Passion Antiquités

Épisode 16 – Cécile et Cicéron (Passion Antiquités)

Quelle fut la place de Cicéron et de ses écrits dans la vie politique et littéraire romaine du premier siècle avant notre ère ?


Portrait de l'homme d'État romain Cicéron (sculpture en marbre, vers 50 av. J.-C.) · Roman Musei Capitolini, Rome, Italy
Portrait de l’homme d’État romain Cicéron (sculpture en marbre, vers 50 av. J.-C.) · Roman Musei Capitolini, Rome, Italy

Dans cet épisode de Passion Antiquités, Cécile Jullion, doctorante à l’Université Grenoble Alpes, nous présente sa thèse intitulée « Les séquences grecques dans la Correspondance de Cicéron », qu’elle rédige depuis 2021 sous la direction de Isabelle Cogitore et de Julie Sorba. Parmi les nombreuses lettres écrites en latin par Cicéron, elle s’intéresse précisément aux rôles des mots et des passages rédigés en langue grecque.

L’époque de Cicéron 

En ce premier siècle avant notre ère, la République romaine est sur le déclin. S’y déroule de nombreux événements marquants dont Cicéron est le témoin. Tout d’abord, en 63, échoue la conjuration de Catillina. Il s’agit d’un complot ourdi par le sénateur Catillina et ses partisans pour accéder au pouvoir. Trois ans après cette tentative déjouée est crée le premier Triumvirat. Cette triple alliance entre César, Pompée, et Crassus, tous trois généraux et hommes d’État romains, voit l’élection de César comme consul, en 59.

Cicéron est également contemporain à la Guerre des Gaules et la défaite de Vercingétorix à Alésia, en 52. Puis, entre 49 et 45, le monde romain est déchiré par la guerre civile. Ce conflit politique et militaire oppose Jules César à Pompée, deux anciens alliés devenus rivaux et, par ailleurs, tous deux amis de Cicéron. César est assassiné en 44 et un second triumvirat est mis en place, cette fois entre Marc-Antoine, Lépide et Octave – le futur Auguste et premier empereur romain.

La vie de Cicéron 

‘Cicero’ signifie ‘pois chiches’. Selon l’une ou l’autre version de la légende, l’un de ses ancêtres avait un nez en forme de pois chiche ou vendait des pois chiches. — Cécile Jullion.

Carte indiquant la situation des villas de cicéron.
Carte indiquant la situation des villas de Cicéron.

Cicéron, ou plutôt Marcus Tullius Cicero, est une personnalité politique et littéraire de l’Antiquité, déjà célèbre et respectée en son temps. Il est né à cent kilomètres au sud est de Rome, dans la ville d’Arpinum, en 106 avant notre ère, très précisément le 3 janvier. Il est mort en 43 avant notre ère assassiné à Formies, à sept kilomètres au nord de la ville de Gaète.

Nommé pater patriae, le père de la patrie, et Imperator, Cicéron embrasse une carrière politique. Il suit le cursus honorum traditionnel en ce sens où il gravit progressivement les échelons de la vie politique romaine. C’est un personnage important, une figure dans son domaine et un orateur hors pair. Par ailleurs, il est considéré comme un homo novus, « un homme nouveau », autrement dit celui qui s’est fait tout seul. Né au sein d’une famille traditionnelle romaine, c’est-à-dire, appartenant à la classe moyenne, il n’est pas issu d’une lignée de sénateurs. Par conséquent, il ne jouit pas des privilèges octroyés à cette catégorie de la population. C’est donc par son esprit et grâce à ses discours qu’il devient l’un des premiers intellectuels en politique.

L’an 57 marque un épisode tragique dans la vie de Cicéron. Il est condamné à l’exil pendant un an pour avoir fait condamner à mort les partisans de Catilina sans procès préalable, à la suite du complot orchestré par ce dernier. Une loi interdit en effet de mettre à mort un citoyen sans l’avoir jugé, De capite ciuium (« Sur la tête des citoyens »). Cicéron se voit ainsi puni pour avoir bafoué le droit. Autre évènement douloureux de sa vie dont il aura du mal à se remettre, la mort de sa fille, en 46, probablement des suites d’un accouchement difficile. Cicéron, quant à lui, meurt assassiné trois ans plus tard, en 43.

Les écrits de Cicéron

En lisant la correspondance de Cicéron, on oublie l’érudit, l’homme de lettres, l’orateur, l’avocat qu’il était, et c’est l’homme qui transparaît.” — Cécile Jullion

Homme politique de son temps, Cicéron est cité en exemple dans le domaine du droit pour ses nombreux plaidoyers et ses réquisitoires. Orateur reconnu, il s’illustre également par ses nombreux écrits. Il rédige en effet de multiples traités théoriques de philosophie et de rhétorique, sous la forme de dialogues. Cécile Jullion révèle que Cicéron est aussi l’auteur de poèmes, probablement dans ses jeunes années, et de réflexions terminologiques sur la meilleure façon de traduire la philosophie grecque en latin. Il souhaite ainsi rendre les concepts philosophiques accessibles aux romains qui sont alors plutôt réfractaires à la discipline.

Il s’agit de véritables lettres, rédigées par des personnes qui ont vraiment existé.” — Cécile Jullion

Mais Cicéron a également entretenu une importante correspondance. On compte quelque 800 lettres à son nom et pas moins d’une centaine de réponses. En ce sens, La Correspondance, soit l’ensemble des lettres de Cicéron étudié par Cécile Jullion, est un document très important, aussi rare qu’il est unique. Dans ses lettres, toutes rédigées entre 68 et jusqu’à sa mort en 43, Cicéron parle autant de ses travaux que de sa vie quotidienne. C’est un témoignage authentique, un support pour parler de lui-même, une thérapie, une conversation entre des amis absents (conloquia absentium amicorum, Cicéron, Philippiques, 2.4.7.)

