Épisode 97 – Adrien et la danse au Moyen Âge (au Château de Blandy)
Quelle est la place de la danse au Moyen Âge et comment les médiévaux considéraient cette activité artistique ?
Adrien Belgrano est l’invité de l’épisode 97 de Passion Médiévistes pour parler de la danse au Moyen Âge. En novembre 2023, à l’EHESS et sous la direction de Marie Anne Polo de Beaulieu, il a soutenu sa thèse intitulée “Récits de danse à ‘l’âge de la carole’ (années 1170-années 1390) : essai de sociologie historique de la connaissance”. Désormais docteur en Histoire médiévale et enseignant dans le secondaire, il vous détaille la façon dont laquelle les médiévaux considéraient la danse. Il a concentré ses recherches principalement sur le nord du royaume de France. Sa thèse couvre une époque assez large, entre 1150 et 1400, autrement dit entre le Moyen Âge central et le bas Moyen Âge.
À noter que cet épisode a été enregistré en public au château de Blandy, retrouvez l’exposition « Blandy à grandes foulées » jusqu’au 1er septembre 2024
Les sources sur la danse au Moyen Âge
“ Il y a de la danse dans les sources. Il y a même une abondance de danse dans les sources.” – Adrien Belgrano.
Dans sa thèse, Adrien Belgrano a étudié les textes qui parlent de la danse au Moyen Âge. Il s’est surtout concentré sur des romans en langue d’oïl et sur les recueils d’exempla – ces récits brefs, porteurs d’une morale – dans lesquels sont compilées des références à la danse. Parmi ces sources, on retrouve deux types de discours : clérical et aristocratique. Ces deux points de vue divergent sur certains aspects ou se rencontrent sur d’autres. Il y a également plusieurs termes latins pour désigner la danse en général, mais aussi les différents types de danses.
En plus de ces termes en latin, il en existe d’autres en ancien français ou moyen français, qui, eux aussi, évoluent. Ainsi, au début du XIIIème siècle, Adrien Belgrano vous précise que c’est le mot carole qui est utilisé dans les textes. Selon lui, ce mot désigne le fait de bouger en groupe et en rythme, en se tenant par la main, en chantant, etc. Au fil de ses recherches, Adrien Belgrano a remarqué qu’au milieu du siècle suivant, c’est le terme dance – avec un “c” – qui est employé et désignerait davantage les mouvements des pieds en eux-mêmes.
Étudier les sources judiciaires a également permis à Adrien Belgrano de collecter des informations sur la danse au Moyen Âge, notamment des lettres de rémission datant de la fin du XIVème siècle. S’il y a effectivement des récits de danses populaires dans ces actes, il n’y toutefois pas assez de détails quant à la manière de danser en elle-même.
Quant à l’iconographie, elle a permis à Adrien Belgrano d’affirmer qu’il n’y a pas de danse genrée au Moyen Âge – à l’exception d’un poème intitulé Le Tournoi de Chauvency, qu’Adrien Belgrano vous décrit en détail dans l’entretien et dans lequel quelques femmes de la cour dansent seules. Ainsi, les danses sont mixtes et il n’y a donc pas de danses réservées spécifiquement aux femmes, ni exclusivement aux hommes non plus.
Les discours médiévaux sur la danse
“Il n’y a pas réellement de textes qui font l’apologie de la danse [au] Moyen Âge. Pour l’Antiquité et l’époque moderne, on a. Pour le Moyen Âge, on n’a pas.” – Adrien Belgrano.
Adrien Belgrano a principalement rencontré trois types de discours dans les sources qu’il a étudiées. D’abord, certains textes condamnent la danse comme un péché, en particulier les textes cléricaux. Dans ces récits, les personnages sont maudits, punis pour avoir trop dansé. L’une de ces histoires à d’ailleurs était reprise dans un conte des frères Grimm : Le Bal des douze princesses.
D’autres récits, aristocratiques pour la plupart et essentiellement des romans, font l’éloge de la danse. Ces écrits mettent en lumière cette activité extrêmement importante, en décrivant des scènes de danse ou des personnages, sur des centaines de vers. Cette activité est valorisée, toutefois, la modération reste de mise.
Enfin, Adrien Belgrano vous parle d’une “vision équilibrée”, dans laquelle les théologiens s’interrogent sur la légitimité de la danse et cherchent des réponses dans La Bible : la danse du roi David. Ces auteurs sont plus nuancés et trouvent un certain intérêt à la danse, du moins lorsque cette activité est pratiquée dans le respect de certaines règles.
La place de la danse au Moyen Âge
“ Plus que le mouvement, c’est la chanson que l’on apprécie le plus dans la danse au Moyen Âge.” – Adrien Belgrano.
Adrien Belgrano vous décrit les types de danses médiévales et insiste sur un point : il n’y a pas de danse de couple, à proprement parler, mais plutôt des couples de danseurs au sein d’une grande chaîne, ouverte ou fermée. Il y a également un certain nombre de règles quant à l’ouverture de la danse, la personne qui appelle les danseuses et les danseurs à former la chaîne, la façon dont on entre et sort de la chaîne, etc.
“ Dès que l’on a une occasion de danser, on se met à danser ! On danse beaucoup [au Moyen Âge]. C’est un aspect essentiel de la vie médiévale, pour toutes les catégories sociales, y compris les clercs et même les moines.” – Adrien Belgrano.
Comme l’a constaté Adrien Belgrano dans ses recherches, au Moyen Âge, toutes les occasions sont bonnes pour se mettre à danser : mariage, dimanches, fêtes saintes, tournois… De plus, la danse n’est pas une activité réservée à une catégorie de population en particulier, ni pratiquée seulement par une élite. Et les moines, eux aussi, dansent, comme vous le révèle Adrien Belgrano – même s’il n’a pas trouvé d’exemples dans les sources décrivant précisément les types de danses dans les monastères.
Concernant les danses populaires, là aussi, il précise qu’il ne peut pas non plus se fier aux descriptions qu’il a lues dans les romans aristocratiques. En effet, comme souvent lorsque l’on fait de la recherche historique et ainsi que vous le rappelle Adrien Belgrano, il est difficile de savoir si ces descriptions sont fidèles aux pratiques de danse populaires qu’elles narrent.
Les références citées par l’invité dans l’épisode :
- Le conte des frères Grimm : Le Bal des douze princesses
- Le poème : Le Tournoi de Chauvency
- L’épisode de la Danse du roi David dans La Bible
- Le texte intégral du Jongleur de Notre Dame
- Le Conte du Graal de Chrétien de Troyes, sur le site de Gallica pour la Bibliothèque nationale de France
- Le texte intégral de La Continuation de Perceval, par Gerbert de Montreuil
Pour en savoir plus sur le sujet de l’épisode, on vous conseille de lire :
Ouvrages généraux :
-
Ludmila Acona, Danser entre ciel et terre. Le maître à danser du Quattrocento, sa technique et son art, avec une Préface de Jean-Philippe Genet, Paris, Classiques Garnier, 2019, 487 p.
- Alessandro Arcangeli, Davide o Salomè? Il dibattito europeo sulla danza nella prima età moderna, Trévise – Rome, Fondazione Benetton Studi Ricerche – Viella, 2000, 390 p.
- Kathryn Dickason, Ringleaders of Redemption. How Medieval Dance Became Sacred, New York, Oxford University Press, 2021, XVIII + 369 p.
- Adrien Dubois, « On ne badine pas avec la danse : les structures d’encadrement d’une fête de saint patron au début du XVe siècle en Picardie » dans Transposition. Musique et sciences sociales, 2, 2012
- Jean-Michel Guilcher, Rondes, branles, caroles. Le chant dans la danse, Brest, Centre de Recherche Bretonne et Celtique, 2003, 437 p.
- Yves Guilcher, La danse ancienne de A à Z. Moyen Âge et Renaissance, Maisons-Alfort, L’Atelier de la danse populaire, 2023, 196 p.
- Philip Knäble, Eine tanzende Kirche. Initiation, Ritual und Liturgie im spätmittelalterlichen Frankreich, Cologne, Böhlau, 2016, 435 p.
- Gregor Rohmann, Tanzwut. Kosmos, Kirche und Mensch in der Bedeutungsgeschichte eines mittelalterlichen Krankheiskonzepts, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2013, 712 p.
