Épisode 45 – Gaëtan et les portes des châteaux forts
Plongez dans la Bourgogne médiévale pour découvrir ses châteaux forts et leurs portes !
Depuis 2019 Gaëtan Koening fait une thèse sur la construction des systèmes d’entrées et leurs fortifications dans les villes, châteaux et maisons-fortes médiévales et modernes en Bourgogne, sous la direction de Hervé Mouillebouche. Auparavant, il avait travaillé au cours de son master sur l’Alsace et sur les fortifications de montagne.
Gaëtan travaille sur l’évolution des systèmes fortifiés durant le Moyen Âge, de l’an mil à 1500, car on ne défend pas de la même façon au Xème qu’au XVème, avec une philosophie de la défense et de la représentation qui change au cours des siècles.
Une brève histoire des châteaux forts
Le château est un type de construction qui apparaît vers l’an mil, mais le terme « château fort » un terme moderne ultérieur pour faire la différence avec les châteaux de la Renaissance. Au Moyen Âge il n’a pas de château qui ne soit pas fortifié, que ce soit avec une tour ou une enceinte. Le château dans sa conception mélange trois éléments : l’ostentatoire, l’habitation et la fortification.
Et l’image du château classique que nous avons aujourd’hui est la représentation du château autour de l’an 1200, mais ces constructions connaissent beaucoup de différences, selon la situation géographique, le milieu naturel, ou les moyens financiers de la personne qui fait construire le château.
Par exemple, à partir du XIème siècle on voit se développer un type de château avec une défense extrêmement passive. Mais avec l’arrivée du conflit anglais entre Philippe Auguste et Richard Coeur de Lion dans les années 1180 à 1200, on va voir apparaître le modèle philippien avec les quatre tours de flanquement, la porte entre deux tours, le donjon circulaire et une uniformisation de la défense. Et plus tard, la Guerre de Cent imposera une nouvelle modification de la façon de penser le système de défense, avec notamment l’arrivée du pont levis à flèches.
Les symboliques de la porte
Pour Gaétan Koening, la porte d’un château cristallise toutes les fonctions du château : elle représente le pouvoir du seigneur, elle défend, et c’est un lieu de passage symbolique et effectif entre un espace protégé et un espace non-protégé. Les portes ont aussi un symbole religieux, en adoptant par exemple le nom d’un saint ou en étant décoré de statues religieuses.
Pour en savoir plus sur les portes des châteaux forts, écoutez l’épisode en entier !
Pour en savoir plus sur le sujet de l’épisode, on vous conseille de lire :
- DEBORD André, Aristocratie et pouvoir. Le rôle du château dans la France médiévale, Paris, Picard, 2000.
- MESQUI Jean, Châteaux forts et fortifications en France, Paris, Flammarion, 1997.
- Actes du 3eme colloque de Flaran: Aux portes du château, Centre culturel de l’abbaye de Flaran, Valencesur-Baisen, 1989
Dans cet épisode vous avez pu entendre les extraits des œuvres suivantes :
- Un fleuron médiéval à Rennes: les portes mordelaises
- Monty Python : Sacré Graal (1975)
- Kaamelott – Livre II, Episode 18
- Game of Thrones, saison 6, épisode 5
- Knockin’ On Heaven’s Door (Medieval version)
Ecoutez les précédents épisodes de Passion Médiévistes :
Je remercie le bar l’Antre II Mondes à Dijon où nous avons enregistré cet épisode !
Fanny Cohen Moreau: Est-ce que vous savez tout du Moyen Âge ? Mais d’abord, qu’est-ce que le Moyen Âge? En général, on dit que c’est une période de 1000 ans, de l’année 500 à l’année 1500. Mais vous l’entendez dans ce podcast, il y a autant de définitions du Moyen Âge que de médiévistes. Je m’appelle Fanny Cohen Moreau et dans ce podcast, je reçois de jeunes médiévistes, des personnes qui étudient le Moyen Âge en master ou en thèse pour qu’ils vous racontent leurs recherches passionnantes et qu’ils vous donnent envie d’en savoir plus sur cette belle période. Épisode 45, Gaëtan et les portes des châteaux forts. C’est parti!
Fanny Cohen Moreau: Aujourd’hui, je ne suis pas dans mon lieu d’enregistrement habituel, mais à Dijon, au bar l’Entre Deux Mondes qui a la gentillesse de nous accueillir aujourd’hui pour des enregistrements. Et aujourd’hui, j’ai le grand plaisir de recevoir Gaétan Koening. Bonjour Gaétan.
Gaëtan Kœnig: Bonjour.
