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Épisode 64 – Fanny et les livres de recettes au Moyen Âge

A quoi pouvait ressembler un livre de recettes allemand au Moyen Âge ?

Une illustration de la plus belle manicule de tout le manuscrit, vu qu’une fois encore, j’en avais parlé au cours de l’interview : Hausbuch des Michael de Leone, Munich, Universitätsbibliothek, 2° cod., ms. 731, cim. 4, fol. 98v.
La plus belle manicule de tout le manuscrit : Hausbuch des Michael de Leone, Munich, Universitätsbibliothek, 2° cod., ms. 731, cim. 4, fol. 98v.

Dans cet épisode de Passion Médiévistes, Fanny Le Goff présente « Le Buoch von guoter spise de Wurtzbourg en 1347 : Culture manuscrite et culture culinaire à la fin du Moyen Âge », son mémoire de Master 2 composé sous la direction de Joseph Morsel à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne. Elle y traite d’un manuscrit particulier, l’un des premiers livres de cuisine connus d’Europe ! Entre recettes somptueuses, petits plats réconfortants et inventions étranges, plongez dans la chair de cet ouvrage !

La recette d’un bon manuscrit

Hausbuch des Michael de Leone, Munich, Universitätsbibliothek, 2° cod., ms. 731, cim. 4, fol. 140v.
Hausbuch des Michael de Leone, Munich, Universitätsbibliothek, 2° cod., ms. 731, cim. 4, fol. 140v. (quelques indications traduites du moyen haut allemand : on peut y lire le paradis et Jérusalem au centre, entouré de l’Europe et de l’Afrique. Aux extrémités, ce seraient des territoires où « rien n’est construit ». Tout autour, l’océan irrigue toute la terre.)

Le Buoch von guoter spise apparait à une période de transition dans la culture de l’écrit, au début du XIIIème siècle. Cette époque est marquée par l’apparition de techniques nouvelles dans le cadre d’un écrit de plus en plus destiné à des lecteurs non-ecclésiastiques. En réalité, le livre de recettes en lui-même ne compose qu’une part infime de l’entièreté du manuscrit. En effet, le Buoch von guoter spise dans son ensemble est un mélange disparate de poèmes, histoires, et même une carte du monde.

Ce n’est pas foncièrement inhabituel au Moyen Âge, mais à la fin de la période, des outils se mettent en place afin de faciliter la lecture de cette forme d’écrit. Les recettes sont parfois marquées par des manicules, de petites mains dessinées dans la marge pour marquer le début de la recette suivante. Les folios sont numérotées ainsi que les recettes. On trouve même un sommaire qui rassemble l’ensemble des chapitres de l’ouvrage et qui permet de retrouver plus rapidement la partie dédiée aux recettes.

Un manuscrit dans une période de mijotage d’une culture bourgeoise

Histoire d’Olivier de Castille et d’Artus d’Algarbe, Paris, Bnf, Département des manuscrits, Français, 12574 fol. 181v. En ligne : http://expositions.bnf.fr/gastro/gros_plan/icono/banquet.jpg
Histoire d’Olivier de Castille et d’Artus d’Algarbe, Paris, Bnf, Département des manuscrits, Français, 12574 fol. 181v.

Le XIIIème siècle correspond aussi à l’essor d’une culture nouvelle qui entre dans la scripturalité : la bourgeoisie. Les habitants riches des villes apprennent à écrire et à lire pour d’autres usages que purement professionnels, les amenant à introduire des valeurs et problématiques nouvelles à l’écrit. Typiquement, ce livre présente des recettes adaptées à cette nouvelle culture. Entre des recettes de plats complexes et ostentatoires se trouvent des plats plus simples, bien qu’enrichis. Ainsi, cela semble montrer une culture située entre le paysan et le seigneur, une personne riche pouvant faire des repas somptueux, mais dont la vie ne saurait être une succession de banquets.

Les recettes qui y sont présentées sont loin des clichés d’un Moyen Âge fait de viandes et de graisses. En réalité, beaucoup de recettes sont végétariennes, afin de correspondre aux jeûnes réguliers imposés par l’Église. Des poissons, volailles, viandes, fruits et légumes divers se côtoient dans des recettes finalement relativement communes à tout l’Occident médiéval, bien que Fanny explique que les régions ont des particularités locales.

Une tranche d’instruction, une louche d’inspiration et une pincée d’humour

Alors à quoi sert d’avoir un livre de recettes au Moyen Âge ? Tout d’abord à fixer des traditions orales, mais aussi à permettre de donner des instructions pour des repas somptueux permettant donc de s’assimiler à la noblesse, de rendre des honneurs à des notables de rangs supérieurs. La possession de ces recettes donne de l’inspiration à cette bourgeoisie fortunée, que ce soit au quotidien ou pour de grandes occasions.

