Jeux vidéo et Moyen Âge #5 – Crusader Kings III
Quelles sont les réalités historiques derrière le jeu vidéo Crusader Kings III ?

Dans ce cinquième épisode du format Jeux vidéo & Moyen Âge, Fanny Cohen Moreau et Albert Leparc se penchent sur un jeu chronophage mais passionnant : Crusader Kings III, créé par le studio Paradox Interactive. Vous avez toujours rêvé d’incarner le roi de France et de gérer un royaume au Moyen Âge ? Ce jeu vous le permet, mais attention ce n’est pas si simple que ça !
Et merci à Rivenzi pour son message vocal témoignage sur le jeu, retrouvez ses parties de Crusader Kings III sur sa chaîne Youtube !
Un jeu “Grand Strategy”
Crusader King’s III est un jeu de “Grand Strategy”, c’est-à-dire un jeu où on gère un territoire via une carte, notamment ses lois, son économie et ses relations avec ses voisins un peu comme dans Civilisation. Cependant, la dimension “jeu de rôle” est beaucoup plus importante que dans des jeux de stratégie militaire comme Age of Empires. Il n’y a pas de réel objectif dans Crusader Kings, en dehors de celui de ne pas mourir sans héritier. Comme on peut choisir voir créer une dynastie n’importe où sur une carte qui va de l’Islande au Tibet en passant par l’Afrique, on est presque plus proche des Sims que de la stratégie pure : c’est au joueur de choisir ce qu’il veut raconter avec sa partie !
C’est un peu comme les autres jeux du développeur Paradox (Europa Universalis IV, Victoria III, Hearts of Iron IV…etc) : bien que la dimension militaire et stratégique y tient une place assez importante, les jeux brillent surtout par le potentiel narratif énorme que les joueurs investissent dans leurs parties de jeu. Crusader Kings 2 est vieux et était assez rudimentaire, mais Paradox avait bien compris que ce que la communauté avait adoré, c’est toute cette dimension “roleplay” et l’attachement qu’il avaient pour des personnages et des destins pourtant générés aléatoirement.
Donc en 2020, quand Crusader Kings III sort, Paradox a vraiment mis l’accent sur le fait que vous contrôliez une Maison, avec tout ce que ça implique de trahisons, alliances et rapports de pouvoir dont rêve n’importe quel fan de Game of Thrones ou des Tudors !
Le gros point noir : des conseillers et des dirigeants oui… mais le reste ?
Le jeu a tendance à se focaliser surtout sur les intrigues entre nobles, mais il faut toutefois admettre que c’est une représentation très (trop ?) personnalisée du pouvoir au Moyen Âge. En effet, au delà de vos conseillers, de vos représentants religieux ou de vos vassaux, vous ne négociez pas beaucoup avec le reste de la société. Or, on le rappelle, le Moyen Âge c’est LA grande époque des assemblées : les corporations de métier, les villes, les universités, les paroisses et même jusqu’aux foyers, toute la société de l’Occident médiéval (et au delà, quand on pense aux différents lignages au sein des tribus du Maroc médiéval par exemple) se dote de représentant et d’assemblées pour organiser la vie en communauté. Et le rôle d’un dirigeant au Moyen Âge est très clairement conçu comme celui qui doit tenir compte de tous les avis, aspirations et revendications de ces assemblées.
Or, ces revendications d’une majorité de la société, à commencer par la population rurale, sont finalement assez peu présentes dans le cœur du jeu. Elles apparaissent de temps en temps lors d’événements aléatoires, que ce soit parce qu’il faut négocier avec une guilde de maçons à Reims ou assister à un “ting” quand vous êtes un jarl scandinave. Mais comme le jeu doit rester fluide et donner l’impression que vos décisions ont de l’impact, le reste de ces assemblées (qui devaient pourtant constituer le quotidien d’un dirigeant médiéval) et les négociations avec ce qui constitue le “peuple” sont mis en arrière plan. Sauf bien sûr quand il y a une révolte paysanne (souvent sans visage ou leader identifiable).

Un jeu d’une grande richesse
Pour résumer, on peut dire que Crusader Kings III a des mécaniques complexes et bien documentées, une énorme variété dans les institutions politiques et pays représentés, un potentiel narratif assumé et des centaines de choses qui rendent passionnantes la vie d’un dirigeant ou d’une dirigeante au Moyen Âge. La seule zone d’ombre réside dans l’interaction très limitée que le jeu propose entre ces dirigeants et le “peuple” ou du moins avec des pans entiers du reste de la société.
Pour en savoir plus sur le sujet de l’épisode, on vous conseille de lire :
- BESSON Florian et BRETON Justine, Une histoire de feu et de sang. Le Moyen Âge de Game of Thrones, juin 2020, éditions PUF