Fanny Cohen Moreau: Aujourd’hui, je te reçois parce que tu fais en ce moment une thèse sur la construction des systèmes d’entrée et leur fortification dans les villes. Maison forte, médiévale et moderne en Bourgogne. C’est déjà un gros sujet et tu es sous la direction de Hervé Mouillebouche que je remercie d’ailleurs de m’avoir recommandé de te contacter. Alors déjà, Gaëtan, première question un petit peu très générale, pourquoi est ce que tu as voulu travailler sur ce sujet ?
Gaëtan Kœnig: Je suis archéologue à la base, j’ai fait une licence en trois années à Strasbourg et rapidement, ce qui m’a le plus plu dans l’archéologie, c’était l’étude du bâti. Ensuite, le Moyen Âge est venu presque naturellement, j’ai envie de dire. Et à ce moment-là, je me suis posé la question de ce que je voulais faire et ce que je voulais étudier. Et finalement les châteaux forts se sont imposés à moi. Rapidement, le sujet des portes m’a convaincu que c’était ce que je voulais étudier. Donc du coup, je les ai étudiés pendant trois ans en master et je viens de recommencer en thèse.
Fanny Cohen Moreau: Et tu travailles sur quelle période historique et c’est quel contexte à cette époque-là ?
Gaëtan Kœnig: La période que j’étudie est assez vaste puisqu’en histoire et en archéologie, bien souvent, on va regarder ce qui se fait avant et ce qui se fait après également. Donc moi, ma période de prédilection, on va dire que c’est de l’an 1000 environ jusqu’à 1500.
Fanny Cohen Moreau: En gros Moyen Âge central et bas Moyen Âge.
Gaëtan Kœnig: Du coup ma zone géographique, actuellement, c’est la Bourgogne. Avant ça, j’étudiais l’Alsace et les fortifications de montagne.
Fanny Cohen Moreau: Et alors pourquoi tu as voulu travailler sur la Bourgogne alors qu’avant tu étais sur l’Alsace ?
Gaëtan Kœnig: C’est un déplacement qui a été fait pour suivre mon directeur de thèse, puisqu’au départ je travaillais sur l’Alsace et que finalement, mon directeur travaillant principalement sur la Bourgogne, j’ai tout simplement suivi le déplacement géographique que j’ai effectué.
Fanny Cohen Moreau: Et qu’est-ce que tu veux montrer dans ta thèse ?
Gaëtan Kœnig: Une évolution des systèmes fortifiés durant le Moyen Âge, puisqu’on ne défend pas de la même manière finalement au Xᵉ qu’au XVᵉ. Et du coup, il y a toute une philosophie de la défense, une philosophie de la représentation, une philosophie de l’ostentatoire qui se modifient et qui ont des marqueurs très spécifiques qui se retrouvent parfaitement dans la fortification et les portes en particulier également.
Fanny Cohen Moreau: Mais le sujet n’a pas déjà été étudié avant toi ?
Gaëtan Kœnig: La fortification en général a fait couler beaucoup d’encre. Il y a quelques recherches monumentales faites par Jean MESQUI par exemple, qui a publié deux très beaux volumes à la fin des années 90. Mais la fortification des portes et les portes en général n’ont pas réellement été le fer de lance de cette recherche. Cette recherche s’est principalement axée sur le logis, sur le rempart, et la porte était finalement un peu le parent pauvre. Il y a quelques études qui ont été faites et [les plus récentes datent] des années 90. Aujourd’hui, on a quelques monographies, mais aucune étude réellement générale sur ce sujet.
Fanny Cohen Moreau: Toi, tu travailles sur les châteaux forts. Alors à partir de quand en fait les châteaux se fortifient ? Mais est-ce que ce n’était pas finalement déjà dans la définition du château fort qu’il soit fortifié ?
Gaëtan Kœnig: Le château est une construction qui apparait vers l’an 1000. Dans l’entité même du château, quand on dit « château fort », c’est un terme moderne. Il n’y avait pas un château au Moyen Âge qui n’est pas fort. Le terme « fort » est rajouté ultérieurement pour faire la différence entre les châteaux de la Renaissance, qui sont des châteaux habitables, uniquement habitables, qui sont en quelque sorte des palais, les différencier des forteresses médiévales. Il n’y a pas un château au Moyen Âge qui ne soit pas fortifié, que ce soit tout simplement une tour ou une porte, voire une enceinte. Le château mélange trois choses : l’ostentatoire, l’habitation et la fortification.
Fanny Cohen Moreau: Et est-ce qu’on voit différentes façons de fortifier les châteaux ? Selon les époques que tu étudies ou même au sein de la Bourgogne ?
