Hors-série 26 – La Tapisserie de l’Apocalypse (au Château d’Angers)
Quelles histoires se drapent dans l’histoire de la tapisserie de l’Apocalypse ?
Souvenez-vous, c’était dans l’épisode 87 : avec Élise Haddad, nous vous parlions de l’Apocalypse, ce récit du dernier Livre de La Bible. Eh bien pour ce format hors-Série de Passion Médiévistes, je vous retrouve au Domaine national du château d’Angers, un château édifié au XIIIème siècle par la reine Blanche de Castille, mère du roi saint Louis. Remontez les fils de la tapisserie de l’Apocalypse, pour découvrir son histoire – toutes ses histoires – comme si vous y étiez.
Nous y avons enregistré cet épisode en public et en compagnie de trois invités qui ont étudié la tapisserie sous toutes les coutures :
- Clément Bourgoin, historien des religions et spécialiste de l’Apocalypse ;
- Maxine Geneste, qui a rédigé un mémoire de master autour de la tapisserie de l’Apocalypse, au sein de l’École du Louvre ;
- et Catherine Leroi, cheffe du service culturel du Domaine national du château d’Angers.
Cet épisode a été réalisé dans le cadre d’une collaboration rémunéré avec le Domaine national du Château d’Angers, merci beaucoup à Emma Fonteneau pour l’organisation !
A noter que depuis le 18 mai 2023, la tenture de l’Apocalypse d’Angers conservée et exposée dans le château est inscrite au registre Mémoire du monde de l’UNESCO ! L’inscription sur le registre international Mémoire du monde de l’UNESCO souligne l’importance et la portée universelle du plus grand ensemble de tapisseries médiévales conservé au monde. Elle atteste du rôle majeur de ce chef d’œuvre dans l’histoire de la création artistique et la nécessité absolue de sa préservation au regard de sa valeur pour l’humanité toute entière.
L’histoire de la création de la Tapisserie
“C’est la plus ancienne et la plus grande des tapisseries du Moyen Âge. […] Sans doute la première des tapisseries historiées monumentales !” – Catherine Leroi.
Comme vous l’explique Catherine Leroi, cette tapisserie est à l’origine une commande prestigieuse pour le compte du duc Louis Ier d’Anjou, fils et frère de roi, autour des années 1380. Elle insiste sur le caractère fabuleux de la tapisserie, sur sa richesse technique et artistique, notamment en termes de couleurs ou encore sur l’exceptionnel sens de la mise en œuvre. Selon Catherine Leroi, le duc d’Anjou a commandé cette tapisserie dans le but de faire passer un message : celui du texte de La Bible dont elle est l’écho ; mais aussi sur la vie à son époque, au XIVème siècle.
“[Le duc] a fait faire cette tapisserie un peu comme s’il s’était acheté une Ferrari !” – Catherine Leroi.
À l’origine, la tapisserie de l’Apocalypse est constituée de six pièces, exposées au Domaine du château d’Angers et dont il manque certains morceaux. Il s’agit d’un ensemble extrêmement luxueux. Elle a été conçue à la fin du XIVème siècle – vraisemblablement par un atelier basé à Paris – d’après les cartons de l’artiste Hennequin de Bruges, le peintre de Charles V, roi de France à cette époque. Elle est livrée au duc d’Anjou vers 1382.
“On est en pleine guerre de Cent ans. […] peut-être [le duc d’Anjou] a-t-il vu dans le conflit des signes annonciateurs de la fin annoncée par Jean dans les textes de l’Apocalypse.” – Clément Bourgoin.
Et à propos du contexte historique justement, Clément Bourgoin souligne que la tapisserie a été réalisée au cœur de la guerre de Cent ans qui a commencé trente ans plus tôt. Nous revenons sur les détails de ce conflit qui opposa la France et l’Angleterre dans la partie 1 et la partie 2 de nos épisodes de Super Joute Royale sur les rois du XIVème siècle. Il insiste sur les quatre premiers fléaux associés à l’Apocalypse qui apparaissent sous les traits de quatre cavaliers : la conquête, la guerre, la famine et la peste ; autrement dit des événements qui ont tous lieu, à l’époque, dans ce contexte de guerre entre la France et l’Angleterre.
Parallèlement, Maxine Geneste vous décrit l’agencement de la tapisserie comme si vous y étiez. Il s’agit d’une grande tenture composée de plusieurs tapisseries, soit six pièces en tout. Initialement, elle mesurait cent quarante mètres de long sur plus de six mètres de large. La tapisserie – ou plutôt, la tenture – de l’Apocalypse se lit dans un ordre chronologique, comme une bande dessinée. Elle présente des épisodes principaux et d’autres épisodes secondaires. Clément Bourgoin, lui, vous détaille certains de ces épisodes emblématiques de la tapisserie de l’Apocalypse, comme le combat de saint Michel face au dragon à huit têtes.
“La tapisserie de l’Apocalypse c’est un peu La Joconde des tapisseries.” – Maxine Geneste.
Enfin, Catherine Leroi précise que c’est une sorte d’architecture mobile, dont les différentes scènes sont liées les unes aux autres dans un ordre de lecture bien précis. Ainsi, les six tapisseries de la tenture de l’Apocalypse fonctionnent ensemble et ont été créées pour être toutes exposées au même endroit. D’après les sources, outre la cathédrale d’Angers, elle a été exposée lors de réunions de chevaliers et a aussi servi de décor de cérémonie. Elle fut, par exemple, disposée en extérieur, à Arles, dans la cour de l’archevêché, lors du mariage du fils du duc d’Anjou, Louis II d’Anjou, avec Yolande d’Aragon.
