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Épisode 81 – Lucas et l’architecture gothique en Bourgogne

Découvrez les spécificités de l’architecture gothique en Bourgogne !

Portrait Lucas
Portrait de Lucas La Barbera

Dans cet épisode de Passion Médiévistes, l’invité Lucas La Barbera vous parle de l’architecture gothique en Bourgogne au Moyen Âge. Doctorant en Histoire de l’art à l’Université de Strasbourg, sous la direction de Marc Carel Schurr et Denise Borlée, sa thèse porte sur le sujet L’architecture gothique en Bourgogne (milieu XIIe – fin XIIIe siècles).

Bréviaire de Charles V (photo par Fanny Cohen Moreau)
Bréviaire de Charles V (photo par Fanny Cohen Moreau)

Le Bréviaire de Charles V, qu’on appelle aussi le Bréviaire à l’usage de la Sainte-Chapelle, est un livre de prières particulièrement décoré et enluminé, qui a été réalisé pour le roi Charles V en 1370. Il a été conservé dans des collections privées depuis la fin du Moyen Âge, il n’est réapparu qu’il y quelques années, il est donc quasiment inconnu des spécialistes et son étude permettrait d’en apprendre beaucoup plus.   

La BnF a en ce moment l’occasion d’acquérir ce manuscrit et pour cela elle fait appel au grand public. Chaque don compte, donc à partir de 10€ vous pouvez vous aussi contribuer aussi à ce que ce manuscrit puisse intégrer le patrimoine national. Vous avez  jusqu’au 31 décembre 2023, et pour plus d’informations sur le manuscrit ou la campagne de dons n’hésitez pas à visiter ce site.

La Bourgogne au Moyen Âge

L’espace bourguignon autour de 1200. L. La Barbera 2023 (d’après J. Richard 1954 et L. Longnon 1885).
L’espace bourguignon autour de 1200. L. La Barbera 2023 (d’après J. Richard 1954 et L. Longnon 1885).

En France, l’art gothique s’inscrit sous la dynastie capétienne, entre les XIIème et XIIIème siècles. C’est également à cette époque que le pouvoir royal s’impose de plus en plus comme figure d’autorité sur l’ensemble du territoire, comme nous en avons parlé dans les épisodes du format Super Joute Royale.

À cette même époque, le duché de Bourgogne n’est pas encore un espace homogène, c’est d’abord un petit territoire dans le département actuel de la Côte d’Or qui s’étend progressivement au sud, sur l’actuelle Saône-et-Loire.

L’architecture gothique en Bourgogne

Dans un premier temps, ce sont les Italiens de la Renaissance qui utilisent le terme gothique. En référence aux Goths, ce peuple vivant au Haut Moyen Âge, les Italiens qualifiaient de gothique un style d’architecture qu’ils considéraient comme barbare. À cette époque, il était alors question de désigner l’art du Moyen Âge dans son intégralité. Ce n’est qu’au XIXème siècle que l’on distingue l’architecture dite romane – synonyme de dégénérescence de l’art romain – et le style gothique au sens où on l’entend aujourd’hui.

Pontigny, ancienne église abbatiale Notre-Dame-et-Saint-Edme, vue du chevet avec un des arcs-boutants entouré en blanc et filtré en rouge. L. La Barbera 2022.
Pontigny, ancienne église abbatiale Notre-Dame-et-Saint-Edme, vue du chevet avec un des arcs-boutants entouré en blanc et filtré en rouge. L. La Barbera 2022.

Par ailleurs, Lucas La Barbera explique que si l’on situe les débuts de l’art gothique autour de 1130 ou 1140, il était déjà présent dans l’architecture romane, cette architecture généralement considérée peu lumineuse, caractérisée par des arcs ronds et des structures lourdes. On retrouve également certaines caractéristiques de l’art gothique dans la sculpture (sur des portails de façades des cathédrales), sur les vitraux, dans la peinture (retables) ou encore sur les enluminures des manuscrits, et ce dès 1130. Du point de vue architectural à proprement parler, Lucas La Barbera précise que l’art gothique se caractérise la plupart du temps par des murs plus fins que les murs de style roman, des voutes d’ogives, et des arcs pointus.

“La première chose que je fais quand je rentre dans une église, c’est un plan schématique : je regarde comment les espaces sont agencés entre eux. […] Et je prend énormément de photos !” — Lucas La Barbera

Au fil de ses visites en Bourgogne, Lucas La Barbera a constaté une différence majeure entre les églises de la côte est et celles de la côte ouest, alors même qu’elles sont contemporaines les unes des autres. En effet, il a d’abord exploré la côte est du territoire bourguignon (Côte d’Or et Saône-et-Loire) et a remarqué que les églises y sont très sobrement décorées, s’apparentant davantage à un style d’architecture romane.

Auxerre, ancienne cathédrale Saint-Étienne, élévation du sanctuaire avec la galerie du triforium entourée en blanc. L. La Barbera 2022.
Auxerre, ancienne cathédrale Saint-Étienne, élévation du sanctuaire avec la galerie du triforium entourée en blanc. L. La Barbera 2022.

À l’inverse, les églises situées dans la partie ouest du duché (Nièvre et Yonne) présentent, elles, des systèmes architecturaux qui font référence à l’architecture gothique. Ces églises s’apparentent notamment à celles que l’on observe dans les régions de l’Île-de-France, de la Picardie et de la Vallée de l’Oise, véritables berceaux de l’architecture gothique où les cathédrales de ce style sont nombreuses.

Sur les routes de Bourgogne pour ses recherches

“J’ai répertorié 350 églises, mais l’inventaire n’est jamais terminé ! Au fur et à mesure de mon périple je vois des églises que je n’avais pas repérées dans les sources et je m’arrête régulièrement visiter de nouveaux lieux. ” — Lucas La Barbera

Dans sa thèse, Lucas La Barbera étudie comment ce nouvel art gothique se développe et se diffuse en Bourgogne au cours des décennies, cela en fonction des conditions du territoire, de la démographie, ou encore des conditions géographiques. Dans le cadre de ses recherches sur le terrain, il a ainsi visité entre 180 et 200 églises, dont énormément de monuments historiques. Il vous confie qu’en Bourgogne, beaucoup de ces édifices sont en ruines.

“Je vois vraiment de tout, de la grande cathédrale à la petite chapelle de campagne.” — Lucas La Barbera

Localisation des sites visités. L. La Barbera 2023.
Localisation des sites visités. L. La Barbera 2023.

Pour mener à bien ses recherches, Lucas La Barbera réalise une sorte d’étude de réseaux. Il commence par observer et analyser les grands édifices – les édifices les plus remarquables – et poursuit son analyse avec des édifices de plus en plus modestes. Il vous précise d’ailleurs que, contrairement à ce que l’on pourrait croire, son corpus ne comprend que deux cathédrales gothiques, contre beaucoup d’abbatiales et de collégiales – ces églises rattachées à un collège de chanoines, dont vous parlez Ewen dans l’épisode 45. Par ailleurs, s’il consulte de nombreuses archives, Lucas La Barbera insiste sur l’absence de source écrite datant du Moyen Âge. Il n’a donc pas de document faisant état des chantiers des églises. On sait que les édifices ont très souvent reconstruits ou rénovés au cours des siècles étudiés, mais sans que cela ne laisse de traces écrites.

“Lorsque je vais visiter une église, parfois, on se demande un petit peu ce que je fais…” — Lucas La Barbera

Pour  comparer les édifices entre eux et repérer les évolutions – s’il y en a –, Lucas La Barbera se concentre notamment sur les décors de l’architecture (comme les chapiteaux), ou sur la modénature, c’est-à-dire, l’ensemble des moulures dans l’édifice (telles que les ogives). Il étudie aussi la structure architecturale et contaste des changements, ou non, selon les décennies. Une analyse poussée des détails de la structure, lui permet alors de relier des églises entre elles ou de les différencier les unes des autres. Il s’agit d’un travail particulièrement minutieux pour lequel il prend de très nombreuses photographies qu’il répertorie ensuite une à une avant d’en étudier les détails.

