Passion Antiquités

Épisode 8 – Noémie et la res publica à Rome (Passion Antiquités)

Pourquoi le concept de res publica est important pour comprendre la République puis l’Empire romain ?

Dans cet épisode de Passion Antiquités, Noémie Lemennais, doctorante à l’université de Lille, présente sa thèse sur le sujet Recherches sur la censure et pouvoirs censoriaux (Ie siècle av. J.-C. – IVe siècle ap. J.-C.) sous la direction de Stéphane Benoist. Elle travaille particulièrement sur le concept de res publica et la magistrature du censeur, un rôle important dans la structuration de la société romaine, en partant de la fin de la période dite républicaine jusqu’à la christianisation de l’Empire.

Une étude de la censure sur le temps long

La thèse de Noémie s’inscrit sur une perspective de temps long pour la magistrature de la censure, en raison des nombreuses mutations de la société romaine à cette période.

Au IIème siècle avant notre ère, Rome est dans un régime que l’historiographie qualifie de « républicain« . Les magistratures sont distribuées entre les citoyens sur des critères de richesse et de morale. Ces critères sont jugés par les censeurs, qui procèdent au recensement de tous les citoyens tous les cinq ans. Les magistrats sont alors en charge de la chose publique, la res publica, avec des attributions précises pour chaque magistrature.

Mais au cours de ce siècle, la République connait de nombreux bouleversements, dus notamment aux guerres civiles. De ces bouleversements naît au tout début du Ier siècle le régime dit du principat, qui élève Octavien-Auguste à la tête de Rome. Il faut bien comprendre que dans la mesure du possible, les institutions républicaines sont conservées, c’est d’ailleurs un élément de légitimité pour les empereurs. Mais au fur et à mesure que le principat se développe en empire, l’empereur s’accapare un grand nombre de fonctions républicaines.

Ainsi, à la fin de la période, encore marquée par de profonds bouleversement dans et hors des frontières de l’Empire telle que l’avènement de la chrétienté, la plupart des pouvoirs des magistratures sont détenues par l’Empereur. Pourtant, les magistrats existent encore.

Le rôle central de la censure dans la société romaine

Inscription épigraphique d’un discours de l’empereur Claude en 48 de notre ère, lorsqu’il était censeur et qui évoque l’octroi de la citoyenneté complète à certains Gaulois.
Inscription épigraphique d’un discours de l’empereur Claude en 48 de notre ère, lorsqu’il était censeur et qui évoque l’octroi de la citoyenneté complète à certains Gaulois.

La censure est une des magistratures les plus importantes à Rome. Théoriquement créée en 443 avant notre ère, cette magistrature est théoriquement supérieure aux consuls. Son rôle est central : le censeur est élu tous les 5 ans pour 18 mois. Il a pour mission de recenser la population romaine, c’est à dire inscrire ou désinscrire les citoyens dans les différents rangs en

fonction de leur richesse. Ces inscriptions donnent à la fois des droits, ouvrent à des positions de pouvoir, mais donnent aussi des obligations, morales et militaires.

Le censeur tient aussi la lectio senatus, le livre où sont inscrits les sénateurs. Les censeurs ont aussi un rôle dans l’urbanisme de Rome et dans la gestion des impôts, puisque ceux-ci sont calculés en fonction du rang de chaque citoyen. À la fin du census, une fête est même tenue pour célébrer la continuité de l’ordre social, renouvelé grâce à cette vérification.

Le mot « censeur » a aujourd’hui une autre définition, celle du contrôleur des discours. Le censeur romain n’a pas explicitement cette fonction, mais il doit assurer le regimen morum, la surveillance des mœurs. Dans ce cadre, il peut donc bien contrôler les faits et gestes des citoyens pour s’assurer qu’ils remplissent les conditions de leur citoyenneté.

Ce rôle central est donc le rôle de toutes les convoitises, tant le pouvoir qu’il donne est immense. C’est donc en toute logique un des rôles qui est très vite accaparé par le pouvoir impérial. La plupart des empereurs détiennent seulement la censoria potestas, la puissance du censeur mais pas son rôle. Seuls quelques empereurs sont devenus censeurs effectifs. S’ils cherchent tant à détenir ce pouvoir, c’est parce qu’il participe à la définition même de la res publica romaine.

