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Épisode 110 – Audrey et les filigranes en Bretagne

Découvrez les filigranes qui se cachent les papiers bretons du Moyen Âge !

Photo de l'enregistrement de l'épisode 110 avec Audrey Morvan (mai 2025)
Photo de l’enregistrement de l’épisode 110 avec Audrey Morvan (mai 2025)

Vous avez déjà entendu la voix d’Audrey Morvan : rappelez-vous, c’était dans l’épisode Super Joute Royale, Bretagne VS Normandie. Elle revient au micro de ce 110ème épisode de Passion Médiévistes pour vous parler de sa thèse de doctorat qu’elle rédige sous la direction d’Yves Coativy, à l’Université de Bretagne occidentale à Brest. Son sujet de recherche s’intitule « La transparence du papier, pour une étude des filigranes en Bretagne à la fin du Moyen Âge ». Entrez dans le papier avec Audrey Morvan, à la recherche de ses secrets cachés.

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Qu’est-ce qu’un filigrane au Moyen Âge ?

“Les historien.nes s’intéressent au contenu, alors que moi je m’en fiche du contenu ! C’est le papier en lui-même que j’étudie.” — Audrey Morvan.

Licorne - AD 29 - 2 G 27 - Chapitre de Cornouaille, 1467-1471 Photographie Audrey Morvan
Filigrane d’une licorne dans un document d’archive – AD 29 – 2 G 27 – Chapitre de Cornouaille, 1467-1471. Photographie Audrey Morvan

Audrey Morvan décrit le filigrane comme un motif, tantôt réaliste, tantôt plus caricatural, réalisé à partir d’un fil de laiton cousu sur ce qu’on appelle la forme, soit l’objet servant à fabriquer la feuille de papier. Il en existe deux types, la forme Verger et la forme Vélin, et Audrey Morvan vous explique la différence entre les deux. Les premiers filigranes apparaissent en Italie vers 1282. Contrairement aux papiers venus d’Asie et du monde islamique qui ne présentaient aucune marque, le filigrane est une invention typiquement occidentale.

“On représente énormément de choses dans les filigranes de Bretagne : une paire de lunettes […] des animaux fantastiques, en passant par des sirènes… J’ai beaucoup de B aussi.” — Audrey Morvan.

Quand le papetier produisait sa feuille, le papier était plus fin à l’endroit du fil métallique et créait une marque transparente. Cette marque constitue la signature du papetier et permet d’identifier l’artisan qui l’a fabriquée. Audrey Morvan vous parle d’ailleurs d’un filigrane qui a particulièrement retenu son attention, car il revient dans plusieurs manuscrits produits par la même famille bretonne. Elle vous en livre le secret.

 

Le papier et les filigranes en Bretagne

Armoirie à moucheture d'hermine surmontée d'une croix AD 35 - 3 H 70 1400-1772 Photographie Audrey Morvan
Filigrane d’une armoirie à moucheture d’hermine surmontée d’une croix AD 35 – 3 H 70 1400-1772. Photographie Audrey Morvan

Comme le décrit Audrey Morvan, la production papetière en Bretagne commence à partir du milieu du XVème, et plus précisément à Troyes. C’est dans cette ville, en effet, qu’est construit le premier moulin. Elle précise aussi que les papetiers commencent par travailler de manière indépendante. Ils s’organisent plus tardivement en corporations — souvenez-vous, Gillian Tilly vous en parlait dans l’épisode 32 de Passion Modernistes, au sujet du travail dans la ville de Nantes.

Le papier est fabriqué grâce à des moulins à papier. En Bretagne, Audrey Morvan en a identifié neuf, répartis entre le Léon et Nantes. Ils ont la particularité d’être tous d’anciens moulins à blé reconvertis pour la fabrication du papier. Elle vous détaille également les étapes de fabrication du papier et le moment auquel est inséré le filigrane. Audrey Morvan admet tout de même qu’il est difficile de trouver des traces de moulins dans les archives pour le XIVème siècle, époque au cœur de son sujet.

“Au Moyen Âge, comme le séchage [du papier] se faisait au vent, la feuille n’était pas droite […] et pouvait perdre jusqu’à 3 cm [en taille].” — Audrey Morvan.