Gaëtan Kœnig: Il faut savoir qu’aujourd’hui, on a des images d’Épinal dans nos têtes. C’est le château fort avec quatre tours de flanquement à chaque angle, une porte avec son pont-levis, le donjon derrière. Finalement l’image qu’on voit quand on dessine un château, on demande de dessiner un château à un enfant. Il faut savoir que ce château, finalement, c’est la représentation qu’on a du château de l’an 1200 environ. Mais le château, entre le Xᵉ et le XVᵉ ou XVIᵉ siècle, va connaitre une évolution constante, aussi bien sur la forme que sur le fond, et que même sans considérer l’évolution d’un type particulier en fonction finalement du milieu géographique qu’on a, par exemple, si on est en montagne, on ne va pas défendre de la même manière que si on est en plaine, puisque finalement installer les quatre tours, les courtines entre les tours, le donjon, est impossible si le milieu est accidenté.
Fanny Cohen Moreau: Ou c’est plus compliqué.
Gaëtan Kœnig: Ah, c’est impossible. Par exemple, en Alsace, on va avoir ce qu’on appelle le château en éperon barré qu’on ne trouve pas, par exemple, en Bourgogne ou en terre plate, et qui est tout simplement, on va dire, pour simplifier à l’extrême, un rempart qui coupe la montagne en deux. Et d’un côté il y a le château et de l’autre côté il y a le reste. Ensuite, tous les seigneurs n’ont pas les mêmes moyens financiers. Par exemple, le roi de France ne va pas avoir de difficulté à construire ces grandes forteresses, tandis que des petits seigneurs vont se contenter d’avoir, par exemple, la moitié de ce qu’aurait pu faire un puissant seigneur avec seulement deux tours, et ainsi de suite. Il faut aussi imaginer déjà ces deux points, le milieu géographique, les moyens financiers et finalement ensuite l’évolution de la défense même. Par exemple, à partir du XIᵉ siècle, on va avoir un type de château avec une défense extrêmement passive, c’est-à-dire que ça va être une courtine avec des fois une tour maitresse et pas grand-chose d’autre. Avec l’arrivée du conflit franco-anglais entre Richard Cœur de Lion et Philippe-Auguste dans les années 1180-1200, il va y avoir une grosse évolution du château en France et c’est à ce moment-là qu’on va voir finalement apparaitre ce modèle qu’on appelle aujourd’hui le modèle Philippien, qui est finalement les quatre tours de flanquement, la porte entre deux tours, le donjon circulaire et finalement une uniformisation de la défense. Ce château va créer un modèle. On va le retrouver à Dourdan, au Louvre et il va inspirer des châteaux comme Coucy, Aigues-Mortes qui est une ville fortifiée construite quelques années plus tard, où finalement on retrouve le système de flanquement. Même plus tard, le château va se remodifier avec l’arrivée de la guerre de 100 Ans qui va imposer de nouvelles fois une large modification du système défensif et la façon de le penser. Et avec l’arrivée des Anglais, à ce moment-là, les seigneurs français se rendent compte finalement que leur château n’est plus adapté du tout et que le système qu’ils ont envie de construire, qui est finalement extrêmement lourd, n’est pas adapté finalement à l’urgence. Ils n’ont pas le temps, ils n’ont pas forcément les moyens, à ce moment-là, pour engager les grosses constructions. Ils vont simplifier les défenses au maximum, avec l’arrivée, par exemple, qui va modifier fortement la défense de la porte, qui est l’arrivée du pont-levis à flèche.
Fanny Cohen Moreau: Mais là, ce que tu me dis sur notamment les conflits avec les Anglais, c’est pas censé concerner la zone géographique de la Bourgogne. Il y avait une forme de diffusion des idées, de la façon de construire qui s’est propagée jusqu’à la Bourgogne où en fait c’était quand même concerné dès le début ?
Gaëtan Kœnig: Le modèle du pont-levis à flèche s’est imposé extrêmement rapidement. Il a traversé l’Europe en une cinquantaine d’années. Il faut s’imaginer le passage du Minitel à l’ordinateur.
Fanny Cohen Moreau: Ah oui, à ce point ?
Gaëtan Kœnig: Oui, voilà, en termes de révolution pour la défense, pas que ce soit forcément plus efficace, même si ça l’est, mais aussi tout simplement pour la facilité de mise en œuvre. La communication des savoirs finalement se fait très facilement. Pour des sujets plus techniques, l’évolution va être plus lente, mais pour finalement la défense c’est tout simplement une question d’adaptation rapide. C’est la course entre la lance et le bouclier, savoir lequel des deux est le meilleur. Si jamais on n’arrive pas à défendre la forteresse, finalement elle tombe. Du coup, c’est dans l’intérêt du Seigneur d’avoir ce qui se fait de mieux en défense. Et même des constructions plus importantes vont commencer à se modifier pour avoir ce système de défense qui semble plus simplifié. Ensuite, pour continuer encore un peu l’évolution, puisque là on parle de la guerre de 100 Ans, mais avec l’arrivée des armes à feu lourdes, il va aussi y avoir des modifications sur la façon de concevoir la défense. On va doucement réduire la dimension des remparts, rajouter devant des braies, des fausses braies pour défendre la base des remparts.