- Marianne Ruel, Les Chrétiens et la danse dans la France moderne. XVIe-XVIIIe siècle, Paris, Honoré Champion, 2006, 457 p.
- Jean-Claude Schmitt, « “Jeunes” et danses des chevaux de bois. Le folklore méridional dans la littérature des exempla (XIIIe-XIVe siècles) », dans La religion populaire en Languedoc, XIIIe-milieu du XIVe siècle. Cahiers de Fanjeaux, 11, Toulouse, Privat, 1976, p. 127-158, disponible en ligne
- Jessica Van Oort, Dancing in Body and Spirit: Dance and sacred Performance in Thirteenth Century Beguine Texts, thèse de doctorat sous la direction de Joellen Meglin, soutenue à Temple University en 2009, VII + 317 p., disponible en ligne
Ouvrages sur la sociologie de la connaissance
-
Peter Berger et Thomas Luckmann, La Construction sociale de la réalité, Paris, Armand Colin, 2012 [1966], 341 p.
- Hubert Knoblauch, The Communicative Construction of Reality, Abingdon – New York, Routledge, 2020, XI + 312 p.
Bibliographie de l’invité
- Adrien Belgrano, Récits de danse à « l’âge de la carole » (années 1170-années 1390) : essai de sociologie historique de la connaissance, thèse de doctorat soutenue à l’EHESS, sous la direction de Marie-Anne Polo de Beaulieu, 2023, 971 p., disponible en ligne
- Adrien Belgrano, « Choreas ducere : dire l’acte de danser en groupe au Moyen Âge » dans Archivium Latinitatis Medii Aevi, 79, 2021, p. 43-58.
- Licia Buttà et Adrien Belgrano, « La danse immobile : iconographie et geste chorégraphique au Moyen Âge » dans Perspective. Actualité en Histoire de l’art, 2020-2, p. 121-142.
- Adrien Belgrano, « De l’ordre cosmique au rituel diabolique : l’Église et la danse au Moyen Âge » dans Laura Cappelle (dir.), Histoire de la Danse en Occident, Paris, Seuil, 2020, p. 51-61.
- Adrien Belgrano, « Danses profanes et lieux sacrés au Moyen Âge central : les danses dans les cimetières entre contrôle social et négociations » dans European Drama and Performance Studies, 8, 2017, p. 25-41.
- Adrien Belgrano, « Quelques pistes méthodologiques pour l’Histoire des danses anciennes » dans Recherches en danse, Actualités de la recherche, 15 septembre 2017, disponible en ligne
- Adrien Belgrano, « De l’usage de la danse en Histoire médiévale » pour le site Ménestrel. Médiévistes sur le net : sources, travaux et références en ligne, collection “De l’usage de…”, disponible en ligne
Si cet épisode vous a intéressé vous pouvez aussi écouter :
- Hors-Série #8 : Musique et Moyen Âge (avec Dam de Écoute ça !)
- Rencontre #14 : Brigitte Lesne et la musique au Moyen Âge
- Épisode 36 : Fanny et les harpes (Passion Modernistes)
Fanny Cohen Moreau : Bonjour. Juste avant que cet épisode commence, vous commencez à savoir, je voudrais remercier quelques personnes qui ont soutenu le podcast particulièrement ces derniers mois. Je tiens à remercier Hervé, Émilie, Morgane, Laurette, Virginie et Fabienne. J’ai d’autres personnes aussi à remercier qui ont soutenu en juin et juillet 2024, je les remercierai après le générique. Je vais aussi vous expliquer comment vous pouvez soutenir le podcast. Allez bonne écoute et dansons !
[Générique du podcast]
Fanny Cohen Moreau : Est-ce que vous savez tout du Moyen Âge? Mais d’abord, qu’est-ce que le Moyen Âge ? Vous pensez peut-être à Jeanne d’Arc, à la peste noire et aux croisades, mais ce n’est pas que ça. En général, on dit que c’est une période de mille ans, de l’année 500 à l’année 1500. Mais vous l’entendez dans ce podcast, il y a autant de définitions du Moyen Âge que des médiévistes. Je m’appelle Fanny Cohen Moreau et dans ce podcast, Passion Médiévistes, je reçois des jeunes médiévistes, c’est-à-dire des personnes en master ou en thèse, pour qu’ils et elles vous racontent leurs recherches passionnantes et qu’ils et elles vous donnent envie d’en savoir plus sur cette belle période. Épisode 97, Adrien et la danse au Moyen Âge, c’est parti.
Bonjour à toutes et à tous. Aujourd’hui, nous enregistrons cet épisode dans un lieu spécial. Eh oui, nous sommes au château de Blandy avec un public de folie.
[Acclamations du public]
Fanny Cohen Moreau : Eh oui, nous sommes dans un vrai château médiéval, à environ une heure de Paris et pas loin de Melun, construit entre les XIIIe et XIVe siècles, classé monument historique depuis 1889 et qui a été entièrement restauré entre 1992 et 2007. Si vous connaissez pas, c’est vraiment un lieu qui est très agréable à visiter, surtout là on enregistre au printemps, il fait beau, c’est très agréable. Jusqu’au 1er septembre 2024, il y a une exposition temporaire « Blandy à grandes foulées » pour découvrir les sports au Moyen Âge et à la Renaissance. On ne va pas parler exactement de sport aujourd’hui, mais pas loin : on va parler de danse. Pour parler de tout ça, j’ai le plaisir de recevoir Adrien Belgrano. Bonjour, Adrien.
Adrien Belgrano : Bonjour, merci de m’avoir invité.
Fanny Cohen Moreau : Avec plaisir. Adrien, tu as soutenu une thèse il n’y a pas longtemps, en novembre 2023, sur le sujet : Récits de danse à «l’âge de la carole » (années 1170-années 1390) : essai de sociologie historique de la connaissance. On va décrypter tous ces termes tout à l’heure. Tu étais dirigé par Marie Anne Polo de Beaulieu à l’EHESS, et aujourd’hui tu es professeur dans le secondaire. Ma première question, qui est assez rituelle dans Passion Médiévistes : pourquoi est-ce que tu as voulu travailler sur ce sujet ?
Adrien Belgrano : C’est vrai qu’il y a beaucoup d’historiens de la danse qui décident de travailler sur la danse justement parce qu’ils sont eux-mêmes des danseurs et moi pas du tout. En fait, ce qui s’est passé, c’est que je voulais faire de l’anthropologie historique du Moyen Âge. J’avais lu Jean-Claude Schmitt et je voulais faire ça. Je suis parti sur un sujet qui était la fête au Moyen Âge, et en travaillant sur un certain nombre de textes, un en particulier, je me suis rendu compte que la question de la danse, personne avait travaillé dessus de manière satisfaisante, en fait. J’avais beaucoup de mal à analyser les sources. Du coup, je me suis dit : il y a un sujet, je vais pouvoir faire l’anthropologie de la danse médiévale.
Fanny Cohen Moreau : Moi, je trouve ça déjà assez fou de se dire que la danse au Moyen Âge n’a pas vraiment été étudiée.
Adrien Belgrano : Effectivement. Il n’y avait pas beaucoup de travaux. Il y en avait quand même quelques-uns et des travaux assez importants. Et depuis mon master, depuis le début des années 2010, il y a quand beaucoup de choses qui ont été faites, mais il y avait assez peu de choses sur les pratiques. Les travaux s’étaient beaucoup concentrés sur le vocabulaire, sur la condamnation, notamment sur les danses religieuses, mais c’est pas vraiment ça qui m’intéressait et le sujet avait été un petit peu laissé de côté. Quand on a fait l’histoire du sport, l’histoire des banquiers, etc., la danse aurait pu être traitée à ce moment-là. C’est les années 1970, 1980. Ça a pas été fait.
Fanny Cohen Moreau : D’accord. Alors tease-nous juste un petit peu, donne nous un aperçu de ce qu’on va dire pendant tout l’épisode. Qu’est-ce que tu as voulu montrer dans ta thèse ?
Adrien Belgrano : Déjà, dans ma thèse, j’ai voulu montrer aux autres médiévistes qu’il y avait un sujet avec la danse, qu’il y avait quelque chose à faire…
Fanny Cohen Moreau : Ah, parce qu’il y a des gens qui pensent que c’est pas le cas ?
