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Épisode 10 – Gabrielle et le concept de mode

Dans ce dixième épisode, Gabrielle Charaudeau nous parle de l’apparition du concept de mode dans les manuscrits du Moyen Âge.

Gabrielle Charaudeau
Gabrielle Charaudeau

L’idée selon laquelle la mode serait née au XIVe siècle est reprise dans tous les ouvrages d’histoire de la mode. Mais d’où vient cette affirmation ? Peut-elle être vérifiée ? Qu’en disent les érudits du XIVe siècle ? À travers l’étude des textes médiévaux Gabrielle Charaudeau nous raconte comment est apparu le concept de mode au Moyen Âge.

On apprend par exemple que la mode vient de l’habit masculin, avec l’invention du pourpoint, un vêtement plus près du corps qui était interdit aux femmes. Pourtant dans les textes écrits par des religieux, c’est les femmes et leurs vêtements qui seront moralement blâmés.

Une discipline récente

L’histoire de la mode est une discipline assez récente. Les premières personnes qui s’y sont intéressées sont des historiens, et non des historiens de la mode. Même si leur intérêt a permis une première approche de cette discipline et de ses difficultés, ils ont étudié l’évolution des vêtements, plus que l’évolution de la mode à proprement parler.

Ces historiens, à l’instar de Jules Quicherat, ont, par exemple, avancé l’idée que la mode serait réellement née au XIVe siècle, suite à l’apparition du pourpoint vers 1340. Les ouvrages d’histoire de la mode ont ensuite repris cette idée, sans pour autant la vérifier. Ainsi, plusieurs questions se posent : d’où vient cette affirmation ; peut-elle être vérifiée ; qu’en disent les érudits du XIVe siècle ? À travers l’étude de ces travaux d’historiens et en regard des textes médiévaux, le travail de Gabrielle a pour but de reconsidérer les poncifs répétés au fil des ouvrages.

« Un changement aussi capital dans le costume dépasse par son ampleur les limites d’une simple variation temporaire ; mais on peut dire que l’apparition du costume court constitue jusqu’à un certain point, la première manifestation de la Mode » François Boucher, Histoire du costume en Occident. Des origines à nos jours, Paris, Flammarion, 1965, p. 192.

Prenant en compte la complexité liée au manque de sources primaires et à la méconnaissance du rapport de l’individu à son vêtement dans les périodes anciennes, ce travail d’historiographie n’a pas pour but de refaire une histoire de la mode mais plutôt de se centrer sur l’apparition et l’évolution d’un mot, d’un concept et du regard qui a été porté sur ce concept à une époque donnée.

Un concept complexe à définir

Pour tenter de définir la notion de « mode », Gabrielle s’est centrée sur l’étude des textes médiévaux, sur les travaux d’historiens (qu’ils soient spécialistes du costume ou non) et sur les recherches de sociologues et philologues. Dans ce podcast, elle fait un rapide état des lieux de ce qu’ont écrit les historiens d’hier et d’aujourd’hui, avant de remonter aux origines du concept de mode, à travers une histoire du mot. Cette approche lexicale permet de se demander s’il existe un lien direct entre l’émergence du terme « mode » et l’apparition-même du concept dans les mentalités, pour ainsi savoir si la mode est une notion implicite au Moyen Âge.

Trois périodes sont alors analysées pour déterminer le moment où serait née la mode : le XIIe siècle, où l’on observe des prémices de variations vestimentaires, le XIVe, moment où les moralistes dénoncent un grand changement dans la mode masculine et le XVe siècle où la mode féminine commence à prendre de l’importance. Pour Gabrielle, la pluralité de points de vue des historiens s’explique par la quasi impossibilité de saisir toutes les nuances du concept de mode. Chaque historien a sa propre perception du concept. Le débat sur la naissance de la mode ne sera donc pas clos, tant que les historiens de la mode ne s’accorderont pas sur une définition commune.

