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Épisode 42 – Gaïa et la christianisation des sociétés scandinaves

Comment les sociétés scandinaves se sont christianisées au Moyen Âge ?

Gaïa Perreaut
Gaïa Perreaut au micro de Passion Médiévistes

En 2018, Gaïa Perreaut a réalisé un Master 2 d’histoire mondes médiévaux à l’université Paris Sorbonne sous la direction de Elisabeth Crouzet-Pavan sur « Les femmes dans la christianisation des sociétés scandinaves (IXe-XIIe siècles) ».  Dans l’épisode 42 du podcast, elle a montré dans son mémoire comment la religion chrétienne s’est diffusée, ou non, par les femmes dans les sociétés scandinaves.

L’espace scandinave au Haut Moyen Âge

Quand on parle des sociétés scandinaves au Moyen Âge, on désigne des sociétés qui vont connaître beaucoup de mutations, comme le reste des royaumes occidentaux. Au VIIIème et IXème la Scandinavie est constituée de petits royaumes qui tentent de se développer, et ensuite le développement des raids « vikings » créent une expansion vers l’Atlantique, avec l’Angleterre et l’Islande par exemple, mais aussi par le sud vers l’empire carolingien, avec la création du duché de Normandie suite à un accord avec le Danemark. Dans son mémoire Gaïa Perreaut s’est surtout centrée sur ce qui aujourd’hui est le Danemark, la Norvège, la Suède et l’Islande.

La diffusion de la religion chrétienne…

Avant la christianisation, la religion pratiquée en Scandinavie était polythéiste et un mélange entre plusieurs croyances, entre animisme, chamanisme et panthéon, avec beaucoup de divinités comme Odin, Thor, Freya. Aux premiers contacts avec le christianisme, avant les premières missions, certains dieux prennent plus d’importance selon les régions.

Dans l’épisode, Gaïa Perreaut raconte que les missions d’évangélisation des missionnaires anglais et du reste de l’Europe s’intensifient en Scandinavie au VIIIème siècle. Les rois scandinaves se convertissent avant tout par intérêt politique, pour obtenir le soutien de grands souverains de l’étranger face à leurs adversaires. La christianisation des sociétés scandinaves correspond à la centralisation des pouvoirs et à la création des royaumes, le baptême et la conversion sont des outils politiques.

Pierre runique U 151, Suède, XIème siècle, © Berig

… par les femmes !

Les femmes ont tenus plusieurs rôles face à la christianisation des sociétés scandinaves. Certaines ont rejeté cette nouvelle religion, notamment des femmes de l’aristocratie qui pouvaient avoir de hauts rôles religieux et funéraires. En parallèle des premières missions, on constate dans les sources archéologiques une sorte de « renaissance païenne », menées principalement par les aristocrates du Danemark et de Norvège qui se réapproprient d’anciens rites.

Mais il y aussi des femmes qui se sont converties au christianisme, elles ont même souvent été les premières à se convertir dans leur communautés. Les sources archéologiques et funéraires révèlent dans certains cas une forme de syncrétisme, de synthèse religieuse entre le christianisme et les croyances païennes. Gaïa Perreaut a étudié dans son mémoire beaucoup de pierres runiques, et elles sont intéressantes car elles témoignent de la diffusion de la religion chrétienne.

 

Pour en savoir plus sur le sujet de l’épisode, on vous conseille de lire :

Carte réalisée par Gaïa Perreaut
Carte réalisée par Gaïa Perreaut
  • Gaïa Perreaut, « Les femmes sur les chemins du sacré : Pèlerinages féminins à l’aube du Moyen Âge scandinave ? » in IIIe Congrès de l’Association pour les Etudes nordiques en 2019
  • Stefan BRINK  (sous la dir. de), The Viking World, Routledge, Royaume-Uni, 2009.  
  • Nancy COLEMAN et Nanna LOKKA (sous la dir. de), Kvinner i Vikingtid, Scandinavian Academic Press, Oslo, 2014.
  • Thomas A. DUBOIS, Nordic Religions in the Viking Age, Philadelphia, 1999.
  • Jóhanna Katrín Friðriksdóttir, Women in Old Norse Littérature. Bodies, Words and Power, « The New Middle Ages », Palgrave Macmillan US, 2013
  • Paulette L’HERMITE-LECLERCQ, L’Eglise et les femmes dans l’occident chrétien des origines à la fin du Moyen-Âge, Collection « Témoin de notre Histoire », Brepols, Turnhout, 1997.
  • Peter SAWYER et Birgit SAWYER, Medieval Scandinavia : From Conversion to Reformation circa 800 – 1500, The Nordic Series, Volume 17, University of Minnesota Press, Minneapolis, Londres, 2013.
  • Birgit SAWYER, The Viking-Age Rune-Stones. Custom and Commemoration in Early Medieval Scandinavia, Oxford University Press, 2000.
  • Anders WINROTH , Au temps des Vikings, préface d’Alban Gautier, Paris : La Découverte, 2018.

Illustration de l'épisode 42 par Din
Illustration de l’épisode 42 par Din

 

 

Dans cet épisode vous avez pu entendre les extraits des œuvres suivantes :

  • Vikings, saison 1, épisode 2
  • Kaamelott, Livre III, épisode 42, « Le dialogue de paix II »

 

Si cet épisode vous a intéressé vous pouvez aussi écouter :

 

Transcription de l’épisode 42 (cliquez pour dérouler)

Fanny: avant de commencer cet épisode, je tiens à remercier Jean-François, le mécène du mois sur Tippee, qui comme des dizaines de personnes, aide ce podcast à se développer et à grandir. Je vous en dit plus à la fin de l’épisode. Bonne écoute!

[intro Passion Médiévistes]

Fanny: Est-ce que vous savez tout du Moyen Âge? Mais d’abord, qu’est-ce que le Moyen Âge? En général, on dit que c’est une période historique de mille ans, de l’année 500  à l’année 1500. Mais vous l’entendez dans ce podcast, il y a autant de définitions du Moyen Âge que de médiévistes.

