Super Joute spécial Charles VII au Musée de Cluny (Hors-série #3)
Écoutez une joute verbale exceptionnelle de personnalités de l’époque de Charles VII à la fin du Moyen Âge !
Le mercredi 27 mars 2024 avait lieu au Musée de Cluny à Paris une “Super Joute” à l’occasion des Nocturnes de l’histoire, une compétition acharnée de personnages médiévaux où c’est le public qui les départagent ! Elle était aussi organisée à l’occasion de l’exposition « Les arts sous Charles VII », présentée au musée jusqu’au 16 juin 2024.
Ce règne qui s’inscrit dans une période troublée porte en germe l’extraordinaire renouveau artistique de la fin du 15e siècle. L’exposition entend montrer toute la diversité de la production artistique pendant le règne de Charles VII. Elle rassemble de prestigieux manuscrits enluminés, peintures, sculptures, pièces d’orfèvrerie, vitraux et tapisseries.
Des oeuvres exceptionnelles y figurent, comme le dais de Charles VII (tapisserie, musée du Louvre), le manuscrit des Grandes Heures de Rohan (BNF) ou le tableau de l’Annonciation d’Aix (Aix-en-Provence) par Barthélémy d’Eyck, peintre du duc René d’Anjou qui enlumine son Livre des tournois (BNF).
Enfin, une section entière sera dévolue à Jean Fouquet, l’un des plus grands peintres français du 15e siècle. Enlumineur de génie, il est l’auteur du célèbre portrait peint sur bois de Charles VII (musée du Louvre), présenté en juste place dans l’exposition.
Avec Fanny Cohen Moreau et Florian Besson comme arbitres impartiaux (ou presque), six personnages, incarnés par des jouteurs et jouteuses, s’affrontent dans ce hors-série dans une joute verbale pour convaincre le public du Musée de Cluny de voter pour elles et eux. En effet, nous expliquons au début de l’épisode que l’autrice du Moyen Âge Christine de Pizan nous a chargé de choisir le personnage sur lequel elle doit écrire sa prochaine biographie.
Poule 1 :
- Marie Piccoli-Wentzo : Anastaise
- Max Parada : Agnès Sorel
- Nicolas Garnier : Gilles de Rais
Poule 2 :
- Emma Molinier : Bernardin de Sienne
- Simon Hasdenteufel. : Constantin XI “Dragasès” Paléologue Basileus kai Autokrator tôn Rhomaiôn
- Yoan Boudes : Ysabeau de Bavière
Pour connaître le résultat de ce tournoi il vous faudra écouter l’enregistrement de l’épisode, mais pour vous donner un avant goût, voici ci-dessous des présentations des différents personnages, ainsi que des aperçus en photo :
Anastaise
Anastaise est une enlumineuse active à Paris au cours du XVème siècle. Contemporaine de Christine de Pizan, on ne la connaît que pour la mention que celle-ci en fait dans la Cité des Dames. Anastaise y est présentée comme une des enlumineuses les plus douées de sa génération et une des plus célèbres dans le Paris du xve siècle.
Christine de Pizan ne dit rien de plus et par conséquent on ne sait, aujourd’hui, presque rien sur Anastaise. Aucune œuvre ne peut lui être attribuée de manière certaine, même si on sait qu’elle était spécialiste des décors de marges de manuscrits.
Gilles de Rais
Gilles de Montmorency-Laval, plus connu sous le nom de Gilles de Rais (1405 ?- 1440) est maréchal de France à la suite de son soutien à Charles VII durant la guerre de Cent Ans. On le connait surtout pour deux raisons quelque peu antithétiques à l’origine de sa renommée :
- Il a été compagnon de guerre de Jeanne d’Arc. Il était à ses côtés en 1429 lors du siège victorieux d’Orléans et celui, perdu, de Paris. Si leur relation demeure largement méconnue, ils ont mené ensemble de nombreuses batailles pour Charles VII
- Il a été jugé par l’officialité de Nantes pour hérésie, sodomie et meurtres de plus d’une centaine d’enfants (±140). Il a reconnu les faits et a été condamné à être pendu puis brûlé. Une telle fin a nourri une légende noire, et certains en font l’ancêtre du personnage de conte Barbe bleue.
Agnès Sorel
Née dans la petite noblesse picarde vers 1422, Agnès Sorel est adolescente lorsqu’elle devient demoiselle de compagnie d’Isabelle de Lorraine, l’épouse du roi René. C’est dans leur suite qu’elle rencontre le roi en 1443. Celui-ci la place dans la suite de son épouse la reine Marie d’Anjou pour la rapprocher de lui. Elle devient vite la première favorite, ou maîtresse officielle, d’un roi de France.
Elle s’impose rapidement à la cour, où elle soutient un « parti » hostile à l’influence du dauphin Louis (futur Louis XI), accompagne l’ascension de Jacques Coeur et du trésorier Étienne Chevalier, s’intéresse aux enjeux politiques et commerciaux. Elle semble proche d’artistes comme Jean Fouquet, qui en fait plusieurs portraits, dont probablement la Vierge à l’enfant du diptyque de Melun.