J’éprouve un soulagement quand je te parle dans l’absence.” — extrait d’une lettre de Cicéron, Ad Atticum, 12.39.2.

Enfin, si Cicéron rédige sa correspondance en latin, il emploie parfois des mots grecs ou rédige des passages entiers dans cette langue. D’après les recherches de Cécile Jullion, il faut voir plusieurs significations dans cette façon dont Cicéron jongle entre ces deux langues. Un sens littéraire et philosophique d’abord. Le grec est utilisé pour combler une lacune de la langue latine, reconnue pour sa pauvreté ; ou encore pour exprimer le mot juste lorsqu’il est impossible de traduire une idée exprimée à l’origine en grec. C’est également le signe d’une appartenance à un cercle d’érudits dans les domaines philosophique, littéraire ou encore rhétorique. En outre, il peut s’agir d’une façon de crypter des messages. Ou encore d’un clin d’œil à un ami, parfois.

Arbre généalogique de la gens des Tullii
Arbre généalogique de la gens des Tullii

Pour en savoir plus, quelques références citées dans l’épisode :

Plaidoyers et réquisitoires*

* Pro + nom = plaidoyer VS In + nom = réquisitoire

  • Pro Roscio Amerino = (en 80) première plaidoirie, premier succès
  • Contre Verrés (en 70)
  • Post Reditum in Quirites (en 57) = discours aux citoyens pour les remercier
  • Les Phillipiques = série de 14 discours prononcés par Cicéron, majoritairement contre Marc-Antoine.

Théories sur la rhétorique par Cicéron :

  • De Oratore (« De l’Orateur »), sur l’art oratoire
  • De Optimo Genere Oratorum (« Sur le Meilleur Genre d’Orateur »), définition d’un orateur et comment y parvenir (techniques et astuces)
  • L’Orator (« Sur l’Orateur »), qui complète le De Oratore

Oeuvres philosophiques

  • De Republica (« De La République »)
  • De Legibus (« Des Lois »)
  • Consolacio, rédigé à la mort de sa fille probablement à la suite d’un accouchement, vertus thérapeutiques pour soulager son chagrin
  • Academica (« Les Académiques »)
  • Tusculanae Disputationes (« Les Tusculanes »)
  • De Divinatione (« De La Divination »)
  • De Officiis (« Des Devoirs »)
  • La Correspondance
MSS (= manuscrit  f. 62-63 du manuscrit) Source : https://digi.vatlib.it/view/MSS_Urb.lat.322
MSS  f. 62-63  (source)

Pour en savoir plus sur le sujet de l’épisode, on vous conseille de lire :

Contexte historique :

  • DUPONT F. & VALETTE-CAGNAC É. (2005), Façons de parler grec à Rome, Paris, Belin
  • DUPONT F. (2022), Histoire littéraire de Rome. De Romulus à Ovide, une culture de la traduction, Paris, Armand Colin
  • KAIMIO J. (1979), The Romans and the Greek language, Helsinki, Societas Scientiarum Fennica
  • MARROU H.-I. (1965 [1948), Histoire de l’éducation dans l’Antiquité, Paris, Seuil
  • MORELLO R. et MORRISON A.D. (2007), Ancient letters : classical and late antique epistolography, Oxford-New York, Oxford University Press

Articles :

Études sur Cicéron :

  • CARCOPINO J. (1947), Les secrets de la Correspondance de Cicéron, 2 vol., Paris, Les Belles Lettres
  • DUPONT C. (2013), La véritable histoire de Cicéron, Paris, Les Belles Lettres
  • GUÉRIN C. (2023), Cicéron : un philosophe en politique, Paris, Calype
  • LÉVY C. (1992), Cicero Academicus. Recherches sur les Académiques et sur la philosophie cicéronienne, Rome, Collection de l’École Française de Rome
  • ZWEIG S. (2020 [1938), Cicéron, Paris, Rivages

Volume de référence utilisé pour l’étude de la Correspondance :

  • Cicéron, Correspondance, introduction de J.-N. Robert, commentaire de J.-N. Robert, traduction de L.-A. Constans, J. Bayet et J. Beaujeu, Paris, Les Belles Lettres, 2021

Études sur la correspondance :

Publications de l’invitée, Cécile Jullion :

  • JULLION C. (2020), « Étude du bilinguisme gréco-latin dans le corpus épistolaire de Cicéron », Mémoire de master 1 mention Arts, Lettres et Civilisation, Université Grenoble Alpes
  • JULLION C. (2021), « Caractérisation de l’ethos épistolaire de Cicéron à partir de l’étude des citations grecques versifiées de la Correspondance », Mémoire de master 2 mention Arts, Lettres et Civilisation, Université Grenoble Alpes

Dans cet épisode vous avez pu entendre les extraits des œuvres suivantes :

  • Lecture par Phil Goud d’un extrait d’une Lettre de Cicéron à Curion, écrit en l’année 53 avant notre ère
  • Lecture par Winston (Baptiste Mossière) d’un texte de l’auteur Quintilien, Institution oratoire, écrit en 92 de notre ère
  • Rome season 1 (HBO) soundtrack

Si cet épisode vous a intéressé vous pouvez aussi écouter :

Merci à Clément Nouguier qui a réalisé le magnifique générique du podcast et Alizée Rodriguez pour la rédaction de l’article !