Guillaume de Lorris et Jean de Meung, Roman de la Rose Paris, XIV
Guillaume de Lorris et Jean de Meung, Roman de la Rose Paris, XIV
Si le sujet vous intéresse voici quelques ouvrages que vous conseille Gabrielle :

Quelques sources médiévales évoquant le vêtement

  • ANONYME, Aiol, Chanson de geste éditée par Jean-Marie Ardouin d’après le manuscrit unique BnF fr.25517, Paris, Honoré Champion, 2016
  • ANONYME, Farce du gaudisseur et du sot dans Le Recueil Trepperel – Les Sotties, Volume 1, Genève, Eugénie Droz, 1974
  • ANONYME, Le Ménagier de Paris, Paris, Crapelet, 1846
  • ANONYME, Perceforest, Genève, Librairie Droz, 1991
  • Comptes royaux : Argenterie de Charles VIII, Paris, Archives Nationale, Série K ; monuments historiques, Comptes royaux KK 70, 1487-1488
  • LA TOUR LANDRY Geoffroi de, Le Livre du chevalier de la Tour Landry pour l’enseignement de ses filles, présent par PAULIN PARIS A., Les Manuscrits françois de la Bibliothèque du roi, tome V, Paris, Techener, 1842.
  • VILLANI Giovanni, La Seconda parte delle historie universali di suoi tempi, Venise, 1559

Quelques historiens du XIXe siècle qui ont évoqué la mode

  • QUICHERAT Jules, Histoire du costume en France depuis les temps plus reculés jusqu’ à la fin du XVIIIe siècle, Paris, Librairie Hachette & Cie, 1877.
  • RACINET Auguste, « Europe – Moyen Âge. Costumes civils de la noblesse française – 1364-1461 » in Le costume historique : cinq cents planches, trois cents en couleurs, or et argent, deux cent en camaieu, types principaux du vêtement et de la parure, rapprochés de ceux de l’intérieur de l’habitation dans tous les temps et chez tous les peuples, Tome IV, Paris, Firmin-Didot, 1888.

Quelques travaux sur la mode médiévale

  • BLANC Odile, Parades et parures. L’invention du corps de mode à la fin du Moyen Âge, Paris, Gallimard, 1997
  • BOUCHER François, Histoire du costume en Occident. Des origines à nos jours, Paris, Flammarion, 1965
  • NEWTON Stella Mary, Fashion in the Age of the Black Prince, Woodbridge, Suffolk, Boydell Press, 1980
  • PASTOUREAU Michel (dir.), Le Vêtement. Histoire, archéologie et symbolique vestimentaires au Moyen Âge, Paris, Cahiers du Léopard d’Or, 1989
  • PIPONNIER Françoise & MANE Perrine, Se vêtir au Moyen Âge, Paris, Biro, 1995
  • SCOTT Margaret, Medieval Dress, Londres, British Library, 2007

Pour en savoir plus sur le concept de mode

  • BARTHES Roland, Système de la mode, Paris, Points, 2014
  • BELFANTI Carlo Marco, Histoire culturelle de la mode, Paris, IFM / Regard, 2008
  • GODARD Frédéric, Sociologie de la mode, Paris, La Découverte, 2016
  • LIPOVETSKY Gilles, L’Empire de l’éphémère, Paris, Gallimard, 1987
  • MONNEYRON Frédéric, La Frivolité essentielle. Du vêtement et de la mode, Paris, PUF, coll. « Perspectives critiques », 2001

Après ce podcast, Gabrielle est partie terminer ses études en Espagne, à l’Université Complutense de Madrid, en se spécialisant davantage sur le Moyen Âge.

Les extraits diffusés dans cet épisode :

Cet épisode a notamment été chroniqué par Radiotips et cité comme référence sur l’histoire de la mode sur le site de France Inter.

Transcription de l’épisode 10 (cliquez pour dérouler)

Fanny : Bonjour à tous, avant de commencer cet épisode j’aimerais vous parler de Podcasteo. Podcasteo c’est un réseau d‘entraide entre de petits podcasts indépendants. Une sorte de grande chaîne de l’amitié pour vous faire découvrir plein de podcasts talentueux à mettre dans vos oreilles. Aujourd’hui j’aimerais vous parler du podcast OZEF avec un Z. Chaque semaine il vous parle de films qui sortent en salle, parfois dans l’indifférence totale et dont on n’entend pas forcément parler. Personnellement je ne rate aucun de ses épisodes, j’adore sa façon de parler très libre, il est vraiment attachant et connaît bien son sujet. Donc n’hésitez pas aller l’écouter. Allez, c’est parti pour un nouvel épisode de Passion Médiévistes.

[Générique]

Fanny : Est-ce que l’on sait tout du Moyen Âge ? Est-ce qu’il reste encore des choses à découvrir ? Et d’abord, qu’est-ce que le Moyen Âge ? En fait, vous le verrez dans ce podcast, il y a autant de réponses que de médiévistes. Épisode 10 : Gabrielle et le concept de mode, c’est parti.