Adrien Belgrano : Oui, oui, oui. Il y a des gens qui pensent que ce n’est pas le cas. En fait, à mon avis, c’est pas faux, il faut avoir un certain angle pour aborder le sujet, pour que ça produise quelque chose. Et pour ceux qui connaissaient, de montrer que ça se limitait pas aux danses religieuses, aux condamnations, à ce genre de choses que je viens d’évoquer.
Disons que je défends une position qui est que le Moyen Âge central, c’est un moment qui est particulièrement important. Il y a une transition dans la façon dont on conçoit la danse entre un paradigme que j’ai appelé ancien et un paradigme que j’appelle moderne, qui est la façon dont on conçoit la danse aujourd’hui. Pour moi, les médiévaux ne concevaient pas la danse comme on la conçoit aujourd’hui. Notre conception moderne apparaît dans le courant du XIVe, XVe siècle.
Fanny Cohen Moreau : On va voir le résultat de toutes ces recherches tout à l’heure. D’abord, très important dans Passion Médiévistes, on va poser un petit peu le contexte. Alors, raconte-nous sur quelle époque est-ce que tu as travaillé et sur quel espace géographique ?
Adrien Belgrano : Alors, l’époque, c’est, pour prendre large, les années 1150 à 1400, c’est-à-dire à cheval sur ce qu’on appelle le Moyen Âge central…
Fanny Cohen Moreau : Qui est ma période préférée au Moyen Âge. J’adore le Moyen Âge central. C’est le moment de la révolution de l’écrit, donc j’adore cette période.
Adrien Belgrano : C’est le moment où il y a ce basculement, ce que j’ai évoqué tout à l’heure qui s’opère. C’est une période que j’ai appelée l’âge de la carole, parce qu’il y a un phénomène linguistique très intéressant qui a eu lieu à ce moment-là. Au début du XIIIe siècle, le mot carole est dominant dans les textes. On utilise très, très souvent carole pour la danse. Les autres mots sont moins employés. Brutalement, au milieu du XIVe siècle, carole ne disparaît pas mais recule considérablement au profit de danse, qui est le mot actuel.
Donc, c’est ça qui m’avait intéressé pour choisir cette période. Du fait de mes sources, je me suis centré sur le nord du royaume de France pour travailler sur cette thèse. Il faudrait élargir au-delà, ce que j’ai pas fait, évidemment.
Fanny Cohen Moreau : Oui, donc toi tu es centré. C’est important à dire, parce qu’on ne pourra pas parler de la danse pour toute la France, pour toute l’Europe et tout ça. Non, on est vraiment plutôt centré nord de France.
Adrien Belgrano : C’est ça, exactement.
Fanny Cohen Moreau : Alors, pour comprendre les résultats que tu as obtenus avec tes recherches justement, on va d’abord sources et méthodes, parce que tu étudies surtout les discours qui ont été faits sur la danse, c’est-à-dire que ce qu’on dit dans les sources écrites. C’est ça ?
Adrien Belgrano : Il y a des historiens – et pas que des historiens – qui se sont penchés sur la danse et qui ont dit : on aimerait bien savoir des choses, mais les médiévaux ne nous les ont pas dites. Quels sont les pas, comment on danse, quelle était la musique, comment on chantait, etc. Je pense que, évidemment, on peut râler en disant : on sait pas, et moi-même je le fais, il n’y a pas de soucis.
Fanny Cohen Moreau : C’est comme tous les médiévistes, on n’a pas les sources.
Adrien Belgrano : Voilà, on a pas les sources. Mais je pense qu’il faudrait plutôt partir d’une sorte d’étonnement. C’est-à-dire que, même s’ils n’ont pas dit ce qu’on voulait, ils en ont parlé. Il y a de la danse dans les sources, il y a même une abondance de danse dans les sources. Mais ils n’en parlent pas, comme nous on aimerait qu’ils en parlent. Du coup, plutôt que de dire : je vais travailler sur la danse et les pratiques de danse, je vais m’intéresser au discours et essayer de comprendre comment ils ont parlé de la danse et de comprendre pourquoi ils ont en parler de cette manière-là et pas de la manière dont nous, on aimerait qu’ils nous parlent.
Fanny Cohen Moreau : Donc, c’est une sorte d’enquête que tu as faite pour essayer de déceler en creux ce que les gens disaient sur la danse.
Adrien Belgrano : En quelque sorte. Oui, effectivement.
Fanny Cohen Moreau : Quels sont les types de textes que tu as pu étudier ?
Adrien Belgrano : Alors, je me suis concentré sur deux principaux types de textes. Le premier, c’est les romans en langue d’oïl, les romans en ancien français et en moyen français. Plutôt les romans en vers pour des raisons pratiques, je ne vais pas rentrer dans le détail. Donc, j’ai brassé un certain nombre de romans de la période que je viens d’indiquer. Mon deuxième corpus, c’était les recueils d’exempla. Alors les « exemplum », peut-être qu’il faut que je dise deux mots.
Fanny Cohen Moreau : Ah oui, oui, oui
Adrien Belgrano : L’exemplum, c’est une technique rhétorique qui vient de l’Antiquité. Pour appuyer un argument, on va donner un exemple sous forme d’une petite histoire.
Fanny Cohen Moreau : Comme une fable, comme une morale ?
Adrien Belgrano : Voilà, ça peut être des fables – morales, ça peut être un peu court – mais ça peut être des fables par exemple ou des choses qui sont arrivées à quelqu’un dont on a gardé trace, ou un personnage important qui sert de modèle. Donc, cette forme, elle a existé pendant tout le haut Moyen Âge, mais à partir du Moyen Âge central, au moment où la prédication en direction des laïcs se développe, des moines prédicateurs vont s’approprier cette technique-là pour leurs sermons. C’est-à-dire que pour que le sermon soit moins pénible à écouter et pour qu’il soit un peu plus stimulant pour le public, ils rajoutent des petites histoires qui sont censées frapper l’auditoire.
Fanny Cohen Moreau : Ils font du stand-up à l’époque en fait.
Adrien Belgrano : Ouais, il y a un petit peu de ça, effectivement. Des fois, ils peuvent même brandir des objets, enfin ça peut être très…
Fanny Cohen Moreau : Ah tu vois, ça se rapproche du stand-up !
Adrien Belgrano : Ouais, ça peut être très théâtral. Ces petites histoires, ils vont les compiler dans des recueils. On appelle ce type d’histoire un exemplum. J’ai travaillé sur les recueils d’exempla, qui compilent de manière différente, ça évolue au cours du temps. Au départ, c’est des compilations où on classe la matière par sujet, mais de manière très large, par exemple les péchés capitaux, etc. Et puis, au fil du temps, ça devient des compilations alphabétiques, et des fois il y a une rubrique danse, tout simplement. On peut voir ce qu’ils ont mis dans la rubrique danse.
Fanny Cohen Moreau : Et alors, quels sont les mots qu’on emploie pour parler de la danse à cette époque-là. Tu as déjà commencé à répondre. On a carole. Est-ce qu’on a d’autres mots que carole ?
Adrien Belgrano : Oui, on a d’autres mots que carole. En latin, il y a trois termes principaux. Le latin est plus pauvre que l’ancien français. Il y a chorea – à peu près l’équivalent de carole, pas tout à fait –, saltatio et tripudium. Le mot le plus utilisé, c’est saltatio. C’est l’équivalent de notre français « danse » contemporain.
Fanny Cohen Moreau : Mais pas salto, parce que ça serait un peu compliqué, quand même.
Adrien Belgrano : C’est quasiment le même mot : saltare, salto, je saute, mais c’est « je danse » aussi en latin. Pour ce qui est de l’ancien français, les termes qui sont utilisés, donc : carole. Il y a évidemment danse. Enfin, en ancien français, ça se prononce sans doute dantse, parce qu’il est écrit avec un c, ce qui connote le son « ts». À côté de ça, il y a plein d’autres termes comme tresque, tripudie – qui semble être un dérivé de tripudium –, ou bal. On peut trouver aussi espringuerie. Je vais pas faire la liste, parce qu’il a plein de mots. C’est des hapax, c’est-à-dire ces termes qu’on trouve qu’une seule fois et dont on ne sait pas vraiment ce qu’ils veulent dire.
Fanny Cohen Moreau : Donc, il y a une évolution, comme tu l’as dit tout à l’heure.
