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Épisode 93 – Johan et l’Inde médiévale

Quelles sont les particularités de l’Inde médiévale ?

Johan Levillain est l’invité de l’épisode 93 de Passion Médiévistes. En décembre 2023, il a soutenu sa thèse intitulée Construire une culture régionale. Le Malwa médiéval à l’épreuve du site d’Āśāpurī, IXe-XIe siècles, sous la direction de Charlotte Schmid et d’Adam Hardy, à l’École pratique des hautes études à Paris.

Dans cet épisode il vous fait découvrir l’Inde au Moyen Âge, son architecture et sa société, embarquez pour un voyage auditif !

L’Inde au Moyen Âge

“[À l’époque médiévale,] l’Inde du Nord est un territoire particulièrement morcelé. Il y a des royaumes régionaux, avec de nombreuses dynasties qui s’affrontent.” – Johan Levillain.

Carte du Malwa, en Inde centrale. Cette région historique correspond à l’ouest du Madhya Pradesh et au sud-est du Rajasthan actuels. Le site d’Ashapuri est indiqué par une étoile. © Johan Levillain & Saarthak Singh.
Carte du Malwa, en Inde centrale. Cette région historique correspond à l’ouest du Madhya Pradesh et au sud-est du Rajasthan actuels. Le site d’Ashapuri est indiqué par une étoile. © Johan Levillain & Saarthak Singh.

Johan Levillain a travaillé sur le premier âge médiéval. Il situe cette période de l’histoire de l’Inde entre le VIIème et le XIIIème siècle. Géographiquement parlant, il a étudié le Malwa, cette région historique d’Inde centrale. À l’époque, cet espace est appelé la Terre des Ariens et désigne l’Inde du Nord. Le pays n’est alors pas encore une entité politique comme aujourd’hui, mais une pluralité de royaumes régionaux qui se disputent le territoire.

Les dynasties qui règnent sur l’Inde du Nord sont assez pérennes. Entre le VIIIème et le Xème, c’est la même dynastie qui est à la tête du Malwa, la région étudiée par Johan Levillain. Ensuite, à partir du milieu du Xème, cette dynastie change, et ce, jusqu’au XIIIème siècle. Le pouvoir est davantage délégué à des princes locaux, il y a beaucoup de changements d’alliances au sein de ces principautés vassales.

“Les affrontements entre dynasties obéissent à un calendrier presque rituel. Il y a une saison pour faire la guerre et une autre pour ne pas la faire.” – Johan Levillain.

La société médiévale indienne est divisée en castes. Elles sont au nombre de quatre : les prêtres, caste supérieure ; les guerriers, les gens de pouvoir ; les commerçants et les artisans ; et enfin la petite paysannerie, au service des trois autres castes. Il y a aussi une partie de la population qui n’appartient à aucune de ces castes, notamment les Intouchables à qui l’on confie les tâches les plus avilissantes. Ce système se complexifie et s’étoffe au fil des siècles pour devenir celui que l’on connaît aujourd’hui en Inde.

Enfin, du point de vue du culte, l’hindouisme est la religion majoritaire dans le Malwa à l’époque médiévale. C’est un agglomérat de trois grands mouvements dévotionnels dont chacun est lié au culte d’une divinité en particulier, une divinité suprême, c’est-à-dire supérieure aux autres dans le panthéon. Malgré tout, Johan Levillain note que ces différents mouvements de l’hindouisme cohabitent assez bien sur le territoire, car les rites restent globalement les mêmes. Le pays est également en contact avec l’islam puisqu’il y a, par exemple, des comptoirs commerçants musulmans sur la côte ouest de l’Inde. Johan Levillain vous confie néanmoins qu’il ne semble pas y avoir de contact entre le Malwa et les pays européens, du moins à cette époque et d’après les sources qu’il a étudiées.

 

Les images des temples hindous 

“Un temple hindou, c’est une petite structure : une tour sanctuaire, un porche sur le devant et puis c’est tout.” — Johan Levillain.

Sculpture représentant le dieu hindou Harihara, réunissant en un seul corps les dieux Shiva et Vishnu. À la droite propre de la figure se trouve Shiva (Hara), qui tient un trident dont on ne voit plus que le haut du manche terminé par la triple pointe ; à la gauche propre de la figure se trouve Vishnu (Hari), qui tient de ses mains un disque et une conque. IXe siècle (premier âge médiéval). Conservée aujourd’hui au musée local d’Ashapuri. © Johan Levillain
Sculpture représentant le dieu hindou Harihara, réunissant en un seul corps les dieux Shiva et
Vishnu. À la droite propre de la figure se trouve Shiva (Hara), qui tient un trident dont on ne voit plus
que le haut du manche terminé par la triple pointe ; à la gauche propre de la figure se trouve Vishnu
(Hari), qui tient de ses mains un disque et une conque. IXe siècle (premier âge médiéval). Conservée
aujourd’hui au musée local d’Ashapuri. © Johan Levillain

Dans le cadre de sa thèse, Johan Levillain a principalement étudié des monuments religieux et surtout des temples. Il a constaté que si leurs architectures changent en fonction des régions sur lesquelles ils sont érigés, le type de temple reste le même sur un même espace. Pour l’Inde du Nord, Johan Levillain affirme alors que les artistes poursuivent une tradition ancestrale, une tradition architecturale qu’ils conservent tout en la magnifiant au fil des siècles.

“Le premier âge médiéval est une période de boom dans la construction d’architecture en pierre.” – Johan Levillain.