Aujourd’hui nous faisons un léger pas de côté pour parler du Moyen Âge en étudiant un thème général et pourtant si particulier : la mode. Et vous allez voir, c’est une très bonne façon d’étudier la société médiévale. Alors dans les ouvrages d’histoire de la mode, on nous apprend qu’elle serait née au XIVe siècle, mais d’où vient cette affirmation et comment la vérifier ? C’est ce que nous allons essayer de répondre dans l’épisode du jour avec Gabrielle Charaudeau. Alors bonjour Gabrielle.

Gabrielle : Bonjour.

Fanny : Tu es diplômée en muséologie à l’école du Louvre et en juin 2017 tu as présenté un mémoire de fin d’études sur le concept de mode au Moyen Âge à travers l’analyse de trois périodes, c’est-à-dire le XIIe, le XIVe et le XVe siècle. À noter que tu l’as réalisé sous la direction de Denis Bruna, conservateur des arts décoratifs de Paris et aussi professeur d’histoire médiévale. Pour commencer on pourrait penser que la mode est un concept aussi vieux que l’humanité, que ce soit sous l’Égypte antique ou l’Empire romain, ils avaient une évolution du vêtement. Alors pourquoi on dit que la mode est née au Moyen Âge ?

Gabrielle : On dit que la mode est née au Moyen Âge car c’est à cette période que l’individu va s’habiller pour lui-même. Il va sortir en fait des carcans de la société qui lui [imposait] de s’habiller en fonction de son état, de sa catégorie sociale. Donc au Moyen Âge, et à partir de 1340 précisément, on va avoir une accélération des variations vestimentaires, l’homme va changer de vêtement tous les demi-siècles, alors qu’avant c’était sensiblement tous les siècles, tous les cent ans.

Fanny : Tu m’as parlé de 1340, qu’est ce que cette date symbolise dans l’histoire de la mode ?

Gabrielle : Alors la date de 1340, elle est importante surtout pour les historiens de la mode qui en parle comme si c’était vraiment la genèse de la mode, car c’est l’apparition du pourpoint. Le pourpoint c’est un vêtement porté uniquement par les hommes à cette période, en 1340, un vêtement très court qu’on porte avec des chausses. Le pourpoint est un vêtement qui dérive du vêtement militaire qu’on portait sous l’armure pour ne pas se blesser. C’est un vêtement matelassé, surpiqué, et qui est très court.

Fanny : Et donc c’est ce vêtement qui a contribué à l’apparition du concept de mode ?

Gabrielle : Alors justement, les historiens ont daté l’apparition de la mode souvent en 1340 avec cette apparition du pourpoint, car c’est à cette période qu’on va avoir une distinction entre le sexe féminin et le sexe masculin dans l’histoire de la mode. Les femmes, elles, continuent à porter des robes longues que portaient auparavant les hommes.

Fanny : Comment on a défini le concept de mode à l’époque médiévale ?

Gabrielle : À l’époque médiévale justement, on a pas de définition précise. L’enjeu de mon mémoire c’était de se demander aussi si l’apparition du concept précédait la création du mot, pour savoir si le mot était un indicateur de l’apparition du concept véritablement. Et au cours de mes recherches, j’ai découvert que le terme « mode » apparaît dans les années 1390. Il correspond alors à une façon collective de faire, de cuisiner, de penser, de vivre, qui est propre à un pays, à une région ou à un groupe particulier. On le trouve notamment par exemple dans le Ménagier de Paris en 1393. Donc c’est un ouvrage d’économie domestique où l’on trouve la formule « poussin à la mode lombarde », donc c’est une recette de cuisine sur le poussin. Il faut attendre le XVe siècle pour que ce mot apparaisse dans le domaine vestimentaire. On aura alors l’expression « à la mode », mais on a encore ce lien avec la géographie. On trouve notamment dans les comptes d’argenterie de Charles VIII les termes « vêtements à la mode d’Allemagne » ou « à la mode d’Italie ». Donc là on a encore ce lien avec la géographie. Pour vraiment qu’il y est cette connotation de ce que Gil Bartholeyns appelle « goût collectif passager », il faut attendre les années 1450, où on trouvera l’expression « s’habiller à nouvelle mode » ou alors « être à la mode » qu’on trouve au XVIe siècle.

[Extrait]

En l’an 1270, Dame Isabeau s’apprête à découvrir son futur époux. Pour l’occasion elle revêt ses garnements, autrement dit ses vêtements. Une chemise, une robe et un surcot de laine. Barbette sous le menton, et touret sur la tête, une mode d’un autre âge. 

