Épisode 85 – Thibault et les veuves en Anjou
Découvrez le parcours de femmes veuves dans le comté d’Anjou au XIIIème siècle !
Doctorant en troisième année de thèse à Sorbonne Université, Thibault Jouis est l’invité de l’épisode 85 de Passion Médiévistes. Sous la direction de Frédérique Lachaud, il prépare une thèse sur les mutations politiques du comté d’Anjou durant la première moitié du XIIIe siècle. Dans ce contexte il vous raconte dans cet épisode les vies et destins de trois femmes veuves, les difficultés qu’elles ont rencontré et comment elles ont pu exercer le pouvoir en Anjou. A noter que cet épisode a été enregistré au Lycée Louis le Grand en mars 2023.
L’histoire du l’Anjou au milieu du Moyen Âge
Dans sa thèse, Thibault Jouis veut comprendre les conséquences de la chute de l’empire Plantagenêt et du rattachement éphémère du comté au domaine royal capétien (entre 1199 et 1246). Il n’y a donc plus de comte en exercice légitime pendant cette période, et l’invité étudie comment s’articulent les stratégies individuelles et familiales avec les grandes ruptures géopolitiques. C’est une période d’essor des monarchies françaises et anglaises, mais l’aristocratie en Anjou est bien ancrée et possède les rênes du pouvoir local.
Au début de la période qu’étudie Thibault Jouis, le roi anglais Richard Coeur de Lion meurt en 1199, ce qui conduit à un conflit de succession entre son jeune frère Jean Sans Terre et son neveu Arthur, conduisant au délitement de l’empire. Un peu plus tard, en 1246, le roi Louis IX confie le comté d’Anjou à son plus jeune frère Charles et c’est la fin de cette période de flou où le comté appartenait au roi de France.
Car avant cette période, le comté d’Anjou était un reste de la division de l’empire carolingien. Au début du Xème siècle, des vicomtes d’Angers récupèrent de plus en plus de territoires et se font appeler comtes. Deux mariages importants stratégiquement ont lieu au XIIème siècle : 1128 voit l’union entre Geoffroy V (qui donne son nom à la dynastie des Plantagenêts) et Mathilde, l’héritière de l’Angleterre et de la Normandie, puis en 1152 les noces entre leur fils Henri et Aliénor d’Aquitaine, qui créé un ensemble politique immense, conduisant ) l’expansion du comté d’Anjou.
A partir de la fin du XIIème siècle, le comté d’Anjou devient un espace plutôt minime au sein de l’empire Plantagenet. Il va se détacher de l’ensemble à partir de 1199, car l’aristocratie locale, guidée par le sénéchal Guillaume des R0ches, va se rallier à différents partis pendant le conflit de succession anglais, pour finalement choisir le roi de France Philippe Auguste. Mais le roi de France est obligé de s’accorder les bonnes volontés des grands du comté dont il reste dépendant pour tenir le pouvoir.
Dans la première moitié du XIIIème le comté d’Anjou est donc dans une position particulière. Pas intégré complètement au domaine royal, il reste un comté avec son administration propre et son sénéchal (un officier est le principal agent du comte qui peut avoir plusieurs fonctions notamment de justice ou militaire). L’Anjou n’est pas forcément un territoire très riche, ce qui explique sa relative indépendance, car il y a moins d’argent à tirer d’une imposition excessive (à la différence de la Normandie par exemple)
Le pouvoir des veuves au Moyen Âge
Le pouvoir que peuvent exercer les femmes au Moyen Âge dépendent d’abord de leur rang social. Le manque de sources complique l’étude du parcours des femmes aussi. Le XIIIème est un tournant dans la restriction du pouvoir des femmes, puisqu’au cours des siècles précédents dans le système des seigneuries le pouvoir était plutôt de nature domestique, donc les femmes pouvaient hériter et gérer les seigneuries, voir même avoir un rôle militaire. Mais au XIIIème siècle, on pense de plus en plus l’exclusion des femmes des cercles de pouvoir. C’est notamment ce contexte qui débouchera sur l’utilisation de la loi salique pour les questions de succession.