Je m’appelle Fanny Cohen-Moreau, et dans ce podcast je reçois des jeunes médiévistes, des personnes qui étudient le Moyen Âge en Master ou en thèse, pour qu’ils vous racontent leurs recherches passionnantes, et qu’ils vous donnent envie d’en savoir plus sur cette belle période.

Episode 42, Gaïa, les sociétés scandinaves et leur christianisation, c’est parti!

Bonjour Gaïa Perreaut.

Gaïa: bonjour Fanny!

Fanny: tu as fait un mémoire sur les femmes dans la christianisation des sociétés scandinaves du IXème-XIIe siècle, sous la direction de Elizabeth Crouzet-Pavant, quelqu’un dont on a souvent des étudiants à elle dans ce podcast, et tu étais donc en

Master 2 d’histoire mondes médiévaux en 2018 à l’université Paris Sorbonne.

Aujourd’hui avec toi on va parler des sociétés scandinaves au début du Moyen Âge, au haut Moyen Âge, on va voir un petit peu tout ça, et de comment elles ont été christianisées, on verra, par les femmes.

Avant tout Gaïa, avec toi je voulais savoir pourquoi tu a voulu travailler sur ce sujet?

Gaïa: J’ai choisi de travailler sur ce sujet car tout d’abord je… Ma passion pour l’histoire et plus particulièrement pour le Moyen Âge scandinave m’a amené à faire des études, des études nordiques à la Sorbonne toujours, où j’y ai appris donc la civilisation scandinave, la politique, l’économie tout ça, notamment le norvégien et des notions d’islandais. Et donc cette passion s’est poursuivie par un Master en histoire médiévale, puisque je souhaitais vraiment apprendre la méthodologie en histoire, pour la recherche. En M1 j’ai travaillé sur le rôle des femmes dans les croyances et les coutumes pré-chrétiennes. Ça m’a conduit à travailler sur ensuite l’évolution de ces rôles lors de la christianisation, lorsque les premiers missionnaires sont arrivés sur le territoire scandinave, qu’est-ce que ça a donné, et comment ça a influencé la vie des femmes.

Fanny: alors, rentrons dans ces sociétés scandinaves: sur quelles zones géographiques est-ce que tu a travaillé, et à quelle époque? et en fait, à qui on fait référence quand on parle des sociétés scandinaves en général?

Gaïa: officiellement, quand on parle des sociétés scandinaves, on parle essentiellement de la Norvège, de la Suède, du Danemark, de l’Islande, des îles Féroé et du Groenland. Ça, c’est la Scandinavie moderne.

Fanny: aujourd’hui.

Gaïa: aujourd’hui. Durant le Moyen Âge c’est beaucoup plus complexe, puisque entre le IXè et XIIè siècle, puis ensuite, en continuant, ces sociétés vont connaître beaucoup de mutations comme le reste des royaumes occidentaux, donc quand on s’intéresse à la Scandinavie au VIIIè siècle, et du IXè, il n’y a pas encore de royaume scandinave. Il y a pleins de petits royaumes en fait, avec des petits rois qui tentent de prendre le pouvoir, et de se développer.

Donc toute cette mutation prend de l’ampleur, et on commence avec le phénomène des raids vikings, à avoir une expansion à travers l’Atlantique. On a une première expansion vers le Royaume-Uni, on commence à avoir des établissements scandinaves en Angleterre, en Écosse, on a également la colonisation des Îles Féroé, puis la colonisation de l’Islande, une extension vers le Groenland, on part beaucoup plus vers le Nord encore, et on a également une extension vers le sud puisque, pour résumer, après les différents raids vikings, et les attaques sur de l’Empire Carolingien, il y a un accord qui est passé avec notamment le Danemark, et il y a la création du duché de Normandie où, du coup les Vikings s’installent.

Fanny: et toi tu travailles sur quelle zone en particulier?

Gaïa: alors je me suis recentrée essentiellement donc sur plus ou moins la Scandinavie actuelle, en fait. Et donc voilà,  je me suis recentrée sur le Danemark, la Norvège, la Suède, et l’Islande.

Fanny: donc comment se sont christianisées ces populations, et d’ailleurs quelle était la religion avant de se christianiser?

Gaïa: les populations scandinaves étaient donc polythéistes, ils avaient plusieurs croyances, un mélange de croyances animistes et de croyances… je vais pas dire “panthéonesques” mais donc l’équivalent d’un panthéon, pas forcément comme en Grèce ou à Rome comme on peut connaître. Et donc voilà, on avait les croyances en Odin, Thor, Freya, Frigg… de beaucoup de divinités qui étaient là, et qui accompagnaient donc l’ensemble des gens. Mais on était proche en fait presque des coutumes chamaniques pour une partie, une grande partie de la Scandinavie. Et on assiste en fait à une évolution déjà de ces coutumes pré-chrétiennes, puisque au contact du christianisme avant les premières missions y’a des évolutions, et on voit certains dieux qui commencent à prendre plus d’importance que les autres, et on a des dieux qui sont des divinités préférées et qui se distinguent en fonction des régions.

Fanny: et donc, comment se fait la christianisation, c’est petit à petit, tu parlais des missionnaires tout à l’heure…?

Gaïa: la première mission qui a été documentée correspond… c’est celle d’un missionnaire anglais qui s’appelle Willibrord d’Utrecht qui est venu dans le Sud…

Fanny: …on l’embrasse [rires]

Gaïa: [voix grave, ironique] Salut, c’est pour toi Willy.

[voix normale] qui est venu dans le sud du Danemark, dans la région du Schleswig, et qui a rencontré une forte opposition.

Fanny: de façon un petit peu caricaturale, un missionnaire qui débarque dans une société comme ça, il est pas trucidé sur place?