Adrien Belgrano : Il y a une évolution très forte dans la conceptualisation de la danse et le sens de ces mots se transforme au fil du temps. C’est ça qui rend les sources difficiles d’approche. Si on commence à considérer que carole ou que danse, ça veut dire la même chose dans les années 1150 et dans les années 1400, on va rien comprendre aux sources. Ce qui était intéressant pour moi, ça a été d’essayer de comprendre comment ces mots ont évolué au fil du temps. Pourquoi est-ce que danse a fini par s’imposer ?
Fanny Cohen Moreau : Est-ce que tu as des éléments de réponse que tu peux nous dire ?
Adrien Belgrano : Je défends un certain nombre de choses dans ma thèse. J’en suis pas sûr à cent pour cent, mais c’est une proposition. L’idée, c’est que carole, ça désigne une sorte de tout, en fait, des choses que, nous, on sépare quand on analyse la danse. Les médiévaux, eux, ne les séparent pas. C’est-à-dire qu’être en groupe, se tenir par la main, former une chaîne de danse, chanter, bouger en rythme, etc. c’est une seule et même chose. C’est ça la carole.
Danse, au départ, c’est plutôt une question de mouvement. À mon avis, j’en suis pas sûr, mais c’est une proposition, encore une fois, la danse, c’est un mouvement des pieds. Le bal, c’est plutôt un mouvement des bras ou du corps d’une manière générale. La danse est plutôt un mouvement des pieds.
L’idée que je défends c’est qu’au fur à mesure, l’attention se concentre de plus en plus sur ce que font les pieds, de moins en moins sur le chant, de moins en moins sur la collectivité. C’est pour ça qu’à partir du XIVe siècle, on voit émerger de nouveaux types de danses, des danses de couple. On voit émerger une analyse de la danse, c’est-à-dire qu’on va commencer à dire : dans la danse, il y a tels pas, qui vont commencer à être décrits. On n’a pas de description systématique avant le milieu du XVe siècle, mais on a des éléments. On passe d’un tout presque organique, la carole, à la danse, qui est avant tout un mouvement des pieds, et puis il peut y avoir du groupe, et puis il peut y avoir du chant, etc.
Fanny Cohen Moreau : On pose des règles, quoi.
Adrien Belgrano : On pose les règles, non. C’est surtout que les éléments, qui étaient un tout dont on ne pouvait pas distinguer les parties, deviennent des éléments distinguables : la danse, c’est quelque chose, la chanson, c’est autre chose, et le mot carole ne fait plus sens dans ce contexte-là…
Fanny Cohen Moreau : Au-delà des mots, quelles sont les façons de parler de la danse, de la carole, dans ces textes ? Quelles sont les grandes tendances que tu as pu dégager ? Tu as commencé à dire, tout à l’heure, qu’on avait une forme de condamnation d’une partie de la danse. Qu’est-ce que tu vois comme type de discours sur la danse ?
Adrien Belgrano : Au départ, on pourrait dire, il y a deux principaux corpus : un corpus clérical, un corpus aristocratique, donc il va y avoir un discours clérical, un discours aristocratique. C’est en partie vrai. Mais quand on est attentif, on se rend compte qu’en réalité, il y a des choses qui se recoupent entre les corpus et se dégagent, à mon avis, trois principaux discours. C’est pas une grande découverte là, pour être honnête, ces choses qui ont déjà en partie été dites.
Disons qu’il y a un discours de condamnation qui est extrêmement violent. La danse est profondément rejetée par l’Église et même par une partie l’aristocratie, qui considère qu’elle est liée à un certain nombre d’excès, comme le fait de danser toute la nuit, par exemple. C’est pas bon pour la santé, nous dit-on. Il y a un discours, au contraire, qui valorise beaucoup la danse.
Au milieu, il y a une sorte de discours équilibré, intermédiaire, circonstancié, qui dit : oui, c’est vrai, la danse a des côtés négatifs. Oui, la danse, ça peut amener à commettre des péchés, mais ça a aussi des aspects positifs. Et donc, il faut trouver une sorte de juste milieu entre l’interdiction radicale et la liberté totale, dire ok pour la danse, mais sous certaines conditions.
Pour ce qui est de la condamnation, évidemment, on a tous les exempla qui vont nous expliquer pourquoi c’est mal de danser. L’exemplum sur lequel j’avais travaillé en master, et qui m’avait poussé à faire ça, c’est une histoire qui est très célèbre, qui existe encore au XIXe siècle en Allemagne, qui raconte que, le soir de Noël, des jeunes gens dansaient dans le cimetière pendant que le curé faisait la messe de Noël. Ça n’avait pas l’air de le déranger plus que ça qu’on n’assiste pas à sa messe. Par contre, le bruit de la chanson perturbait la messe, perturbait l’office. Ça, c’est récurrent, les danseurs font trop de bruit, ça perturbe, ça empêche de dormir, etc.
Il vient sur le seuil de l’église et dit aux danseurs d’arrêter de danser, d’arrêter de chanter et de venir assister à la messe. Les danseurs refusent, il s’énerve, et du coup il les maudit. Il leur dit : puisque vous ne voulez pas arrêter de danser, vous danserez sans arrêt pendant un an. Alors les danseurs sont maudits et dansent dans un cimetière en rond pendant un an. Rien ne peut les arrêter, ni la neige, ni la pluie. On essaie de construire quelque chose pour les protéger au-dessus d’eux, une sorte de petite fabrique, Dieu détruit la fabrique. Petit à petit, à force de danser, ils s’enfoncent dans le sol.
Le fils du prêtre – parce que le prêtre, il a un fils et une fille. C’est une légende qui est marquée par la réforme de l’église au XIe siècle, et il y a des petits éléments qui percent comme ça. Donc, le fils du prêtre essaie de sortir sa sœur de la danse, et en lui tirant sur le bras, il lui arrache le bras.
Fanny Cohen Moreau : Ah oui, ça vire un peu gore.
Adrien Belgrano : Ouais, la condamnation, c’est assez virulent. Finalement, au bout d’un an, ils sont délivrés par l’évêque qui vient et qui accepte de demander leur délivrance.
Fanny Cohen Moreau : Ils sont pas morts ?
Adrien Belgrano : Certains meurent, notamment la fille du prêtre, malheureusement.
Fanny Cohen Moreau : Avec un bras en moins, c’est compliqué.
Adrien Belgrano : Il y en a d’autres qui ne meurent pas, mais qui sont touchées par des tremblements qui ne veulent pas s’arrêter. Du coup, ils sont obligés de se disperser à travers toute l’Europe pour trouver un saint qui voudra bien les délivrer de leurs tremblements. C’est un bon prétexte pour expliquer pourquoi l’histoire s’est diffusée jusqu’en Angleterre : parce que des danseurs sont venus demander à Sainte Édith de Wilton si elle voulait bien les délivrer leurs tremblements, ce qu’elle a fait.
Fanny Cohen Moreau : Elle date de quand cette histoire ?
Adrien Belgrano : Ça, c’est la version la plus ancienne qu’on ait, qui date du milieu du XIe siècle. Mais on retrouve ça dans des chroniques universelles. Ils disent : à telle date, en Saxe, il s’est passé ça. On retrouve ça dans des compilations d’exempla, où l’histoire est de plus en plus simplifiée. À la fin, il reste presque plus rien. Ça se retrouve jusque dans les légendes allemandes des frères Grimm, qui ont collecté cette histoire auprès de leurs informateurs.
Fanny Cohen Moreau : Donc là, c’était un peu pour la partie condamnation. Pour la partie valorisation, qu’est-ce que tu as comme, comme histoire ?
Adrien Belgrano : Pour la partie valorisation, c’est peut-être un petit peu plus compliqué, parce qu’il y a pas de textes qui font l’apologie de la danse. Pour le Moyen Âge, ça n’existe pas. Pour la période suivante, l’époque moderne, et la période précédente, l’Antiquité, on a. Pour le Moyen Âge, on n’a pas. Mais quand on lit certains romans, on se rend bien compte que la danse est vraiment une activité extrêmement importante. Des fois, les danses sont décrites sur des centaines de vers et ça permet de mettre en valeur un certain nombre de personnages aussi. Donc, ici, on voit qu’on a une vision extrêmement positive de la danse.