Fanny Cohen Moreau: C’est quoi des braies ?
Gaëtan Kœnig: C’est un espace libre entre un rempart et un autre rempart, le premier rempart servant à défendre la base du second. Face aux armes lourdes, on va commencer à installer des boulevards pour défendre à nouveau la base de l’enceinte. Et le boulevard va permettre l’installation de pièces beaucoup plus lourdes qui ne pouvaient pas aller sur le haut des courtines puisque le boulevard, c’est une défense extrêmement basse avec un devant par montée et à l’arrière de la terre. Donc du coup quelque chose d’extrêmement solide sur lequel on pouvait installer des pièces d’artillerie.
Fanny Cohen Moreau: On voit aussi qu’à l’époque les villes se fortifient. Il n’y a pas que les châteaux. Est-ce que c’est la même évolution que les châteaux ?
Gaëtan Kœnig: C’est à peu près la même chose qui se passe dans les villes et les châteaux. C’est seulement la dimension qui va changer. Finalement, une ville est un périmètre ceint beaucoup plus vaste. Oui, logiquement, on va mettre en œuvre les mêmes principes que les tours de flanquement, un rempart, une porte. Mais cette fois-ci, tout va être multiplié pour correspondre aux dimensions voulues. Par exemple, pour un château, une ou deux portes suffisent. Pour une ville, on pouvait aller à treize ou quatorze portes pour Metz.
[Extrait de « Un fleuron médiéval à Rennes: les portes mordelaises »]
La porte mordelaise est un haut lieu patrimonial rennais puisqu’elle a traversé les siècles, et ce depuis les fondations même de la ville. Il faut imaginer, et les fouilles archéologiques l’ont révélé, qu’au début de notre ère ou à la fin du IIIᵉ siècle, il y a déjà une première porte qui figure ici. Et la porte que nous connaissons aujourd’hui, elle, va être construite au XVᵉ siècle. C’est une porte qui est symbolique puisque la veille de leur couronnement, les ducs de Bretagne entraient par cette porte. Donc il y a tout un cérémonial qui nous est connus par les archives, où on imagine l’escorte ducale, arrivant ici, devant la porte, et une fois que le duc avait prêté serment de défendre les libertés bretonnes, eh bien la porte s’ouvrait et symboliquement, le duc rentrait dans la ville pour être couronné dans la cathédrale Saint-Pierre, couronnement qui avait lieu donc le lendemain de cette cérémonie.
Fanny Cohen Moreau: Dans les châteaux, parmi parfois les éléments les plus importants, on retrouve les portes, les systèmes d’entrée des fortifications. Et c’est d’ailleurs ce que tu étudies, surtout dans ta thèse. Alors, raconte-nous Gaëtan, à quoi servait les portes à part bien sûr entrer ?
Gaëtan Kœnig: Pour moi, la porte cristallise toutes les fonctions d’un château, c’est à dire une fonction ostentatoire de représenter le pouvoir du seigneur, une fonction défensive, et finalement aussi, ce qui semble le plus logique et le plus basique, c’est un lieu de passage. C’est un endroit où on passe d’un lieu ceint à un lieu non ceint, un lieu sécurisé, un lieu finalement [clôt de] l’extérieur qui est dangereux. C’est un lieu de passage. On profite de cet endroit. Finalement, quand on veut rentrer dans une enceinte, c’est le seul endroit où on peut y avoir accès normalement. Du coup, à ce niveau-là, on va pouvoir faire payer les taxes pour entrer dans la ville, expliquer pas mal de choses concernant la ville. Il va avoir des annonces. [C’est] là, que va se faire le contrôle. Il va donc y avoir tout un personnel lié à cette porte. Par exemple, le portier qui va avoir la fonction d’ouvrir et fermer la porte.
Fanny Cohen Moreau: J’ai vu dans ton mémoire que tu avais écrit, logiquement, avant ta thèse, que ces portes pouvaient aussi représenter le pouvoir religieux, de quelle façon ?
Gaëtan Kœnig: Le religieux et la porte, c’est une question aussi très très vaste qu’il faut se poser. C’est une question qui déchire un peu la communauté depuis le XIXᵉ siècle.
Fanny Cohen Moreau: À ce point ?
Gaëtan Kœnig: Oui, la mise de la porte sous une protection divine se fait de plusieurs manières. Il y a la mise sous la protection tout simplement par la nomination de la porte, porte de la Vierge, la porte portant le nom d’un saint qui est censé pouvoir finalement assurer une protection symbolique à la porte. Il va y avoir ensuite d’autres façons de représenter cette protection. C’est avec des statues qui représentent des scènes de la Bible, par exemple le château de La Ferté-Milon, construit par Louis d’Orléans. Au-dessus de la porte se trouve une scène du couronnement de la Vierge. La porte est d’ailleurs en elle-même presque une œuvre d’art, puisque le couronnement de la Vierge, on s’attendrait plus à trouver un bas-relief de cette qualité sur une devanture de cathédrale que sur une devanture de château. Même si c’est un château purement représentatif.
