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Épisode 12 – Clara et l’évêque Germain

Dans ce douzième épisode, Clara Germann nous parle de l’évêque Germain, son parcours jusqu’au statut de saint, entre le royaume burgonde et le royaume franc.

Photo de Clara Germann en 2018

Rappelez vous, dans le premier épisode du podcast, nous avions parlé avec Justine Audebrand du Haut Moyen Âge, le tout début de cette longue période de presque 1000 ans, juste après la chute de l’empire romain, où le royaume de France n’existe pas encore tout à fait… Dans ce douzième épisode nous vous emmenons aux environs l’an 500, Clovis est alors le premier roi chrétien du royaume des Francs et il a une trentaine d’années.

C’est à cette époque que naît Germain, à Autun dans le royaume burgonde tout proche du royaume de Clovis. Cet homme deviendra évêque 50 ans plus tard, puis il sera fait saint, et il donnera même son nom à la future Saint-Germain-des-Prés…

Si l’église de Saint-Germain des Prés et son saint sont connus, la vie de l’évêque avant sa canonisation est en fait assez méconnue et peu étudiée par un autre biais que la religion. Dans cet épisode Clara Germann retrace la vie de cet évêque du Haut Moyen Âge, de sa naissance à Autun jusqu’aux actes qui en ont fait un saint.

On apprend notamment que Germain était un saint thaumaturge, que sa vie regorge de récits de guérisons incroyables et de miracles.

Si le sujet vous intéresse voici quelques ouvrages disponibles dans les meilleures librairies et bibliothèques :
  • BEAUJARD Brigitte, Le culte des saints en Gaule : les premiers temps. D’Hilaire de Poitiers à la fin du VIe siècle, Paris, 2000.
  • CAILLET Jean-Pierre, DESTEPHEN Sylvain, DUMÉZIL Bruno, INGLEBERT Hervé (dir.), Des dieux civiques aux saints patrons (IVe-VIIe siècle), Paris, 2016.
  • ESCHER Katalin, Les Burgondes, Ier-VIe siècles ap. J.-C., Paris, 2006.
  • FAVROD Justin, Histoire politique du royaume burgonde (443-534), Lausanne, 1997.
  • MÉRIAUX Charles, « Paris et ses saints fondateurs », BOVE Boris et GAUVARD Claude (dir.), Le Paris du Moyen Âge, Paris, Belin, 2014, p. 40-49.
Les extraits diffusés dans cet épisode :
Transcription de l’épisode 12 (cliquez ici)

Fanny : Est-ce que l’on sait tout sur le Moyen Âge ? Est-ce qu’il reste encore des choses à découvrir ? Et d’abord qu’est-ce que le Moyen Âge ? En fait, il y a autant de réponses que de médiévistes. Dans ce podcast, nous nous intéressons à comment l’histoire médiévale est étudiée aujourd’hui par de jeunes chercheurs, quels sont les sujets qui les intéressent, pour vous donner envie d’en savoir plus, et pourquoi pas donner de l’inspiration aux futurs chercheurs.

Épisode 12 : Clara et l’évêque Germain, c’est parti !

Fanny : Rappelez-vous dans le premier épisode du podcast, nous avons parlé avec Justine Audebrand du haut Moyen Âge, le tout début de cette longue période de presque mille ans. On est juste après la chute de l’Empire romain — là où le royaume de France n’existe pas encore tout à fait. Aujourd’hui nous allons environ en l’an 500, Clovis est alors le premier roi chrétien du royaume des Francs, il a une trentaine d’années. C’est à cette époque que naît Germain à Autun dans le royaume burgonde, tout proche du royaume de Clovis. Cet homme deviendra évêque cinquante ans plus tard, puis il sera fait saint et donnera même son nom à la future Saint-Germain-des-Prés. Pour parler de l’évêque Germain, j’accueille aujourd’hui Clara Germann. Bonjour Clara !

Clara : Bonjour !

