Passion Antiquités

Épisode 15 – David et les empereurs soldats (Passion Antiquités)

Qui étaient les empereurs soldats au IIIème siècle ?


Passion Antiquités

 

David Cornillon
David Cornillon

Dans cet épisode de Passion Antiquités, David Cornillon (à retrouver sur Instagram), doctorant en histoire de l’art et archéologie à l’Université Sorbonne Université, présente sa thèse sur le sujet Le portrait impérial à l’époque des « empereurs-soldats » (235-285 ap.J.-C.) : approches iconographique, épigraphique et archéologique, sous la direction de Caroline Michel d’Annoville et Emmanuelle Rosso. S’étendant sur 50 ans d’histoire de l’Empire romain, c’est donc le tableau d’une époque bien spécifique que nous dressons à travers les portraits de ces empereurs si particuliers.

L’empire romain au IIIème siècle

Entre 235 et 285, soit près de 250 ans après Jules César, l’Empire romain s’étend d’ouest en est, de l’Espagne au Proche-Orient, et du nord au sud, depuis les îles britanniques jusqu’à l’Égypte. Avec Rome pour capitale, ce vaste territoire est divisé en provinces dont l’empereur est le garant de la sécurité face aux menaces extérieures — et elles sont nombreuses. Les incursions barbares à la frontière entre le Rhin et le Danube ébranlent la sécurité au nord et forcent l’Empereur à repousser ces attaques. Sur le front oriental, l’Empire perse des Sassanides fait planer une nouvelle menace sur l’Empire romain. Contrairement aux Barbares, les Sassanides sont regroupés en un empire structuré et organisé qui va donner bien du fil à retordre aux empereurs romains successifs.

Claire Sotinel, Rome, la fin d'un Empire. De Caracalla à Théodoric. 212-fin du Ve siècle, Belin, 2019, p. 6-7
Claire Sotinel, Rome, la fin d’un Empire. De Caracalla à Théodoric. 212-fin du Ve siècle, Belin, 2019, p. 6-7 (cartographie par Aurélie Boissière)

Cette crise militaire et politique, à laquelle s’ajoute un marasme économique et des difficultés démographiques, a des conséquences importantes sur la stabilité du pouvoir. En effet, au cours de cette époque pour le moins troublée se succèdent pas moins de 25 empereurs, soit autant qu’au cours des 250 premières années de l’Empire !

 

Les empereurs soldats, un terme propre à la période

Le terme d’empereur soldat n’est pas un terme antique. Employé par l’historiographie au XIXème siècle, c’est plus précisément en 1830, sous la plume de deux savants allemands, qu’il est apparu pour la première fois. Ce terme d’empereur soldat désigne une catégorie d’empereurs romains issus des rangs de l’armée, des généraux pour la plupart, qui se sont révoltés contre l’empereur alors en place. Soutenus par les militaires, ils ont ainsi accédé au pouvoir des suites d’une bataille rangée contre l’empereur ou après avoir fomenté un complot visant à l’assassiner. Cependant, une fois au pouvoir, les empereurs soldats ont à peine le temps de s’y installer qu’un nouvel usurpateur entre en scène. Dans les faits, outre le cas de l’empereur Gallien et ses 15 ans de règne (entre 253 et 268), un grand nombre de ces empereurs soldats ne conservent que très rarement la tête de l’Empire plus de quelques mois, voire quelques semaines.

Que ces empereurs viennent de l’armée est une nouveauté, d’où le terme d’empereurs soldats spécifiquement employé à leur égard. Jusqu’alors, la majorité des empereurs romains était plutôt issue de la haute aristocratie sénatoriale. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, et même si ce fut le cas pour un certain nombre d’empereurs, tels que Néron ou Commode, tous ne furent pas assassinés. C’est donc réellement au cours de ces 50 ans que ce type de prises de pouvoir militaires se multiplie, conduisant ainsi les historiens à désigner cette période d’instabilité sous le nom d’Anarchie militaire.

Par ailleurs, s’il est effectivement assez rare qu’un fils succède à son père à la tête de l’Empire romain, les notions d’héritage et de famille demeurent néanmoins importantes. Elles sont même étroitement liées au pouvoir puisqu’ avant 235, aux Ier et IIème siècles de l’Empire, le successeur de l’empereur est généralement choisi au sein de sa famille ou dans son entourage proche. Ce n’est pas le cas pendant l’Anarchie militaire où ce sont les soldats qui plébiscitent un empereur avant de finalement l’assassiner et d’en désigner un autre, sans lien avec son prédécesseur.

Les spécificités des portraits des empereurs soldats et le cas particulier de Gordien III

“On a vraiment une ribambelle de portraits, de traits, de physionomies différentes. C’est vraiment des gueules !” — David Cornillon

Buste de Gordien III en cuirasse, provenant de Gabies (Italie), 238-244 après J.-C., marbre, 74 cm, Paris, musée du Louvre (inv. Ma 1063) [source : https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010275254]
Buste de Gordien III en cuirasse, provenant de Gabies (Italie), 238-244 après J.-C., marbre, 74 cm, Paris, musée du Louvre (inv. Ma 1063) [source : https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010275254]
Il n’est pas rare que les portraits retrouvés ne comportent aucune inscription. Mais alors, comment reconnaitre un portrait d’empereur et qui plus est, celui d’un empereur soldat ? Pour tenter de nommer l’empereur représenté, les historiens comparent ses portraits à des statues ou encore à la monnaie qui, en plus d’être frappée à l’effigie d’un ’empereur, y a son nom gravé. Il est cependant difficile d’être précis, d’autant que les notables se faisaient eux-mêmes représenter sous les traits de l’empereur. Quelques indices sont néanmoins liés aux représentations impériales, comme par exemple la couronne radiée (symbole des rayons solaires).

