Épisode 38 – Blandine et Thomas Cromwell (Passion Modernistes)
Qui était Thomas Cromwell et quel rôle a-t-il joué auprès d’Henri VIII d’Angleterre ?
Pour vous parler de Thomas Cromwell, Blandine Demotz est l’invitée de cet épisode de Passion Modernistes. Professeur agrégée d’anglais, elle est également doctorante à l’université Cergy-Paris Université, depuis septembre 2022. Sous la direction de Guillaume Coatalen, elle prépare sa thèse intitulée “In my right harty maner I comende me unto youe” : individualité et autorité étatique dans les lettres de Thomas Cromwell (1534-1540). Pour mener à bien ses recherches, Blandine Demotz étudie les transcriptions des correspondances de Thomas Cromwell, soit précisément 323 lettres.
L’Angleterre au XVIème siècle
Blandine Demotz vous transporte dans l’Angleterre du début du XVIème siècle, marqué par le couronnement d’Henri VIII en 1509. À l’instar de Charles Quint ou François Ier, il fait partie de ces jeunes souverains qui, chacun de leur côté de la Manche, impriment les débuts d’une toute nouvelle génération de monarques européens. D’un point de vue économique, à cette époque l’Angleterre n’est pas encore aussi puissante que d’autres nations européennes, d’autant que sur le plan géographique – parce que c’est une île – le royaume anglais est isolé. Au début du XVIème siècle, son défi est donc de se hisser au rang de grande puissance.
Et pour aider le roi Henri VIII dans ses ambitions politiques, il dispose de nombreux conseillers. Blandine Demotz en dénombre deux : le conseil privé et le conseil politique. Avec un ministre principal à sa tête, le conseil politique gère les affaires du royaume. C’est d’ailleurs à cette position stratégique d’importance auprès d’Henri VIII que Thomas Cromwell se hisse.
Thomas Cromwell, de son ascension fulgurante à sa chute brutale
Blandine Demotz vous confie en toute franchise que l’on ne sait pas grand-chose de la vie de Thomas Cromwell avant son ascension politique auprès d’Henri VIII. Il serait né vers 1485 dans ce qui fait aujourd’hui partie de la banlieue de Londres. A priori, il serait issu de la petite bourgeoisie, ce qui signifie qu’il est probablement allé à l’école. On sait qu’adolescent, il part aux Pays-Bas et se rend ensuite en Italie où il serait entré au service d’une famille de marchands florentins. Puis, il serait parti pour Anvers avant de finalement regagner l’Angleterre où, sans pourtant avoir suivi d’études de droit, il s’occupe de petites affaires d’ordre juridique.
“Thomas Cromwell est un vrai self made man.” — Blandine Demotz
Thomas Cromwell ne doit sa réussite qu’à ses compétences et à son travail remarquable. En 1523, sa vie prend un nouveau tournant, comme le détaille Blandine Demotz. Cette année-là, il entre au service du cardinal Thomas Wolsey, alors ministre principal du roi Henri VIII depuis dix ans. Il fait ainsi ses débuts dans les affaires de la cour d’Angleterre, à titre d’administrateur personnel du cardinal. D’abord anonyme, Thomas Cromwell va s’illustrer en jouant un rôle clé dans l’affaire du divorce d’Henri VIII et de sa première épouse, Catherine d’Aragon. Puis dans le procès d’Anne Boleyn, la deuxième épouse du roi.
Blandine Demotz vous parle également de l’affaire de la dissolution des monastères qui permet à Thomas Cromwell de s’illustrer à nouveau. En 1534, en pleine crise religieuse dans le royaume d’Angleterre, il est en charge de recenser les petits monastères qui n’abritent pas assez de moines pour en récupérer les terres et les ajouter aux possessions royales.
Si Thomas Cromwell connait une ascension fulgurante, sa chute l’est tout autant. Seulement dix ans après ses débuts en politique, et alors qu’il vient tout juste d’être anobli par le roi, un complot conduit à son arrestation pour haute trahison. Peu de temps après, il est décapité, après que le Parlement ait voté son exécution dans un processus expéditif.
Le rôle clé de Thomas Cromwell auprès d’Henri VIII
“En tant que premier conseiller du roi, Thomas Cromwell connait tout et gère toutes les affaires du royaume.” — Blandine Demotz
Comme vous le raconte Blandine Demotz, Henri VIII souhaite faire annuler son mariage avec Catherine d’Aragon, car elle ne lui a pas donné d’héritier mâle. Entre 1528 et 1529 – et avant son décès en 1530 – le cardinal Wolsey, en chargé de plaider l’affaire auprès du pape, échoue dans ses négociations. Thomas Cromwell propose alors d’aborder la question sous un autre angle. Plutôt que de se baser sur la religion, il soulève l’idée de traiter le dossier du divorce sous l’angle juridique : le roi peut évincer l’autorité papale en devenant lui-même le chef de l’Église d’Angleterre. Henri VIII prend ainsi les rênes du catholicisme dans son propre royaume. Il est excommunié par le pape, mais divorce néanmoins de Catherine d’Aragon en 1533, et épouse Anne Boleyn.
Avec la mort du cardinal Wolsey, mais aussi grâce à ses conseils dans l’affaire du divorce royal, Thomas Cromwell se voit offrir un poste d’administrateur au service du roi. Il siège au Parlement où il se démarque par son excellent travail. Blandine Demotz souligne qu’il ne tarde d’ailleurs pas à devenir le secrétaire principal du roi Henri VIII, c’est-à-dire son premier ministre, dès 1535.