Fanny : Tu es étudiante à l’école des Chartes, et en juin 2017, tu as rendu un mémoire sur l’évêque Germain, son parcours et ses réseaux sous la direction de Josiane Barbier, et donc tu vas pouvoir nous en apprendre un peu plus sur lui aujourd’hui. Pour commencer, est-ce que tu peux nous raconter qui était l’évêque Germain ? J’en ai rapidement parlé mais est-ce qu’on sait un peu plus d’où il vient, quelle était sa famille et son parcours ?

Clara : Oui, alors c’était justement un des objets de ma recherche que d’essayer de retrouver les origines de Germain, puisqu’on s’y était très peu intéressé. Germain est né autour de l’an 500 à Autun dans une famille qui appartient semble-t-il à l’aristocratie municipale qui à l’air assez — comment dire — assez fière de ses origines. On est dans une cité qui a toujours été très attachée à ses liens à l’empire et en particulier à l’ouverture sur la Méditerranée et sur le monde hellénistique. La famille de Germain fait clairement partie d’une aristocratie qui est très fière de ce lien à l’empire et de ses origines sociales. Et Germain [est] né dans ce milieu-là et va en réalité rester à Autun jusqu’à ses cinquante voir soixante ans, et c’est seulement à cet âge-là après avoir fait une longue carrière dans le monde ecclésiastique à Autun — il devient d’abord diacre, puis prêtre, puis il obtient un des postes les plus importants d’Autun en devenant abbé de la grande basilique Saint-Symphorien. Et donc c’est seulement autour de ses cinquante, soixante ans qu’il va devenir évêque de Paris, et il va passer les vingt dernières années de sa vie à Paris.

Fanny : Comme tu l’as dit, il vivait à Autun. Quel était le contexte politique à l’époque dans cette région ?

Clara : À ce moment-là, même si Clovis est roi des Francs, les Francs ne sont absolument pas maîtres de toute la Gaule. En particulier il y a toujours les Wisigoths en Aquitaine, la Provence est occupée par le royaume ostrogoth, et dans l’actuelle Savoie, l’actuelle Bourgogne et jusqu’en Dauphiné — on descend même jusqu’à Vienne — il y a le royaume burgonde dont les principales cités sont Lyon et Genève. Et lorsque naît Germain, c’est-à-dire entre 496 [et] 500, le royaume burgonde est gouverné par deux frères, Gondebaud et Godegisel, et Autun fait partie de ce royaume, c’est une des cités importantes de ce royaume.

Et en réalité l’enfance de Germain va connaître un certain nombre d’événements politiques assez marquants. Germain a tout au plus quatre ans lorsque les deux frères, les deux rois burgondes, décident de ne plus s’entendre. Le roi Godegisel fait appel à Clovis pour l’aider à se débarrasser de son frère en lui promettant en échange de devenir — si je peux me permettre un anachronisme — une sorte de vassal. Évidemment, cela ne va pas se passer comme ça, puisqu’en réalité Gondebaud va réussir à triompher de son frère et va ensuite passer un accord avec Clovis. Et désormais pour plus de trente ans, la frontière entre le royaume des Francs et le royaume burgonde se situe non loin d’Autun, puisque c’est à peu près à mi-chemin entre Auxerre et Autun, Auxerre étant dominé par les Francs. Donc Germain naît dans un contexte de tension, d’alliances, de nouvelles tensions entre Francs et Burgondes, et non loin de la frontière.

[Extrait de Kaamelott — Livre II épisode 3 Le dialogue de paix]

Fanny : On vient d’entendre un extrait de Kaamelott sur le roi burgonde qui est décrit comme un personnage quand même assez particulier, où on a un peu de mal à le comprendre, un petit peu colérique. Est-ce que tu pourrais nous dire ce que tu en penses, de la représentation des Burgondes dans Kaamelott ?