Gaïa: dans l’imaginaire collectif il y a les [voix grave, ironique] païens barbares…

Fanny: oui c’est ça…

Gaïa: [voix normale] comme j’ai dit précédemment, il y avait quand même des contacts, puisque les sociétés scandinaves étaient aussi des marchands. Le commerce avait une grande place dans la société scandinave, ils connaissaient très bien l’existence du christianisme, ça ne leur est pas tombé dessus…

Fanny: ils ont pas découvert quelque chose.

Gaïa: c’est ça. Je parle vraiment pour les comptoirs commerciaux et ce genre de choses, on savait qu’il y avait des religions existantes à l’extérieur puisqu’il y avait des contacts par exemple avec les arabes notamment. On avait connaissance de l’islam et de ce genre de choses.

Fanny: les scandinaves avaient des relations avec les arabes au VIIIe siècle?

Gaïa: alors tout à fait au VIIIè siècle, ça que je ne suis pas sûre, mais on a durant les raids vikings…ils ont été jusqu’au Maghreb, on a retrouvé énormément de monnaies arabes du Moyen-Orient dans les comptoirs commerciaux scandinaves.

Fanny: ah ouais?

Gaïa: donc est-ce qu’il s’agissait de pillages ou d’échanges simplement marchands, mais il y avait des contacts existant, et puis ils sont passés aussi [par Byzance] par Constantinople.

Fanny: une fois qu’il y a eu ces premiers contacts, comment on vient à une population qui se fait christianiser en fait?

Gaïa: alors les missions ont continué en fait. Elles ont commencé à s’intensifier au cours du VIIIè siècle.

Fanny: ça consiste en quoi ces missions?

Gaïa: ce sont des chrétiens, principalement des moines, des hommes d’église qui sont envoyés à la demande d’archevéchés, ou à la demande du Pape même parfois, à la demande de roi. Des prédicateurs chrétiens qui sont envoyés dans des régions où le christianisme n’est pas encore établi, parce que du coup ça rendait bien, auprès du Pape [rires], et ça donnait plus de pouvoir aussi au roi qui était en place.

C’est à dire que c’est vraiment, vraiment le même schéma qui se répète tout du long de la christianisation de l’Occident, c’est comment est-ce que je fais pour avoir beaucoup plus de pouvoir, et développer mes richesses, je christianise les contrées alentours, et donc je renforce la puissance de l’Eglise, donc je peux de mon côté me permettre d’annexer, tout ça…

Fanny: d’accord. Mais ces missionnaires, ils parlent la langue? comment ils font pour parler aux populations?

Gaïa: les sources sur la christianisation de la Scandinavie, elles sont vraiment très éparses, succinctes, on n’a pas grand-chose, et les seules choses, les principales sources qu’on a, elles sont surtout [postérieures], ou sinon ce sont des sources archéologiques, donc on a pas de contexte, on a rien.

On sait juste que ces missionnaires se rendaient sur place et tentaient d’établir un établissement donc chrétien, une communauté chrétienne. Ça passait ou ça cassait. C’est le contexte qu’on a.

Donc en fait, on a cette première mission au VIIIè siècle, mais en parallèle les sources archéologiques nous apprennent que par exemple dans le sud, sud-est de la Suède, il y avait une très forte influence byzantine qu’on a retrouvée…

Fanny: non! ah ouais!

Gaïa: par les…vraiment les bijoux, et puis même les objets funéraires, il y a une très forte influence de l’église en fait…

Fanny: de l’autre côté de l’Occident en fait?!

Gaïa: un christianisme, un autre christianisme, une autre forme de christianisme. C’est ça qui est très intéressant pour la Scandinavie c’est qu’elle se trouve en périphérie de tout ça, elle se trouve au nord, mais elle a réussi être un carrefour de différents christianismes. Il n’y a pas qu’un seul christianisme évidemment.

Fanny: bien sûr.

Gaïa: la christianisation de la Scandinavie, elle prend place aussi pendant le schisme…

Fanny: ah bah oui…

Gaïa: entre l’église romaine et l’église orientale. Et donc les sources que nous avons principalement sur cette christianisation, en fait elles se résument à une petite guéguerre entre – je résume très grossièrement – mais l’église d’Angleterre, l’église de l’Empire Carolingien, et l’Eglise byzantine, pour dire “mais c’est moi qui ai christianisé la Scandinavie”. [rires]

Voilà. Donc on a très peu, on a aucune trace écrite sur l’influence byzantine, qui a totalement été effacée au profit de l’influence de l’archevêché d’Hambourg-Brême, donc l’Eglise germanique, et l’Église d’Angleterre.

Fanny: j’imagine parce qu’ils étaient plus proches, donc c’était plus simple aussi.

Gaïa: ils étaient plus proches, c’est notamment au IXè siècle que les tentatives de mission se sont intensifiées au Danemark, et en Suède. Elles ont été portées vraiment par l’Empire carolingien.

Fanny: mais les fans de l’Empire carolingien seront contents, je sais qu’ils sont nombreux à écouter ce podcast.

Gaïa: donc on a un roi danois qui se nommait Harald Klak, qui a été chassé, qui aurait été chassé du Danemark puisqu’il aurait choisi de se convertir, et s’est réfugié à la cour de Louis le Pieux, et nous savons qu’en 826 il reçoit le baptême à Mayence. Donc on a vraiment… c’est le premier, la première étape de la christianisation, vers la christianisation du Danemark. Et suite à cette conversion, l’Eglise germanique demande à un homme d’église nommé Anschaire [de Brême], qui est à cette époque un moine, de se rendre au Danemark pour évangéliser les Danois. Sauf que, ça ne fonctionne pas très bien. Donc il revient…

Fanny: il revient avec un bras en moins?

Gaïa: non, non, non, il revient juste, il a juste été chassé gentiment. Et il retente, il retente à plusieurs reprises au Danemark, puis en Suède. Et en Suède il établit officiellement la première communauté chrétienne, sur l’île de Björkö, qui est plus connue sous le nom de Birka cas aujourd’hui, qui a été latinisée sous le nom de Birka.