Et enfin, il y a le discours équilibré, qui se retrouve plutôt chez les théologiens, qui vont se demander : est-ce que la danse est licite ? Et là, c’est un peu compliqué. Ils se lancent dans des explications à partir de discussions autour de versets de la Bible. L’idée générale, ça va être que la danse, oui, mais à condition de pas commettre de péchés, à condition de pas danser quand c’est interdit, à condition de pas danser dans des lieux interdits, à condition de pas danser avec des clercs. Et si on fait ça, si on respecte toutes ces conditions, c’est plutôt une bonne chose. Ça permet de se délasser, ça permet de penser à autre chose, ça permet de renforcer les liens sociaux avec d’autres personnes.
Donc, ici, c’est un discours qui est un petit peu plus théorique. Mais quand on lit un certain nombre de recueils d’exempla, on a une condamnation qui est radicale, mais on voit bien que le compilateur a essayé d’introduire un certain nombre de nuances, peut-être pour coller justement avec cette vision équilibrée qui émerge chez les théologiens dans le courant du XIIIe.
Fanny Cohen Moreau : Niveau proportions entre ces trois discours, tu dirais que lequel domine ?
Adrien Belgrano : Ça va être par corpus. C’est-à-dire que dans le corpus clérical c’est la condamnation qui domine très largement. Mais on peut trouver des passages, on va parler du roi David qui danse devant l’arche, et là, c’est difficile de dire que c’est mal, surtout que la femme du roi David, Mikhal, le méprise pendant qu’il danse, et même parce qu’il danse, et du coup elle est punie par Dieu qui la rend stérile. Du coup, difficile de condamner la danse du roi David.
Donc voilà, on peut trouver des éléments de valorisation là et inversement, dans le corpus aristocratique, la danse est très largement valorisée, mais si on est attentif, on peut se rendre compte qu’il y a quand même des grosses nuances. C’est-à-dire que, oui, la danse, c’est bien, ça permet d’être joyeux, ça permet de faire en sorte qu’une fête soit plus agréable, qu’elle soit réussie, etc. Mais pas trop non plus quand même. Il y a des activités meilleures que la danse, et peut-être que, des fois, il faut savoir se modérer et arrêter de danser.
Fanny Cohen Moreau : Et du coup, à partir de ces textes, qu’est-ce que tu as pu percevoir de comment la danse était pratiquée en vrai à cette époque-là ?
Adrien Belgrano : La difficulté, c’est que si on veut reconstituer la danse, on n’a pas les éléments. Donc qu’est-ce qu’on appellerait pratiquer en vrai ? C’est trouver un certain nombre d’informations sur les danses, mais qui sont pas forcément les informations auxquelles nous on s’attendrait.
Fanny Cohen Moreau : Même du point de vue social.
Adrien Belgrano : Déjà, c’est la chaine qui domine, c’est-à-dire qu’on se tient par la main en grands groupes.
Fanny Cohen Moreau : Comme les Bretons.
Adrien Belgrano : Comme les Bretons, effectivement. D’ailleurs, un des principaux livres sur la carole a été écrit par Jean-Michel Guilcher, un ethnologue qui a travaillé sur la danse en Basse-Bretagne, le livre de référence, c’est lui qui l’a écrit. Donc il y a des liens, il y a des connexions. La chaine domine, le couple est absent comme forme, c’est-à-dire qu’il y a pas de danse en couple, mais il y a des couples dans la chaine. Il y a des couples de danseurs. On peut se rajouter à la chaîne en couple, par exemple, ou former un couple avec son partenaire, c’est possible, danser avec quelqu’un à l’intérieur de la chaîne.
Il y a des règles sur comment lancer les danses. Qui est la première personne qui appelle à danser ? Qui va tendre les mains pour qu’on vienne se joindre à elle ? Quand c’est pas une chaîne fermée, que c’est une chaîne ouverte, j’ai l’impression que l’endroit où on danse dans la chaine, ça peut avoir du sens. Par exemple, pour les danses de mariage, on a un très beau document dans Les Enfances Garin, où on voit les membres, les convives, venir faire danser la mariée, à tour de rôle. La mariée a la deuxième place, on prend la tête de la chaîne. Là, c’est une tresse, c’est pas une carole. La façon dont on entre, dont on sort de la danse, ça peut être réglé aussi.
Il y a plein de petites choses comme ça sur la façon concrète de danser qu’on trouve dans les sources, parce que c’est ça qui était important pour eux. Évidemment, c’est pas ça que nous on aimerait pour pouvoir reconstituer la danse, mais c’est ça qui est important pour eux. Et, bien sûr, on a la chanson. La chanson, c’est quand même le principal élément de la danse, plus que le mouvement, c’est la chanson qu’on apprécie dans la danse au Moyen Âge.
Fanny Cohen Moreau : Outre donc, comme tu as dit, les mariages, quels sont les autres moments de la vie où on peut avoir de la danse au Moyen Âge ?
Adrien Belgrano : Des moments où on peut avoir de la danse, en réalité, il y en a plein. C’est-à-dire que dès qu’on a une occasion de danser, j’ai l’impression qu’on se met à danser. On se met à danser le dimanche et d’ailleurs, dans les condamnations, ils disent tout le temps : ils passent leur dimanche à danser au lieu de prier, au lieu de penser à Dieu. On peut danser pour les fêtes de saints, on peut danser pendant les pèlerinages. Par pèlerinage, il faut comprendre pas Saint-Jacques-de-Compostelle, même si sans doute on y danse aussi, mais c’est la fête du saint de l’église du village à côté. Les villageois se déplacent d’un village, c’est un pèlerinage déjà. On danse pour ce type de pèlerinage, on danse aussi pendant les tournois pour l’aristocratie. On peut danser parce qu’on s’ennuie pendant que les jouteurs changent et qu’il y a rien à faire. Mais on danse également sur le chemin. Et puis, le soir, évidemment, après le repas, là on danse toute la nuit.
Fanny Cohen Moreau : On passe son temps à danser en fait au Moyen Âge.
Adrien Belgrano : On danse beaucoup. C’est ça qui est étonnant, parce que la danse, si on en croit les sources, a l’air omniprésente, et le sujet a quasiment pas été étudié, alors que c’est un aspect vraiment essentiel de la vie médiévale de toutes les catégories de la société, y compris les clercs et même les moines.
Fanny Cohen Moreau : Est-ce que, justement, tu parles des différentes catégories sociales, est-ce que tu vois des différences sur comment ces différentes catégories sociales pourraient danser ?
Adrien Belgrano : Alors là non. Sur ça, j’ai vraiment pas les éléments. Peut-être que pour les danses dans les monastères, on a quelques descriptions un peu précises de danses qui ont l’air d’être des rituels, c’est pas très, très clair. Mais là on a des choses particulières.
Fanny Cohen Moreau : J’adore imaginer les moines danser.
Adrien Belgrano : Oui, en se lançant des balles, en plus.
Fanny Cohen Moreau : Quoi ?
Adrien Belgrano : Oui, ils dansent en se lançant des balles. Alors, quelle est la symbolique de la danse dans la nef de l’église en se lançant des balles ?
Fanny Cohen Moreau : Mais c’est dangereux en plus.
Adrien Belgrano : Je ne sais pas, parce qu’on ne sait pas à quoi ça ressemblait concrètement.
Fanny Cohen Moreau : Ils faisaient une balle au prisonnier dans la nef de l’église en fait.
Adrien Belgrano : Peut-être. Je crois pas. Mais peut-être.
Fanny Cohen Moreau : Est-ce que tu as des différences entre les populations plutôt bases de la société et les plus aristocratiques ?
Adrien Belgrano : Non, je vois pas, parce que mes sources, c’est principalement les romans qui sont produits par l’aristocratie. Et les aristocrates, même quand ils nous parlent des paysans et qu’ils les font danser, je ne peux pas être sûr que c’est une reproduction fidèle. À côté de ça, on a quelques sources judiciaires. J’ai travaillé sur des lettres de rémission. C’est pas mon corpus principal.
Fanny Cohen Moreau : Tu peux dire que c’est une lettre de rémission ?