Clara : Je pense que la représentation des Burgondes dans Kaamelott est plutôt tirée de ce que pouvaient dire au siècle précédent, c’est-à-dire au Ve siècle, les aristocrates gaulois de ces barbares qui s’installaient chez eux. On possède un certain nombre de textes de grands dignitaires, Sidoine Apollinaire par exemple, qui racontent avec beaucoup de mépris ces Burgondes qui sentent très fort l’ail, qui parlent fort, qui sont gigantesques et pas très polis. Et c’est évidemment une sorte de mépris marqué de ces aristocrates très fiers de leur romanité, et il y a sans doute une part de vérité bien sûr dans cette différence de culture, mais les Burgondes ne sont pas plus incultes que n’importe qui. Et en particulier, on sait que les rois burgondes s’entendaient très bien avec leur aristocratie et les notables de leur royaume.

Fanny : D’accord, revenons un peu à l’évêque Germain. Tu nous as dit à cinquante ans à peu près, il est venu à Paris et est devenu l’évêque de Paris. Comment il est devenu évêque de Paris ?

Clara : Alors là encore, on revient au contexte de tensions entre Francs et Burgondes puisque alors… Lorsque Germain devient évêque de Paris, le royaume burgonde a été conquis depuis longtemps par les fils de Clovis, dans des circonstances assez mouvementées que je ne vais pas aborder là car ça serait un peu long. Mais il y a aussi des tensions entre les héritiers de Clovis et ses fils et petits-fils. Et en fait, en 555, la cité d’Autun était sous la domination de la lignée des rois de Metz, mais le dernier roi Théodebald vient de décéder. Autun échoit, alors comme le reste des anciennes cités burgondes, à Clotaire — un des deux derniers fils de Clovis survivants. Mais un des fils de Clotaire, Chramn, se rebelle contre son père et s’allie avec l’autre fils de Clovis survivant, Childebert, semble-t-il pas forcément pour renverser son père, mais pour se tailler une sorte de petit royaume en son nom. Il se lance avec ses troupes en Burgundia, il s’empare de Dijon, et je pense que la cité d’Autun à ce moment-là décide d’envoyer un émissaire auprès du roi Childebert à Paris pour sans doute proposer une alliance ou une soumission de la cité d’Autun à Childebert. C’est dans ce cadre-là que Germain qui, comme je l’ai dit, est un des principaux dignitaires ecclésiastiques de la cité, est envoyé auprès de Childebert, et c’est dans ce cadre-là que la cité n’ayant plus d’évêque à ce moment-là, puisque l’évêque de Paris vient de mourir, Germain est nommé évêque de Paris.

Fanny : Une fois devenu évêque de Paris, qu’est-ce qui va faire qu’il va devenir un tel personnage ? Qu’est-ce qu’il a fait de si extraordinaire ? C’est une question délicate.

Clara : Il se trouve qu’au Moyen Âge, quelqu’un est considéré comme saint lorsqu’il a mérité, soit par ses actions dans sa vie, soit dans sa mort — comme dans le cas d’un martyr —, de se trouver directement aux côtés de Dieu sans attendre le Jugement dernier et de devenir une sorte d’intercesseur de la Grâce divine. Et donc on est saint à la fois par son mode de vie, par des actions qu’on peut manifester, et par certains gestes d’éclats qui ne peuvent qu’avoir été inspirés par Dieu. Et donc Germain semble avoir manifesté notamment un ascétisme important qui a frappé ses contemporains, et il avait des liens importants avec l’une des grandes saintes du VIe siècle, la reine Radegonde, qui elle aussi était une ascète qui a fondé un monastère de jeunes filles à Poitiers, etc. Germain se manifestait par ses mœurs exemplaires et également certainement en tant qu’évêque, et sans doute même avant, à Autun, il devait avoir une sorte de charisme personnel et certaines actions qui ont pu être interprétées comme signifiant qu’il était protégé par Dieu.

Fanny : Et comment il a été décidé qu’il devienne un saint ?