Fanny Cohen Moreau: On mettra une photo sur le site passionmedievistes.fr
Gaëtan Kœnig: Il y a une troisième façon de mettre la porte sous une protection divine, c’est tout simplement de construire une chapelle à côté. C’est ce sujet qui est sujet à débat depuis quelques années déjà. On va mettre une chapelle à côté de la porte pour donner du courage aux défenseurs et, selon certaines théories, empêcher les assaillants de s’attaquer à la porte. Mais Bedeau et Barre, dans les années 1890, ont prouvé que c’était faux, tout simplement puisqu’il y avait eu des monastères attaqués. On retrouve le même système de défense pendant les croisades et finalement, les adversaires n’auraient eu aucun problème à détruire une chapelle chrétienne. Mais, pour les défenseurs, c’était censé sans doute ajouter un peu de baume au cœur pour nos défenses de se dire qu’on est à côté de la chapelle.
Fanny Cohen Moreau: Oui, le pouvoir du religieux est quand même très important, même pour ce genre de choses. Et comment… alors c’est une question un peu simpliste peut être dit comme ça, mais comment on choisissait l’emplacement d’une porte ? À part, j’imagine le contexte géographique ?
Gaëtan Kœnig: Le contexte géographique. Effectivement, en Alsace on place la porte où on peut la placer.
Fanny Cohen Moreau: Oui.
Gaëtan Kœnig: Mais pour un château, bien souvent il y a deux façons de voir la chose. Soit le château a influencé la dynamique urbaine, c’est-à-dire que le château en gros va cristalliser la ville autour de lui, ou alors le château va s’intégrer dans un parcellaire déjà établi. La porte va se mettre tout simplement au bout de la rue. Ce qui est le plus simple.
Fanny Cohen Moreau: Est-ce que les portes étaient toujours ouvertes ou est-ce qu’il y a des occasions où on les fermait et si oui, lesquelles?
Gaëtan Kœnig: La porte du château était fermée tous les soirs, c’est pour ça qu’il y a un portier. Et, par exemple avec l’arrivée du pont-levis à flèche, il va y avoir une évolution qui va se produire. C’est tout simplement qu’on va avoir une porte charretière et une porte piétonne. Donc la porte charretière, c’est pour… c’est une large porte. Tandis que la porte piétonne est une porte beaucoup plus étroite.
Fanny Cohen Moreau: Est-ce que c’est intégré au sein de la même porte ? Il y a la grande porte et la mini porte ?
Gaëtan Kœnig: Non, c’est deux portes différentes. Il faut s’imaginer une large porte avec une petite porte à côté. La large porte était souvent fermée tandis que la porte piétonne était ouverte tout le temps et on ouvrait la porte.
Fanny Cohen Moreau: Et plus facile à défendre en cas de problème, j’imagine, la petite porte.
Gaëtan Kœnig: Oui, ça laisse passer moins d’ennemis d’un coup.
[Extrait de Monty Python : Sacré Graal (1975)]
Eh oh!
Et oh, qui va là?
C’est le roi Arthur! Et voici mes loyaux chevaliers de la Table ronde. À qui appartient ce château?
C’est le château de mon maitre Guy de Lombard.
Si vous ne nous montrez pas le Graal, nous devrons prendre le château par la force.
Vous ne nous faites pas peur, chiure de porc d’Anglais.Allez-y, ébouillantez-vous le gros popotin! Enfant de personnes bizarres, je me mouche le nez à ta santé, soi-disant Oh Roi Arthur.
Quel étrange personnage!
Maintenant, écoutez moi gentilhomme!
Je ne veux plus vous dire un seul mot., vous entendez ? Je pète dans votre direction. Ta mère était un hamster et ton père sentait les baies de sureau.
À l’attaque !
Fanny Cohen Moreau: Et pour aider un petit peu les auditeurs et auditrices à se représenter. Une porte comme celle que tu étudies, c’est à peu près quelle dimension ?