Adrien Belgrano : Bien sûr. Une lettre de rémission, c’est quand quelqu’un a commis un crime et qu’il demande au roi de lui pardonner. Il doit avoir des circonstances atténuantes, évidemment, le roi ne pardonne pas n’importe quoi. Il fait une demande où il raconte ce qui s’est passé, et le roi lui envoie une lettre dans lequel il pardonne et avant de pardonner, il raconte dans la lettre, il résume les faits qui sont reprochés à la personne. Donc, on a parfois des récits de danse très détaillés et là, pour le coup, c’est des danses populaires. Sauf qu’on n’a pas assez de détails pour comparer avec la littérature. Déjà, ces lettres, elles sont de la fin du XIVe siècle. Souvent, on a « danse », on a quelquefois « tresque », quelquefois « carole », mais on est déjà dans « danse » on n’a quasiment aucune information sur la danse.
Fanny Cohen Moreau : Je persiste à essayer de poser mes questions, même si je sais que t’as pas toutes les réponses, on sait jamais. Est-ce qu’on a peut-être des danses genrées, dans le sens, est-ce qu’il y a des différences de discours entre les danses des hommes et les danses des femmes ?
Adrien Belgrano : Des danses genrées, je sais pas. J’ai peut-être des choses à dire sur le sujet, mais pas tant que ça. Souvent, les danses sont mixtes. Donc, il n’y a pas de danse spécifiquement féminine. Ça se voit dans l’iconographie. Des danses exclusivement masculines, pareil, ça se voit dans l’iconographie, mais dans les textes, j’ai pas repéré ça, à part des choses qui sont très particulières.
C’est-à-dire que pendant certaines fêtes, et notamment dans un roman qui s’appelle Le tournoi de Chauvency et qui raconte un tournoi qui a vraiment eu lieu en 1285, à Chauvency-le-Château, il y a des femmes de la cour – on a cru que c’était des jongleuses pendant longtemps, mais non, c’est des femmes de, de la cour, de l’aristocratie – qui se mettent à faire des petites saynètes dansées, un jeu qui s’appelle le jeu du robardel. Il y a une jeune fille qui fait la jeune fille et une jeune fille qui fait le jeune homme, et le jeune homme essaie de voler un baiser à la jeune fille. À côté, il y a une troisième jeune fille qui joue de la harpe, si je me rappelle bien.
Deux jours plus tard, il y a l’épouse du comte de Luxembourg, donc une personne très, très importante, qui va faire un jeu dansé qui s’appelle le chapelet. Elle joue avec un chapelet, c’est-à-dire avec une couronne de fleurs, et elle cherche un ami et un ménestrel dans l’assemblée, va lui proposer un des hommes de l’assemblée qui s’est distingué pendant le tournoi pour qu’elle lui remette son chapelet. Mais pendant quasiment l’intégralité du jeu, c’était féminin. Du coup, ces jeux-là, c’est la seule danse vraiment genrée que j’ai dans mes sources.
Si je peux finir là-dessus, il me semble que plutôt que se demander : est-ce qu’il y a des danses genrées, si je faisais de l’histoire du genre – ce que je fais pas. Si je faisais de l’histoire du genre, je me poserais plutôt la question de savoir comment la danse contribue à construire le genre. Le genre au sens d’un système dans lequel on associe un certain nombre de choses aux hommes et d’autres aux femmes. Et là, si on s’intéresse à la danse comme ça, on se rend compte qu’il y a certains rôles qui semblent principalement dévolus aux femmes. Les femmes sont censées se comporter d’une certaine manière qui n’est pas tout à fait la même manière que les hommes, et je pense que c’est plutôt ça une piste intéressante pour poser la question du genre que se demander si on a des danses genrées ou pas, parce qu’on en a pas, j’ai l’impression.
Fanny Cohen Moreau : Tu l’as dit un petit peu tout à l’heure. Je voulais juste qu’on parle de ça aussi. Est-ce qu’on avait des danseurs professionnels au Moyen Âge, des personnes dont c’était le métier ?
Adrien Belgrano : On a des jongleurs dont manifestement, c’est le métier. Le problème, c’est qu’on a très peu de sources sur eux, parce que, au XIIe siècle, les romans en parlent encore beaucoup pour nous dire qu’ils font un petit spectacle de danse. Mais le problème, c’est qu’au XIIe siècle, les romans sont pas précis du tout sur les danses et à partir du XIIIe siècle, où on a plus de détails, c’est plus les danses de jongleurs, c’est les caroles de l’aristocratie. Donc les jongleurs, malheureusement, on a pas grand-chose.
On a quand même un texte qui s’appelle Del Tumbeor Nostre Dame – Du jongleur de Notre-Dame, donc : À propos du jongleur de Notre-Dame – qui raconte l’histoire d’un jongleur qui décide, à la fin de sa vie, de se convertir, c’est-à-dire de devenir moine pour avoir une bonne mort au monastère. Mais le problème, c’est qu’il connaît pas le latin, il connait pas les prières et, du coup, ne sachant pas trop ce qu’il peut faire pendant la messe, il se retire dans une alcôve, devant la statue de la Vierge, et là, il se met à danser. On a la description de ses danses, on a le nom des danses, mais on ne sait pas à quoi ça correspond. Il danse le tour romain, par exemple, mais qu’est-ce que c’est ? On sait pas. On a ça, ça perce un peu, mais c’est pas ce qui domine dans mon corpus.
Fanny Cohen Moreau : Si j’ai bien compris, ce n’est pas possible de reconstituer de la danse médiévale, en tout cas avant le XIVe siècle.
Adrien Belgrano : Les danses médiévales, ce n’est pas possible de les reconstituer avant le XVe siècle, parce, au XVe siècle, on a des manuels de danse, italiens, où les danses, en tout cas une série de danses, sont décrites. On nous donne les pas qui doivent être effectués. On nous donne la musique et les pas sont présentés dans le manuel. Alors, c’est un peu léger quand même, pour reconstituer la danse, il nous manquerait des éléments, mais déjà on peut avoir une petite idée.
Fanny Cohen Moreau : Ce qu’on fait avec les bras et tout ça…
Adrien Belgrano : Ce qu’on fait avec les bras, ce qu’on fait avec le pied libre. Il manque plein de choses, même sur comment on doit jouer la musique. Il manque des choses, mais on a une idée, alors que pour la période précédente, on sait rien. On sait pas ce qu’on doit faire avec les pieds. Alors, on a des informations. Des fois, un danseur tape du pied, on sait pas ce que ça veut dire. Un danseur marche sur le pied de sa voisine, il a fait exprès ou est-ce qu’il a pas fait exprès ? On nous dit : la danse, elle tourne vers la gauche. Eh oui, sauf quand elle tourne vers la droite. Donc, on n’a pas ces éléments-là.
Et puis surtout, quand on voit des reconstitutions de danses médiévales, moi, ce qui me surprend toujours, c’est que, dans mes textes, l’intérêt, le plaisir de la danse, c’est avant tout le chant. On a rien non plus sur le chant, donc une reconstitution de danse médiévale où on chanterait pas, même si on faisait parfaitement les mouvements, ce qui est impossible, ça serait quand même pas de la danse médiévale.
Fanny Cohen Moreau : Donc, on peut dire que ce qu’on voit aujourd’hui en reconstitution, c’est de la vue d’artiste, de l’inspiration.
Adrien Belgrano : Oui, c’est l’inspiration à partir des romans, à partir de l’iconographie aussi. C’est très, très éloigné de ce que pouvait être de la danse médiévale, même si, visuellement, de l’extérieur, ça peut avoir l’air de ressembler, c’est pas du tout ça, une carole médiévale.
Fanny Cohen Moreau : Donc, si jamais quelqu’un qui nous écoute voyage dans le temps et veut aller voir comment est-ce qu’on dansait au Moyen Âge, on serait preneur. Est-ce qu’il y avait d’autres divertissements qui seraient à la fois physiques et artistiques au Moyen Âge. Là on a donné la danse, plutôt physique, à la fois physique et artistique. Est-ce qu’on avait des choses comme ça au Moyen Âge, d’autres divertissements ?
Adrien Belgrano : Ça pose la question de ce que tu appelles artistique. Je ne sais pas si, eux-mêmes, ils auraient vu leur danse comme ça. Ils n’étaient pas capables de l’analyser, leur danse. L’analyser, ça veut dire de la découper en pas, en techniques. De temps en temps, ils arrivent à dire que quelqu’un danse bien ou qu’une danse est jolie, mais c’est pas ça l’intérêt principal de la danse. Au demeurant, est-ce qu’aujourd’hui, ou quand on parle d’un bal ou de la valse, on dirait que c’est un divertissement artistique, je ne sais pas.