Cependant, la fabrication de papier en Bretagne prend fin assez rapidement, au XVIème siècle. On préfère alors importer des papiers venus d’Espagne ou des Pays-Bas. À l’époque, le passage du parchemin au papier représente une véritable révolution, même si le papier est considéré comme moins noble. Audrey Morvan insiste également sur le fait que le papier a eu du mal à s’implanter en Occident et vous en donne la raison.

 

Les recherches de l’invitée

“L’idée centrale de mes recherches, c’est de montrer que le papier n’est pas juste un support passif. […] Il incarne des savoir-faire […] une vision du monde.” — Audrey Morvan.

Moi faisant des photo d'un document du XVe siécle, Photographie fait par une archiviste du centre des archives municipales de Nantes 2023
Audrey Morvan faisant des photo d’un document du XVe siécle, Photographie fait par une archiviste du centre des archives municipales de Nantes 2023

Audrey Morvan travaille sur près d’un millier de filigranes archivés dans différentes bibliothèques entre la Bretagne et la Belgique. À travers ses recherches, elle souhaite montrer que le papier raconte l’histoire des personnes qui l’ont fabriqué et utilisé. Comme vous l’entendez dans cet épisode, à l’heure où nous enregistrons, elle est la seule spécialiste en France à étudier les filigranes bretons au Moyen Âge. Et elle a même inventé un terme pour sa discipline, emprunté à l’anglais : la « filigranologie » !

“Je ne sais pas si le papier va être blanc ou si un motif va apparaître. C’est toujours une surprise !” — Audrey Morvan

Ce qui passionne Audrey Morvan, c’est le papier lui-même. Elle en étudie les moindres détails, des déformations du tamis aux résidus de plantes qui le composent et permettent de déterminer la composition chimique du papier. Elle vous livre même son petit secret pour révéler les filigranes sur une page : regarder le papier à contre-jour. Vous l’entendez pourtant, ce n’est pas toujours si facile.

“Si je dois étudier un document de 400 pages, je dois regarder les 400 pages […] plongée dans le noir, avec ma tablette lumineuse.” — Audrey Morvan.

Audrey Morvan vous confie des anecdotes tirées de ses visites aux archives et les petits privilèges qui lui ont été accordés du fait de ses recherches particulières. Elle vous décrit les installations et les conditions spéciales dans lesquelles elle doit se plonger pour pouvoir examiner ses documents à la recherche de filigranes.

 

Pour en savoir plus sur le sujet de l’épisode, on vous conseille de lire :

Bibliographie 

  • BOURDE DE LA ROGERIE (H.), « Notes sur les papeteries des environs de Morlaix depuis le XVe siècle jusqu’au commencement du XIXe siècle », Étude sur les Finistère, Imprimerie Nationale, Paris, 1912.
  • BRIQUET (C.-M.), Les filigranes, Dictionnaires historiques des marques de papier dès leurs apparitions vers 1282 jusqu’en 1600, nouv. éd., 4 vol., Hacher Art Books, New York, 1985.
  • CAROFF (J.), HUON (F.), Moulins à papier et familles papetières de Bretagne, du XVe siècle à nos jours, 150 fabriques de papier et 80 communes, 800 familles papetières et leurs attaches normandes, Les Presses de Cloître imprimeurs, Saint-Thonan, 2015.
  • DUVAL (J.), Moulins à papier en Bretagne du XVIe au XIXe siècle – Les papetiers et leurs filigranes en Pays de Fougères, L’Harmattan, Paris, 2005.
  • LA BORDERIE (de) (A.), L’imprimerie en Bretagne au XVe siècle, Étude sur les incunables bretons, avec fac-similé contenant la reproduction intégrale de plus ancienne impression bretonne, Société des bibliophiles Bretons, Nantes, 1878.
  • MORVAN (A.), « Étude des filigranes à caractère religieux du XVe au XVIe siècle », Revue Pecia, 23, 2023.
  • MORVAN (A.), « Le filigrane comme vecteur de l’identité seigneuriale, le cas de la maison des Rohan au XVe siècle », Bulletin de la Société archéologique du Finistère, Tome CL, 2022.
  • TOUCHARD (H.), Le commerce maritime breton à la fin du Moyen Âge, Les Belles-Lettres, Paris, 1967.
  • WALSBY (M.), The printed book in Brittany, 1484-1600, Brill, Leiden, Boston, 2011.
  • ZERDOUN BAT-YEHOUDA (M.), « Les papiers filigranés médiévaux, Essai de méthodologie descriptive », Scriptorium, tome 45, n° 01, 1991.

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