Gaëtan Kœnig: Il faut savoir que la porte en elle-même, ce qu’on appelle le passage, n’est qu’une petite partie finalement de la porte, une porte va s’intégrer à un ensemble défensif bien souvent beaucoup plus vaste. Par exemple, on a évoqué les tours de flanquement. Il y a différents types de portes. Une porte percée, ça va faire deux mètres de large environ pour laisser passer un charriot, mais c’est qu’un petit type de porte. Il va avoir des systèmes de défense beaucoup plus larges qui vont comprendre deux tours, la porte, le couloir de défense qui va être divisé en plusieurs parties avec par exemple une herse, un vantaux, un sas, donc l’endroit où on peut laisser des gens attendre, à nouveau une herse C’est une porte, par exemple, ce qui se trouve à Carcassonne, qui est construit dans les années 1240. Et ça va prendre des dimensions extrêmement importantes. Il va aussi y avoir finalement ce qu’on appelle tout simplement une tour porte. Donc ça, c’est une tour quadrangulaire, une porte percée à la base dans laquelle on entre, on traverse la tour, il y a des défenses à l’intérieur de la tour et des fois une seconde porte après, bien souvent une seconde porte après, et on entre dans la ville. L’idée de la construction de la porte, c’est à deux échelles différentes, voire trois même, puisqu’il ne faut pas oublier qu’à l’avant de la porte, la porte comme aujourd’hui, on la voit quand on s’imagine la porte Narbonnaise à Carcassonne, c’est une partie de la défense. À l’avant, il va y avoir une barbacane. Donc c’est…
Fanny Cohen Moreau: Une quoi ?
Gaëtan Kœnig: Une barbacane, c’est un système de défense avancé. Si on traduit l’étymologie, ça veut dire « mur devant la porte ». C’est un système qui arrive dans les années 1180 et 1200 avec les croisades, qui est du coup un système musulman apporté en France. Et ça va encore finalement agrandir ce système de défense et les dimensions de la porte puisqu’on va avoir un mur percé d’une porte, un vaste espace vide dans lequel on va pouvoir… les gens vont pouvoir tout simplement attendre le temps qu’ils soient taxés, inspectés et contrôlés surtout, puisqu’on ne laisse pas forcément entrer qui on veut dans le château ou dans la ville. Ensuite, on va avoir ce système de défense qu’on appelle le double flanquement, et ensuite seulement on va pouvoir parler de la porte en elle-même. Et ses dimensions ont varié d’une époque à l’autre et en fonction de ce qu’on veut. Par exemple, en période de paix – ce qui est le plus courant au Moyen Âge, il ne faut pas l’oublier, on vit plus souvent en paix qu’en guerre, il faut le rappeler – les portes peuvent être plus larges, mais cette largeur va être un problème, par exemple en temps troubles où il va falloir rétrécir les dimensions. Donc une porte de ville et une porte de château ne vont pas aussi avoir les mêmes dimensions. Une porte de ville doit pouvoir accueillir un flux circulatoire beaucoup plus important qu’une porte de château. Du coup, les dimensions sont suffisamment importantes pour laisser passer un ou deux charriots. Aujourd’hui, quand on pense à la porte, on pense à notre embrasure. Au Moyen Âge, quand vous voulez défendre une porte, faut s’imaginer devant des remparts, une construction lourde autour de la porte et finalement la porte elle-même, et même ensuite le passage de la porte à l’intérieur même du passage, il y a de la défense. Tous ces systèmes vont se simplifier à l’extrême avec l’arrivée du pont-levis à flèche où il va avoir le pont-levis à flèche et le système de défense à l’avant.
[Extrait de Kaamelott – Livre II, Episode 18]
Bon, qu’est-ce qu’on va lui faire compter maintenant? Les pierres du château?
16 130.
Pardon ?
Normalement, ça devrait faire 16 132, mais il manque une pierre à la tour est et une autre qui s’est barrée sous une échauguette.
Si c’est vrai, c’est stupéfiant.
Ouais, sauf que moi, quand j’ai fait construire le château, ils m’en ont facturé 24 500 de pierres. Alors si c’est vrai, ça veut dire que je me suis fait enfler de…
8370.
Fanny Cohen Moreau: Gaëtan, sur quelles sources est-ce que tu travailles pour ta thèse et avec quelles méthodes ?
Gaëtan Kœnig: Mes sources sont relativement variées. Il y a déjà toute une phase de terrain, c’est-à-dire que je vais sur le château. À ce moment-là, sur le château, je vais prendre des notes. Je vais commencer par étudier la porte en elle-même, essayer de voir comment elle s’intègre dans le château, comment elle est défendue, finalement si c’est une construction primitive, ou si c’est finalement des réaménagements ultérieurs puisqu’aujourd’hui on se dit un château c’est construit, puis on arrête. Finalement, un château au Moyen Âge, c’est une évolution constante du système défensif, mais aussi du système de représentation. Par exemple, avec l’arrivée du pont-levis à flèche, ça va fortement transformer les ouvertures. Je vais commencer à réfléchir à est-ce que cette porte est en place ? Est-ce que c’est la porte originelle ? Est-ce que c’est une autre porte ? Ça, c’est la première question que je me pose. Ensuite, je regarde autour de la porte pour voir s’il y a du flanquement, s’il n’y a pas de flanquement, comment elle pouvait être défendue, comment est-ce qu’on y accédait ? Est-ce qu’il y a un fossé ? Est-ce qu’il n’y a pas de fossé ? Ensuite, on passe à une étude plus technique, on va dire. On va regarder comment elle est construite, quel est l’appareillage du mur, c’est-à-dire les assemblages de pierre. Est-ce que c’est des grosses pierres, des petites pierres, des moellons ?