En ce sens-là la joute, ça me semble artistique aussi. Techniquement, le public regarde les jouteurs et admire leur technique, leur capacité à briser des lances sur le bouclier du jouteur d’en face. Donc, je pense qu’en ce sens-là, la joute est tout aussi physique et artistique que la danse.
Fanny Cohen Moreau : Pour finir un petit peu, ce podcast, raconte-nous aussi comment se sont déroulées tes recherches, quelles sont les difficultés que tu as rencontrées ?
Adrien Belgrano : La première difficulté : après avoir été financé pendant trois ans, j’ai pu me consacrer à mes recherches, le financement s’est arrêté, j’ai dû enseigner à côté. Je tiens à le dire parce que c’est aussi le quotidien du chercheur, c’est-à-dire avoir une autre activité professionnelle en parallèle quand on essaie de finir sa thèse. Peut-être que c’est ça la difficulté principale que j’ai rencontrée. Sinon il y a eu d’autres…
Fanny Cohen Moreau : Parce que ta thèse a duré combien de temps ?
Adrien Belgrano : Ma thèse, en tout, elle a duré huit ans, si je me trompe pas.
Fanny Cohen Moreau : Ah oui, c’est plutôt long pour une thèse.
Adrien Belgrano : Oui, c’est plutôt long. Enfin, c’est plutôt long pour une thèse aujourd’hui. Il y a vingt ans, c’était plutôt la norme, mais c’est vrai qu’aujourd’hui les thèses sont beaucoup plus courtes.
Fanny Cohen Moreau : On est plus de quatre, cinq ans.
Adrien Belgrano : Oui, on est plus sur du quatre, cinq ans, et si j’avais été financé, ça aurait été quatre, cinq ans sans doute. Mais voilà, je m’y suis un peu mal pris, ça fait partie de la vie.
Fanny Cohen Moreau : C’est pas simple d’avoir une thèse financée aujourd’hui, c’est très compliqué.
Adrien Belgrano : Oui. Sinon peut-être qu’il y a eu des difficultés sur des questions… J’aurais aimé faire une exploitation statistique de mon corpus. J’ai pas pu le faire parce que ça me demandait d’acquérir des compétences que je n’ai pas eu le temps d’acquérir. Mais comme je travaille surtout sur des sources éditées, à part les lettres de rémission, c’est pas très compliqué. Il faut aller à la bibliothèque demander les textes. Il y a des bases de données. Et puis les lettres de rémission, elles ont été quasiment toutes numérisées, donc on peut y accéder sur internet. D’ailleurs s’il y a des amateurs c’est très facile. Il faut arriver à déchiffrer, mais…
Fanny Cohen Moreau : C’est en ancien français, en général ?
Adrien Belgrano : Les premières sont en latin, mais très vite, ça devient de l’ancien français et pas de l’ancien français difficile. C’est pas des écritures… Le XVe, c’est difficile, mais la fin du XIVe, ça se lit très bien.
Fanny Cohen Moreau : Mais oui, il y a juste quelques faux-amis, il faut juste faire attention. Est-ce que tu as eu au contraire des bonnes surprises ? Je veux bien que tu nous parles de ton travail d’enquête, parce que là tout ton corpus, il a fallu que tu le constitues, que tu choisisses, et tout ça.
Adrien Belgrano : C’est-à-dire que toute une partie du corpus, comme j’ai dit, c’est des bases de données. Pour les romans, j’ai pris les bases de données et j’ai tout regardé. Pour travailler sur le vocabulaire, pareil, j’ai regardé toutes les occurrences dans des bases de données de textes en latin, qui se limitent pas aux exempla, et donc, là aussi, j’ai brassé énormément de choses.
Au début de ma thèse, j’avais élaboré toute une théorie sur la danse chez Chrétien de Troyes et en lisant un texte de la continuation du Conte du Graal de Gerbert de Montreuil. Le Conte du Graal est inachevé, sans doute du fait de la mort de Chrétien de Troyes et il y a plusieurs auteurs au début du XIIIe siècle qui vont essayer d’écrire la fin. Un de ces auteurs, c’est Gerbert de Montreuil. J’ai eu l’impression que ce que disait Gerbert, ça allait dans le sens de ce que j’avais pensé à propos de Chrétien. Maintenant, je nuancerais un petit peu, c’est-à-dire que j’ai l’impression que je « Gerbérise » un petit peu Chrétien. Mais sur le coup, je me suis dit : à vraiment, ça va dans mon sens.
Enfin, les plus belles découvertes, c’est dans les lettres de rémission. On a des récits qui sont parfois très détaillés. Ce qui est intéressant aussi, c’est quand la lettre est contestée. C’est très rare, mais j’en ai une. On a une première histoire, c’est une histoire de viol. C’est assez sordide. La personne qui demande la lettre, dans le récit tel qu’il est écrit par le notaire qui a rédigé la lettre, mais lui reprend le récit qui nous en a été fait par le demandeur, le demandeur explique qu’en fait, c’est pas vraiment un viol, que la jeune femme était d’accord pour venir avec lui, qu’elle a dit au secours, juste pour faire croire qu’elle se faisait enlever, mais en fait elle était consentante, etc.
Fanny Cohen Moreau : Oui, bien sûr…
Adrien Belgrano : Voilà. Que de toute façon, elle lui a pardonné. Tout va bien, pas de soucis. Juste, il est inquiet parce qu’il y a le bailli qui ne veut pas le lâcher. Et donc rémission.
Fanny Cohen Moreau : Il parle de la danse là-dedans ?
Adrien Belgrano : Oui, parce qu’il est allé chercher la jeune fille à la danse. C’est un moyen de rencontrer des gens, notamment rencontrer des jeunes femmes. Donc, il l’a arrachée de la danse en fait.
Fanny Cohen Moreau : Sympa, dis-donc.
Adrien Belgrano : Ouais, mais elle était consentante, nous dit-il. Et puis nouvelle lettre. Celle-là, je l’ai trouvée un peu par hasard, à la fin de ma thèse. Manifestement la première lettre a pas été enregistrée par le bailli. Et pour cause, quand on lit la vraie histoire, elle était pas du tout consentante. Ils ont été obligés de tellement se battre qu’ils ont déchiré ses habits pour l’enlever. Il n’était pas seul, par ailleurs. Je dis ils parce qu’il n’était pas seul, ils étaient à plusieurs. On comprend que c’est le bailli qui a vraiment refusé d’enregistrer la lettre, et que du coup, l’auteur du méfait est obligé de raconter l’histoire telle qu’il s’est passé, de manière plus proche de la réalité. On peut voir ce récit qui évolue d’une lettre à l’autre, c’est intéressant à comparer. Donc, on a ce type de bonnes surprises au sein de temps en temps.
Fanny Cohen Moreau : Tu as soutenu sa thèse en novembre 2023. Comment ça s’est passé, la fin de ta thèse, et qu’est-ce que ça a changé, que tu aies soutenu cette thèse ?
Adrien Belgrano : Ça n’a pas changé grand-chose en réalité, parce que je continue à enseigner dans le secondaire. Par ailleurs, on m’a confié – c’est peut-être ça qui a changé – on m’a confié des charges de TD à l’université.
Fanny Cohen Moreau : C’est quand même pas mal, félicitations.
Adrien Belgrano : C’est quand même pas mal. J’ai écrit quelques textes que j’avais en souffrance, que j’avais repoussés un peu parce que je devais finir ma thèse. Et en gros, c’est tout. C’est cet été, je pense que je vais m’y replonger pour essayer d’en tirer quelque chose. Des articles, peut-être une publication.
Fanny Cohen Moreau : C’est ce que j’allais demander, est-ce que tu aimerais publier sa thèse ?
Adrien Belgrano : En tant que telle, non, parce que c’est une thèse qui était vraiment faite pour être une thèse. Elle est très, très longue. Il y a beaucoup de développements extrêmement théoriques. Elle va être disponible normalement sur internet. On pourra la télécharger, ça permettra de consulter directement les sources.
Je pense que ce que j’aimerais faire, par contre, c’est d’en faire une version simplifiée, plus accessible au grand public, de manière à ce qu’on puisse accéder à mon travail, dégagé de tout cet enrobage conceptuel, toutes les choses qui sont un petit peu difficiles. Si on est intéressé, on pourra toujours aller consulter le document en ligne.
