Vies de Médiévaux #3 – Bathilde, l’esclave devenue reine
Dans Passion Médiévistes nous aimons bien vous montrer le Moyen Âge autrement, loin des clichés et des images d’épinal. Avec les jeunes chercheurs en histoire du blog Actuel Moyen Âge, que nous avons reçu dans le troisième hors série du podcast, nous vous proposons un nouveau format, Vie de Médiévaux.
Dans chaque épisode découvrez en quelques minutes un homme ou une femme médiévale qui mériterait d’être plus connu. Pour ce troisième épisode, Pauline Guéna vous parle de Bathilde, une esclave devenue reine au VIIème siècle, dont nous vous avions déjà parlé dans le deuxième épisode de Super Joute Royale.
Vous avez peut-être déjà croisé la reine Bathilde, soit que vous lisiez des livres sur les Mérovingiens, soit en vous promenant au jardin du Luxembourg. Dans les statues des reines et femmes illustres qui font face aux Sénat, elle est la toute première, sur la droite.
Bathilde a vécu au VIIe siècle, à une époque où la dynastie mérovingienne est à la tête des royaumes francs. Mérovée est en effet le nom d’un ancêtre, pas forcément attesté, de Clovis, qui est le premier à avoir réuni les Francs. Clovis est aussi le premier de sa lignée à se baptiser, vers 500. C’est important, car au VIIe siècle, lorsque vit Bathilde, le christianisme des élites franques est encore relativement récent. Ca se voit particulièrement dans la façon dont ils organisent leur vie familiale : jusqu’à quelques décennies avant Bathilde, les rois pouvaient encore avoir plusieurs femmes, et ils ont de toutes façons des concubines, dont les enfants peuvent très bien hériter du trône. Et pourtant le pouvoir de l’église de renforce progressivement, comme va bien le comprendre la reine.
À cette époque on a plusieurs exemples de reines puissantes, qui exercent la régence pendant plusieurs années avec un grand sens politique. En plus toutes ont des noms mémorables spéciale dédicace aux mérovingiens : Frédégonde, Brunehaut, etc. Mais leur mémoire est en générale ternie par les hommes d’église qui, à cette époque, ont un quasi-monopole de l’écrit. Au contraire, Bathilde, qui a fini sa vie dans un monastère, est devenue sainte, si bien qu’on a écrit d’elle plusieurs vies très élogieuses. Une vita, c’est un récit hagiographique de la vie d’un saint ou d’une sainte, écrit après sa mort, pour le donner en exemple aux fidèles. Comme toujours dans ces cas-là, pas facile de démêler le vrai du faux : la Vita Bathildis, Vie de Bathilde, a été écrite rapidement après sa mort, probablement par certains de ses contemporains, si bien qu’on y retrouve sans doute certains éléments véridiques.
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Bathilde est une esclave saxonne. A cette époque, l’esclavage romain n’a pas du tout été aboli par les royaumes barbares, et les importations continuent, entre autres depuis les royaumes saxons en Angleterre. De vente en vente, elle finit au palais royal, dans les mains du maire du palais, Erchinoald. Les maires du palais sont des personnages puissants : on a tous appris qu’en 751 le maire du palais Pépin le Bref mettait fin au règne du dernier Mérovingien pour imposer sa propre lignée, les Carolingiens. A l’époque de Bathilde, un siècle avant, on observe les premiers signes de cette montée en puissance.
Elle est son esclave personnelle, peut-être aussi sa concubine, mais comme la Vie de Bathilde est un texte chrétien, il faut lire entre les lignes.
« Lorsqu’il l’appela dans sa chambre, elle se cacha dans un tas de haillons [..]. Elle avait espéré ne pas se marier, mais avoir Jésus pour seul époux. La Divine providence intervint, Erchinoald trouva une autre épouse [ ..] Bathilde vint finalement à épouser Clovis, le fils du roi Dagobert »
Le texte est assez mystérieux, mais on peut essayer de comprendre ce qui se passe au palais : Erchinoald s’occupe alors des affaires du royaume avec le très jeune héritier, Clovis II, et il lui fait donc épouser une femme qui vient de sa maison, de sa maisonnée, ce qui est une façon de renforcer ses liens avec le roi.
Mais très vite, Bathilde se montre capable de tisser ses propres alliances. Contrairement à toutes les reines issues de grandes familles franques, elle n’a pas de réseau de parentèle ou de biens propres. Elle doit donc construire son réseau, et le fait en s’appuyant sur l’Église. Tous les récits sont unanimes pour dire qu’elle a fondé de nombreux monastère, fait des dons et soutenu les évêques. Si on traduit en termes politiques, elle pioche dans le trésor royal, tisse des liens personnels avec des dignitaires religieux, et place quand elle le peut certains de ses proches sur des évêchés. A une époque où l’Eglise est en train de constituer un patrimoine foncier important, et où les évêques sont souvent maîtres dans leur ville, c’est un bon calcul.
D’ailleurs, les mesures politiques qu’elle encourage sont aussi dans cette ligne. Elle a notamment interdit la vente d’esclaves chrétiens dans le royaume, et l’exportation d’esclaves chrétiens en dehors. Étant donné que beaucoup de territoires limitrophes ne sont pas chrétiens, et que le pouvoir des rois et reines reste assez limité ça ne bloque pas le commerce d’esclave. Pourtant cette mesure, qui est souvent associée à son propre passé d’esclave, est aussi en résonance avec le programme politique des évêques, qui ont pris la même décision lors de leurs conseils dans les mêmes décennies.
Elle devient veuve très rapidement : Clovis II meurt en 657, en lui laissant après sept ans de mariages trois garçons. Elle réussit à se maintenir au pouvoir en tant que régente pendant sept ou huit ans, mais l’arrivée au pouvoir d’un nouveau maire du palais ambitieux, Ebroïn, précipite sa chute. Il fait assassiner l’évêque de Paris, un fidèle de Bathilde, et pour se débarrasser d’elle la fait exiler dans le monastère de Chelles. Dans sa Vie, on comprend à demi-mots qu’elle n’est pas là de son plein gré :
« Au début, elle ressentait de la colère contre ceux qui l’avaient trahie […] elle en parla avec les prêtres et les pria de pardonner les sentiments qu’elle avait ds son cœur. Avec le temps, et par la grâce de Dieu, la paix fut restaurée entre elle et ses opposants. »
Elle arrive au monastère vers l’âge de 30 ans, elle y reste une quinzaine d’années jusqu’à sa mort.
Au moment de la révolution, sa tombe a été déplacée pour être préservée. On a pu étudier son contenu aujourd’hui : on y a trouvé les restes d’une femme d’1m58, qui a vécu au VIIe siècle. Elle a été enterrée avec une chemise de lin, tissée de motifs de couleur célèbres, parce qu’ils représentent plusieurs colliers en médaillon et une croix, qu’on a comparé notamment aux bijoux portés par les impératrices byzantines sur les mosaïques de la même époque. Cette chemise montre qu’elle a été enterrée sans bijoux, comme il convenait à une femme retirée dans un monastère, mais reste un signe de son passé pour suggérer que toute retirée qu’elle était, Bathilde a été l’esclave devenue reine.
Le générique a été réalisé par Clément Nouguier (du podcast Au Sommaire Ce Soir). Et ci-dessous la musique utilisée pendant l’épisode.