Pour en voir plus sur les monuments cités dans l’épisode, on vous conseille de visiter :

À Paris :

  • Cathédrale Notre-Dame de Paris
  • Église St-Pierre de Montmartre
  • Montréal, ancienne église collégiale Notre-Dame, portail et rose de la façade occidentale. L. La Barbera 2023.
    Montréal, ancienne église collégiale Notre-Dame, portail et rose de la façade occidentale. L. La Barbera 2023.

    Église St-Martin des Champs

En France :

  • Auxerre – Cathédrale Saint-Étienne
  • Beaune – Basilique (romane) Notre-Dame de Beaune
  • Châlons-en-Champagne – Collégiale Notre-Dame-en-Vaux
  • Chambly – Église Notre-Dame de Chambly
  • Chartres – Église Notre-Dame de Chartres
  • Langres – Cathédrale (romane) Saint-Mammès de Langres
  • Lyon – Primatiale Saint-Jean-Baptiste-et-Saint-Étienne
  • Poitiers – Cathédrale Saint-Pierre
  • Nevers – Cathédrale Saint-Cyr-et-Sainte-Julitte
  • Reims – Basilique Saint-Rémi
  • Strasbourg – Cathédrale de Strasbourg
  • Vézelay – Basilique Sainte-Marie-Madeleine de Vézelay

En Suisse :

  • Genève – Cathédrale Saint-Pierre
  • Lausanne – Cathédrale de Lausanne

Pour en savoir plus sur le sujet de l’épisode, on vous conseille de lire :

  • Borlée Denise (dir.), Notre-Dame de Dijon. Huit siècles d’histoire(s) 1220-2020, Dijon : éditions Faton, 2021.
  • Branner Robert, Burgundian Gothic architecture, Londres : A. Zwemmer, 1960.
  • Erlande-Brandenburg Alain, La révolution gothique, Paris : Picard, 2012.
  • Grodecki Louis, Brisac Catherine, Le vitrail gothique au XIIIe siècle, Fribourg : Office du livre, 1984.
  • Joubert Fabienne, La sculpture gothique en France. XIIe-XIIIe siècles, Paris : Picard, 2008.
  • Kimpel Dieter, Suckale Robert, L’architecture gothique en France. 1130-1270, trad. Neu Françoise, Paris : Flammarion, 1990.
  • Visuel de l'épisode 81 par l'artiste Le Miroir Fou
    Visuel de l’épisode 81 par l’artiste Le Miroir Fou

    Plagnieux Philippe (dir.), L’art du Moyen Âge en France, Paris : Citadelles & Mazenod, 2010. Voir les chapitres dédiés à l’architecture gothique.

  • Recht Roland, Revoir le Moyen Âge. La pensée gothique et son héritage, Paris : Picard, 2016.
  • Sandron Dany, Notre-Dame de Paris. Histoire et archéologie d’une cathédrale (XIIe-XIVe siècle), Paris : CNRD éditions, 2021.

Dans cet épisode vous avez pu entendre les extraits des œuvres suivantes :

Si cet épisode vous a intéressé vous pouvez aussi écouter :

Merci à Clément Nouguier qui a réalisé le magnifique générique du podcast et Alizée Rodriguez pour la rédaction de l’article !

Transcription de l’épisode 81 (cliquez pour dérouler)

Fanny Cohen Moreau : Bonjour, juste avant de commencer cet épisode, je voudrais vous parler d’un manuscrit exceptionnel et d’une campagne de souscription pour lui faire rejoindre les collections de la Bibliothèque Nationale de France. Le Bréviaire de Charles V, qu’on appelle aussi le Bréviaire à l’usage de la Sainte-Chapelle, est un livre de prière particulièrement décoré et enluminé qui a été réalisé pour le roi Charles V en 1370. Il a été conservé dans des collections privées depuis la fin du Moyen Âge et il n’est réapparu qu’il y a quelques années. Il est donc quasiment inconnu des spécialistes et son étude permettrait d’en apprendre beaucoup plus. La BNF a en ce moment l’occasion d’acquérir ce manuscrit et pour cela, elle fait appel au grand public. Chaque don compte donc à partir de 10€, vous pouvez vous aussi contribuer à ce que ce manuscrit puisse intégrer le patrimoine national. Vous avez jusqu’au 31 décembre 2023 et pour plus d’informations sur le manuscrit ou sur la campagne de dons, je vous mets un lien en description de cet épisode. Maintenant, place à l’épisode !

[Générique]

Fanny Cohen Moreau : Est-ce que vous savez tout du Moyen Âge ? Mais d’abord, qu’est-ce que le Moyen Âge ? Vous pensez peut-être au roi des francs, puis de France, au développement de l’agriculture et à la peste noire. Mais ce n’est pas que ça. En général, on dit que le Moyen Âge est une période de mille ans, de l’année 500 à l’année 1500. Mais vous l’entendez dans ce podcast, il y a autant de définitions du Moyen Âge que des médiévistes. Je m’appelle Fanny Cohen Moreau et dans ce podcast Passion Médiévistes, je reçois des jeunes médiévistes, c’est-à-dire des personnes qui étudient le Moyen Âge en master ou en thèse pour qu’il vous raconte leur recherche passionnante et qu’ils vous donnent envie d’en savoir plus sur cette belle période. Épisode 81 : Lucas et l’architecture gothique en Bourgogne, c’est parti !

[Fin du générique]

Fanny Cohen Moreau : Si je vous dis art et architecture gothique, vous pensez peut-être aux grandes cathédrales comme Sens, Noyon, Bourges, Reims. J’en avais déjà parlé aussi dans la série d’épisodes consacrés à la cathédrale Notre-Dame de Paris, sortie en janvier 2021. Mais ce n’est pas que ça. Donc aujourd’hui, je vous propose un angle un petit peu différent de ce que vous avez peut-être déjà entendu dire sur l’art et l’architecture gothique. Et si vous ne savez pas ce que c’est que l’art gothique, eh bien vous allez apprendre plein de choses. Et notre guide aujourd’hui, c’est Lucas La Barbera. Bonjour Lucas !

Lucas La Barbera : Salut Fanny !

Fanny Cohen Moreau : Alors Lucas, je te reçois parce que tu es un aventurier dans ton style, parce que donc tu travailles sur, on va en parler en détail : l’architecture gothique en Bourgogne aux xiie et xiiie siècles. Donc là, on va être dans le fameux temps des cathédrales. Tu es donc à l’Université de Strasbourg, sous la direction de Marc Carel Schurr et de Denise Borlée. Et d’ailleurs tu connais un invité, Jean-Baptiste sur les Vosges au Moyen Âge, non ? c’est ça ?

Lucas La Barbera : Oui c’est ça, c’est un ami.

Fanny Cohen Moreau : Comme quoi tout se recoupe ! Et oui, en fait, tu es un aventurier parce que tu es en train de faire un inventaire incroyable d’une centaine d’églises en Bourgogne, rien que ça ! Je trouve ça incroyable de t’imaginer… On va en parler et tu vas nous raconter tout ça. Et donc bien sûr, auditeurs, auditrices, ce ne sera qu’un épisode d’introduction sur le sujet. On ne pourra pas parler de tout, mais vous inquiétez pas, on va quand même parler de plein de choses passionnantes. Alors d’abord, petite question rituelle dans ce podcast, Lucas : pourquoi est-ce que tu as voulu travailler sur ce sujet ?

Lucas La Barbera : J’ai voulu travailler sur le sujet, d’abord parce que je suis un passionné du Moyen Âge depuis que je suis tout petit et surtout un passionné de châteaux, mais surtout d’églises depuis très, très, très longtemps. Quand j’étais en maternelle, ben je dessinais des églises.

Fanny Cohen Moreau : En maternelle déjà ? Waouh !

Lucas La Barbera : Ouais, en maternelle déjà et les maîtresses s’inquiétaient un petit peu…

[Rires de Fanny]

Fanny Cohen Moreau : Il veut pas être prêtre celui-là, c’est ça, non ?

Lucas La Barbera : Non, c’était un petit peu ça et, du coup, ben les maîtresses demandaient à mes parents : « oui, est-ce que vous lui donnez une éducation particulière ? ». Et puis mes parents : « Ben non, on sait pas pourquoi. ». [Rires]

Fanny Cohen Moreau : Parce qu’il y a des gens qui dessinent des dinosaures quand ils sont petits, mais ils sont pas pourtant spécialistes en dinosaures après. Toi, qu’est-ce qui fait que t’as continué ?