Et face à ce succès, l’Eglise germanique a décidé d’établir l’archevêché d’Hambourg-Brême, qui sera donc…qui a eu pour principales fonctions d’évangéliser les Scandinaves et même les Slaves.

Fanny: qu’est-ce qui plait dans le christianisme aux Scandinaves pour qu’ils décident de se convertir?

Gaïa: alors malheureusement on ne sait pas pourquoi les gens comme toi et moi ont pu choisir de se convertir. Mais c’était avant tout par intérêt politique. Les rois voyaient que s’ils avaient le soutien de grands empereurs de l’étranger en choisissant de se convertir, et bien évidemment, ils pourraient plus facilement défaire leurs adversaires et acquérir plus de pouvoir. Il

La christianisation des sociétés scandinaves, elle correspond véritablement à la centralisation du pouvoir, et à la création des royaumes en fait. Il y a toujours ce parallélisme entre la politique et la religion. Le baptême et la conversion sont des outils politiques.

[Extrait série Vikings]

Fanny: on vient d’entendre un extrait de la série Vikings. Donc Vikings, une série qui en fait relate un petit peu ce dont on vient de parler, mais un petit peu à la sauce… c’est une série quoi. Donc c’est pas forcément toute la réalité.Tu as pensé quoi de cette série justement, du point de vue historique?

Gaïa: du point de vue historique c’est pas très, pas très accurate…

Fanny: ah bon? oh non!

Gaïa: … comme on dit en anglais malgré le fait que la série se veuille sourcée archéologiquement, et passe sur une chaîne qui s’appelle History.

Fanny: ah bah oui.

Gaïa: en fait pas du tout. Malheureusement, la série reprend des points-clés de l’histoire, mais elle les mélange à sa sauce, puisqu’elle mélange ça avec des légendes germaniques, et des faits tout à fait fictifs, et elle condense plusieurs siècles en plusieurs saisons.

Fanny: donc ça passe très vite alors que c’est sur plusieurs siècles.

Gaïa: pour revenir sur la christianisation, la série est juste sur le point où les scandinaves effectivement lorsqu’ils revenaient de raids avaient souvent des esclaves, et parmi ces esclaves, il y avait des esclaves chrétiens. Donc Athelstan, a sûrement eu une certaine historicité.

Fanny: on voit autant que dans la série, il y a un personnage qui s’appelle Ragnar, qui effectivement s’intéresse à la religion chrétienne et tout ça, ça qu’est-ce que tu en as pensé?

Gaïa: ça, c’est intéressant puisque ça montre d’un point de vue spirituel plus que politique, ça montre l’intérêt pour le christianisme, mais ça témoigne du fait qu’effectivement les scandinaves n’était pas que des gros barbares qui plantaient tout ce qui passait, qui coupaient des têtes, et qui buvaient du sang dans le crâne de leur victime. Il y avait un intérêt, même il y avait beaucoup de culture, beaucoup d’intérêt pour la poésie, pour tous ce qui était spirituel, voilà il y avait une forme vraiment de spiritualité, qu’on retrouve effectivement dans le personnage de… enfin dans la relation entre Ragnar et Athelstan, mais ça se limite à ça, puisque les écrits et les témoignages qu’on a en tout cas ils sont, ils sont politiques. C’est vraiment un intérêt politique.

Fanny: donc tout n’est pas à jeter dans la série quand même?

Gaïa: euh…[rires] ça reste une bonne fiction… Si vous voulez vous changer les idées et [voix grave, ironique] regarder des beaux hommes musclés torse nu, [voix normale] mais il faut pas regarder la série si on veut en apprendre plus sur les sociétés scandinaves d’un point de vue historique.

Fanny: et dans la série on voit qu’il y a beaucoup de place qui est donnée aux femmes, mais pas par rapport à la christianisation, ce qui nous intéresse aussi aujourd’hui. Donc toi Gaïa tu as étudié le rôle de certaines femmes dans la christianisation de ces sociétés scandinave. Alors quel a été le rôle de ces femmes?

Gaïa: alors les femmes ont tenu toute une diversité de rôles. D’abord je me suis intéressée notamment aux femmes qui ont rejeté le christianisme, pour faire une continuité avec mes premières recherches de mémoire.

Certaines femmes de l’aristocratie avait des rôles religieux assez prédominants puisqu’elles étaient, elles pouvaient être prêtresses, elle prenait part à des rituels religieux, et notamment funéraires. Je voulais voir comment l’arrivée du christianisme pouvez impacter tout ça.

En parallèle des premières missions, on constate dans les sources archéologiques, il y a une sorte de renaissance païenne. Ce sont les aristocrates principalement du Danemark et de Norvège, si je ne dis pas de bêtise, qui se réapproprient des anciens rites qui datent de l’âge de bronze, qui ré-investissent même des lieux sacrés qui datent du IVè et du Vè siècle pour mettre en place des tombes très très riches, vraiment somptueuses. Ils revendiquent les croyances pré-chrétiennes, et ils revendiquent leur pouvoir en fait, politique notamment, face à l’arrivée des croyances chrétiennes.

Fanny: donc là on est encore dans du politique en fait?

Gaïa: on est toujours dans le politique en fait.  C’est vraiment… “je montre que je vaux plus que toi”. Et donc parmi cette renaissance païenne qui donc se traduit par des somptueux rites funéraires, mais aussi l’apparition de bijoux “pré-chrétien”, des bijoux païens. Il s’agit d’une réponse aux missions chrétiennes. Les femmes pré-dominante en nombre déjà, elles se distinguent par leur nombre, et puis elles se distinguent par le caractère somptueux de leurs tombes.

Fanny: tu veux dire qu’il y a plus de tombes de femmes qui ont été retrouvées, et plus de tombes de femmes avec ces bijoux pré-chrétiens particulièrement?

