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Épisode 63 – Florentin et l’amour dans le Libro de Apolonio

Apprenez-en plus sur la représentation de l’amour dans cet ouvrage majeur de la littérature amoureuse espagnole médiévale.

Dans cet épisode de Passion Médiévistes, Florentin Machut explique les conceptions de l’amour au Moyen Âge que l’on retrouve dans un roman majeur de la littérature hispanique. Il a soutenu son mémoire de Master 2 « L’amour dans le Libro de Apolonio, lieu de la morale et du politique » à l’Université de Lille sous la direction de Pénélope Cartelet.

Écrire un roman amoureux dans la péninsule hispanique médiévale

Le Libro de Apollonio est sans doute composé durant le règne du roi de Castille Alphonse X le Sage, soit au tout début (1252-1284) soit alors qu’il est infant. C’est une période d’apaisement pour la Castille qui, après de longues guerres de conquête de la péninsule ibérique, voit monter sur le trône un roi moins conquérant. La période est ainsi plutôt orientée vers la culture, la promotion des arts et la construction d’un état fort et stabilisé.

images de Troubadours dans une miniature d'une oeuvre alphonsine (Alphonse X)
Troubadours dans une miniature d’une oeuvre alphonsine (Alphonse X)

Ce livre est le fruit de multiples influences. L’histoire est d’inspiration antique, notamment chez Ovide, mais adapté aux mœurs de l’époque médiévale. Le Libro de Apolonio se veut être un livre à la fois divertissant, traitant d’amour, mais aussi éducatif, moral et politique. C’est donc un ouvrage qui répond parfaitement aux attentes d’Alphonse X le Sage, et qui est sans doute à la destination des cours seigneuriales.

Le libro de Apolonio, un roman amoureux à la mode médiévale

Ces multiples enjeux sont renforcés par le développement de plusieurs véritables métiers de l’écriture au cours du XIIIème siècle. Le métier de clergi, mester de cleresia, ou clerc, désigne un lettré. Ce n’est pas forcément un religieux, mais sa spécificité est une fine connaissance de la culture antique et médiévale, aussi bien occidentale qu’orientale. La charge de clerc se développe en parallèle du mester de jonglaria, métier de jonglerie, qui correspond plutôt aux chansons de gestes. Ceux-ci ont des objectifs plus divertissants et moins savants. Les règles entre ces deux offices de rédaction sont strictes et bien différentes. Le clerc est plus éduqué et utilise l’alexandrin espagnol, de quatorze syllabes et non douze.

C’est à travers ces ouvrages que l’on rencontre les premiers noms d’auteurs espagnols médiévaux. Florentin parle dans cet épisode surtout des romans d’antiquité, qui se fondent sur des traditions extérieures à la tradition espagnole : arabes et gréco-romaines. Les auteurs sont, comme le dit le philosophe du XIIème siècle Bernard de Chartres, « des nains juchés sur les épaules des géants« . Ils revendiquent à la fois leur érudition et un héritage multiple permettant de produire le meilleur roman d’amour.

Amour, sexualité et interdits

gravures de l'incunable, issu de la traduction de l'Historia latine, au XVe siècle
L’amour entre Luciana et Apollonius, gravures de l’incunable, issu de la traduction de l’Historia latine, au XVe siècle.

Le Libro de Apolonio raconte l’histoire mythique d’Apollonius de Tyr. Ce prince antique part à Antioche pour épouser la fille du roi Antiochus. Celui-ci pose à chaque prétendant une énigme à chaque prétendant : deviner sa relation incestueuse avec sa fille. Si le prétendant échoue, il est décapité et sa tête est exposée. Cette prémisse difficile et terrifiante est en réalité l’occasion d’une leçon de morale et d’un roman sur la nature même de l’amour en tant que valeur morale. Florentin décrit dans cet épisode comment cette aventure sert à décrire l’amour comme un objectif, un ensemble de valeurs, mais aussi un possible danger si l’on n’y prend pas garde.

La notion d’amour est certes une expression de l’amour sentimental, amoureux, mais pas seulement. Dès le Moyen Âge, cette notion détient différentes acceptions. Elle recouvre aussi l’amour familial, politique, morale et religieuse. Florentin décrypte ces différentes formes tout au long de l’épisode. En effet, ce genre littéraire porte un certain nombre de valeurs. Valeur morale, chrétienne d’abord, mais aussi d’influence antique, christianisée. Ces valeurs se retrouvent sous les formes de la fin’amor d’abord, puis de l’amour courtois. Longtemps vu comme le paroxysme de l’écriture amoureuse médiévale, cette position est aujourd’hui discutée, au regard notamment des écrits de Christine de Pizan, car les femmes y sont représentées avant tout comme objet et non actrices.

Pour en savoir plus sur le sujet de l’épisode, on vous conseille de lire :

Sources primaires :

  • Libro de Apolonio, Carmen MONEDERO (ed.), Madrid, Cátedra, 20187.
  • Libro de Apolonio (3 tomes), Manuel ALVAR (éd.), Madrid, Castalia, Fundación Juan March, 19772.
  • Cancionero de Baena, Brian DUTTON y Joaquín GONZÁLEZ CUENCA (éd.), Madrid, Visor Libros, 1993.
Illustration de l'épisode 63
Illustration de l’épisode 63 par Christelle Diale

Sources secondaires :

  • BIAGGINI, Olivier, « La translatio dans le mester de clerecía : quelques aspects », Cahier d’études hispaniques médiévales, 28, 2005, p. 69-92.
  • ESCURIGNAN, Souazic, « L’amour comme lien politique dans la Estoria de España d’Alphonse X le Sage », e-Spania [En ligne], 27, juin 2017, consulté le 05 octobre 2020.
  • HEUSCH, Carlos, « Polysémie de l’amour dans le Moyen Âge ibérique », Cahiers d’études médiévales, 38, 2015, p. 11-27.
  • LACARRA LANZ, Eukene, « El ‘amor que dicen hereos’ o aegritudo amoris », Cahiers d’études hispaniques médiévales, 38, 2015, p. 29-44.
  • LACHET, Claude, L’Amour courtois : une anthologie, Paris, Flammarion, 2017.
  • MARTIN, Georges, « Amour (une notion politique) », Annexes des Cahiers de linguistique hispanique médiévale, 11, 1997, p. 196-206.
  • RUCQUOI, Adeline, Aimer dans l’Espagne médiévale, Paris, Les Belles Lettres, 2008
  • ZINK, Michel, « Un nouvel art d’aimer », L’Art d’aimer au Moyen Âge, Paris, Éditions du Félin, 1997, p. 7-70.

Dans cet épisode vous avez pu entendre les extraits des œuvres suivantes :

Si cet épisode vous a intéressé vous pouvez aussi écouter :

Merci à Clément Nouguier qui a réalisé le magnifique générique du podcast et à Ilan Soulima pour l’article !