Passion Modernistes

Épisode 30 – Natacha et Christine de Suède (Passion Modernistes)

Épisode 30 - Natacha et Christine de Suède (Passion Modernistes)
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Une femme roi, née protestante et protectrice des arts auprès du pape ? Découvrez l’épopée de Christine de Suède dans cet épisode !

Passion Modernistes

Natacha Aprile
Natacha Aprile (© Fanny Cohen Moreau)

Dans ce nouvel épisode de Passion Modernistes, Natacha Aprile vous parle de son sujet de thèse, Troublante Christine : réseaux, genre et imagerie de Christine de Suède du XVIIe siècle à nos jours à l’EHESS et à Sorbonne Université sous la direction de Christine Gouzi et Sylvie Steinberg. Cette reine étrangère au destin singulier a passionné l’Europe moderne et pour cause : femme roi, protestante catholique, Christine de Suède est un personnage haut en couleurs et en scandales !

Christine de Suède, le roi est une femme

Sébastien Bourdon, Portrait de la reine Christine de Suède, huile sur toile, 1653, 72x58 cm, Musée National, Stockholm –  Anna Danielsson – Musée National de Stockholm
Sébastien Bourdon, Portrait de la reine Christine de Suède, huile sur toile, 1653,
72×58 cm, Musée National, Stockholm

Née en 1626, Christine de Suède est la fille de Gustave II Adolphe de la maison de Vasa. Surnommé « le Grand », ce roi est l’un des plus connus et les plus appréciés de son pays. Mais Gustave décède très tôt, à la guerre, à l’âge de 37 ans. Ce décès s’accompagne d’un grave problème : le roi n’a pas de fils. Sa première fille est morte née et c’est sa seconde, Christine, qui est désormais en lice pour régner. Mais les lois du royaume de Suède sont strictes, et une femme ne peut pas régner… théoriquement.

Or, Gustave avait tout prévu. Ainsi, il avait fait jurer au Parlement qu’il reconnaîtrait sa fille comme… Roi ! Ainsi, le roi est une femme. Mais pas n’importe laquelle. Durant son enfance, Christine est reconnue pour sa féroce intelligence et suis avec brio son éducation. Navigant entre la fonction virile de roi et l’injonction à rester une femme, elle développe rapidement un style androgyne marqué. Au début de son règne, elle est assistée par son chancelier, Axel Oxenstierna, et reçoit une éducation dans les arts et les sports.

David Beck, La reine Christine de Suède, huile sur toile, 1650, 110x92 cm, Musée National, Stockholm -  Musée National de Stockholm
David Beck, La reine Christine de Suède, huile sur toile, 1650, 110×92 cm, Musée
National, Stockholm –  Musée National de Stockholm

Lorsqu’elle prend la couronne officiellement en 1644 à l’âge de dix-huit ans, Christine de Suède est ainsi tout à fait apte à régner sur son royaume. Mais son règne n’est pas de tout repos.

Un règne tourmenté

Les attentes sont grandes sur la jeune roi. Alors que le traité de Westphalie met fin à la Guerre de Trente Ans, avec un accord assez favorable à la Suède, l’ombre d’un nouveau conflit plane. Le souvenir de la mort sans successeur de Gustave II Adolphe est encore présent, et il est vite attendu que Christine de Suède trouve un époux. C’est vers son cousin, Charles-Gustave, que se portent les préférences de l’entourage royal.

Mais la reine-roi ne l’entend pas de cette oreille. En effet, Christine de Suède a une très forte personnalité, et ne veut pas entendre parler d’une union de convenance. En relation assez évidente avec son favori Magnus Gabriel de la Gardie, elle se rend vite à l’évidence que le problème ne vient pas seulement du prétendant… Mais bien de la notion même de mariage. Elle finit par refuser tout bonnement le mariage et pousse son favori à épouser une autre personne. Dans le même temps, des rumeurs sur sa bissexualité circulent, et on lui prête une relation avec sa dame de compagnie, Ebba Sparre.

Frans Hal (d’après), Portrait de René Descartes, huile sur toile, 2 e quart du XVII e siècle, 78x69 cm, Musée du Louvre, Paris -  RMN – Grand Palais (Musée du Louvre) Tony Querrec
Frans Hal (d’après), Portrait de René Descartes, huile sur toile, 2 e quart du XVII e siècle

Son règne est aussi marqué par un intense patronage des arts et des philosophes. En effet, Christine de Suède est une monarque éclairée, qui fait venir à sa cour des artistes du monde entier, et se pose d’intenses questions sur le monde. Ainsi, elle fait venir le philosophe français René Descartes à la cour de Suède pour s’entretenir avec lui. Malheureusement, ce voyage sera le dernier du philosophe, qui meurt d’un coup de froid ! De cet intense travail intellectuel, elle ressort avec une décision radicale : elle décide d’abandonner le luthéranisme suédois pour se convertir au catholicisme. Elle abdique donc en 1654 et part à Rome pour faire abjuration devant le pape. Christine ne règne plus.

Christine n’a pas dit son dernier mot

Avec l’abandon du titre royal, Christine de Suède n’a pas terminé sa vie. Celle qui a été une dirigeante d’une grande puissance internationale convertie, une immense victoire pour le catholicisme, devient rapidement… Un poids. En effet, installée par le pape à Rome, elle entretient un salon animé par les penseurs et les artistes qu’elle patronne et protège avec générosité. Elle est à l’origine de nombreux scandales dans la ville, notamment dus à son train de vie dispendieux ainsi que ses mœurs jugées légères. Elle entretiendrait même une relation avec un cardinal !