Gaïa: voilà. Parmi toutes ces tombes qui ont été retrouvées, on a majoritairement des femmes qui revendiquent ces coutumes pré-chrétiennes anciennes. En fait les bijoux pré-chrétiens qu’on a retrouvés correspondent à des pendentifs du marteau de Thor. Et en fait, avant le marteau de Thor ne se portait pas comme pendentif, et avec l’apparition de la Croix sur le territoire scandinave, ils se sont mis à porter le marteau de Thor comme pendentif.

Fanny: en opposition?

Gaïa: voilà, en opposition. Et avant c’était une mode qui était très masculine. Le marteau de Thor, c’était un bijou qu’on retrouvait sur des bracelets, ou qu’on retrouvait chez les hommes. Et subitement, ce marteau de Thor, il est prédominant dans des tombes féminines. Et donc on a vraiment cette opposition entre la Croix et le Marteau. [rires] Et les femmes se distinguent une nouvelle fois dans cette renaissance païenne.

Fanny: et c’est plutôt des femmes aristocrates, j’imagine, dont on retrouve les tombes?

Gaïa: oui, c’est principalement l’aristocratie danoise pour tout ce qui est réappropriation des rites funéraires, et le marteau c’est aussi bien Danemark et Suède, très peu en Norvège en fait. On distingue aussi des rites différents, et des manifestations différentes de ce rejet du christianisme en fonction des régions. Au Danemark, on va avoir des tombes à char très très riches, en Suède on va avoir principalement les bijoux, et en Norvège on va avoir des bateaux-tombes. Mais faut imaginer, on parlait de Vikings tout à l’heure, ces énormes bateaux de plusieurs mètres qui étaient mis sous terre et investi avec des chambres dans lesquelles on mettait un char, et des chevaux, etc.

Fanny: ah ouais…

Gaïa: parmi cette chambre on avait donc le corps de personnes qui étaient donc honorées, et on a souvent des femmes. [rires].

Fanny: et donc tu disais, ça c’est pour les femmes qui ont rejeté le christianisme, et est-ce qu’il y a aussi des femmes qui ont accueilli le christianisme, voire favoriser sa propagation?

Gaïa: oui, donc par la suite, évidemment, je me suis tournés vers les femmes qui se sont converties. Et donc en prenant comme études de cas la première communauté chrétienne de Birka, et donc les femmes elles sont à la fois objets des missions, mais aussi actrices. Les sources qu’on a, aussi bien les sources écrites que les sources archéologiques, démontrent que les femmes ont été les premières à se convertir. Donc la question qu’on s’est posé c’était de savoir pourquoi elles ont été les premières à se convertir. Donc on suggère que c’était parce que elles étaient souvent les plus “faibles” dans la société. Par femme “faible”, j’entends des femmes qui sont sans tutelle masculine, donc des femmes qui sont veuves…

Fanny: ou isolées…

Gaïa: ou isolées, et puis des femmes jeunes qui n’ont plus de tutelle parentale, par exemple les femmes qui n’ont plus de père, des femmes qui n’ont plus de mari, qui n’ont plus de frère. On pense que ces femmes ont pallié à cette absence de tutelle masculine par la tutelle religieuse, en fait se sont tournés vers le christianisme pour avoir cette protection ,et ce soutien en fait dans la société.

Fanny:  est-ce que ça pourrait pas être aussi, je sais pas du tout si c’est le cas, mais au contraire, peut-être une façon de gagner encore plus de pouvoirs? Comme on le disait tout à l’heure, en fait, finalement la christianisation ça a un lien avec le politique. Est-ce que pour ces femmes, c’était pas en fait un moyen de trouver une autre forme de pouvoir, même sans hommes dans leur vie?

Gaïa: alors, pourquoi pas? Longtemps on a eu cette dichotomie dans l’historiographie sur les femmes, les femmes scandinaves médiévales, cette dichotomie entre “femme païenne puissante” et puis “femme chrétienne soumise”. Et évidemment quand on compare la situation des femmes dans les sociétés scandinaves pré-chrétiennes puis chrétiennes, y’a des changements qui sont drastiques.

Donc en partant du principe qu’une femme est convertie, donc l’exemple d’une reine, on a dans l’Empire franc l’exemple de Clotilde, qui était donc chrétienne et qui a amené Clovis à se convertir. Nous n’avons pas d’exemple sourcé d’une reine scandinave qui aurait converti son époux. Comme ça a fonctionné comme ça à travers tout l’Occident, on suppose que ça a été le cas. Ce qui est intéressant, c’est que dans les sources narratives un peu plus tardives, le rôle de l’agente, de la femme, de la reine agent de conversion est toujours décrit d’une manière très négative.

Fanny: aahh…

Gaïa:  et ça c’est intéressant, c’est que elle corrompt la femme, elle essaye de corrompre, mais pas parce qu’elle veut convertir au christianisme, parce qu’elle est une mauvaise chrétienne, parce qu’elle n’est pas vraiment chrétienne, et parce que la christianisation doit passer par l’homme. Le roi doit se convertir de lui-même, sans l’influence de sa femme.

Fanny: attends, ça veut dire que les auteurs chrétiens, non seulement c’est les femmes qui aident à christianiser, mais en plus ils le reconnaissent même pas, ça?! Ils disent “non mais en fait vous l’avez mal fait!”? Ils sont gonflés quand même.

Gaïa: écoute, si y’avait que ça… [rires] dans certains textes, oui effectivement, le rôle de l’agent de conversion est vraiment, vraiment décrit de manière très négatif. Enfin ces femmes à chaque fois elles n’arrivent pas à convertir leur époux, elles n’essayent même pas, elles redeviennent païennes, elles succombent à l’appel de la chair… Il y a plein de descriptions qui sous-entendent que, en fait, elles sont ambitieuses, qu’elles veulent du pouvoir, et que c’est pas bien…

Fanny: alors que si c’était un homme qui avait les mêmes ambitions on dirait pas ça de lui!