Daz buoch von guoter spise, Hausbuch des Michael de Leone, Munich, Universitätsbibliothek, 2° cod., ms. 731, cim. 4, fol. 156r. et 156v.
Daz buoch von guoter spise, Hausbuch des Michael de Leone, Munich, Universitätsbibliothek, 2° cod., ms. 731, cim. 4, fol. 156r. et 156v.

Mais le livre de recettes a quelques surprises, notamment deux recettes pour le moins originales. Ces recettes absurdes sont volontairement drôles, afin de proposer au cours de la lecture un moment de respiration, de divertissement. Les genres littéraires médiévaux sont plus fluides, les règles plus flexibles. Nous vous déconseillons néanmoins d’essayer la recette de la transpiration à la graisse de cailloux…

Pour en savoir plus sur le sujet de l’épisode, on vous conseille de lire :

Sur l’histoire du Saint-Empire romain germanique :

  • Parisse, Michel, Allemagne et Empire au Moyen Âge, Hachette Supérieur, Paris, 2008.
  • Rapp, Francis, Le Saint Empire romain germanique : D’Otton le Grand à Charles Quint, Points, Paris, 2003.
  • Robin, Thérèse, L’Allemagne médiévale : Histoire, culture et société, Armand Colin, Paris, 1998.

Sur l’histoire culinaire au Moyen Âge :

  • Birlouez, Éric, À la table des seigneurs, des moines et des paysans du Moyen Âge, Éditions Ouest-France, Rennes, 2009.
  • Flandrin, Jean-Louis et Laurioux, Bruno, L’âge d’or de la cuisine épicée : XIVe-XVIIe siècles, Paris, 1987.
  • Flandrin, Jean-Louis et Montanari, Massimo, Histoire de l’alimentation, Fayard, Paris, 1996.
  • Banquet des vœux du paon, Le Livre des conquêtes et faits d’Alexandre, Paris, Musée du Petit-Palais, fol. 86r.
    Banquet des vœux du paon, Le Livre des conquêtes et faits d’Alexandre, Paris, Musée du Petit-Palais, fol. 86r.

    Gautier, Alban, Alimentations médiévales : Ve-XVIe siècle, Ellipses, Paris, 2009.

  • Horard, Marie-Pierre et Laurioux, Bruno (dir.), Pour une histoire de la viande : Fabrique et représentations de l’Antiquité à nos jours, Presses universitaires de Rennes, Rennes, 2017.
  • Laurioux, Bruno, Manger au Moyen Âge : Pratiques et discours alimentaires en Europe aux XIVe et XVe siècles, Pluriel, Paris, 2013.
  • —, Écrits et images de la gastronomie médiévale, coll. Léopold Delisle, Bibliothèque nationale de France, Paris, 2011.
  • Montanari, Massimo, A cultural history of food, tome II : In the medieval age, Berg, Londres, 2012.
  • Weiss Adamson, Melitta, Regional cuisines of medieval Europe : A book of essays, Routledge, Londres et New York, 2002.

Sur les livres de cuisine médiévaux :

  • Lambert, Carole (dir.), Du manuscrit à la table : Essais sur la cuisine au Moyen Âge et répertoire des manuscrits médiévaux contenant des recettes culinaires, Champion, Paris, 1992.
  • Laurioux, Bruno, Le règne de Taillevent : Livres et pratiques culinaires à la fin du Moyen Âge, Publications de la Sorbonne, Paris, 1997.
  • Les livres de cuisine médiévaux, n°77, coll. Typologie des sources du Moyen Âge occidental, Brepols, Turnhout, 1997.
Illustration de l'épisode 64 par Din
Illustration de l’épisode 64 par l’artiste Din

Sur le Buoch von guoter spise en particulier :

  • Hajek, Hans, Daz buoch von guoter spise, n°8, coll. Texte des späten Mittelalters, Erich Schmidt (éd.), Berlin, 1958.
  • Weiss Adamson, Melitta, Daz buoch von guoter spise (The book of good food) : A study, edition, and english translation of the oldest german cookbook, vol. IX, coll. Medium Aevum Quotidianum, Krems, 2000.
  • Hajek, Hans, Daz buoch von guoter spise, n°8, coll. Texte des späten Mittelalters, Erich Schmidt (éd.), Berlin, 1958.
  • Weiss Adamson, Melitta, Daz buoch von guoter spise (The book of good food) : A study, edition, and english translation of the oldest german cookbook, vol. IX, coll. Medium Aevum Quotidianum, Krems, 2000.

Dans cet épisode vous avez pu entendre les extraits des œuvres suivantes :

Si cet épisode vous a intéressé vous pouvez aussi écouter :

Merci à Clément Nouguier qui a réalisé le magnifique générique du podcast et à Ilan Soulima pour l’article !