C’est lourd à porter, il faut lever parce que ça traine par terre. Et par contre, ce qui est gênant c’est la barbette, parce qu’à la fin du Moyen Âge, au XIIIe siècle c’est vraiment pour signifier que la femme n’a pas vraiment le droit de parler. Ça prend tout son sens et ça sert un peu pour parler.

Fanny : Est-ce qu’on peut dire qu’il y a une différence entre la mode féminine et la mode masculine à la façon dont on en parle ?

Gabrielle : Quand on trouve l’occurrence du mot « mode », déjà on remarque que les personnes qui en parlent ce sont des moines souvent, des moralisateurs qui critiquent. Les textes qui traitent précisément de la mode ou des variations vestimentaires sont écrits par des hommes d’Église qui jugent vraiment les porteurs de mode, et on observe que les modes critiquées sont essentiellement masculines. En fait au Moyen Âge, autour des années 1340, la mode touche essentiellement les hommes. On parle très peu de changements pour les femmes.

Fanny : Et quand est-ce qu’on a commencé à parler de mode féminine ?

Gabrielle : On observe au XVe siècle une démocratisation de la mode déjà au sein de la société, mais aussi chez les femmes. Avec notamment une grande diversité au niveau des coiffures, des coiffes. On a souvent dans l’imaginaire collectif la représentation de la femme du Moyen Âge avec un chapeau pointu sur la tête. Cette coiffe au hennin c’est vraiment l’incarnation même de la diversité des coiffes qu’on peut avoir au XVe siècle.

Fanny : Pour faire tes recherches, sur quel type de source tu as travaillé ? Est-ce que tu as utilisé seulement des manuscrits écrits, ou est-ce que tu as aussi utilisé l’iconographie un peu plus classique, c’est-à-dire les images et les enluminures ?

Gabrielle : J’ai essayé de varier les sources. J’ai regardé du côté des sources officielles, notamment avec le relevé des comptes d’argenterie du roi Charles VIII. J’ai regardé du côté des chansons de geste, qui sont très populaires au Moyen Âge, notamment la chanson de geste Aiol qui est très riche d’un point de vue linguistique. J’ai aussi cherché du côté des écrits un peu plus courtois, qui parlent d’amour. J’ai regardé du côté des traités d’économie domestique. Et également des chroniques. Donc les chroniques où là on observe que la mode est vraiment critiquée par certains auteurs, notamment Villani ou De la Plama. J’ai aussi cherché comment les historiens de la mode et les historiens en général observaient cette période et en parlaient. Donc j’ai travaillé sur des écrits d’historien de la mode, notamment ceux de la fin du XIXe qui ont fondé cette discipline comme Jules Quicherat ou Auguste Racinet. Et j’ai aussi cherché du côté des sociologues ce qu’ils en ont dit car c’est vraiment eux qui définissent la mode.

Fanny : Et quelle méthode tu as utilisée dans tes recherches ?

Gabrielle : Alors j’ai cherché les occurrences du mot « mode », c’était ça le plus long. Et les occurrences d’autres termes comme « conche », « guise », « façon » qui évoquent l’idée de mode au Moyen Âge.

Fanny : Parmi les manuscrits que tu as utilisés, d’où ils proviennent et sur quelle aire géographique a porté ton étude ?

Gabrielle : Mon étude porte essentiellement sur l’Europe de l’Ouest, vraiment j’ai ciblé sur la France. J’ai un peu cherché aussi du côté des chroniqueurs allemands, italiens, et j‘ai pu observer qu’ils soulignent l’apparition du pourpoint comme étant française.

Fanny : Donc la mode serait apparue en France ?

Gabrielle : Oui. [rires]

Fanny : Ça c’est un scoop !

Gabrielle : Mais eux-mêmes ne sont pas sûrs en fait de leurs informations. On ne sait pas pourquoi la mode du pourpoint est apparue, on ne sait pas d’où elle vient, à part l’évolution du costume militaire.

[Extrait]

Héritier de la tunique gréco-romaine, la chemise du Moyen Âge devient le seul sous-vêtement que les femmes porteront pendant des siècles jusqu’à l’époque moderne. Sur cette fresque de Giotto, Colère arrache sa chemise. À l’époque médiévale, l’église enjoint aux femmes de se comprimer les seins sous la chemise pour gommer leur féminité. Dans le Roman de la Rose, il écrit « Et si elle a les seins trop gros, qu’elle prenne un fichu et un carré d’étoffe, qu’elle les mettent sur la poitrine, qu’elle s’en fasse serrer et ceindre les côtés tout autour puis attacher le tout. Ainsi ficelée, elle pourra aller se divertir. »

Fanny : Et dans tes recherches qu’est ce qui t’a le plus surpris ?