Juste d’Egmont, La Reine Christine en Minerve, huile sur toile, 114x87,5 cm, vers 1654, Musée National, Stockholm –  Musée National de Stockholm
Juste d’Egmont, La Reine Christine en Minerve, huile sur toile, 114×87,5 cm, vers
1654, Musée National, Stockholm –  Musée National de Stockholm

Ayant des difficultés financières, elle part en France en espérant trouver le soutien de Louis XIV. Mais là encore, elle est à l’origine d’un scandale, alors qu’elle fait tuer un de ses écuyers qu’elle soupçonne de trahison. Encombrante en France, elle tente de retourner un temps en Suède pour revendiquer sa couronne, mais échoue. Elle s’installe définitivement à Rome où elle continue d’entretenir une cour foisonnante, jusqu’à être surnommée « la patronne de Rome ». Christine de Suède décède dans la ville en 1689 et obtient l’honneur d’être une des quatre seules femmes reposant à la basilique Saint-Pierre-de-Rome au Vatican. Elle n’aura aucun mari ni aucune descendance, aussi avec elle s’éteint la dynastie des Vasa.

Femme roi, convertie, bissexuelle, refusant le mariage toute sa vie, Christine de Suède s’est construit une légende noire. Pourtant, elle est aussi une protectrice acharnée des arts et des lettres. Sa vie est un témoignage saisissant des conceptions relatives au genre à l’époque moderne, dans sa pratique publique comme intime.

Pour en savoir plus sur le sujet de l’épisode, on vous conseille de lire :

Sources :

  • ARCKENHOLTZ Johann, Mémoires concernant Christine reine de Suède, pour servir d’éclaircissement à l’histoire de son règne et principalement de sa vie privée, et aux événements de l’histoire de son tems civile et litéraire, suivis de deux ouvrages de cette savante princesse, qui n’ont jamais été imprimés, Amsterdam et Leipzig, Jean Schreuder et Pierre Mortier, 4 vol., 1751-1760.
  • CHRISTINE DE SUEDE, Apologies, textes annotés par Raymond Jean-François de, Paris, Les Éditions du Cerf, 1994.

Littératures scientifiques :

  • ÅKERMAN Susanna, Queen Christina of Sweden and her circle. The transformation of a seventeenth-Century Philosophical libertine, Leiden, Brill, 1991.
  • BEAUSSANT Philippe, Christine de Suède et la musique, Paris, Fayard, 2014.
  • BODART Diane, « Le portrait équestre de Christine de Suède par Sébastien Bourdon », dans Les portraits du pouvoir, édition O. Bonfait and B. Marin, Paris, 2003, p. 76-89.
  • CAVAILLÉ Jean-Pierre, « Masculinité et libertinage dans la figure et les écrits de Christine de Suède », Les Dossiers du Grihl, n°1, 2010, p. 1-25.
  • Christina Queen of Sweden: a personality of European civilization, Nationalmuseum, Stockholm, 29 juin – 16 octobre 1966, Stockholm, Egnellska Boktryckeriet, 1966.
  • Inconnu, Gustave II Adolphe (1594-1632), roi de Suède, huile sur toile, 76x64 cm, Musée National, Stockholm.
    Inconnu, Gustave II Adolphe (1594-1632), roi de Suède, huile sur toile, 76×64 cm, Musée National, Stockholm.

    DI GIOIA Stefania (dir.), Cristina di Svezia. Le collezioni reali, cat. d’exp., Rome – Fundazione Memmo, 31 octobre 2003-15 janvier 2004, Rome, Electa, 2003.

  • LEMAIGNAN Marion, Une souveraineté de papier au miroir de l’Europe. Publier Christine de Suède entre 1654 et 1689, thèse d’histoire et de civilisation sous la direction de Giulia Calvi, Institut universitaire européen, 2012.
  • VON PLATEN Magnus (dir.), Queen Christina of Sweden. Documents and studies, Norstedt & Söner, Stockholm, 1966.
  • QUILLIET Bernard, Christine de Suède, Paris, Fayard, 2003 (première éd. Presses de la Renaissance, 1982).
  • VON DER HEYDEN-RYNSCH Verena, Christine de Suède. La souveraine énigmatique, Paris, Gallimard, 2001 (Première éd. Hermann Böhlaus Nachfolger 2000).

Bibliographie de Natacha Aprile

  • « De l’art pour la nouvelle Athènes. Les collections de la reine Christine de Suède à Stockholm (1650-1654), Revue Histoire culturelle de l’Europe, Université de Caen, à paraître.
  • « Androgynie et construction de l’ambiguïté chez Christine de Suède », dans Christine de Suède à la croisée des chemins sous la direction de Corinne François-Denève, Florence Fix et Frédérique Toudoire-Surlapierre, Éditions Universitaires de Dijon, à paraître.
  • « ‘’Elle parle français comme si elle était née au Louvre’’. Éducation et formation intellectuelle de la jeune Christine de Suède », Revue d’Histoire Nordique, Presses Universitaire du Midi, Université Toulouse – Jean Jaurès, à paraître.
  • « Preuves et objectivité. L’inégalités des exigences scientifiques dans les études du genre et de la sexualité », Sphères, n°5, 2020, pp. 31-40.
  • « La légende Caravage. Vie et œuvre de l’artiste, entre fantasmes et réalités », Cahiers du Framespa, Le Vrai et le Faux. Élaborations et déconstructions, n°35, 2020, mis en ligne le 30 octobre 2020.

Dans cet épisode vous avez pu entendre les extraits des œuvres suivantes :

Si cet épisode vous a intéressé vous pouvez aussi écouter :

Merci à Julien Baldacchino et Clément Nouguier qui ont réalisé le générique du podcast, à Alice Krief pour le montage et à Ilan Soulima pour l’article !

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