Lucas La Barbera : Ce qui a fait que j’ai continué, c’est que le parcours que je désirais faire, c’était plutôt faire une école d’architecture, donc je devais passer des concours. J’ai jamais été pris en école d’architecture et par dépit, j’ai pris histoire de l’art, à la faculté de Grenoble. Et en fait, pendant ma première année, j’ai tellement aimé le domaine, la matière, que j’ai voulu continuer en histoire de l’art. J’ai terminé ma licence à Strasbourg et ensuite j’ai continué en master, puis en thèse toujours à Strasbourg.

Fanny Cohen Moreau : Alors justement, alors tease donc un petit peu et on va en parler en détail, qu’est-ce que tu veux montrer dans tes recherches ?

Lucas La Barbera : Pour ma thèse, ce que je voudrais montrer principalement, c’est comment se développe et comment s’est diffusé ce nouvel art de bâtir depuis le xiie siècle jusqu’à environ la fin du xiiie  siècle. Et l’idée, ce serait d’illustrer plus clairement comment est-ce que fonctionne ce phénomène de diffusion en mettant en regard ce phénomène de diffusion avec les différents aspects, on va dire du territoire, c’est-à-dire les limites de diocèse, les limites politiques, les limites de royaume, de duchés, etc. Et aussi de voir si le milieu a un impact sur cette création architecturale, notamment le tracé des routes, le tracé des fleuves, des rivières, mais aussi les espaces qui étaient plus peuplés et si des espaces moins peuplés étaient aussi touchés par cette création architecturale ou pas. Donc logiquement on dirait que non. Mais parfois, on peut avoir des surprises puisque même aujourd’hui, des espaces qui sont moins peuplés et qui étaient peuplés au Moyen Âge, eh bien ça se voit sur ces, ces phénomènes de construction active.

Fanny Cohen Moreau : Ouais, je trouve ça hyper intéressant comment dans ta thèse effectivement, tu n’es pas juste sur le bâti. Tu n’es pas juste concentré sur les églises en elles-mêmes, mais tu prends bien en compte tout ce qu’il y a autour de l’architecture. Donc c’est hyper intéressant. Alors justement, avant d’aller plus en détail sur ton sujet, déjà est-ce que tu peux nous en dire un peu plus sur le contexte historique ? Moi j’aime bien dans Passion Médiévistes, on plante le décor. Alors sur quelle période est-ce que tu travailles et est-ce que tu peux peut-être nous citer quelques grands moments historiques de la période ?

Lucas La Barbera : Donc je travaille sur les xiie et xiiie siècles. À cette époque-là, c’est la dynastie capétienne qui est à la tête du royaume de France. Et ce qui est particulier pour cette période, surtout au cours du xiie siècle, c’est l’émergence de ce qu’on appelle le pouvoir royal. Donc à cette époque-là, on va dire que le pouvoir royal prend un essor, une montée en puissance du pouvoir du roi, du roi de France. Il va être aidé aussi par des hommes qui l’entourent, notamment des laïcs, mais aussi des ecclésiastiques. C’est le cas de Suger de Saint-Denis, l’abbé de l’abbaye royale, qui a participé à la reconstruction en tout cas de l’église de l’abbaye dans un nouveau style que l’on appelle gothique.

Fanny Cohen Moreau : Tiens, juste d’ailleurs, architecture gothique, le mot « gothique », d’où sort ce mot ? Pourquoi on parle des goths ?

Lucas La Barbera : Alors, on parle des goths, puisque c’est les Italiens de la Renaissance qui parlaient pour l’architecture gothique, enfin ce qu’on appelle gothique aujourd’hui, on parlait d’une architecture barbare qui serait en lien avec les goths

Fanny Cohen Moreau : Donc les goths, c’est un peuple plutôt Haut Moyen Âge, donc là on est pas bon niveau temporalité.

Lucas La Barbera : Mais ce qu’ils appelaient « gothique », en tout cas pour cette période-là, c’est tout l’art du Moyen Âge dans son intégralité. Et pendant longtemps, on parlait d’architecture gothique pour mentionner l’art du Moyen Âge dans sa totalité. Et c’est vraiment à partir du xixe siècle, quand un certain Charles de Gerville a proposé un nouveau terme, enfin en tout cas, oui, un nouveau phénomène pour l’architecture du Moyen Âge qui est l’architecture romane. L’architecture romane, puisque pour lui, c’était un petit peu la dégénérescence de l’art romain, d’où le terme « roman ». Et pour lui, on avait d’une part, en tout cas pour les xie et xiiie et les périodes suivantes, on avait d’abord l’architecture romane au xie  et xiie  siècles, puis ensuite l’architecture gothique. Donc, c’est vraiment à partir de la théorisation de ce monsieur que l’on a appelé l’architecture gothique comme on l’entend aujourd’hui.

Fanny Cohen Moreau : Mais tu travailles aussi quand même, plus particulièrement sur la Bourgogne dans tes recherches, c’est ça ? Et est-ce que tu peux nous dire aussi, la Bourgogne à cette époque, est-ce que c’est comme aujourd’hui ou est-ce que y a des choses différentes ?

Lucas La Barbera : Alors la Bourgogne à l’époque, c’est une… On va dire, c’est un espace un petit peu complexe… À la base, c’est un royaume, c’est le royaume de Bourgogne, on va dire à partir du vie siècle. Puis en 843, il y a le traité de Verdun. Le traité de Verdun, c’est la séparation de l’empire carolingien entre les trois fils de Louis le Pieux. Et cette fragmentation de l’Empire va être très importante dans la mesure où ce royaume de Bourgogne va lui aussi être fragmenté. On va avoir notamment le comté de Bourgogne qui va faire partie de la France médiane qui sera plus tard, qui se développera plus tard comme le Saint-Empire romain germanique, qui sera rattaché par la suite au Saint-Empire romain germanique. Et d’autre part à l’ouest, le duché de Bourgogne qui lui est rattaché à la Francie occidentale et plus tard au royaume de France. Et donc aux xiie, xiiie siècles, on a cette Bourgogne-là, cette Bourgogne occidentale, que l’on appelle plus communément le duché de Bourgogne, qui n’est pas non plus un espace homogène puisque le duché est relativement un petit territoire qui au xiie siècle est plutôt situé dans le département actuel de la Côte-d’Or et qui ensuite va progressivement se développer et qui va croître un petit peu plus au sud, notamment en reprenant des territoires de l’actuel département de la Saône-et-Loire. Et c’est surtout le comté de Châlon qui va être repris par les ducs de Bourgogne. Donc côté occidental de cet espace bourguignon, nous avons le duché qui se développe et, de l’autre côté, nous avons les départements de la Nièvre et de l’Yonne qui étaient des territoires bien plus morcelés que du côté du duché. On avait le comté de Nevers, d’Auxerre et de Tonnerre qui aux xiie  et xiiie siècles, appartenaient à un même prince, donc c’était le comte d’Auxerre, Nevers, Tonnerre. Et au-dessus encore, on avait plein de petits territoires que je ne vais pas mentionner parce qu’il y en a beaucoup et qui faisaient tampon avec le domaine royal. Le domaine royal, qui sont les territoires que possédaient directement le roi de France.

Fanny Cohen Moreau : Bon, c’est bien comme ça, on a bien posé le cadre. Alors, avant aussi de parler de l’art gothique et de l’architecture gothique en Bourgogne, rappelons déjà les éléments de base sur l’art gothique : à partir de quand est-ce qu’il apparaît et où ?

Lucas La Barbera : L’art gothique alors il se développe plutôt à partir des années 1130-1140. Généralement, on a dit dans la littérature que le berceau de l’art gothique, de l’architecture gothique était Saint-Denis. Or, les recherches actuelles ont montré que finalement, l’art gothique, en tout cas l’architecture gothique, était née peut-être un petit peu plus tôt que Saint-Denis et qu’on avait des églises parisiennes qui étaient elles aussi un petit peu plus tôt, imprégnées de cet art gothique. Je pense notamment si vous êtes parisien, ou alors que vous êtes de passage à Paris, vous pouvez visiter les églises de Saint-Pierre de Montmartre et de Saint Martin-des-Champs.