Gabrielle : Ce qui m’a le plus surpris, déjà, c’est le peu de recherches qu’il y a eu sur la question du concept de mode. Les historiens de la mode en général éludent la définition du mot « mode », ils emploient d’autres termes au même titre que « mode », comme « vogue » ou « habillement », et c’est pour cette raison que je me suis tournée vers le travail de philologues et de personnes qui travaillent sur la langue française. Et ce qui m’a étonnée aussi, c’est que l’apparition du concept de mode, et de la mode en elle-même, reste toujours un débat actuel, un débat présent, notamment avec des ouvrages en 2015, en 2008, qui relancent la question. On relance aussi la question pour savoir si la mode est vraiment née en Europe, notamment Carlo Marco Belfanti qui évoque les sociétés asiatiques par exemple. Un des ouvrages qui m’a un peu surpris, c’est l’exemple d’Opicinus de Canistris, c’est un clerc de la première moitié du XIVe siècle, il était tourmenté par la mort, donc il a décidé de travailler sur lui, un peu comme une psychothérapie et il a fait des carnets où il se dessine. J’en parle dans mon travail parce que son œuvre est représentative des questions que commence à se poser l’individu au XIVe siècle, notamment sur l’affirmation de l’individu. Et en fait beaucoup d’historiens de la mode se sont appuyés sur cette idée d’affirmation de l’individu pour dire que la mode est apparue au XIVe siècle.

Fanny : Qu’est-ce qui t’a posé le plus de difficulté dans tes recherches ?

Gabrielle : Alors déjà la grande difficulté, c’était de trier les sources textuelles. Donc j’ai choisi des chansons de geste, des traités d’économie, des sources officielles… pour justement varier et voir comment les auteurs appréhendaient ce concept de mode. Ce qui était également compliqué c’est ce qu’on appelle la mouvance : l’évolution de la langue française. Les mots peuvent avoir une connotation différente d’une époque à une autre et notamment avec le terme « mode ».

Fanny : Pour revenir un peu à ton parcours, est-ce que tu peux nous dire pourquoi tu as choisi d’étudier le Moyen Âge et qu’est-ce qui t’attirait particulièrement dans cette période par rapport à d’autres périodes de l’histoire ?

Gabrielle : Avant de rentrer à l’école du Louvre, j’avais étudié pendant toute une année la guerre de Cent Ans, mais seulement d’un point de vue un peu politique, économique, vraiment en histoire pure et dure. Et quand je suis rentrée à l’école du Louvre, je me suis spécialisé en histoire de la mode. Je n’avais pas forcément pensé au Moyen Âge. Et c’est en deuxième année, j’ai découvert les cours d’histoire générale de l’art sur le Moyen Âge. J’ai découvert que c’était une période beaucoup plus complexe qu’on pouvait l’imaginer, et ensuite allier histoire de la mode et Moyen Âge, c’était vraiment une belle surprise.

[Extrait]

  • Bohort : Ah écoutez je suis content, vraiment on a un beau résultat.
  • Le Justicier  : Hum… J’avoue que je suis un peu surpris quand même.
  • Bohort : C’est vrai que ça change pas mal par rapport à l’accoutrement antécédent mais vous allez vous y faire, c’est normal au début, l’étoffe est raide.
  • Le Justicier : En revanche, je suis assez satisfait par l’esprit camouflage. C’est vrai que quand on en a parlé, patatras ! Je l’ai pris pour un camouflet.
  • Bohort : Je peux vous dire que ça n’a pas été facile de marier le confort, la discrétion et le style. Vous pouvez être sûr que vous ne retrouverez pas ça chez tout le monde.

Fanny : On vient d’écouter un extrait de Kaamelott, et est-ce que tu pourrais me dire ce que tu penses de la représentation des vêtements dans cette série qui normalement se déroule à peu près à la fin du Ve siècle ?

Gabrielle : Alors on a très peu d’information en fait sur la mode à la fin du Ve siècle, donc c’est difficile de se faire une image mais il est vrai que dans Kaamelott, on a ce qu’on peut appeler de l’anachronisme, dans la mesure où on peut observer des personnages vêtus à la mode du XVe siècle et d’autres qui sont plus Renaissance. Il y a un grand fossé en fait, mais de manière générale c’est assez compliqué pour les réalisateurs dans le cinéma parce qu’en fait on a beaucoup de préjugés sur cette période. On a des représentations qui sont pas toujours faciles à interpréter aussi.