Fanny Cohen Moreau: Là, c’est la partie un peu archéologique de ton travail.
Gaëtan Kœnig: Voilà. Après l’étude extérieure de la porte, je vais commencer à m’intéresser plus spécifiquement à la porte elle-même. À ce moment-là, je vais commencer à faire ce qu’on appelle un relevé ou un croquis de la porte. À une certaine échelle, c’est bien souvent le 1/20, pour que ça tienne sur une feuille de papier. C’est réduire toutes les dimensions de la porte par 20 pour qu’elle rentre finalement dans une feuille de papier. Et je vais redessiner du coup à ce moment-là le plan pour relever aussi bien la feuillure, la barre de fermeture, c’est-à-dire le système qui va clore la porte, les crapaudines, qui sont les axes de circulation de la porte sur lequel elle manœuvre, et toutes ces dimensions. Ensuite, je vais les entrer dans une base de données pour en extrapoler des informations. Par exemple, on peut essayer de mettre une évolution sur les dimensions de feuillure. Est-ce que la dimension de la figure change entre le XIIᵉ et le XVᵉ siècle ? Est-ce que la taille du vantaux de la porte se modifie ? Est-ce que la taille de la porte en général se modifie puisque si on vient à prendre des mesures extrêmement précises, on peut essayer de définir si la porte change de dimension en largeur, en profondeur et, avec toutes ces informations, finalement, ça permet de créer un corpus d’étude. Une fois ce corpus complet, on peut extraire finalement la substantifique moelle de ce qu’on recherche. Ensuite, il y a un second volet. Je ne l’ai pas du tout étudié dans mon master, c’est une nouveauté pour moi dans la thèse. Sans doute ma plus grande difficulté d’ailleurs, c’est la paléographie. Essayer de voir ce que donnent les sources écrites à propos des portes. Par exemple, avec ces sources, on peut essayer de définir déjà le nom qu’ils donnaient à certaines parties de la porte, mais également essayer de concevoir le temps de chantier, les coûts que ça engageait et finalement essayer de comprendre l’économie de la porte puisqu’aujourd’hui on se dit « le pont-levis est construit, on ne va pas le toucher pendant 100 ans, il est très bien », mais finalement on se rend rapidement compte dans les sources que, par exemple, on évoque que le pont-levis s’est rompu, qu’il doit être reconstruit. Donc du coup, tous les dix ans environ j’ai l’impression, on va refaire le pont-levis, on va refaire la porte. J’ai trouvé un texte dernièrement qui évoque tout simplement [que] la porte ne se ferme plus, mais seulement, puisqu’il y a un danger à l’extérieur, on va commencer à réparer la porte. C’est-à-dire que des fois le château, la porte, elle ne fonctionne pas. Mais puisqu’il n’y a pas de danger extérieur, on ne va pas la réparer.
Fanny Cohen Moreau: Et en plus, avec l’évolution des idées dont tu parlais tout à l’heure, il y a peut-être ça aussi ? On se dit ah ben tiens, on va changer un peu la technique ou améliorer la porte.
Gaëtan Kœnig: Effectivement, on trouve pas mal de textes sur la construction d’un pont-levis dans les archives de la deuxième partie du XIVᵉ siècle. Et, une fois avoir fait cette phase de terrain, cette phase d’archives, il faut aussi regarder ce qui se fait en dehors de la région où on travaille. Par exemple, en Bourgogne, on va voir pas mal de ponts-levis à flèches, regarder si c’est le cas par exemple en Alsace, si c’est le cas en Île-de-France, et essayer de vérifier finalement l’évolution et voir quels sont les systèmes défensifs utilisés ailleurs dans le royaume de France, dans le Saint-Empire romain germanique, dans le royaume d’Angleterre. On se rend compte que par exemple en Angleterre, en France, en Allemagne, on ne défend pas de la même manière la porte. Du coup, essayer de comprendre comment s’intègre notre sujet d’étude qui est la porte dans un sujet plus vaste qui est à la fois la fortification à l’échelle nationale et internationale.
Fanny Cohen Moreau: Alors Gaëtan, pour finir cet épisode, j’ai une question que je sais qu’il ne faut pas trop la poser aux doctorants, mais je vais quand même te le demander. comment se passe ta thèse ?