Gaïa:  bah oui [rires]. Bah oui, c’est exactement ça dans le texte.

Fanny: et à part les reines donc, qui elles y voyaient un côté un petit peu politique, quels autres rôles les femmes avaient à la christianisation?

Gaïa:  en restant toujours sur la phase missionnaire, les femmes étaient toujours des agents de conversion, mais pas au même niveau. On a effectivement beaucoup de sources archéologiques qui témoignent du fait qu’elles ont mis en place, en fait, une sorte de religion mixte. On assiste à un syncrétisme entre les religions pré-chrétiennes et la religion chrétienne qui cohabite. C’est très compliqué à interpréter, bien sûr, mais on voit dans les tombes la juxtaposition d’objets funéraires pré-chrétiens et d’objets funéraires chrétiens. Et donc toujours une prédominance dans les tombes féminines.

Fanny: plus que dans les tombes masculines?

Gaïa:  plus que dans les tombes masculines. Et puis on part du principe que ces femmes elles ont été invitées à convertir bien sûr leurs époux, et aussi leurs enfants.

Fanny: ahh

Gaïa:et c’est grâce à ça, notamment, que la religion se serait plus développée.

Fanny: ouais, on est sur une conversion de foyer, en fait.

Gaïa: voilà. Principalement donc une conversion de foyer, mais ça reste de l’extrapolation puisque nous n’avons pas de témoignages direct de femmes pré-chrétiennes, de femmes scandinaves.

Fanny: là on interprète les sources?

Gaïa: voilà, on interprète les sources. Toutefois, on a quand même des sources, on a quand même un type de source qui est tout à fait unique, en fait, à travers l’Occident. Il existe des sources épigraphiques en Scandinavie.

Fanny: ça veut dire quoi, épigraphiques?

Gaïa: ce sont des sources où il y a des écritures dessus, mais c’est pas des sources écrites. C’est des gravures, ce sont ce genre de sources. Et donc y’a une coutume en Scandinavie qui est la coutume des pierres runiques. C’est principalement donc des morceaux de pierres qui sont dressés, et sur lequel il y avait des messages de graver dessus. C’est une coutume qui existe depuis le IVè siècle, mais qui est devenu très très à la mode pendant la période de la christianisation, surtout dans la période de la conversion, où subitement en Suède il y avait des pierres runiques partout. Plus de 2000 pierres runique ont été répertoriées concernant la période dite viking des sociétés scandinaves,donc entre 750 et 1100. Près de 1 800 en Suède, 200 au Danemark et 20 en Norvège.

Ces pierres runiques elles sont intéressantes puisque subitement, elles dénotent un caractère chrétien. Ces pierres à la base elles servaient comme rites funéraires. On indiquait donc le nom du défunt et le nom de la famille proche sur la pierre, et parfois un petit message correspondant à la vie de la personne qui est défunte, comme par exemple il est mort en se rendant en Grèce pour un pillage, ce genre de chose.

Et ce qui est intéressant, c’est que subitement on voit des motifs chrétiens qui apparaissent sur ces pierres, et même des messages chrétiens. On commence à avoir des prières qui sont gravés sur ces pierres, avec l’apparition de la croix, toujours dans un style bien scandinave. On voit réellement là cette religion mixte apparaître.

Et ce qui est intéressant, c’est que on a des petits détails dans ces gravures, où on apprend par exemple qu’un homme et une femme sont honorés par leurs enfants, et on apprend que c’est seulement la mère qui était chrétienne.

Fanny: mais ils sont quand même enterrés ensemble?

Gaïa: ils sont honorés ensemble, mais on précise vraiment que seule la mère était chrétienne. On a des phrases comme “que Dieu protège son âme”, et puis le “son” en vieux norrois, il est au féminin.

Fanny: d’accord.

Gaïa: le possessif est au féminin. On a des petits détails comme ça qui confirment le fait que ces femmes, que sont les femmes qui sont principalement les premières à se convertir, et qui font se propager la religion.

Grâce à toutes ces pierres, il y a des régions en Suède grâce à l’ensemble de ces pierres, on arrive à reconstituer un arbre généalogique, et on voit en fait…

Fanny: ah oui…

Gaïa: … et on voit en fait que la religion se transmet en fait, et quand on remonte tout en haut de l’arbre, [elle] se transmet par la femme qui s’est convertie,et après tout le monde est chrétien. [rires] Et donc donc c’est assez chouette, mais ça se limite là, parce que c’est vraiment une ressource très compliquée à étudier, mais qui est très très intéressante, dans le sens où les femmes aussi ont fait dresser ces pierres c’est une mode qui est principalement masculine, mais on a quand même un bon pourcentage de femmes. On est à 33% de femmes qui ont érigé des pierres.

Fanny: parce que sur les pierres on sait qui les érige?

Gaïa: normalement c’est signé, le commanditaire est indiqué sur la pierre.

Fanny: d’ailleurs ces pierres elles font quelle taille? Du coup, y’a pas mal de choses dessus.

Gaïa: les pierres varient en largeur, en hauteur mais généralement elles font entre un et deux mètres.

Fanny: ah ouais, c’est pas des petites pierres…

Gaïa:  c’est pas des petites pierres, donc ça signifie déjà que c’était des gens qui avait de l’argent aussi, qui avaient cette coutume . Et donc on se rend compte qu’il y a beaucoup, enfin qu’il y a une bonne partie de femmes quand même qui érigent ces pierres, parfois avec leurs conjoints ou leur fils, ou leur frère, et parfois toute seule. Y’a un bon nombre de femmes qui font ça toutes seules, et on comprend qu’elles érigent ces pierres dans un but précis, et d’un seul coup, donc ces pierres elles prennent un autre sens et ne sont plus seulement des pierres pour honorer un défunt, elles n’ont plus seulement une fonction de rite funéraire, elles prennent une fonction religieuse également.