Fanny Cohen Moreau : Qui sont encore médiévales comme à l’époque ?

Lucas La Barbera : Qui sont encore médiévales comme à l’époque.

Fanny Cohen Moreau : Ok !

Lucas La Barbera : Alors l’église Saint-Pierre de Montmartre qui va être restaurée durant les périodes qui ont suivi. Et l’église Saint Martin-des-Champs où c’est surtout le chevet, le chevet qui est le fond de l’église quand vous rentrez dans une église, vous rentrez par l’ouest et au fond, vous regardez au fond, c’est la partie orientale, c’est le chevet, c’est la partie la plus sacrée de l’église. Et à Saint Martin-des-Champs, c’est juste cette partie de l’église, le chevet, qui a été reconstruite au xiie siècle dans ce style, entre guillemets « gothique ».

Fanny Cohen Moreau : Alors justement, c’est quoi le style gothique ? Si on veut reconnaître un bâtiment, quels sont les éléments importants qui vont dire que ok, là c’est un bâtiment gothique.

Lucas La Barbera : Alors déjà, ce qui est compliqué pour l’architecture gothique, c’est que souvent on parle d’un style, alors même moi parfois je parle d’un style, mais en vérité, ce n’est pas vraiment un style puisque l’art gothique en soi, c’est plein de styles qui se sont succédé au fil des décennies. Donc on va dire plutôt que, pour reconnaître une église gothique, ce qui va primer, ce sont les voûtes d’ogives, les arcs-boutants, les arcs brisés, les arcs brisés, c’est-à-dire que ce sont des arcs qui sont pointus au sommet. Le problème, c’est que toutes ces caractéristiques-là existaient déjà durant la période précédente, c’est-à-dire l’époque dite romane. Souvent, on dit que l’architecture romane, c’est des arcs en plein cintre, c’est-à-dire des arcs ronds, c’est une architecture peu lumineuse comparée à l’architecture gothique qui est très lumineuse.

Fanny Cohen Moreau : Et aussi que l’architecture romane est plus lourde alors que l’art gothique est plus léger.

Lucas La Barbera : C’est ça, par rapport aux murs qui sont plus fins pour l’architecture gothique, alors plus lourds pour l’architecture romane. Et pourtant, il y a des églises romanes qui sont voûtées d’ogives.

Fanny Cohen Moreau : D’ailleurs « voûtées d’ogives », est-ce que.. bon… On mettra sur le site passionmedievistes.fr des schémas, des photos comme ça vous pouvez voir de plus près. Est-ce que tu pourrais décrire à quoi ça ressemble ?

Lucas La Barbera : Alors l’ogive c’est, quand vous regardez au plafond on va dire, quand vous regardez le plafond de l’église, vous avez une voûte qui est généralement divisée en quatre ou en six. Et ce sont les éléments en pierre qui ressortent de la voûte qui courent à la diagonale le long de la voûte, qui vont former ce qu’on appelle les ogives. Ce sont des nervures de voûtement.

Fanny Cohen Moreau : Juste aussi en quelques mots, parce que même si c’est pas ton sujet principal d’étude, je pense qu’on peut quand même le mentionner parce que l’art gothique n’est pas que réservé à l’architecture. On trouve dans d’autres arts, c’est ça ?

Lucas La Barbera : C’est ça. Donc l’art gothique, ça concerne également la sculpture, notamment les grands portails des cathédrales, donc qui sont toujours rattachés à l’architecture. dans ce cas-là. On va dire que la production sculptée principale gothique, pour les xiie – xiiie siècles, va être en grande partie ces grands portails richement sculptés que vous avez devant les façades des cathédrales. Je pense notamment au portail de Notre-Dame de Paris. Mais par exemple, si vous voulez voir un des premiers portails gothiques sculpté, ce sont les portails de la façade occidentale – de la façade ouest – de la cathédrale Notre-Dame de Chartres. Vous avez la sculpture, mais il y a également les vitraux évidemment. Donc ça, c’est aussi un sujet à part entière. Donc c’est du verre, du verre peint. Et pour la peinture, vous avez aussi ce qu’on appelle les retables, les panneaux sculptés. Les retables, ce sont ces grands panneaux que vous aviez sur l’autel, l’autel de l’église. Et vous avez également la peinture enluminée donc les manuscrits, qui peuvent aussi être rattachés à ce qu’on appelle l’art gothique.

Fanny Cohen Moreau : On voit qu’effectivement ça se diffuse aussi pas que en architecture. Mais alors Lucas, donc tu travailles donc sur l’architecture et tu veux montrer en fait comment l’art gothique s’est en quelque sorte diffusé à travers les églises de Bourgogne. Alors raconte-nous, qu’est-ce que tu étudies comme procédés d’architecture ? C’est-à-dire que, quand tu rentres dans une église, qu’est-ce que tu veux repérer ? Qu’est-ce que tu étudies comme diffusion ?

Lucas La Barbera : Alors d’abord, quand je rentre dans une église, je vais regarder la disposition en plan. Donc je vais regarder comment les différents espaces sont agencés entre eux. Ça, c’est la première chose, donc on va dire je rentre dans une église, je fais un plan schématique. C’est la première chose à faire. Surtout que quand je visite une église, je vais faire énormément de photos et parfois, comme je prends des détails, je vais être obligé de localiser ces photographies. Donc je mets des petits numéros et au fil des photos que je regarde pour mes analyses, et bien je saurais où est localisé le détail que j’ai pris en photo. Donc le plan en premier lieu.

Et ensuite je vais regarder ce qu’on appelle l’élévation. L’élévation, c’est la disposition verticale du mur, c’est-à-dire comment est-ce que le mur est orné ? Puisqu’il y a des, des arcades, des arcatures, des fenêtres. Comment est-ce que les bâtisseurs ont disposé les différents étages des murs ? Puisque vous rentrez vraiment dans une cathédrale, vous avez plusieurs étages dans le vaisseau central, c’est-à-dire la partie vraiment centrale de l’église, donc comment sont disposés les différents niveaux de murs de l’église ?

Ensuite, ce que je vais regarder également, c’est la structure, donc comment est-ce que l’édifice tient debout ? Comment est-ce que les piliers sont disposés ? De quelle manière ils ont été construits ? Quel est leur rapport avec le voûtement, c’est-à-dire comment est-ce que le pilier est rattaché au voûtement ? Et surtout, comment est-ce que l’église tient debout ? Donc est-ce que c’est par partage d’équilibre des forces ? Est-ce qu’il y a d’autres choses qui ont été ajoutées pour épauler, pour contrebuter les parties les plus hautes de l’édifice ? C’est vraiment expliquer pourquoi et comment est-ce que l’édifice tient debout.

Fanny Cohen Moreau : Effectivement, tu me rappelles beaucoup mon invité Olivier de Châlus que j’avais eu sur la série sur Notre-Dame qui s’intéressait beaucoup effectivement à comment se faisait la cathédrale de Notre-Dame de Paris. Mais c’était encore un autre sujet. Quoique… Alors, on va effectivement parler de comment tu vois se diffuser donc les éléments d’architecture, mais vraiment ce que je trouve super intéressant, et que quand j’ai reçu ta proposition de mail, je me suis dit : « Mais cet homme est fou, mais c’est incroyable ! ». C’est que tu travailles sur combien d’édifices religieux ?

Lucas La Barbera : À la base [rires de Fanny], j’ai répertorié 350 églises [stupeur de Fanny] dans des ouvrages, dans des livres, sur des bases de données en ligne qui sont fournies par le ministère de la Culture, sur le terrain également, puisque je fais énormément de route pour visiter toutes, toutes ces églises. Donc au fur et à mesure du périple, bien je vois des églises que je n’avais pas forcément repérées dans les ouvrages ou même sur Internet. Alors, ben, je m’arrête et puis je vois si c’est possible de la visiter. Finalement, l’inventaire n’est jamais terminé, mais c’est par cet inventaire que j’ai vraiment pu ressortir un corpus d’étude qui allait être le cœur de mon étude. J’ai pu visiter au total entre 180 et 200 églises.

Fanny Cohen Moreau : Mais c’est énorme !