Une nouvelle affaire le propulse sur le devant de la scène politique : Blandine Demotz vous détaille la suite du mariage d’Henri VIII et d’Anne Boleyn. Ne parvenant pas non plus à avoir d’héritier mâle avec sa deuxième épouse, le roi l’accuse de trahison et la fait exécuter en 1536. Cette fois encore, Thomas Cromwell gère les détails juridiques de l’affaire, notamment le procès d’Anne Boleyn.
Plus tard, il intervient également dans le choix de la quatrième épouse d’Henri VIII, Anne de Clèves. Le monarque annule son mariage peu de temps après, mais, Blandine Demotz est formelle, il reproche à Thomas Cromwell de l’avoir forcé à épouser Anne de Clèves. Il perd alors la confiance du roi et ses ennemis à la cour s’empressent de comploter contre lui, avec succès. Ainsi, si les conseils de Thomas Cromwell en matière de divorce lui ont valu son ascension auprès du roi, ses conseils matrimoniaux, eux, l’ont en partie mené à sa perte.
Pour en savoir plus sur le sujet de l’épisode, on vous conseille de lire :
Sources primaires
- Roger B. Merriman, Life and Letters of Thomas Cromwell, Vol. 1 : Life, Letters to 1535, Londres, Oxford University Press, 1902 (disponible en ligne)
- Roger B. Merriman, Life and Letters of Thomas Cromwell, Vol. 2 : Letters from 1536, Londres, Oxford University Press, 1902.
Sur Thomas Cromwell :
- Michael Everett, Rise of Thomas Cromwell Power and Politics in the Reign of Henry VIII, 1485-1534, New Haven : Yale University Press, 2015.
- David Michael Loades, Thomas Cromwell : servant to Henry VIII, Gloucestershire, Amberley, 2014.
- Diarmaid MacCulloch, Thomas Cromwell : A Life, Londres, Penguin UK, 2018.
Sur la politique dans les années 1530
- George W. Bernard, Who Ruled Tudor England : Paradoxes of Power, Londres, Bloomsbury Academic, 2021.
- Cédric Michon, Dans la cour des lions : hommes et femmes de pouvoir de la Renaissance, Paris, Passés/composés, 2020.
- Joanne Paul, Counsel and Command in Early Modern English Thought, Cambridge, Cambridge University Press, 2020.
Sur les pratiques littéraires et épistolaires
-
MS 114A, 393-394 : lettre de Thomas Cromwell à Matthew Parker, dean of Stoke, de la main d’un secrétaire, mais qui contient une formule de souscription et une signature de la main de Thomas Cromwell, dans la formule de souscription, on lit « Your Freende Thomas Crumwell”. Août 1538?, Corpus Christi College, Parker Library, Cambridge. James Daybell, « The Scribal Circulation of Early Modern Letters », Huntington Library Quarterly, 79-3, 2016, p. 365 386.
- Brendan Maurice Dooley et Sabrina Alcorn Baron, The Politics of Information in Early Modern Europe, Londres, Routledge, 2001.
- Mel Evans, Royal Voices : Language and Power in Tudor England, Cambridge, Cambridge University Press, 2020.
- Gary Schneider, The Culture of Epistolarity : Vernacular Letters and Letter Writing in Early Modern England, 1500-1700, Newark, University of Delaware Press, 2004.
- Tracey Amanda Sowerby et Joanna Craigwood, Cultures of Diplomacy and Literary Writing in the Early Modern World, Oxford, Oxford University Press, 2019.
- Paul Trolander, Literary Sociability in Early Modern England : The Epistolary Record, Newark, University of Delaware Press, 2014.
Publications de Blandine Demotz :
- Septembre 2023 « Failles épistolaires et posture diplomatique : l’individualité dans les lettres de Thomas Cromwell à Stephen Gardiner », in Les cahiers A’chroniques, 2023/1.
- Septembre 2023 « Étouffer le conflit : la religion comme outil d’inclusion dans les lettres de Thomas Cromwell aux ambassadeurs John Wallop, Gregory de Casali et Eustache Chapuys », in Caliban, n°66.
- Juillet 2023 Cap sur l’hypokhâgne, Cours, méthode et devoirs corrigés, Natalie Cossart dir., Ellipses.
- En charge de la partie concernant l’anglais.
- Juin 2023 « “These violent delights have violent ends” : penser la violence dramatique dans les pièces de Shakespeare », in La violence. Auteur par auteur. Littérature, philosophie, culture générale. Prépa ECG. Concours 2023 : Littérature, philosophie, culture générale Prépa ECG, Ugo Batini dir., collection Optimum, Ellipses.
- Août 2022 « Le Songe d’une nuit d’été, de William Shakespeare », in Littérature générale et comparée – Théâtres de l’amour et de la mémoire – Agrégation de Lettres 2023-2025 – Kalidasa, Śakuntalā au signe de reconnaissance – William Shakespeare, Le Songe d’une nuit d’été – Luigi Pirandello, Comme tu me veux, Natalie Cossart dir., Ellipses.
Dans cet épisode vous avez pu entendre les extraits des œuvres suivantes :
- Série Les Tudors (BBC)
- Henry VIII (« Money, Money, Money » by ABBA)
Si cet épisode vous a intéressé vous pouvez aussi écouter :
Merci à Clément Nouguier qui a réalisé le magnifique générique du podcast, à Alizée Rodriguez pour la rédaction de l’article et à Baptiste Mossiere pour le montage !