Fanny : Est-ce qu’il y a un film aussi où tu as tiqué un petit peu en voyant comment les gens censés être du Moyen Âge étaient habillés ?

Gabrielle : Oui, notamment Les Visiteurs. Donc si je me trompe pas, Godefroy explique qu’ils sont sous le règne de Louis VI le Gros. Or la mode représentée dans Les Visiteurs correspond un peu à la mode du XVe, avec notamment les coiffes pointues pour les femmes, et avec les chaussures un peu en pointe qui apparaissent dès le XIIe siècle et qu’on retrouve au XIVe siècle également. Donc on a un peu un mélange en fait des objets emblématiques des périodes du Moyen Âge.

Fanny : Quelles sont les conclusions que tu as tirées du travail que tu as fait ?

Gabrielle : Qu’il y a des prémices à l’apparition du concept de mode, dès le XIIe siècle, vraiment on a des changements, des variations vestimentaires. C’est toujours une question qui soulève le débat, on a des ouvrages qui vont plutôt expliquer que la mode apparaît au XVe siècle, d’autres, comme je l’ai dit, qui disent que la mode apparaît au XIVe ou au XIIe. En fait, je pense que tout dépend de la perception de l’historien. On a même des historiens qui font référence au règne de Charlemagne, donc entre 800 et 814, notamment Françoise Piponnier qui parle du goût des parures luxueuses sous ce règne. Donc on sait déjà que le luxe, c’est très lié au pouvoir, que la mode elle-même va être liée au pouvoir, et c’est difficile à dater. Pour beaucoup d’historiens, la mode est née au XIVe siècle mais c’est parce qu’en fait on a plus de textes, plus de sources qui datent du XIVe siècle. Trouver des sources qui évoquent les pratiques vestimentaires avant le XIVe, c’est assez compliqué.

Fanny : Pour finir, est-ce que tu pourrais nous dire des conseils que tu voudrais donner à quelqu’un qui voudrait étudier l’histoire médiévale, et aussi l’histoire de l’art un petit peu ?

Gabrielle : Comme l’a dit Ombeline dans l’épisode sur les dragons, épisode 2, déjà il faut être passionné je pense, parce que c’est une période un peu complexe. Mais c’est aussi une période qu’il faut prendre dans sa globalité, dans la mesure où il faut prendre en compte l’aspect religieux qui est très très imprégné dans la société médiévale, l’aspect économique qui peut être déterminant dans des recherches. Je m’attendais pas en travaillant en histoire de la mode à m’intéresser vraiment à la perception des mœurs de l’époque et aussi à l’économie des pays. Et ces conseils s’appliquent de manière générale à toutes les périodes d’histoire de l’art : il faut être passionné et les prendre dans leur globalité. Et surtout en fait, en histoire de la mode, c’est une discipline assez récente, et c’est une discipline qui se calque sur d’autres matières.

[Extrait]

  • Bohort : Père, n’est-ce pas traditionnellement le fils aîné qui doit…
  • Bohort l’Ancien : Oui bien sûr que c’est le fils aîné ! M’enfin vous me prenez pour une bleusaille ?!
  • Bohort : Non mais alors pourquoi…
  • Bohort l’Ancien : Parce que j’exècre le nouveau genre de votre frère. Ses habits grotesques, cette coupe de cheveux de vendeuse de brochettes…
  • Lionel : C’est la mode.
  • Bohort l’Ancien : Mode de tarés.

Fanny : Donc désormais chers auditeurs, vous en savez un peu plus sur comment parler de mode au Moyen Âge et quand est apparue la mode au Moyen Âge. Merci beaucoup Gabrielle Charaudeau d’être venue nous en parler.

Gabrielle : Merci à toi.

Fanny : Si le sujet du jour vous a intéressé, n’hésitez pas à regarder dans la description de l’épisode : nous vous mettons des informations et des titres pour aller plus loin. Vous pouvez retrouver tous les autres épisodes de Passion Médiévistes sur Soundcloud, iTunes, Podcloud ou encore d’autres applications comme Podcast Addict. N’hésitez pas à nous dire ce que vous avez pensé de l’épisode ou du podcast en général. Le prochain épisode sera consacré aux États latins d’Orient. Salut !

Merci beaucoup à Bobu et So pour la retranscription !