Clara : Au haut Moyen Âge et ça dure encore pendant de nombreux siècles, on n’a pas ce que l’on retrouve dans le Moyen Âge classique, à savoir des procès en canonisation et un contrôle par les autorités ecclésiastiques de la sainteté. On est saint quand on est reconnu comme saint, c’est-à-dire que si, à votre mort, on se met à considérer vos reliques comme des reliques saintes, on se met à vous vouer un culte et on a considéré que vous étiez un saint, alors vous êtes un saint. Germain a eu la chance de bénéficier d’un atout important : il était ami avec le grand poète et hagiographe Venance Fortunat. Et Venance Fortunat a écrit, semble-t-il peu de temps après la mort de Germain, une Vita Germani qui me paraît être une sorte de procès en canonisation, dans le sens où c’est un texte dans lequel Venance Fortunat démontre à ses lecteurs pourquoi Germain était saint.

Et donc en réalité c’est sans doute comme ça que ça s’est passé, il avait acquis un prestige important en tant qu’évêque d’une des principales cités du royaume franc. Dès sa mort on rapporte que des miracles se produisent sur le chemin de son tombeau, il apparaît à des prisonniers, à diverses personnes dans les années qui suivent sa mort, et ça permet d’installer une réputation de sainteté. Et j’ajoute à ça pour terminer, très important, le lieu de sépulture, et Germain repose dans ce qui s’appelle à l’époque la basilique Saint-Vincent, qui va peu à peu prendre le nom de Saint-Germain et qui aujourd’hui s’appelle Saint-Germain-des-Prés, et ça devient très vite un lieu de culte où les gens se rendent pour vouer, pour signifier leur dévotion à Germain et où des miracles se manifestent.

[Extrait de Saint-Germain-des-Prés ma paroisse]

Fanny : Dans ton mémoire, tu as parlé en particulier de ses réseaux, donc de toutes les personnes qu’il connaissait. Qui étaient les membres de ce réseau et comment ce réseau lui a servi au cours de sa vie ?

Clara : Il faut bien distinguer deux aspects, du moins j’ai été amenée à devoir distinguer deux aspects des réseaux de Germain. C’est-à-dire ceux liés à sa famille et ses origines à Autun et ceux qu’il se constitue une fois devenu évêque de Paris. Évidemment le deuxième groupe m’est beaucoup mieux connu, puisque l’épiscopat Germain, c’est-à-dire seulement les vingt dernières années d’une vie de quatre-vingt-ans sont de loin la période la mieux documentée, mais je sais qu’à Autun, pendant les soixante ans qu’il y a passés, il avait de toute évidence des relations importantes.

Donc je rappelle que c’était un membre de l’aristocratie municipale, c’était un des principaux dignitaires ecclésiastiques de la cité, il avait certainement des liens privilégiés avec les évêques d’Autun et avec des grands aristocrates en particulier des comtes dans sa vie. Venance Fortunat raconte comment il a aidé un comte, qui est sans doute un comte d’Autun, en guérissant son œil, en lui réintégrant son œil dans son orbite. Germain était totalement thaumaturge c’est une des caractéristiques principales, des miracles thaumaturgiques sont en particulier des miracles de guérison. La vie de Germain regorge de récits miracles de guérisons de toutes sortes. C’est souvent comme ça, c’est une manière de manifester la sainteté au Moyen Âge.

Et d’autre part, en tant qu’évêque, il a pu se rapprocher de ses confrères mais également du clergé parisien. Il a formé un certain nombre de disciples qui perpétuent sa mémoire après sa mort, en particulier le célèbre évêque Bertrand du Mans, qui est célèbre parce qu’il a laissé un grand testament qu’on conserve très bien. Il a noué des liens importants avec des évêques du royaume dont il fait partie, qui est un royaume, dont Paris est anachroniquement capitale, car la notion de capitale n’existe pas au Moyen Âge, mais Germain a pu nouer des liens avec l’épiscopat du royaume dont il fait partie, et je pense que ça lui a servi dans l’organisation de conciles, etc.