Fanny Cohen Moreau : Donc, s’il y a des éditeurs et des éditrices qui nous écoutent et qui souhaiteraient du coup éditer cette version un peu grand public de ta thèse, ils peuvent te contacter ?
Adrien Belgrano : Oui, c’est ça.
Fanny Cohen Moreau : L’appel est lancé. En attendant que ta thèse soit publiée, est-ce que tu aurais un conseil de lecture qui serait plutôt accessible pour en savoir plus sur la danse, peut-être au Moyen Âge ?
Adrien Belgrano : Alors pour la période sur laquelle je travaille, c’est-à-dire avant les manuels de danse italien du 15e siècle, en français, accessible, en gros, il y a rien.
Fanny Cohen Moreau : C’est dire comme ta thèse serait importante à être publiée, il y a de la place.
Adrien Belgrano : Tout à fait. Un conseil, c’est le livre de Jean-Michel Guilcher. Pas son livre sur la Basse-Bretagne dont j’ai parlé tout à l’heure, mais son livre sur les danses anciennes qui s’appelle Rondes, branles, caroles. Le chant dans la danse. Il est difficile à trouver. Je pense qu’il doit se commander sur internet.
Fanny Cohen Moreau : À des centaines d’euros ?
Adrien Belgrano : Non, non, il est accessible. Vraiment, là je vous le conseille. C’est un livre qui est accessible et qui est assez agréable à lire, il me semble. Sinon peut-être encore plus simple, il y a le livre très récent d’Yves Guilcher, le fils de Jean-Michel Guilcher, La danse ancienne de A à Z – Moyen Âge et Renaissance. Comme l’indique le titre, c’est par ordre alphabétique et il traite un certain nombre de questions de manière parfois assez pointue, mais quand même accessible. Ça peut être un point de départ, mais si on veut rentrer dans le sujet en profondeur, malheureusement, il n’y a pas grand-chose aujourd’hui, en français en tout cas.
Fanny Cohen Moreau : Pour finir, question rituelle dans Passion Médiévistes, là que j’ai mis assez large. Je te laisse répondre bien sûr ce que tu veux. Est-ce que tu aurais peut-être un conseil de sujet sur le Moyen Âge qui, pour toi, n’est pas assez étudié et qui mériterait peut-être que de futurs chercheurs, chercheuses, s’y penchent ? Parce que là, tu nous as parlé de la danse qui n’est pas assez étudiée. Est-ce qu’il y a d’autres grands sujets comme ça, ou peut-être des plus petits sujets ?
Adrien Belgrano : D’autres grands sujets comme ça, je vois pas. Mais c’est vrai que quand on fait une thèse, on est un petit peu le nez dans sa thèse, c’est difficile d’aller voir ailleurs. Moi, ce qui me surprend beaucoup, c’est pas un sujet, donc, c’est peut-être un peu décevant pour un élève qui aimerait faire un master, je ne vais pas lui donner de pistes, ce qui me surprend un peu, c’est qu’il y a beaucoup d’aspects de la vie quotidienne qui ont été complètement laissés de côté.
Quand on s’intéresse au mariage, moi, j’ai dû m’intéresser au mariage pour travailler sur la danse, on se rend compte qu’il y a des choses sur le droit, il y a des choses sur la théologie, mais concrètement, un mariage comment ça se passait ? En fait, il y a pas grand-chose, il y a quelques petits articles, mais il y a vraiment pas grand-chose. Donc, il y a des questions comme ça qui, à mon avis, mériteraient d’être creusées. Évidemment, il faut pas refaire l’histoire telle qu’on la faisait dans les années 70, mais en modernisant un peu l’appareil théorique, comme j’ai essayé de le faire, je pense qu’on peut faire des choses intéressantes.
De la même manière, la question de la littérature, l’utilisation de la littérature par l’historien, à mon avis, elle est encore trop réduite. On a beaucoup travaillé sur la question de l’iconographie des images. On a des ouvrages de référence qui expliquent, comment on travaille sur les iconographies. Je pense notamment à L’iconographie médiévale de Jérôme Baschet. Pour la littérature, on n’a pas l’équivalent. Donc, ouvrir le chantier de la littérature médiévale vue par les historiens, sur n’importe quel sujet, je pense qu’il y aurait plein de choses à faire.
Fanny Cohen Moreau : L’appel est lancé.
[générique de fin]
Désormais, chers auditeurs et auditrices, vous en savez beaucoup plus sur la danse au Moyen Âge. Merci beaucoup, Adrien Belgrano, c’était passionnant. Vraiment si des éditeurs, éditrices nous écoutent, tu es prêt.
Adrien Belgrano : Tout à fait.
Fanny Cohen Moreau : Bonne continuation en tout cas.
Adrien Belgrano : Merci.
Fanny Cohen Moreau : Auditeurs, auditrices, comme d’habitude si le sujet vous intéresse, je vous mettrai sur le site passionmedievistes.fr plus d’informations. On vous mettra des choses, notamment peut-être un peu plus de conseils bibliographiques, un peu plus étendus, notamment sur les sciences que tu as étudiées.
Je tiens à remercier énormément les équipes du château de Blandy pour l’invitation et pour l’organisation. Je le redis, venez voir, il y a une super exposition que vous pourrez voir jusqu’au 1er septembre 2024. Mais si vous écoutez cet épisode après le 1er septembre 2024, venez quand même au château de Blandy, parce que c’est tellement charmant comme endroit. Je vous conseille vraiment. La visite est très, très chouette à faire et c’est très accessible, on peut y venir. Merci beaucoup à toutes les équipes.
Je remercie aussi Jean-Pierre pour m’avoir aidé à l’installation du podcast aujourd’hui et m’avoir amenée en voiture parce que, sinon, voilà, heureusement qu’il est là Jean-Pierre. Je le remercie parce que tu m’as aidé pour plein, plein d’événements, notamment à Angers aussi. Donc, je te remercie.
Merci énormément au public d’être venu aujourd’hui et je vous dis à bientôt pour un prochain épisode des Passion Médiévistes, salut !
[Applaudissements du public et fin du générique]
Fanny Cohen Moreau : Je reprends le micro, comme je l’ai dit au tout début du podcast, pour remercier les personnes qui ont soutenu, parce que je n’avais pas pu le faire dans l’épisode 96. Là, je me rattrape. En plus des personnes que j’ai remerciées tout à l’heure, je tiens à remercier Juliette, Julie, Sébastien, Éric, Marie, Zoé, Yann, Bernard, Franck, Nelly, Marie-Claire et Chloé. Ce sont les personnes qui ont soutenu financièrement Passion Médiévistes ces deux derniers mois.
Si vous aussi voulez le faire, vous pouvez soutenir Passion Médiévistes très simplement en parlant du podcast autour de vous. Vous pouvez aussi mettre des avis, par exemple, sur des applications de podcast comme Spotify ou Apple Podcast. Ça aide beaucoup au référencement et à la valorisation du podcast. Ou aussi en suivant Passion Médiévistes sur les réseaux sociaux. Déjà vous pouvez faire tout ça, si vous voulez.
Et financièrement, comment faire : à partir d’un euro, c’est sur mon site, passionmedievistes.fr/souternir. Il y a plusieurs méthodes, avec des contreparties, si vous le souhaitez. Et aussi si vous y tenez, vous pouvez rejoindre le discord Passion Médiévistes, à partir d’un euro par mois. C’est comme si vous m’offriez un café, alors je n’aime pas le café, donc plutôt comme si vous m’offriez un thé par mois, même si là, au moment où sort cet épisode, il fait très, très chaud donc plutôt, on va dire une limonade, une limonade par mois.
Je vous remercie énormément encore, toutes et tous. J’espère que vous passez un bel été. Ou alors que vous passez un joyeux Noël si vous écoutez ce podcast au moment de Noël. Je dis un peu n’importe quoi là. Je vous prépare plein de choses pour la rentrée. J’ai hâte de vous parler de tout ça et je vous dis : à bientôt. Salut !
Merci à cancerso pour la transcription et à Luc pour la relecture !
Merci à l’équipe du château de Blandy pour l’accueil et l’organisation de l’enregistrement, et à Alizée Rodriguez pour la rédaction de l’article qui accompagne cet épisode.