En fait, ces pierres, elles deviennent les marqueurs de la diffusion du christianisme dans plusieurs régions de Scandinavie. La grande majorité des pierres runiques qui ont été commanditées par des femmes elles font référence au christianisme, et elles font notamment référence à la construction de ponts. La construction de pont est un acte de piété, qui vise à améliorer les voies de communication pour faciliter les missions.

Fanny: mmmmh grande symbolique mais côté pratique aussi.

Gaïa: voilà, côté pratique aussi. L’Eglise avait reconnu, durant la christianisation de la Scandinavie, la construction de ponts comme étant un don à l’Eglise, on pouvait prétendre à l’absolution en construisant un pont. Donc c’est très très intéressant de voir que les femmes ont en grande, mais écrasante majorité, quand on compare les…même s’il y avait beaucoup plus d’hommes qui érigeaient des pierres, quand on prend le pourcentage de ponts qui ont été commandités, les femmes sont présentes en écrasante majorité. C’est ça qui est très intéressant, parce que ça témoigne de leur implication dans la diffusion du christianisme. Il y a une pierre qui témoigne du fait qu’un homme qui n’était pas chrétien, qui était toujours païen, a fait ériger un hospice pour sa femme qui était chrétienne, une fois qu’elle était morte. Ce genre de choses. On est vraiment très loin des clichés du barbare qui empale les chrétiens, et en plus de ça, on assiste vraiment à des phénomènes…

Fanny: on voit que ça cohabite…

Gaïa: ça cohabite, et donc les femmes prennent part à cette cohabitation, et à cette conversion aussi, puisqu’au fur et à mesure y’a plus de cohabitation, il y a juste le christianisme. Et quand le christianisme est établi, les pierres runiques elles disparaissent, il y a plus du tout de pierres runiques qui sont érigées, subitement.

[Extrait de Kaamelott, Livre III, épisode 42, « Le dialogue de paix II »]

Fanny: dans ton mémoire, Gaïa, quelles sont les difficultés que tu as rencontrées?

Gaïa: alors déjà, dans mon corpus, j’avais une très grande variété de sources. J’avais d’un côté donc des sources écrites, contemporaines de la christianisation de la Scandinavie, mais un poil plus tardives, puisque pas contemporaines des missions. Le principal problème de ces sources écrites, c’est qu’elles n’ont pas été rédigées par des scandinaves, elles ont été rédigées principalement par des hommes d’église de l’archevêché d’Hambourg-Brême…

Fanny: il y avait une question de point de vue…

Gaïa: une question de point de vue, et cette motivation qui était  de “nous avons évangélisé la Scandinavie”, donc c’est très très focalisé sur l’archevêché en fait, sur les hommes d’église qui ont été envoyés plus que sur les scandinaves, et on a très peu en fait d’informations concernant donc la réception, concernant le pourquoi du comment, comment est-ce que les gens se sont convertis, on sait pas si c’était individuel, si c’était des conversions de masse, on sait pas si… voilà.

Donc beaucoup de questions qui sont très floues comparé aux autres sociétés occidentales, où tout est très très bien détaillé. Beaucoup de flou, beaucoup de suggestions aussi. J’avais mentionné le fait que c’était d’abord les rois qui se convertissaient, et donc généralement quand le roi se convertit, en estime que les gens en dessous ils le sont par défaut.

Et ces sources donc étaient problématiques parce qu’elles ont aussi effacé la présence de l’influence byzantine en Scandinavie, mais c’est surtout que les femmes, il y en a pas dans ces sources. Dans les sources écrites, il y en a pas à part le nom de quelques épouses de rois qui sont mentionnées, sinon y a pas de femme mentionnées. Donc déjà j’ai du mal à les trouver les femmes dans les sources vraiment historiques.

Ensuite, je me suis tournée vers les sources narratives puisque, en Islande à partir du XIIe siècle, à partir du moment où l’Islande est christianisée, il y a toute une littérature qui se développe. C’est très particulier concernant les sagas islandaises, puisqu’elles relatent énormément d’éléments historiques, mais il y a beaucoup de fiction, d’éléments fictifs aussi dedans. Et donc je parle de sources narratives, puisque pour moi je pars du principe que ce sont des fictions. On a des femmes dans ces fictions, elles restent rares, mais on a des femmes. Mais le problème c’est qu’elles correspondent toujours à un topos littéraire. Elles sont exceptionnelles parce que…elles sont mises en avant comme comme étant des chrétiennes exceptionnelles, comme les premières nonnes, les premières femmes à entreprendre des pèlerinages, elles sont toujours valorisées, mais au final elles n’ont pas de substance. Les sources en parlent presque plus après, et en fait c’est femmes elles existent pourquoi? parce que ce sont des ancêtres de grands hommes d’église islandais qui viennent par la suite.

On essaye au cours du XIIIè et XIVè siècle de justifier le pouvoir de certains hommes d’église en Islande en faisant remonter leur pouvoir au IXè et Xè siècle, en disant “mais leur ancêtre, cette femme-là, elle était extraordinaire”. [rires]

L’une des principales difficultés, également, ça a été le temps, parce que en fait mon sujet il est beaucoup trop vaste pour un M2, il aurait fallu éventuellement que ce soit un M1, ou un sujet sur deux mémoires, mais sinon c’est un sujet de thèse en fait. L’ironie, c’est que j’ai très peu de sources, mais en même temps, je suis obligée de rassembler beaucoup de sources différentes, mais donc du coup on travaille pas de la même manière sur toutes ces sources, et ça demande énormément de temps. Et le fait que ces sources sont aussi assez inaccessibles. Je parlais des pierres runiques, je fais comment pour travailler sur un corpus de 2 000 pierres, dont une grande majorité a été perdue ou détruite, et donc j’étais très dépendante du travail qui a été fait avant moi, du travail antérieur, et donc je suis obligée d’avoir foi en ce que les chercheurs précédents ont dit ou fait, et donc c’est aussi très compliqué au niveau du processus de recherche, puisque on peut pas prendre comme argent comptant ce que quelqu’un a écrit forcément…

Fanny: il faut être prudent.