Gaëtan Kœnig: Ben je suis au début de la thèse, du coup pour l’instant tous les jours je me réveille avec de nouvelles idées.
Fanny Cohen Moreau: Ah !
Gaëtan Kœnig: De nouvelles pistes à explorer. Du coup, pour l’instant je dirais que ça avance bien.
Fanny Cohen Moreau: Et qu’est-ce qu’on peut te souhaiter pour la suite ?
Gaëtan Kœnig: La réussite.
Fanny Cohen Moreau: Désormais, chers auditeurs et auditrices, vous en savez un petit peu plus sur les châteaux forts, leurs fortifications et leurs portes au Moyen Âge. Donc merci beaucoup Gaétan Koening et je te souhaite bonne continuation pour la suite de ta thèse.
Gaëtan Kœnig: Merci.
Fanny Cohen Moreau: Je tiens encore à remercier le bar l’Entre deux Mondes à Dijon où nous avons enregistré aujourd’hui. Et pour les auditeurs, auditrices, allez voir sur le site de passionmédievistes.fr si vous voulez en savoir un petit peu plus. Si vous voulez voir des photos de tout ce dont on a parlé et si vous voulez écouter d’autres podcasts sur le Moyen Âge sur des sujets très très très divers. Là aujourd’hui, on commence à avoir traité pas mal d’angles. Allez le voir, allez aussi écouter les autres formats de Passion Médiévistes, c’est à dire Super Joutes Royales, où nous classons les rois de France siècles par siècle en toute mauvaise foi, mais avec un classement du plus utile au plus boulet d’entre eux. On se marre bien à l’écouter. Et aussi le format Rencontres où on parle du Moyen Âge autrement, avec des personnes qui le font vivre sans être forcément des doctorants ou des chercheurs. Il y a aussi le format Hors Les Murs et je vous retrouve en fin d’épisode pour vous parler un petit peu de l’actualité du podcast. Alors j’espère que vous avez aimé cet épisode-là. Je réenregistre plusieurs mois après les enregistrements de Dijon. Vous allez voir, j’ai encore d’autres choses enregistrées à Dijon à vous faire écouter.
Fanny Cohen Moreau: Alors en attendant, je voudrais vous parler du Tipeee. Mais qu’est-ce que c’est Fanny Le Tipee de Passion Médiévistes ? C’est une plateforme où vous pouvez m’aider en m’apportant une aide financière pour développer le podcast et même les podcasts. Vous pouvez donner 1 € par mois ou une fois ou un petit peu plus. D’ailleurs, ce mois-ci, j’ai plein de personnes à remercier. Je tiens à remercier Mathilde, Gautier, Isabelle, Norbert, Stéphane, Armelle, Antoine, François, Héloïse, Sarah, Régis, Hélène et Olivier. Ça me fait toujours très chaud au cœur de voir autant de personnes me soutenir chaque mois et vraiment vous m’aidez beaucoup. Parce que là, ça y est, on a de plus en plus atteint l’avant-dernier objectif. Et donc je vous prépare plein de nouvelles choses pour début 2021 avec notamment le nouveau podcast sur l’Antiquité. Ça y est, c’est parti! J’ai commencé à repérer plein d’invités. D’ailleurs, si vous avez des suggestions de noms de personnes que je pourrais inviter dans ce podcast, donc ça veut dire des personnes qui étudient en master ou en thèse l’Antiquité. Et là, vraiment, il y a plein, plein plein de sujets différents. Envoyez-moi un petit message donc soit par les réseaux sociaux, soit par le site Passionmedievistes.fr. Et si vous contribuez au Tipeee, vous pouvez aussi avoir accès au Discord de Passion Médiévistes. Et là, le Discord de Passions Médiévistes, comment vous dire ? C’est un espace de discussion entre les membres de la communauté du podcast, c’est à dire autant les invités, mais aussi les auditeurs auditrices, les passionnés. Donc c’est autant un espace où on parle bien sûr du Moyen Âge, de l’actualité de la recherche, mais aussi, on a une taverne virtuelle où on a une très très bonne ambiance, où par exemple des personnes qui sont en master demandent des conseils à des personnes qui ont déjà soutenu leur thèse depuis très longtemps. Donc vraiment, n’hésitez pas si vous voulez nous rejoindre, on serait ravis de vous accueillir.
Fanny Cohen Moreau: Et dans le prochain épisode… Alors le prochain épisode sera un épisode du format Rencontres. Ça fait longtemps qu’on n’en a pas eu. Enregistré à Dijon avec un fabricant et un manieur d’épée en même temps, vous allez voir. Et l’épisode de début décembre sera consacré à la France anglaise. Je ne vous en dis pas plus, vous verrez ça. Salut !
Merci à Cap Stat pour la transcription et à Liz pour la relecture !