Du point de vue des sources, le veuvage permet néanmoins aux femmes de l’aristocratie d’être plus visibles. Elles accèdent alors à une autonomie juridique, peuvent signer des documents en leur nom (ce que peuvent aussi des femmes mariées ou héritières mais plus rarement). Elles peuvent gérer le domaine et la tutelle éventuelle de leurs enfants mineurs.
Le veuvage et le changement d’autonomie est un statut réservé aux femmes, par rapport aux hommes pour que le veuvage ne change pas grand chose. Thibault Jouis racontent que les veuves peuvent subsister grâce à leur douaire, la part du domaine que promet l’époux à sa femme s’il meurt avant elle, elle n’en est pas propriétaire mais elle en a l’usufruit.
Trois exemples de veuves en Anjou
Parmi les veuves rencontrées dans ses recherches sur l’Anjou, Thibault Jouis vous parle en détails dans cet épisode de trois exemples :
- Bérengère de Navarre : princesse du royaume de Navarre, née vers 1160, qui a épousé Richard Cœur de Lion alors comte d’Anjou; à la mort de son mari ils n’ont pas d’enfant, elle doit batailler pendant plusieurs années pour conserver son douaire, récupérer des revenus, et elle finit par devenir dame du Mans, tout en étant en conflit avec les chanoines de la cathédrale. Elle finira par fonder l’abbaye de l’Epau (on se trouve son gisant) puis par mourir en 1230.
- Jeanne des Roches : fille aîné du sénéchal d’Anjou Guillaume des Roches, elle hérite de cet office après la mort de son mari Amaury de Craon en 1226. Elle détient nominalement l’autorité sur le comté au nom du roi, même si nous n’avons aujourd’hui que peu de traces dans les archives de l’exercice de son pouvoir.
- Ermengarde de Beaumont : née vers 1175, elle est issue de la famille de Beaumont dans le Maine (cousins de la famille royale d’Angleterre) et quitte l’Anjou à 12 ans pour se marier au roi d’Écosse, qui a alors une quarantaine d’années. Elle se distingue par son rôle diplomatique, et à la mort de son époux elle arrive à entretenir un réseau familial assez étendu entre l’Écosse, l’Angleterre et le Maine.
Pour en savoir plus, écoutez l’épisode en entier !
Pour en savoir plus sur le sujet de l’épisode, on vous conseille de lire :
Généralités :
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Matz Jean-Michel et Tonnerre Noël-Yves, L’Anjou des princes: fin IXe-fin XVe siècle, Paris, Picard, coll. « Histoire de l’Anjou », 2017.
- Aurell Martin, L’Empire des Plantagenêt 1154-1224, Paris, Perrin, coll. « Pour l’histoire », 2002.
- Baldwin John W., Le Goff Jacques et Bonne Béatrice, Philippe Auguste et son gouvernement: les fondations du pouvoir royal en France au Moyen âge, Paris, Fayard, 1991.
Sur les veuves et le genre :
- Erler Mary Carpenter et Kowaleski Maryanne (dir.), Women and power in the Middle Ages, Athens, University of Georgia press, 1988.
- Goody Jack, L’évolution de la famille et du mariage en Europe, Paris, Armand Colin, coll. « Bibliothèque des classiques », 2012.
- Livingstone Amy, Out of Love for my Kin. Aristocratic Family Life in the Lands of the Loire, 1000-1200, London, Cornell University Press, 2010.
- Santinelli Emmanuelle, Des femmes éplorées ? les veuves dans la société aristocratique du haut Moyen Âge, thèse de doctorat, Presses universitaires du Septentrion, coll. « Histoire et civilisations », 2003.
- Tanner Heather J., Medieval Elite Women and the Exercise of Power, 1100-1400: Moving beyond the Exceptionalist Debate, New York, Palgrave Macmillan, coll. « The New Middle Ages », 2019.
- Viennot Éliane, La France, les femmes et le pouvoir. 1: L’invention de la loi salique (Ve-XVIe siècle), Paris, Perrin, 2006.
Merci à Gabriel Chatagner-Duval, Joëlle Alazard et Lefrançois Tourret pour l’organisation de l’enregistrement au Lycée Louis Le Grand à Paris.
Merci à Clément Nouguier qui a réalisé le magnifique générique du podcast et à Baptiste Mossiere pour le montage l’épisode !