Fanny : On va laisser un peu Germain de côté, je voulais te demander pourquoi tu as choisi de travailler sur ce sujet. Qu’est-ce qui t’y a amené pendant ton parcours ?

Clara : C’est une bonne question, ça a été très progressif. À l’origine, je voulais travailler sur la période mérovingienne et surtout sur le VIe siècle, c’est-à-dire le début de la période mérovingienne, parce que j’aime l’Antiquité tardive et cette période de transition où même si l’Empire romain d’Occident s’est effondré, beaucoup de ses institutions, de ses fonctionnements, de ses référentiels existent encore chez ces souverains qu’on dit barbares, et qui en réalité — on se rend compte — ils le sont de moins en moins au fur et à mesure que progresse l’historiographie, donc ça m’intéressait. Ensuite je me suis centrée sur Paris sur la suggestion de ma directrice de recherche tout bêtement, parce que c’est-là que je suis née et c’est-là que je vis, donc c’est une ville que je connais mieux que d’autres. Et ensuite j’ai isolé différentes questions qui pouvaient être intéressantes dans le cadre d’une recherche, et Germain a attiré mon intérêt, peut-être parce que c’est un personnage qu’on croit très connu, ne serait-ce qu’avec la réputation de Saint-Germain-des-Prés et qui en fait ne l’est pas du tout.

Fanny : Dans l’épisode 1, nous avions vu avec Justine qu’en fait le genre biographique en histoire est beaucoup moins pratiqué actuellement par les médiévistes. Alors pourquoi tu as fait le choix de travailler de cette façon ?

Clara : Et bien c’est effectivement un genre qui est moins étudié, et avec raison. Mon travail ne peut pas vraiment être comparé avec des biographies telles qu’on pourrait les faire par exemple pour la période moderne, je n’ai aucun écrit de la main de Germain. Enfin si j’en ai un, j’ai une lettre mais qui est transmis uniquement par des copies postérieures, je n’ai aucun écrit du for privé, comme on dit pour l’époque moderne, c’est-à-dire de journal intime, des moments où le personnage se raconte. Donc je ne peux pas faire une biographie de l’intime, d’essayer de déterminer sa personnalité, etc. Mais c’est en fait très intéressant d’avoir la chance de pouvoir isoler un individu et d’étudier sa trajectoire, qui révèle en filigrane toutes les évolutions de la société dans laquelle il vit. Germain est un excellent personnage pour ça, puisque comme je l’ai dit, il a vécu d’abord dans le royaume burgonde puis dans le royaume franc, il a été sujet de plusieurs rois successifs, il a été impliqué dans beaucoup d’enjeux politiques, il a une carrière ecclésiastique exemplaire, il a vécu très longtemps, et ça permet d’étudier énormément d’évolutions pour un siècle aussi riche que le VIe.

Fanny : Et un personnage aussi important, il n’a pas été étudié avant toi ?

Clara : Eh ben oui et non, en fait Germain a beau être un personnage important, comme je l’ai dit on ne dispose pas de tant de sources sur lui. Et Germain en réalité a surtout attiré l’attention pendant longtemps des historiens de l’Église. En fait, Germain a été longtemps marqué par l’historiographie des Bénédictins. Et donc on s’est surtout intéressé à Germain en tant qu’évêque et en tant que saint. Ce qui a totalement occulté ses origines burgondes et ce qui a totalement occulté une grande partie de sa vie, et c’était donc l’intérêt de mon mémoire de me pencher sur tout le reste.

Fanny : Quelles sources tu as utilisées pour ton mémoire ? Sur quels manuscrits tu as travaillé ?