Gaïa: voilà. Donc ça a été…le temps et l’inaccessibilité aux sources, ou le fait que ces sources soient pas forcément traduites, je pense à certaines sagas islandaises qu’on pas été traduites, ou simplement ces pierres que j’ai jamais pu voir.

Fanny: même dans les musées, il y en a pas qui sont conservées?

Gaïa: il y en a dans les musées, mais c’est rarement les pierres chrétiennes. Il y a un référencement qui a été fait, mais il date un peu, il est mis à jour au fur et à mesure, au compte goutte. Les sources archéologiques c’est très compliqué, dans le sens où il y a beaucoup de recherches qui sont faites, mais les rapports sont publiés pas vraiment de manière aléatoire, mais ça prend très très longtemps de publier les rapports. Par exemple pour Birka, on est toujours en train de publier des recherches qui datent des années 70…

Fanny: ah! ah ouais…

Gaïa: donc c’est pas du tout à jour. [rires] J’ai fait ce mémoire en 2018, en 2018 de dire [voix graves, ironique] “dans les années 70 ,c’était comme ça, mais je ne sais pas depuis [rires] parce que c’est toujours en cours de publication”.

Fanny: et depuis que tu as rendu ton mémoire, Gaïa, qu’est-ce que tu fais, quel a été ton parcours?

Gaïa:  donc j’ai fait quelques travaux de recherche, en tant que chercheuse indépendante, notamment j’ai présenté une communication lors du Congrès pour les études nordiques à Strasbourg en juin l’an dernier, donc en 2019, sur les femmes et le pèlerinage en Scandinavie. J’avais repris une partie de mon mémoire et j’avais approfondi, puisqu’il y avait des choses que j’avais pas pu dire dans mon mémoire. J’ai été auditionnée pour un contrat doctoral, que je n’ai pas eu [rires]

Fanny: désolée.

Gaïa:  c’est pas grave. Et depuis novembre 2019 je suis officiellement en thèse, toujours à la Sorbonne, faculté des lettres, sous la direction de Sylvain Briens et sous l’encadrement de Pierre-Brice Stahl, donc je suis retournée du côté des études nordiques pour faire une thèse sur les représentations de la sorcière dans l’imaginaire des littératures scandinaves médiévales.

Fanny: aaah bah c’est un sujet qu’on connait chez Passion Médiévistes, les sorcières.

Gaïa: oui, les sorcières c’est une passion aussi [rires]. Et donc du coup c’est un petit peu l’aboutissement…je retourne plus sur la littérature que sur l’histoire, mais c’est l’aboutissement de mes mémoires de master, puisque…

Fanny: c’est les femmes…

Gaïa: c’est les femmes, c’est d’un côté les croyances pré-chrétiennes, la révolution avec le christianisme, et puis bah la manière dont elles étaient représentées dans la littérature chrétienne médiévale scandinave.

Fanny:  bah écoute si tu veux dans quelques années, revenir nous parler de sorcières scandinaves, vraiment avec plaisir…

Gaïa:  avec plaisir oui. Et donc voilà, je commence cette bébé thèse tout juste, je vais également présenté une communication à Aarhus au Danemark en juillet, sur le médiévalisme du coup.

Fanny: écoute, j’ai hâte de te réinviter alors! [rires]

Gaïa: merci

Fanny: désormais, chers auditeurs et auditrices, vous en savez un petit peu plus sur les sociétés scandinaves au Moyen Âge, au Haut Moyen Âge, sur comment ces sociétés ont été christianisées, sur comment les femmes ont pu, ou non, aider à la christianisation de ces sociétés, donc merci beaucoup Gaïa Perreaut pour toutes ces supers informations, c’est vraiment passionnant.

Gaïa: merci Fanny.

Fanny: et donc vous qui nous écoutez, si vous voulez en savoir plus sur le sujet de cet épisode, vous trouverez des informations complémentaires et des suggestions de lecture sur le site passionmedievistes.fr. Et sur ce site vous pouvez aussi retrouver tous les autres épisodes du podcast, les autres formats, Super joute royale sur les rois de France, enfin plein plein plein plein de choses, même l’autre podcast Passion Modernistes.

Si vous voulez aider ce podcast, alors déjà vous pouvez en parler autour de vous. Dites aux gens autour de vous “ouais, j’écoute un podcast sur le Moyen Âge c’est sympa, tu devrais écouter”, enfin si c’est ce que vous pensez, j’espère. Donc vraiment parlez-en autour de vous, le bouche-à-oreille c’est ce qui fonctionne de mieux pour le podcast.

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Je tiens à remercier particulièrement: Vincent, Michael, Célia, Florent, Alison, Rémi, Céline, Simon, Nathalie, Jennyfer, Julie, Nicolas, Laurine, Jean-François, Stéphane, Mathilde, et Philippe.

Et aussi je remercie, je l’ai déjà fait dans l’épisode précédent mais c’est très important, la team transcription. Parce que si vous contribuez au Tippee de Passion Médiévistes, vous pouvez aussi rejoindre le discord, qui est une sorte de forum, et sur ce discord, des personnes formidables vraiment, je les remercie encore énormément, font la retranscription des épisodes de Passion Médiévistes. Je crois qu’elles ont fait à peu près la moitié des retranscriptions, c’est un travail énorme. Grâce à elles, le podcast est accessible à plus de personnes, et les retranscriptions sont à retrouver sur le site passionmedievistes.fr .

Et dans le prochain épisode, on parlera de l’Assemblée de Vincennes de 1329, vous verrez, c’est très intéressant. A bientôt!

Merci beaucoup à Marion, Clément et So pour la retranscription !