froment]

Merci.

 

[Fanny Cohen Moreau]

Cet épisode est fini, en tous cas il est en train de se finir, et je profite de la fin de cet épisode pour faire un petit point sur le Tippee. Oui, dans l’épisode précédent qui était un épisode spécial, je vous ai parlé du lancement de cette campagne de financement participatif pour m’aider à sortir plus d’épisodes, et vous avez été très nombreux à y répondre et ça fait vraiment chaud au cœur.

Alors je voudrais remercier vraiment tout spécialement Grégoire, Jean-Baptiste, Kevin, vraiment merci beaucoup Kevin, Din, Florian, et Louisa, qui, alors elle c’est incroyable, elle nous a dit qu’elle a découvert Kaamelott grâce au podcast, ce que je trouve génial !

Je voudrais bien sûr aussi remercier Priscille Lamure, Adèle, Isabelle Poutrain, et Noémie Gmür, pour leur soutien. Je vous rappelle donc que si vous voulez aider Passion Médiévistes vous pouvez donner un euro par mois ou donner quelques euros de plus juste une fois pour aider le podcast !

Dans le prochain épisode on parlera du savoir animal au Moyen Âge. Salut !

Merci à Lau pour la transcription et à Nine pour la relecture !