Lucas La Barbera : C’est énorme, mais dis-toi que je n’ai pas pu tout visiter puisque parfois les églises ne sont pas forcément toutes accessibles. Il faut savoir qu’en Bourgogne, il y a énormément de monuments historiques et il y en a beaucoup qui, malheureusement, ne sont plus utilisés et parfois qui sont en ruine ou qui sont prêts à s’effondrer puisque les municipalités n’ont pas beaucoup d’argent pour les restaurer, ou alors la démarche avec les Monuments historiques leur font peur. Et parfois je n’ai aucun retour des mairies pour visiter l’église ou parfois ils n’acceptent pas parce que c’est trop dangereux. Mais la plupart du temps, je suis très bien accueilli et il me donne les clés, même si l’édifice est en péril.

Fanny Cohen Moreau : Et, en général, dans quel état sont les édifices que tu étudies ?

Lucas La Barbera : Il y a de tout. En fait, j’étudie les églises, donc ça va de la grande cathédrale à la petite chapelle de campagne, donc je vois vraiment de tout. Je peux par exemple citer les deux églises de Chablis. D’ailleurs, je fais une petite parenthèse, si vous allez à Chablis, il y a un très bon terroir. [Rires de Fanny]

Fanny Cohen Moreau : À consommer avec modération. Enfin, vous faites ce que vous voulez, hein, bien sûr.

Lucas La Barbera : Évidemment, à consommer avec modération. Mais c’est vrai que bon, bah ça fait partie un petit peu de la région.

Fanny Cohen Moreau : Non mais tu m’étonnes ! On sait pourquoi tu as choisi la Bourgogne comme lieu. Oui, oui, les églises… Non, mais c’est ça en fait tu passes ton temps à sillonner les routes de Bourgogne et à déguster les mets locaux, c’est ça ?

Lucas La Barbera : Je suis démasqué… [Rires de Fanny]

Fanny Cohen Moreau : Oui, parce que du coup… Là, depuis que tu as commencé ta thèse, tu as passé tes journées sur les routes.

Lucas La Barbera : Oui, c’est un petit peu ça et c’est surtout pour organiser le périple parce que souvent il faut contacter d’abord la mairie pour être sûr que l’édifice est accessible. La plupart du temps, il n’est pas ouvert au public, donc il faut que ce soit le personnel de la mairie qui m’accompagne ou alors qui me donne les clés. Alors déjà pour leur dire que oui, j’étudie les églises dans le cadre d’une thèse, parfois, ils se demandent un petit peu ce que je fais.

Fanny Cohen Moreau : C’est si étonnant que ça pour eux ?

Lucas La Barbera : Pour certains oui, puisque vraiment parfois je me retrouve dans des endroits où je pense pas grand monde ose s’aventurer. Même si bon, la Bourgogne est souvent sillonnée par beaucoup de touristes, mais si par exemple tu vas dans la Nièvre, il n’y a pas grand monde.

Fanny Cohen Moreau : S’il y a des gens qui m’écoutent et qui sont dans la Nièvre, envoyez-moi un message, hein. J’espère que… Manifestez-vous ! Montrez qu’il y a des gens dans la Nièvre.

Lucas La Barbera : Mais surtout que la Nièvre est un très beau département et il y a de très beaux édifices et qui justement parfois ne sont pas très accessibles puisque justement je pense qu’il y a aussi ce manque de tourisme. Et on a des édifices, d’énormes édifices qui sortent un petit peu de nulle part et qui sont vraiment admirables et remarquables.

Fanny Cohen Moreau :  Mais là, plus de 180 églises à inventorier, est-ce que c’est pas trop fastidieux ? Est-ce que tu n’as pas peur de te noyer dans tout ça ?

Lucas La Barbera : Au début, j’ai eu très peur de me noyer parce que…Effectivement, il y a beaucoup d’églises. Mais il y en a certaines sont des églises rurales de campagne, donc on va dire qu’elles sont moins “remarquables” que certaines grandes églises dans le sens où les financements n’ont pas forcément été les mêmes,  et les objectifs, la visée n’était pas forcément la même. Donc dans ce cas, l’analyse va être un petit peu plus rapide. Mais maintenant que je sais vraiment où est-ce que je vais et qu’est-ce que je veux montrer pour ma thèse, et bien, j’ai décidé de partir des grands édifices, c’est généralement ce qu’on fait quand on travaille sur une région. Donc je pars des grands édifices, des édifices les plus remarquables qui ne sont pas que des cathédrales. Puisque en Bourgogne, les cathédrales gothiques, j’en ai uniquement deux : la cathédrale d’Auxerre et la cathédrale de Nevers. Donc c’est la partie occidentale de la Bourgogne.

La plupart du temps, les grands édifices, cela va être des abbatiales, c’est-à-dire des églises d’abbaye, mais aussi des collégiales, des églises collégiales, c’est-à-dire des églises qui sont rattachées à un collège de chanoines. Et ensuite, dès que j’ai fait l’analyse approfondie de ces grandes églises, et bien je vais rattacher petit à petit les autres petites églises qui gravitent autour de ces grands édifices.

Fanny Cohen Moreau :  En fait, c’est comme si tu faisais une étude de réseau entre des gens, en mettant bah les gens principaux au milieu et après tu rajoutes autour d’eux toutes les personnes un peu plus secondaires mais néanmoins importantes. C’est ça ?

Lucas La Barbera : C’est exactement ça. Et je rattache finalement chaque forme, procédé architectural qui est directement rattaché à un édifice, qui font référence entre les édifices, qui font résonance entre eux.

Fanny Cohen Moreau :  Oui, parce que du coup tu fais aussi j’imagine une forme de réseau chronologique? Est-ce que tu étudies aussi un petit peu comme ça ? De voir, bah, le processus de diffusion des procédés architecturaux gothiques. Est-ce que tu étudies aussi, ah bah d’abord celle-là, et c’est après qu’on voit ça dans tel endroit ?

Lucas La Barbera : Parfois, c’est très complexe puisque là je vais dire la phrase : « il n’y a pas de source. »

Fanny Cohen Moreau : Ahhhhhh ! Enfin, on en parle, enfin on en parle ! Mais pas de source même de savoir la date de fondation.

Lucas La Barbera : Alors la date de fondation, on peut l’avoir, mais souvent les dates de fondation sont plus anciennes. Donc dans ce cas ça nous dit pas grand-chose parce qu’on a des institutions qui sont fondées au vie, au viie, au viiie siècle et ils décident de reconstruire à un moment donné leur église parce qu’elle est trop vieille, parce qu’elle a besoin d’être reconstruite. Dans ce cas-là, on a la plupart du temps aucun texte qui nous parle du chantier des églises. Et ça, c’est un énorme manque pour l’histoire de l’architecture.

[Musique : Deus Misertus – Ecole de Notre Dame]

Fanny Cohen Moreau : Bon, alors, qu’est-ce que tu observes dans ces églises ? Qu’est-ce que tu vois comme diffusion de l’architecture gothique ?

Lucas La Barbera : Alors, ce que je regarde et que je… enfin que je compare généralement, ce sont les éléments du décor monumental. Le décor monumental, c’est tout ce qui est rattaché au décor de l’architecture. Par exemple, ce que je vais beaucoup regarder dans une église, ce sont les chapiteaux. Les chapiteaux, ce sont les éléments qui couronnent la colonne, qui sont placés…

Fanny Cohen Moreau : J’adore les chapiteaux. J’adore regarder les chapiteaux dans les églises. Bref pardon, j’ai vraiment… Passion chapiteaux. [rires de Fanny]

ucas La Barbera : Et ben justement, les chapiteaux vont être très utiles pour la datation des édifices, puisque généralement leur décor, quand on les compare de chantier en chantier, et bien, on peut voir qu’il y a des points communs, des rattachements ou parfois une évolution. Et c’est à partir de là qu’on va pouvoir dire : « ah, peut-être que cet édifice est contemporain à celui-ci » ou « il est un petit peu plus tardif que celui-ci », parce qu’il y a tel motif qui apparaît à ce moment-là. Bien sûr, il y a d’autres éléments aussi qui sont pris en compte, notamment ce qu’on appelle la modénature.

Fanny Cohen Moreau : La quoi ?