Clara : Comme je travaille sur la période du haut Moyen Âge, il faut savoir qu’on conserve peu d’originaux et ceux qu’on conserve ont tous été édités, donc j’ai moi-même approché aucun document original. Je ne suis pas allée dans les archives, les archives nationales ne laissent pas évidemment accéder n’importe qui auprès de quelques rares papyrus mérovingiens que l’on conserve. Ma principale source comme je l’ai dit c’est la Vita Germani, la vie de Germain écrite par son ami Venance Fortunat. Et ensuite, je complète [avec] une lettre — qu’on possède — qu’il avait adressée tout à la fin de sa vie à la reine Brunehaut, et ensuite il y a les actes des conciles auxquels il a souscrit, il a participé à plusieurs conciles de l’église mérovingienne. Il y a quelques pseudo-originaux, donc des actes qui sont passés pour des originaux, mais qui ne le sont pas, et attribués à Germain. Il y a d’autres vies de saints sur des personnages qui ont croisé la vie de Germain, etc.

Fanny : Tu as un peu réuni tous les éléments que tu pouvais trouver sur lui, sur sa vie, pour reconstituer cette biographie en quelque sorte ?

Clara : Voilà ! En particulier, j’oubliais mais je dois ajouter l’autre source principale, qui est l’auteur principal du VIe siècle, qui est Grégoire de Tours, qui dans ses dix livres d’histoire, a raconté une histoire du monde depuis la création jusqu’à son temps. Grégoire de Tours fait plusieurs mentions de Germain qui permettent de compléter ce que dit Venance Fortunat, puisque Fortunat étant là pour démontrer la sainteté de Germain, il ne s’intéresse pas à certains épisodes qui peuvent être soit moins glorieux soit trop politiques et donc Grégoire de Tours permet de compléter. Et effectivement, je suis allée chercher, je pense avoir énuméré toutes les mentions de Germain à l’époque mérovingienne que j’ai pu trouver, ce qui n’est pas si difficile puisqu’on en a pas tant que ça. Et ensuite une fois que j’avais réuni ce corpus, évidemment il était temps de l’interpréter.

Fanny : Quelles ont été les difficultés que tu as rencontrées au cours de tes recherches ?

Clara : Il y en a plusieurs, déjà tout bêtement, il y a le problème du temps. Je pense que je ne suis absolument pas la seule étudiante en master qui ait eu des problèmes avec sa gestion du temps, qui est parfois un peu court à nos yeux. Ensuite ce sont des problèmes liés à la fois à la nature de mon sujet et à la période sur laquelle je travaille. Comme j’ai dit c’est une biographie, c’est à la fois très intéressant parce qu’en se concentrant sur un personnage, on l’étudie sous tous les aspects possibles et imaginables, ce qui permet de ne pas être monomaniaque entre guillemets, de se concentrer sur plein d’aspects différents. Ce qui est à la fois extrêmement excitant en tant que chercheur et à la fois dangereux, parce qu’on est obligé d’assembler une bibliographie parfois très pointue sur beaucoup d’aspects qui ne se recoupent pas, et ça oblige un travail supplémentaire et il y a toujours le risque de se disperser en allant lire trop de choses sur un aspect qui ne fera qu’une partie d’un chapitre très différent des autres, donc c’est un problème auquel j’ai été confrontée.

Et puis évidemment il y a le problème inhérent au Moyen Âge qui est que, comme on a peu de sources, il faut avancer avec énormément de prudence, puisque parfois on a des articles ou des bouleversements historiographiques qui reposent sur des études d’un mot ou d’une phrase sur une nouvelle traduction proposée. Donc ça oblige à la fois à être très prudent dans l’historiographie, dans ce qu’on lit, dans ce qu’on cite, etc., et dans ce qu’on avance, et avancer petit pas par petit pas et à savoir qu’il y a des possibilités qu’à la fin on ait pas de résultats. J’ai des parties dans mon mémoire où je fais de longues études sur certaines choses pour à la fin dire « cette étude n’a pas de résultat, je n’arrive pas à démontrer quelque chose mais c’est quand même intéressant parce que j’ai permis éventuellement d’avancer des choses ». Mais voilà il faut toujours garder une certaine humilité dans nos recherches, et se souvenir qu’on peut très bien ne rien trouver malgré beaucoup d’efforts investis.