Elle a trois filles du roi, qui sont légitimées après sa mort. Meurt en couches en 1450 à l’âge de 27 ou 28 ans, et des rumeurs d’empoisonnement sont rapportées par des chroniqueurs de l’époque tel Monstrelet (qui a un point de vue bourguignon). Les plus lourds soupçons portent sur le Dauphin, mais c’est impossible à prouver et probablement de la propagande.
Bernardin de Sienne
Né en 1380, Bernardin est franciscain tendance Observance, surtout connu comme un immense prédicateur, dont la prédication populaire a renouvelé la pratique du sermon à la fin du Moyen Âge. D’abord parce que ce sont des prêches extrêmement vivants, d’après les témoins qui l’ont entendu (comme Piccolomini le futur Pie II) et les reportations en italien de ses sermons prises sur le vif par des fans. Mais aussi parce que ce qui l’intéresse, c’est transmettre une morale sociale plutôt que de s’étendre sur des considérations théologiques ardues : aime ton prochain, garde le Christ au cœur de ta vie, sois une bonne épouse, sois un bon commerçant etc.
Il a été poursuivi pour hérésie, deux fois devant la Curie en 1427 et 1431 (et même une troisième fois auprès de Sigismond de Luxembourg, après qu’Eugène IV eut décidé, en 1432, de le rendre inaccusable : mais ça n’a pas marché et ils sont devenus amis). L’héritage des franciscains « spirituels » condamnés un siècle auparavant pèse lourd, et il paraît facile de l’accuser d’idolâtrie pour ses petits panneaux de bois… Mais ce serait prendre les papes pour des ânes, qui ne se laissent pas impressionner par cette dévotion et renouvellent leur confiance en Bernardin.
Ysabeau de Bavière
Née vers 1370 dans une puissante et richissime famille de Bavière (qui compte des souverains du Saint-Empire), on ne connait pas grand-chose de la vie d’Ysabeau de Bavière avant la rencontre avec le futur Charles VI. Elle semble, outre les négociations des familles, choisie pour sa beauté (sur un portrait), avant une sorte de « coup de foudre » lors de leur première entrevue. Ysabeau subjugue le futur roi, qui veut très vite l’épouser. Assez inexpérimentée à la cour de France, elle fait aussi une entrée triomphale à l’occasion de son sacre en 1385. Elle installera d’ailleurs une certaine magnificence à la cour, mènera un train plutôt luxueux et fera travailler des artistes importants, dont Christine de Pizan.
Ysabeau est une reine de France et victime directe de la folie de son mari Charles VI, tout en devant continuer à faire tenir l’image du couple royal et la cour pendant les crises. Le roi ne la reconnaît pas toujours et la prend pour cible lors de ses crises, et elle est la victime de ses violences quand sa maladie s’intensifie (continuant d’être enceinte), qu’elle finit par fuir en s’installant dans un autre palais et en instaurant une maîtresse royale (Odette de Champdivers). Accouchant de 12 enfants, seuls 3 lui survivront. Elle est parfois accusée d’accentuer ses crises (bal des Ardents) ou de maltraiter le souverain (en l’enfermant, en l’abandonnant).
Elle devient un personnage important pour la conduite du royaume en pleine guerre de Cent Ans, assurant la régence du gouvernement lors des crises de folie et détenant l’autorité sur les dauphins successifs. Elle se trouve plus ou moins au milieu et à la merci des partis en présence dans les hostilités Armagnacs-Bourguignons (soutient en particulier le parti de Louis d’Orléans, qui meurt assassiné quand il sort de chez elle, et avec qui on l’accuse parfois d’être adultère). Sans ressources financières et sans poids politique, elle est contrainte de signer le traité de Troyes (qui fait passer l’héritage de la couronne aux Anglais), ce qui renforce les attaques dont elle est l’objet. Elle semble pourtant avoir cherché à ménager la paix et le statu quo (ou défendre ses intérêts) dans la marge de manœuvre assez réduite qui était la sienne.
Constantin XI
Cinquième fils de l’empereur Manuel II Paléologue et de la princesse serbe Héléna Dragas (d’où son surnom), Constantin XI devint empereur (basileus) à son tour en 1449 et mourut lors de la prise de Constantinople par les Ottomans en 1453, ce qui fait de lui le dernier empereur byzantin.
C’est sa mort qui le rendit célèbre : il refuse de quitter la ville et meurt dans le dernier assaut de l’armée turque. Néanmoins, les circonstances exactes de sa mort restent mystérieuses. Les récits les plus laudatifs affirment qu’il périt l’épée à la main, après s’être dépouillé de ses insignes impériaux. Les textes plus négatifs racontent qu’il tomba au milieu des combats en tentant de prendre la fuite. Son corps ne fut jamais retrouvé ce qui contribua à alimenter de nombreuses légendes.
Si cet épisode vous a intéressé vous pouvez aussi écouter :
- Super Joute au Musée de Cluny (Hors-série #2)
- Les épisodes classiques du format Super Joute Royale
- Les épisodes du format « Vies de Médiévaux » pour découvrir d’autres personnes du Moyen Âge
- Épisode 29 – Christophe et les compagnons de Jeanne d’Arc
Merci beaucoup aux équipes du Musée de Cluny qui ont rendu cette soirée possible !