L’histoire de la redécouverte de la Tapisserie au XIXème siècle
“ Comme personne ne veut de cette œuvre, les chanoines s’en servent de toile d’emballage, un peu pour tout et n’importe quoi… même de paillasson.” – Maxine Geneste.
À la mort du duc d’Anjou, son fils, Louis II d’Anjou, hérite de la tapisserie. Comme vous le détaille Catherne Leroi, c’est René d’Anjou, dit le roi René, le second fils de Louis II d’Anjou, qui la lègue plus tard à la cathédrale d’Angers. Elle y est conservée jusqu’à la fin du XVIIIème siècle où, devenue démodée, les chanoines tentent de la vendre, mais sans trouver d’acquéreur. Ils décident finalement de la découper et de s’en servir de toile d’emballage, notamment pour protéger les orangers du froid en hiver ou encore pour couvrir les chevaux.
Malmenée par les usages et les intempéries, la tapisserie est dans un triste état de conservation lorsqu’elle est finalement redécouverte par le chanoine Joubert, en 1848. Maxine Geneste a étudié le parcours de cet homme d’Église. Elle vous précise qu’il repère la tapisserie de l’Apocalypse alors qu’il est en charge de la conservation du trésor de la cathédrale d’Angers. Pendant près de 26 ans, il consacre sa vie à la restauration de cette œuvre. Il réalise aussi un important travail de documentation, corrige la datation de la tapisserie et en dessine des schémas. Maxine Geneste insiste d’ailleurs le fait qu’il n’était pas seul. Des ouvrières l’ont aidé à restaurer la tapisserie et le chanoine Joubert reconnait la qualité de leur travail de tissage qu’il vante dans ses comptes-rendus.
“[La tapisserie de l’Apocalypse] est décousue, certaines scènes sont dans le désordre, il y a des gros manques […] les fils sont très abîmés, il y a des trous partout. Bref, c’est une catastrophe !” – Maxine Geneste.
Au sujet des techniques de restauration à proprement parler, Maxine Geneste vous décrit les différents procédés qui sont utilisés pour remettre en état la tapisserie de l’Apocalypse à l’époque du chanoine Joubert, au XIXème siècle. On sait par exemple que l’œuvre est baignée et lavée dans la rivière Maine, que certains trous sont raccommodés ou que plusieurs morceaux sont retrouvés un peu partout avant de pouvoir être recousues. Elle souligne également le long travail de recherche qu’il a mené en amont afin d’en apprendre davantage sur cette œuvre avant d’en entamer la restauration.
Les recherches sur la Tapisserie et les nombreux champs d’études à explorer
Clément Bourgoin et Maxine Geneste reviennent sur les difficultés qu’ils ont rencontrées lors de leurs recherches sur la tapisserie de l’Apocalypse. Pour lui, c’est la superposition de symboles propres au commanditaire, Louis Ier d’Anjou, et des symboles religieux. Il met l’accent sur la nécessité de bien connaitre le contexte historique de la guerre de Cent ans – entre autres – pour être capable de déchiffrer l’œuvre dans toute sa complexité.
Pour Maxine Geneste, il y a une double difficulté, à la fois matérielle et technique. D’un côté, Maxine Geneste déplore le manque de sources qui ne facilite pas l’étude de la tapisserie de l’Apocalypse. De l’autre, l’œuvre étant gigantesque, elle avoue qu’il peut être compliqué d’identifier la place des fragments que l’on étudie. En effet, notamment quand on les retrouve d’abord dans les sources, on a souvent du mal à en resituer l’emplacement exact au sein de la tapisserie dans son ensemble.
“Il n’y a aucun travail de comparaison systématique du texte et de la tapisserie. Aucun. Personne ne l’a fait.” – Clément Bourgoin.
Enfin, outre la tapisserie de l’Apocalypse, Maxine Geneste insiste sur la nécessité d’étudier les autres objets d’art des collections de la cathédrale d’Angers que le chanoine Joubert mentionne dans ses archives. Clément Bourgoin, de son côté, regrette l’absence d’étude comparative entre les représentations des scènes de l’Apocalypse sur la tapisserie et leurs descriptions dans le texte biblique de Jean. Catherine Leroi, quant à elle, lance un appel aux historiennes et historiens de l’art pour identifier et comprendre les influences qui découlent de la réalisation de la tapisserie de l’Apocalypse à l’époque de sa création.
Pour en savoir plus sur le sujet de l’épisode, on vous conseille de lire ou consulter :
Sources :
- Angers, archives diocésaines, archives du chanoine Louis-François JOUBERT (1799-1973), cote OP9.
Bibliographie :
- CAILLETEAU Jacques et MUEL Francis, dir., Apocalypse : la tenture de Louis d’Anjou, Paris, Éditions du patrimoine, Centre des monuments nationaux, 2015.
- GENESTE Maxine, « Le sauvetage de la tenture de l’Apocalypse d’Angers au XIXe siècle d’après les archives du chanoine Joubert », Bulletin monumental, T. 181-2, juin 2023, p.137-146.
- MATHURIN Clémentine et BONGRAND Montaine, « Faire parler l’Apocalypse : archives passées, archives créées », Les mémoires de la restauration, actes du colloque, Nantes, Musée d’arts, 15-16 novembre 2018, Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France.
- MATHURIN Clémentine et LEROI Catherine, Apocalypse : histoire intime d’un chef-d’œuvre, Angers, domaine national du château, Éditions du Patrimoine, 2017.
- La découverte des fragments perdus de l’Apocalypse
Si cet épisode vous a intéressé vous pouvez aussi écouter :
Merci à Clément Nouguier pour le générique du podcast et à Alizée Rodriguez pour l’article qui accompagne l’épisode !