Parmi les portraits des empereurs soldats, David Cornillon étudie tout particulièrement ceux de l’empereur Gordien III, petit-fils de l’empereur Gordien Ier et fils de l’empereur Gordien II. Mais s’il est issu de la même lignée que ses deux prédécesseurs, il ne succède pas directement à son père. D’autres empereurs soldats ont brièvement régné pendant les quelques mois qui séparent son règne de celui de ses aînés.

Différentes sources permettent aujourd’hui de retracer les étapes du règne de Gordien III. Il s’agit pour la plupart de portraits et d’inscriptions, ainsi que de pièces de monnaie frappées à son effigie. Fait très rare, on retrouve même une évocation de Gordien III sur une inscription perse sassanide ! Cette inscription, qui narre les hauts faits du roi Shapur Ier, rapporte qu’il a vaincu l’empereur Gordien III. Ce dernier serait d’ailleurs probablement mort lors de cette campagne en Orient, sur le champs de bataille ou assassiné par ses soldats.

Si des sources matérielles existent, les sources littéraires sont très peu nombreuses. D’après le récit d’Hérodien, auteur contemporain de l’époque des empereurs soldats, Gordien III monte sur le trône en 238 : il a alors 13 ans. Cette année-là, pas moins de six empereurs se succèdent en six mois ! Le règne de Gordien III s’étend de 238 à 244. Encore adolescent, il a probablement exercé son pouvoir sous l’influence de personnalités politiques ou de membres de sa famille. Il épouse d’ailleurs la fille du chef de sa garde rapprochée, en 241. Parti combattre les Sassanides, il meurt à 19 ans, au Proche-Orient (Irak actuelle).

Buste de Tranquillina, épouse de Gordien III, provenant de Chiragan (France), 241-244 après J.-C., marbre, 50 cm, Toulouse, musée Saint-Raymond (inv. Ra 166) [source : https://villachiragan.saintraymond.toulouse.fr/partie-02-galerie-des-portraits/ra-166-tranquillina]
Buste de Tranquillina, épouse de Gordien III, provenant de Chiragan (France), 241-244 après J.-C., marbre, 50 cm, Toulouse, musée Saint-Raymond (inv. Ra 166) [source : https://villachiragan.saintraymond.toulouse.fr/partie-02-galerie-des-portraits/ra-166-tranquillina]
Si son règne n’est pas le plus important politiquement parlant, Gordien III, lui, est l’empereur dont nous sont parvenus le plus grand nombre de portraits : à ce jour, on compte trente portraits et pas moins de quatre-vingts inscriptions. Il en est de même pour son épouse, Tranquillina, dont les dix portraits en font l’impératrice la plus représentée de cette période. Hasard de la conservation ou véritable engouement populaire — en effet, tous les portraits ne sont pas commandités par l’empereur lui-même, mais aussi par des notables —, ces représentations témoignent de la popularité de cette famille.

Pour en savoir plus sur le sujet de l’épisode, on vous conseille de lire :

Ouvrages généraux :

  • Bernard Andreae,  L’art romain : d’Auguste à Constantin, Paris, Picard, 2012
  • Claire Sotinel, Rome, la fin d’un Empire : de Caracalla à Théodoric : 212-fin du Ve siècle, Paris, Belin, 2019

Études :

  • Emmanuelle Rosso, L’image de l’empereur en Gaule romaine : portraits et inscriptions, Paris, Éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques, 2006
  • Susan Wood, Roman portrait sculpture 217-260 A. D. The transformation of an artistic tradition, Leiden, E.J. Brill, 1986

Catalogues d’exposition :

  • Cécile Giroire, Martin Szewczyk (dir.), Rome : la cité et l’empire, catalogue de l’exposition au Louvre-Lens du 6 avril 2022 au 25 juillet 2022, Gand, Lens, Snoeck, Louvre-Lens, 2022
  • Eugenio La Rocca, Claudio Parisi Presicce, Annalisa Lo Monaco, L’età dell’angoscia. Da Commodo a Diocleziano : 180-305 d.C., catalogue de l’exposition des Musées Capitolins à Rome du 28 janvier au 4 octobre 2015, MondoMostre, 2015

Catalogues de portraits :

  • Klaus Fittschen, Paul Zanker, Katalog der römischen Porträts in den Capitolinischen Museen und den anderen kommunalen Sammlungen der Stadt Rom : Kaiser und Prinzenbildnisse, Mainz, Verlag Philipp von Zabern, 1985
  • Max Wegner, Jörgen Bracker, Willi Real, Das römische Herrscherbild, III. 3. Gordianus III bis Carinus, Berlin, Gebr. Mann, 1979
  • https://villachiragan.saintraymond.toulouse.fr/ (pour les sculptures de la villa romaine de Chiragan).

Articles :

  • Jean-Charles Balty, « Ateliers de diffusion du portrait impérial et histoire de l’art romain : à propos du Dèce capitolin », in Bulletin de la classe des Beaux-Arts, Académie royale de Bruxelles, décembre 1995, p. 115-135.
  • Jean-Charles Balty, « L’iconographie romaine du IIIe siècle. À propos de deux ouvrages récents », in L’antiquité classique, volume 49, 1980, p. 269-285

Dans cet épisode vous avez pu entendre les extraits des œuvres suivantes :

Si cet épisode vous a intéressé vous pouvez aussi écouter :

Merci à Clément Nouguier qui a réalisé le magnifique générique du podcast et Alizée Rodriguez pour la rédaction de l’article !