Lucas La Barbera : La modénature, c’est l’ensemble des moulures qui se retrouvent dans l’édifice. Si vous voulez, on va reprendre le cas des ogives. Les ogives, je vous ai dit, c’est des sortes de nervures qui courent sur les voûtes, et ce ne sont pas juste des blocs de pierre. En fait, ces blocs de pierre sont taillés précisément, ils sont ornés et ils suivent un profil symétrique qui a été taillé par un tailleur de pierre spécifique bien précis, et ce sont ces profils que l’on va pouvoir relever, et ensuite comparer de chantier en chantier pour voir s’il y a une évolution ou si c’est la même chose.

Fanny Cohen Moreau : Mais est-ce que tu étudies juste le décor ou aussi comment l’édifice lui-même est fait ?

Lucas La Barbera : J’étudie aussi comment l’édifice lui-même est fait, puisque je vais reprendre la question de la structure. La structure, donc je vais regarder comment est-ce que le vaisseau central… Le vaisseau central, c’est vraiment quand vous rentrez dans l’église, c’est la partie la plus longue et centrale de l’édifice. Et justement, généralement, ce vaisseau central, et bien, il est très haut, il est voûté en pierre. Et ces voûtes, elles vont exercer une force de poussée sur les côtés de l’église et dans ce cas, il fallait avoir une technique pour pouvoir la contrebuter cette église. Donc qu’est-ce qu’on faisait ? Généralement, on prenait la technique de l’arc-boutant. L’arc-boutant, c’est un arc qui ressort des toits de l’église et qui vont venir s’appuyer contre le mur central de l’église et qui va vraiment permettre de stabiliser l’édifice qui est voûté de pierre.

Fanny Cohen Moreau : Oui, on les voit à l’extérieur des églises quand on est de dehors, en fait, on les voit ces arcs comme ça, qui dépassent, c’est ça ?

Lucas La Barbera : Exactement. On va dire que dans le détail, quand on regarde la conception structurelle de l’édifice, on a des choses qui changent au fur et à mesure des décennies. Où parfois on voit que certains chantiers sont un petit peu plus en retard par rapport à d’autres. Donc aussi, il faut aussi voir comment analyser tout ça et savoir s’il y a un retard ou pas. Et c’est vraiment l’analyse dans le détail de la structure qui va permettre de rattacher des chantiers entre eux et qui vont vraiment permettre de mettre en lumière un groupe d’églises entre elles et de savoir quand est ce que ce groupe d’églises a été bâti.

Fanny Cohen Moreau : Est-ce que tu as déjà eu des surprises en étudiant ces édifices ?

Lucas La Barbera : Quand je visitais mes églises, j’ai commencé plutôt par l’espace est de la Bourgogne, donc c’est la Côte d’Or et la Saône-et-Loire. Et je me rendais compte que ces églises, elles étaient un petit peu différentes…

Fanny Cohen Moreau : C’est-à-dire ? En quoi elles étaient différentes ?

Lucas La Barbera : Elles étaient différentes dans la mesure où leur décor était peu développé. Elles étaient très sobres. Elles n’avaient pas une structure gothique. Enfin, en tout cas, comme on entendait gothique pour certaines de ces églises. Alors que quand j’ai visité les églises de la partie ouest de la Bourgogne, donc dans la Nièvre et dans l’Yonne, je me disais que là, on avait vraiment des systèmes architecturaux qui faisaient vraiment référence à l’architecture gothique, surtout l’architecture gothique du nord de la France, c’est-à-dire celle de l’Île-de-France et de la Picardie, de la vallée de l’Oise. C’est vraiment ces régions-là que l’on considère comme les berceaux où il y a une multitude d’édifices gothiques, où il y a beaucoup de cathédrales gothiques. Et en fait, je me suis posé la question, mais qu’est-ce qui s’est passé ? Pourtant, ce sont deux groupes d’églises qui sont plus ou moins contemporaines. On voit que les églises plutôt de l’est de la Bourgogne ont vraiment gardé des procédés architecturaux que l’on pourrait considérer comme romanes.

Alors je me suis demandé ce qu’il s’était passé ? Et en fait, quand on regarde les différents chantiers, les grands chantiers de l’est de la Bourgogne, ce sont surtout des chantiers considérés comme les derniers chantiers romans. Je pense notamment à Notre-Dame de Beaune, qui est très tardive. C’est une église romane, considérée comme romane, qui est encore voûtée d’un berceau. Un berceau, c’est une voûte qui n’est pas d’ogives mais qui se prolonge sans interruption jusqu’au fond de l’église et qui forme une sorte de, enfin, oui, un berceau, vraiment. Donc, qui est considéré comme romane et qui est commencé dans les années 1150-1160 et qui est terminé au début du xiiie siècle. Alors qu’à ce moment-là, on a déjà de grandes églises gothiques qui ont été construites. On a cette église de Beaune. On a aussi la cathédrale de Langres qui est un petit peu plus éloignée, qui n’est pas en Bourgogne mais qui n’est pas loin non plus et qui reprend ces systèmes architecturaux romans. Et c’est certainement parce que ces édifices, ces derniers édifices romans, ont été construits. Ils ont peut-être influencé toutes les églises qu’il y avait autour, et dans ce cas, c’est pour ça que ces petites églises gothiques du xiiie siècle ont encore une tendance romane.

Alors que dans l’ouest de la Bourgogne, ce sont vraiment des églises que l’on peut considérer comme gothique, puisque nous avons un chantier très important dans cette partie de la Bourgogne qui est le chantier de la Madeleine de Vézelay, que je vous conseille vraiment d’aller voir parce que c’est une, c’est une vraie merveille, surtout quand on voit l’église sur la colline au loin, c’est magnifique. Je suis amoureux de Vézelay. [Rires de Fanny] Et où on a le chevet de l’église, donc comme je vous ai dit, le fond de l’église, qui a été reconstruit à partir des années 1160-1170, on ne sait pas trop, avec des procédés architecturaux gothiques qui venaient vraiment des premiers édifices gothiques qui sont situés en Île-de-France, autour de Paris. Et là, ce chantier a sans doute eu un gros impact dans cette partie de la Bourgogne et c’est pour ça qu’on voit se développer autour de cet édifice autant d’églises gothiques.

Fanny Cohen Moreau : Et d’ailleurs jusqu’à présent, bah, on a parlé de comment tu travailles dans les églises, mais ce qu’on a dit aussi au début – et ce que je trouve toujours très intéressant – c’est que tu ne travailles pas que sur l’architecture, mais aussi dans les archives et que tu mêles plein de domaines particuliers pour travailler sur ton sujet, c’est ça ?

Lucas La Barbera : Oui, tout historien de l’art, normalement va aux archives. Donc ça c’est un passage obligé. Même si ma source principale, finalement, ce sont les monuments. Donc souvent ma directrice de thèse me dit, il faut laisser parler le monument, il faut laisser le monument s’exprimer. Mais on est tout de même obligé d’aller aux archives pour voir de la documentation. Ça peut aller de la documentation médiévale donc contemporaine, xiie – xiiie siècles, jusqu’à une période très avancée, notamment aux xixe – xxe  siècles, pour étudier les restaurations des édifices. Donc je m’intéresse beaucoup aussi aux sources écrites contemporaines du chantier. Alors quand je vous dis qu’il n’y avait pas de source, évidemment qu’il y en a, mais il n’y a pas de source dans la mesure où aucune source, en tout cas très peu, vont mentionner un chantier. Généralement, on va s’attacher à des dons qui sont faits à l’institution à un moment donné. Par exemple, quand vous avez un don de carrière, ça peut, pourquoi pas, être un don qui aurait servi à la construction de l’église. Puisqu’une carrière, c’est là où on va prélever les pierres pour la construction.

Fanny Cohen Moreau : En fait, tu vas avoir des sortes de sources indirectes qui vont te renseigner sur la construction de l’église ou la vie de l’église en elle-même, c’est ça ?