Johan Levillain insiste sur un point : il ne faut pas se représenter un temple hindou à l’image d’une église dans laquelle les croyants se rassemblent. Un temple est une petite structure qui contient simplement l’image du dieu ou de la déesse que l’on y vénère. Ce ne sont pas des lieux de rassemblement à proprement parler. On se rassemble autour des temples pour assister à des rituels, mais ce n’est pas leur fonction première. Par ailleurs, ce sont les prêtres qui contrôlent l’accès aux temples et à la divinité à l’intérieur.

Comme le décrit Johan Levillain, il y a deux catégories d’images au sein des temples : l’image de culte, nécessaire, la plus importante, celle qui est mise à l’intérieur du sanctuaire et qui représente la divinité à laquelle le temple est dédié ; et les images ornementales, notamment d’autres dieux, sculptées sur le temple et qui servent à le décorer. Il y a d’ailleurs de nombreuses images féminines. Même si les divinités qu’elles représentent ne sont pas vénérées en tant que telles, ces images sont tout de même essentielles pour le culte.

En revanche, pour sa période, Johan Levillain précise qu’il n’y a pas ou peu d’image narrative dans les temples de la région du Malwa qu’il a étudiés. Il s’agit plutôt d’images iconiques. Il peut aussi y avoir des images de personnages locaux : des dévots, des figures importantes de la société ou encore des gurus. Ces personnages sont clairement identifiables, car ils ne présentent pas les caractéristiques surnaturelles des divinités.

 

Les recherches archéologiques de l’invité sur le site d’Āśāpurī

“Le site d’Āśāpurī est complètement en ruine aujourd’hui. C’est un gigantesque puzzle dont tous les bâtiments se sont effondrés.” – Johan Levillain.

Le site sur lequel s’est penché Johan Levillain est composé d’une vingtaine de temples, certains très grands et d’autres à échelle humaine, mais ils sont tous assez proches les uns des autres. Un très grand lac artificiel est situé à proximité et constitue un réservoir d’eau. Comme le souligne Johan Levillain, aujourd’hui en Inde, on conserve plutôt des temples datant de l’époque médiévale dans les endroits un peu plus isolés. En effet, les temples érigés au cœur des villes, eux, ont évolué avec le tissu urbain. Ils ont donc été réaménagés, parfois détruits ou encore modifiés avec le temps.

“C’est assez rare que l’on vous propose l’étude d’un site aussi pléthorique.” – Johan Levillain.

Illustration de l'épisode 93 par din
Illustration de l’épisode 93 par din

En ce qui concerne le site d’Āśāpurī, Johan Levillain a été responsable de la couverture photographique de ses vestiges. Il s’est rendu sur place, en Inde, pour étudier le terrain directement. Il s’est tout particulièrement penché sur la position des images et des icônes présents dans ces temples. En effet, certaines sculptures ont été retrouvées ailleurs que sur leur temple d’origine et des images ont pu être déplacées, voire détruites. Le but était donc de tenter de modéliser l’agencement de ces images sur les murs et de ces sculptures ou autres ornements qui ornaient les façades ou les piliers de ces temples.

Pour en savoir plus sur le sujet de l’épisode, on vous conseille de lire :

  • ANGOT Michel, 2001 : L’Inde classique, Paris, Les Belles Lettres.
  • ASTIER Alexandre, 2020 : L’Hindouisme. L’histoire, les fondements, les courants et les pratiques, Paris, Eyrolles.
  • BALBIR, Nalini, 2024 : À la découverte du jaïnisme, Paris, Les éditions du Cerf.
  • BEGUIN Gilles & Iago CORAZZA, 2017 : Khajuraho. Apogée sensuel de l’art indien, temples et sculptures, Milan, 5 Continents.
  • DAGENS Bruno, 2009 : Le temple indien miroir du monde, Paris, Les Belles Lettres.
  • GABORIEAU Marc, 2007 : Un autre islam. Inde, Pakistan, Bangladesh, Paris, Albin Michel.
  • GIULIANO Laura & IACONO Giovanna (éd.), 2022 : Inde, reflets de mondes sacrés. Hindouisme, jaïnisme et bouddhisme, Rennes, Presses Universitaires de Rennes.
  • LEFEVRE Vincent, 2023 : Le Génie de l’art indien, Paris, Les Belles Lettres.
  • MEYER Eric Paul, 2007 : Une histoire de l’Inde. Les Indiens face à leur passé, Paris, Albin Michel.
  • SCHMITT Jean-Claude, 2002 : « L’historien et les images », Le corps des images, Paris, Gallimard, p. 35-62.

Publications de l’invité :

  • « La matière muette, le défi méthodologique des temples d’Ashapuri », Actes du séminaire transversal Matière, Matériaux et (Im)Matérialité, 2023, p. 77-85.
  • Avec Saarthak SINGH : « Monumentality, Seriality and Social Intervention: Stone Sculptures from an 11th-Century Workshop at Sunari in Eastern Malwa », Arts Asiatiques, 77, 2022 p. 43-68.
  • « Ceci n’est pas une sculpture. Exposer les figures religieuses indiennes au musée », Convergence, 1, 2022, p. 78-91.
  • « Donner corps à l’Inde médiévale, Les formes féminines dans la sculpture paramāra au xie siècle », Bulletin de l’École française d’Extrême-Orient, 107, 2021, p. 87-135.
  • « Entre Gūrjara-Pratīhāra et Paramāra, étude de l’iconographie de Varāha à Āśāpurī (Madhya Pradesh) », Arts Asiatiques, 73, 2018, p. 135-146.

Dans cet épisode vous avez pu entendre les extraits des œuvres suivantes :

  • Raga « Bhimpalashri » – Introduction

Si cet épisode vous a intéressé vous pouvez aussi écouter :

Merci à Clément Nouguier qui a réalisé le générique du podcast, à Baptiste Mossiere pour le montage de l’épisode et à Alizée Rodriguez pour la rédaction de l’article !