Fanny : Et malgré ces difficultés que tu as rencontrées, est-ce que tu peux dire que tu as découvert des choses sur la vie de Germain au cours de tes recherches ?

Clara : Très clairement, en particulier tout ce dont j’ai parlé sur le contexte burgonde, ses liens à Autun, etc., je me suis rendu compte que ça n’avait absolument pas été fait par les historiens pour une raison très simple — je vais vous dire — la seule source dont je dispose sur la vie de Germain avant son épiscopat — je rappelle encore une fois, ça fait soixante ans de sa vie — la seule source, ce sont les douze premiers chapitres de la vie de Germain. La vie de Germain fait soixante-seize chapitres, les douze chapitres tiennent sur trois-quatre pages, en comptant les annotations de l’éditeur donc c’est vraiment rien du tout, ce qui explique pourquoi peu de monde s’y était penché. On n’a pas l’impression qu’il a grand-chose à faire, et en réalité il y a énormément à voir et ça a été un vrai plaisir pour moi de pouvoir démontrer tout ce dont je vous parlais, avec le contexte, et en particulier les conditions de son accession à l’épiscopat. Je pense que mon explication n’avait pas vraiment été avancée avant, du moins pas poussée à son terme comme ça, de la relier avec la révolte de Chramn, fils du roi Clotaire, etc. Je ne crois pas que ça avait été vraiment mené jusque-là.

Fanny : Pour terminer l’émission, je vais te demander quels conseils tu donnerais à quelqu’un qui veut faire un mémoire d’histoire médiévale, et plus largement quelqu’un qui voudrait étudier l’histoire médiévale ?

Clara : Alors mon premier conseil, je crois qu’il a déjà été donné ici mais c’est un conseil qu’il faut rappeler encore et encore, c’est de prendre un sujet qu’on aime et qui nous intéresse. C’est essentiel, parce qu’il y a des moments où on a beau aimer autant qu’on veut ce qu’on fait, les contraintes de travail peuvent être pénibles, et on arrive à les tenir que parce qu’on a plaisir à faire ce travail et plaisir à faire des recherches, donc c’est très important. Et ensuite je pense que l’important ça doit être… je dirais que l’important c’est de savoir gérer son temps, et à s’y mettre dès le début sans stress ou sans pression, mais tout ce qu’on arrive à faire en avant et tout ce qu’on arrive à planifier nous évite des ennuis plus tard. Et je le sais parce que c’est quelque chose que j’ai eu du mal à faire, et je pense que c’est très important aussi pour avoir plaisir à faire son mémoire. Et il faut aussi je pense être capable d’être indulgent avec soi-même, et d’admettre qu’il y aura peut-être certains aspects qu’on aura pas le temps de traiter autant qu’on l’aurait voulu ou qu’on sera obligé pas de bâcler mais de faire plus vite que ce qu’on aurait été faire, c’est normal, et puis il y aura toujours du temps plus tard d’y revenir pour soi ou pour quelqu’un d’autre.

Fanny : Et bien désormais chers auditeurs vous en savez un petit peu plus sur l’évêque Germain, sur l’église de Saint-Germain et même maintenant sur le royaume burgonde, donc merci beaucoup Clara Germann pour toutes ces informations.

Clara : Merci à toi pour cette interview.

Fanny : Si le sujet vous a intéressé, n’hésitez pas à aller dans la description de l’épisode, nous vous mettrons des liens et des articles pour aller plus loin. Les autres épisodes de Passion Médiévistes sont disponibles sur Soundcloud, Itunes, Podcloud ou encore d’autres applications comme Podcast Addict. Le prochain épisode sera consacré aux réseaux politiques chez les Carolingiens. Salut !

[Extrait de Kaamelott]