Lucas La Barbera : Exactement. J’ai un seul exemple qui mentionne la reconstruction d’une église, donc c’est pour la cathédrale d’Auxerre. Il y a une source très précieuse, donc ce sont les Gestes des évêques d’Auxerre. C’est un ensemble de textes qui nous parlent de la vie des évêques d’Auxerre. Et il y a un texte, deux textes même, particuliers, qui sont relatifs à l’évêque Guillaume de Seignelay qui nous dit qu’à un moment donné, l’évêque Guillaume de Seignelay a décidé de reconstruire l’église parce qu’elle était vétuste et parce que tout autour d’Auxerre ont reconstruisait les églises. Et ça, c’est très précieux parce que pratiquement aucun texte au Moyen Âge ne nous mentionne cela. Et il y a un deuxième texte qui est daté, ce qui est incroyable, de 1217 et qui nous dit qu’ en 1217, le chantier de la cathédrale était en cours et qu’à un moment donné, il y a deux tours qui s’écroulent, qui s’étaient les anciennes tours de l’église romane, donc y a tout un texte. Et c’est un texte très précieux puisqu’il va nous aider à dater plus ou moins avec précision le début du chantier de cette cathédrale. Donc là, c’est une source exceptionnelle. Ce qui est intéressant, c’est que cette cathédrale d’Auxerre, dans ce cas-là, est bien datée et grâce à cette datation plus ou moins précise, et bien je vais pouvoir dater les autres églises par des comparaisons. Mais bien sûr, ce sont des comparaisons multiples qui ne tiennent pas sur un seul élément.

Fanny Cohen Moreau : Je me demandais aussi, est-ce que on a au Moyen Âge à cette époque-là, des textes qui théorisent ce que font les gens ? Est-ce qu’il y a des textes de théorisation de l’architecture gothique ?

Lucas La Barbera : Il n’y a rien de cela. A ma connaissance, il n’y a aucun texte qui nous parle d’architecture, en tout cas pour les xiie – xiiie  siècles en France, on n’a pas beaucoup de données. On a juste un carnet qui est le carnet de Villard de Honnecourt. Villard de Honnecourt, qui était un Picard, qui aurait sillonné l’Europe occidentale à la découverte des différents chantiers de cathédrales. Donc il a fait énormément de dessins, parfois des dessins commentés, ce qui est assez incroyable, où il faisait des dessins de murs qui étaient en élévation, qui étaient en train d’être construits, des projets, parfois des plans, plein de choses comme ça, mais rien de bien précis, en tout cas sur comment se déroulait un chantier au Moyen Âge. Ou alors ça va être quelque chose de bien plus tardif, au xive, même xve siècle.

Fanny Cohen Moreau : Et à part le fait que tu étudies beaucoup trop d’églises et d’édifices religieux, qu’est-ce que tu as d’autres comme difficultés dans tes recherches, Lucas ?

Lucas La Barbera : Mes difficultés principales, ça va être pour commencer : le terrain. Puisque au-delà des visites, il y a aussi la route que ça représente. Puisque généralement je pars une semaine et je passe le plus clair de mon temps sur les routes. Donc ça peut être assez fatigant mais c’est vrai que, bon ben, conduire dans la durée parfois c’est très long et bin on peut vite fatiguer. Mais ce qui parfois peut être un petit peu plus compliqué, c’est quand il faut aller dans les parties hautes, surtout quand vous avez du vide d’un côté de l’église.

Fanny Cohen Moreau : Comment ça, du vide, comment ça se fait ? Tu marches dans le vide, c’est ça ?

Lucas La Barbera : Alors non, je ne marche pas dans le vide, mais vous avez un étage particulier pour les églises gothiques qui s’appellent le « triforium », Le triforium, c’est une arcature qui n’est pas plaquée contre un mur, mais avant le mur, il y a une sorte de passage qui est pratiqué avant le mur. Et on peut passer dans ce passage, dans cette épaisseur de mur. Et généralement c’est vraiment très étroit, donc même moi qui suis tout fin, j’ai du mal à passer. Par exemple, j’étais dans des cathédrales du nord de la France ces deux derniers jours et je me suis rendu compte que les triforiums du nord de la France, par rapport à ceux de la Bourgogne qui sont plus tardifs, sont très étroits. Et j’ai assez peu peur du vide, mais là j’ai vraiment eu peur du vide puisque le vide était vraiment à côté de moi. Et en plus ce sont des édifices qui sont relativement hauts.

Fanny Cohen Moreau : Mais attends, on te laisse y aller comme ça ? Te balader et sans sécurité ni rien?

Lucas La Barbera : Alors sans sécurité, oui. Parfois c’est sécurisé puisqu’il y a des rambardes, mais souvent ce n’est pas le cas. Alors, dans ce cas-là, je fais appel aux architectes des Monuments historiques qui sont au courant de ce que je fais. Ça va dépendre des édifices, mais pour les petites églises paroissiales, quand il y a une galerie comme ça, normalement le maire est au courant et je lui dis que je vais faire…

Fanny Cohen Moreau : Tu signes une décharge ? Ou non c’est bon…

Lucas La Barbera : Pas du tout. [Stupeur de Fanny]

Fanny Cohen Moreau : T’as jamais eu de soucis quand même ? Tu n’es jamais tombé, t’as jamais eu d’accident ?

Lucas La Barbera : Non, non, jamais eu de souci. Mais généralement, ce qu’on retrouve un petit peu comme surprise, c’est des pigeons morts, des oiseaux morts ou alors même des oiseaux qui ont fait leur nid et qui sont paniqués parce qu’on est là et ils se demandent ce qu’on ce qu’on fait là. Mais généralement on retrouve beaucoup de cadavres hein, même dans les combles.

Fanny Cohen Moreau :  D’oiseaux.

Lucas La Barbera :  D’oiseaux et d’autres choses aussi, hein.

Fanny Cohen Moreau : Ah bon ?

Lucas La Barbera :  De rats aussi.

Fanny Cohen Moreau : Ah oui non, tu ne dis pas que t’as retrouvé des cadavres d’humains quand même ?

Lucas La Barbera : Non !

Fanny Cohen Moreau : Pas pour l’instant, c’est ça ?

Lucas La Barbera : Pas pour l’instant oui. [Rires] Ça c’est sous terre plutôt, ça, c’est le travail des archéologues.

Fanny Cohen Moreau : Oui, toi tu es dans les hauteurs.

Lucas La Barbera : C’est ça.

Fanny Cohen Moreau : Alors justement, est-ce que tu aurais peut-être, Lucas, un ou deux conseils de lecture qui sont plutôt accessibles, grand public et trouvable en librairie donc, ou en bibliothèque ou en médiathèque, hein, pour les personnes qui voudraient en savoir plus sur l’architecture gothique ?

Lucas La Barbera : Alors je peux proposer un livre assez général qui s’appelle L’art du Moyen Âge en France de Philippe Plagnieux, enfin, sous la direction de Philippe Plagnieux. Et où il y a dans ce livre plusieurs chapitres dédiés à l’architecture et aux art gothiques en général. Sinon, je peux aussi proposer l’ouvrage La révolution gothique de Alain Erlande-Brandenburg, qui est assez récent et qui peut aussi permettre d’en connaître plus sur l’architecture gothique, sur même la sculpture et un petit peu le vitrail je crois bien, mais surtout sur la sculpture et l’architecture.

Fanny Cohen Moreau : Parce que là, on est d’accord Lucas, vu comment t’es parti, tu vas pouvoir faire un livre dans quelques années avec tout ça, même plusieurs. Parce que bon, il y a la thèse, oui bien sûr [Rires de Fanny]. Mais j’imagine que si jamais il y a des éditeurs qui nous écoutent et qui voudraient potentiellement te proposer quelque chose dans quelques années, ça pourrait être l’occasion, non ? À moins que tu aies déjà quelque chose de préparé ?

Lucas La Barbera : J’ai rien du tout de préparé, donc ça serait effectivement génial.

Donc la publication de la thèse pourquoi pas. Mais effectivement, après comme dans ma thèse, je… Parfois je ne peux pas aller trop dans le détail parce qu’il y aurait trop de choses à dire ou qui auraient encore d’autres choses à analyser, je pense qu’il y aurait d’autres sujets aussi qui mériteraient d’être…

Fanny Cohen Moreau : Du style, je sais pas, les plus belles églises gothiques de Bourgogne. Je suis sûr qu’il y a des personnes qui nous écoutent qui seraient super intéressées pour lire ça. Donc voilà, on sait jamais.

Lucas La Barbera : Surtout qu’en tout cas pour la Bourgogne, il y a pas d’ouvrage qui s’appelle Bourgogne Gothique. Il y en a un qui a été écrit en 1960 par un Américain.