Ce que le censeur dit de la res publica

Relief de Domitius Ahenobarbus : premier relief représentant une scène de recensement à Rome
Relief de Domitius Ahenobarbus : premier relief représentant une scène de recensement à Rome

Le concept de res publica est extrêmement important pour les romains. Cette « chose publique » est l’élément structurant de la vie romaine, autour de plusieurs concepts tels que le mos maiorum, façon de faire commune, le rejet des res novae, nouveautés contredisant le mos maiorum mais aussi la potestas, cette force qui est donnée à des magistrats.

Le censeur est donc un personnage central de cette res publica, puisqu’il dicte qui en fait partie et qui en est exclu. Il rend des comptes, son action est scrutée mais aussi revêt un aspect sacré. La volonté de conserver cette magistrature montre à quel point le censeur semble indissociable de la res publica.

Pour en savoir plus sur le sujet de l’épisode, on vous conseille de lire :

Sur l’histoire républicaine et impériale :

  • Benoist S., Le pouvoir à Rome : espace, temps, figures (Ier s. av. – IVe s. de n. è.) Douze variations (scripta varia), Paris, 2020 .
  • Deniaux E., De la cité à l’empire, Paris, Paris, 2001.
  • HINARD F. (dir.), Histoire romaine. 1, Des Origines à Auguste, Paris, 2000.
  • Humm M., La République romaine et son empire de 509 av. à 31 av. J.-C., Paris, 2018.
  • Hurlet F. et Mineo B. (dir.), Le Principat d’Auguste. Réalités et représentations du pouvoir autour de la Res Publica Restituta, Rennes, 2009.
  • Hurlet F., « Démocratie à Rome ? Quelle démocratie ? En relisant Millar (et Hölkeskamp) », in Benoist S. (éd.), Rome, a City and Its Empire in Perspective. The Impact of the Roman World through Fergus Millar’s Research, Leiden, 2012, p. 19-43.
  • Moatti Cl., Res Publica. Histoire romaine de la chose publique, Fayard, Paris, 2018.
  • Mommsen Th., Le droit public romain, Paris, 1984 (trad. Franc., Paris, 1887-91 : originale Römisches Staatsrecht I-III, Leipzig, 1887-1888).
  • Nicolet Cl. (éd.), Rome et la conquête du monde méditerranéen, I & II, Paris, 2001.

Sur la censure :

  • Astin A. E., « The censorship of the Roman Republic : Frequency and Regularity », Historia, 31.2, 1982, p. 147-187.
  • Astin A. E., « Censorships in the Late Republic », Historia, 34, 2, 1985, p. 175-190.
  • Astin A. E., « Cicero and the censorship », Classical Philology, 80, 1985, p. 233-239.
  • Demougin S., L’ordre équestre sous les Julio-Claudiens, Paris, 1988.
  • Humm M., « L’image de la censure chez Valère Maxime : formation et évolution d’un paradigme », in J.-M. David (éd.), Valeurs et Mémoire à Rome. Valère Maxime ou la vertu recomposée,, De Boccard, Paris, 1998, p. 73-93.
  • Humm M., Appius Claudius Caecus. La République accomplie, Rome, 2005.
  • Moatti Cl., Res Publica. Histoire romaine de la chose publique, Fayard, Paris, 2018.
  • Nicolet Cl., Le métier de citoyen dans la Rome républicaine, Gallimard, Paris, 2018 [1er ed. 1976]
  • Suolahti J., The Roman Censors. A Study on Social Structure, Helsinki, 1963

Dans cet épisode vous avez pu entendre les extraits des œuvres suivantes :

  • Rome (série télévisée, 2005)
  • Astérix et Obélix contre César (1999)

Si cet épisode vous a intéressé vous pouvez aussi écouter :

Merci à Clément Nouguier qui a réalisé le magnifique générique du podcast, à Alice Krief pour le montage et à Ilan Soulima pour l’article !

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