Fanny Cohen Moreau : Ah oui, donc y a du travail, effectivement, il y a des choses à faire.

Lucas La Barbera : Il y a du travail et c’est pour ça finalement que j’ai fait, enfin que j’ai choisi ce sujet de thèse qui m’a été finalement proposé par ma co-encadrante, que je remercie d’ailleurs. Et c’est vraiment pour ça, par ce manque que j’ai voulu commencer le sujet.

Fanny Cohen Moreau : Alors justement pour finir, est-ce que tu aurais un conseil pour des personnes peut-être qui voudraient étudier l’art ou l’architecture gothique ? Et peut-être des conseils de sujets qui mériteraient d’être un peu plus étudiés ?

Lucas La Barbera : Alors pour des conseils, surtout pour les masterants, ceux qui veulent commencer un mémoire en histoire de l’art et sur l’architecture, ce qui est très rare, je conseille vraiment de commencer par un « petit édifice » entre guillemets, un sujet monographique où vous allez pouvoir vous familiariser avec le vocabulaire, mais surtout avec la méthode. On n’est pas obligé de choisir un grand édifice pour commencer. Le mieux, c’est vraiment de choisir un édifice qui vous touche, qui vous a marqué pendant votre jeunesse ou pendant vos études. Pourquoi pas la petite église de votre village si elle mérite vraiment une étude, enfin, d’architecture romane ou gothique d’ailleurs.

Et pour celui ou celle qui voudrait commencer une thèse spécifiquement sur l’architecture gothique, je pense qu’il faut vraiment prendre du temps pour réfléchir si on veut vraiment le faire et quelles sont aussi les finalités et également la question du financement… J’ai la chance d’être financé, ce n’est pas le cas de tout le monde. J’ai plusieurs collègues qui sont dans ce cas-là et qui eux travaillent comme ils peuvent. Et je trouve ça vraiment admirable. Mais vraiment aussi prendre le temps de savoir pourquoi est-ce qu’on fait la thèse et comment on va la faire si jamais il n’y a pas de financement. Et dans le cas où il n’y a pas de financement pour la première année, il faut pas paniquer, vous pouvez toujours vous réessayer l’année d’après ailleurs pour avoir un autre contrat doctoral. Il y a d’autres institutions qui proposent des contrats doctoraux. En histoire de l’art, je dirais que c’est quand même un petit peu plus compliqué qu’en histoire puisque généralement, bon ben, on a moins de potentialités, en tout cas peut-être. Mais il faut vraiment aussi se dire si vous postulez dans un laboratoire où il y a des historiens et des historiens de l’art, il faut aussi toucher les historiens. Il faut aussi leur montrer comment est-ce que vous pouvez aussi vous inscrire dans les questions des historiens. Et c’est pour ça que je m’intéresse pas seulement qu’à des questions d’histoire de l’art, mais aussi à des questions d’historien, même d’archéologie parfois, pour vraiment pouvoir étendre mon étude et l’inscrire vraiment dans un tout et non dans une seule spécialité.

Et oui et ce que je voudrais dire aussi, c’est qu’il faut être sûr du sujet. Vous n’êtes pas obligé de choisir un sujet sur une région entière ou sur un pays. C’est un travail énorme. Vous pouvez aussi choisir de travailler sur un seul grand édifice, par exemple une cathédrale, mais même une grande collégiale, ça existe. Il y a beaucoup de personnes qui font des thèses sur un seul édifice. Mais ce que je vous dirais surtout également, c’est de vous préparer à beaucoup vous déplacer puisque vous ne pouvez pas, même si vous travaillez sur un seul édifice, vous ne pouvez pas seulement, simplement vous arrêter sur un seul édifice ou regarder ponctuellement quelques édifices. Il faut en regarder beaucoup et même si vous travaillez sur une région, il faut aller en dehors de la région pour pouvoir vraiment inscrire votre étude et votre comparaison dans un tout et non comme quelque chose qui gravite autour d’un rien, puisque vraiment l’objectif c’est vraiment de rattacher tout cela à quelque chose.

[Générique]

Fanny Cohen Moreau :  Désormais, chers auditeurs et auditrices, vous avez peut-être envie d’aller en Bourgogne, de sillonner vous aussi les routes à la recherche de ces églises gothiques un petit peu partout. Donc merci beaucoup Lucas La Barbera. Bah grâce à toi on a envie de voyage, on a envie d’aller voir un peu tout ça donc je pense que tu nous as bien donné envie. Et puis bonne continuation pour ta thèse.

Lucas La Barbera : Merci Fanny.

Fanny Cohen Moreau : D’ailleurs, donc, auditeurs, auditrices, on l’a dit plusieurs fois, mais si le sujet de l’épisode du jour vous a intéressé, alors j’ai trois épisodes de mon format hors-les-murs à vous conseiller. Donc c’est un format où je vais dans des endroits où l’histoire médiévale est encore présente, avec un travail d’immersion sonore et tout ça. Alors il y a donc l’épisode sur la cathédrale de Strasbourg, il y a l’épisode sur la ville de Dijon, une très jolie ville où là vraiment on parlait aussi bah de Bourgogne. Et alors, dans un style plus tardif, quand on parle du gothique, mais il y a aussi l’épisode sur le Palais des Papes. Alors là, vraiment, on est sur un monument très particulier, mais peut-être que ça vous intéressera aussi. Et donc aussi vous verrez que sur le site il y aura comme d’habitude un article qui accompagne cet épisode où on vous mettra des ressources. On verra où j’en suis à ce moment-là pour mettre pas mal de choses, mais on vous mettra bien sur les conseils de lecture et des cartes.

Eh ben profitez que vous êtes sur le site pour aller voir tous les autres épisodes de patients médiévistes, hein ? Je commence à avoir fait pas mal, oui ben on est au 81, donc oui, il commence à en avoir beaucoup, beaucoup. Ce qui est drôle, c’est quand parfois les gens me disent : « mais y a pas un moment où tu auras traité tous les sujets et tout ça? ». Je dis : « mais vous vous rendez pas compte hein ? Le Moyen Âge, c’est mille ans. L’histoire culturelle, religieuse, artistique, sociale, politique. Je vais jamais m’arrêter ». Enfin on verra. Donc vraiment n’hésitez pas à les voir tout ça et aller explorer pour répondre à votre besoin, je suis sûre, insatiable de curiosité. Et d’ailleurs profitez que vous êtes sur le site pour aussi aller voir mes autres podcasts. Et oui parce que je m’ennuie pas, je fais aussi Passion Modernistes sur l’époque moderne. Vous savez, cette période un peu chelou là, entre 1500 et 1800. Mais il y a aussi l’Antiquité, là c’est la belle Antiquité où ils ont des sources, souvent des cailloux, mais c’est pas grave. Non pas que quand même [Rires]. Donc Passion Antiquités, vous allez voir, on explore d’autres espaces géographiques.

Et vous le savez peut-être, mais vous avez la possibilité de soutenir Passion Médiévistes, que ce soit déjà en partageant le podcast autour de vous, hein, vraiment, n’hésitez pas à parler du podcast à vos amis, à vos collègues et tout ça à votre famille. Et si vous avez les moyens et que c’est possible pour vous de contribuer financièrement au podcast, eh bien, vous pouvez le faire. Allez voir sur mon site donc ces passionmédiévistes.fr/soutenir. Je vous explique comment faire et moi ça permet de payer mon temps de travail sur le podcast et d’y passer encore plus de temps et même de rémunérer les personnes qui m’aident à faire ce podcast. Par exemple, là, l’illustration de cet épisode a été réalisée par l’artiste incroyable Le Miroir Fou, donc j’ai pu la payer pour son travail, c’est normal, et plein d’autres choses aussi. Donc ce mois-ci je tiens à remercier Franck, Valentine, Damien, Zoé, Camille, Martin, Pierre, Renaud, le berger Graudenay (?) et un énorme merci à Bernard. Et dans le prochain épisode de Passion Médiévistes, nous parlerons des parfums au Moyen Âge. Vous allez voir, il est super ! Salut !

[Fin du générique]

Merci à Coline pour la transcription et à Luc pour la relecture !