Passion Antiquités

Épisode 22 – Jules et l’héritage en Mésopotamie (Passion Antiquités)

Comment gérait-on les questions d’héritage en Mésopotamie au IIème millénaire avant notre ère ?

Jules Jallet-Martini rédige une thèse intitulée Les pratiques successorales et les stratégies familiales en Mésopotamie au IIe millénaire avant notre ère, qu’il mène sous la direction de Sophie Démare-Lafont. Doctorant en histoire du droit à l’Université Paris-Panthéon-Assas, il est l’invité de cet épisode de Passion Antiquités. Grâce à ses recherches, il souhaite comprendre le fonctionnement de l’héritage du point de vue juridique, en comparant les pratiques d’une région à une autre de la Mésopotamie.

La Mésopotamie du IIème millénaire

“Le IIème millénaire est très documenté. On dispose d’énormément de sources : plusieurs milliers, voire dizaines de milliers.” —  Jules Jallet-Martini

Carte de la Mésopotamie présentant les sites du IIe millénaire ayant fourni des documents relatifs aux successions (partages, testaments, adoptions, legs). Carte personnelle.
Carte de la Mésopotamie présentant les sites du IIe millénaire ayant fourni des documents relatifs aux successions (partages, testaments, adoptions, legs). Carte par Jules Jallet-Martini.

Jules Jallet-Martini étudie la Mésopotamie au IIème millénaire avant notre ère. Il souligne que cette période a produit énormément de documentation et que les sources, rédigés sur de l’argile, sont très diverses. On parle de Mésopotamie pour désigner cet espace entre le Tigre et l’Euphrate. Mais comme le définissait Morgane dans l’épisode 2, ce vaste territoire ne se limite pas seulement au deux fleuves qui le bordent. En effet, Jules Jallet-Martini ajoute que la Mésopotamie s’étend du golfe Persique à la Méditerranée. Elle comprend ce qui est aujourd’hui l’Irak et la Syrie, ainsi que l’Anatolie, une région de l’actuelle Turquie.

Dans sa thèse, Jules Jallet-Martini compare les coutumes de plusieurs régions en matière d’héritage afin de définir des pratiques juridiques communes. Il travaille donc à la fois sur le nord et le sud de la Mésopotamie. Au nord, il s’intéresse à des villes telles que Emar ou encore Assur, la capitale des assyriens ; au sud, région communément appelée la “Babylonie”, il s’agit des villes d’Ur ou de Sippar, dont vous parlait Thibault dans l’épisode 17.

Les pratiques courantes d’héritage 

“On trouve parfois des choses que nous, nous n’aurions pas idée de mettre dans un testament…” — Jules Jallet-Martini.

Photographie d’une tablette de partage successoral décrivant de la part d’un héritier, Sippar, XVIIIe siècle avant notre ère (règne de Hammu-rabi). Tablette BE 6/1 28, entourée de son enveloppe scellée. Penn Museum, Philadelphia, Pennsylvania, USA. Numéro de musée : CBS 01273 & CBS 01273a. ©CDLI.
Photographie d’une tablette de partage successoral décrivant de la part d’un héritier, Sippar, XVIIIe siècle avant notre ère (règne de Hammu-rabi). Tablette BE 6/1 28, entourée de son enveloppe scellée. Penn Museum, Philadelphia, Pennsylvania, USA. Numéro de musée : CBS 01273 & CBS 01273a. ©CDLI.

En Mésopotamie, les questions d’héritage ne sont pas l’apanage d’une catégorie sociale en particulier. Bien entendu, Jules Jallet-Martini souligne qu’il faut toutefois avoir un patrimoine à léguer et des successeurs à qui transmettre ses biens. Il vous explique également qu’il demeure important de savoir écrire ou, du moins, d’avoir les moyens d’engager un scribe pour le faire.

Hériter et transmettre des biens – meubles, immeubles, ou même des droits – n’est pas réservé qu’aux individus les plus riches. Dans les sources qu’il a consultées, Jules Jallet-Martini vous dresse une liste des types de biens transmis en héritage. Il y a des maisons, des terres bien sûr, ou encore du bétail. On peut aussi hériter de privilèges, comme de toute sorte d’objets considérés plus modestes, tels que des ustensiles et autres chaises.

Il a aussi pu constater que selon la région, il n’y a pas forcément de testaments rédigés du vivant de la personne qui lègue ses biens (testateur), mais seulement la trace écrite du partage qui a été fait à sa mort. Si les sources diffèrent sur ce point, Jules Jallet-Martini peut affirmer que dans l’ensemble des territoires étudiés, les héritiers ne profitent de l’héritage qu’au décès du testateur.

“C’est une société patrilinéaire : les liens familiaux passent par le père et descendent aux fils.” — Jules Jallet-Martini.

Les cas particuliers

Jules Jallet-Martini vous partage quelques-unes de ses découvertes croustillantes autour des pratiques de succession. Il a eu accès à des minutes de procès et à des lettres, véritables témoignages des relations humaines en matières d’héritage. Entre conflits de succession et déchirements familiaux, il vous confie quelques problèmes d’héritage au IIème millénaire.

“Tout est possible dans le droit mésopotamien !”  — Jules Jallet-Martini.

En Mésopotamie, l’héritage se transmet majoritairement de père en fils. Néanmoins, les filles ne sont pas exclues des testaments. En effet, comme l’a constaté Jules Jallet-Martini, le plus important est d’empêcher la dispersion des biens en dehors de la lignée paternelle directe, quitte à permettre à une fille d’hériter. Encore une fois, les pratiques successorales pour les filles varient entre le nord et le sud.

Sur la question de la succession des filles, Jules Jallet-Martini vous parle de la gestion de la dot et des pratiques d’héritage pour les filles en fonction de leur statut marital. Ainsi, par exemple, en l’absence de fils, le père peut décider d’adopter son gendre, qui devient alors son héritier ; ce qui permet indirectement à la fille d’hériter elle aussi.

Pour en savoir plus sur le sujet de l’épisode, on vous conseille de lire :

  • Jules Jallet Martini, « Some Inheritance Issues Regarding Step-children during the Old Babylonian Period », Childhood in the Past, An International Journal, 17.2, p. 126-138, disponible en ligne

Ouvrages généraux :

  • Charpin Dominique, 1⁰ Lire et écrire à Babylone, Paris, PUF, 2008 ; 2⁰ « Tu es de mon sang ». Les alliances dans le Proche-Orient ancien, Paris, Collège de France-Les Belles Lettres (Docet Omnia), 2019.
  • Joannès Francis, Lafont Bertrand, Tenu Aline, Clancier Philippe, La Mésopotamie : de Gilgamesh à Artaban (3300 av.-120 av. J.-C.), Paris, Belin, 2017.
  • Podany Amanda H., Weavers, Scribes, and Kings. A New History of the Ancient Near East, New York, Oxford University Press, 2022.

Revue récente :

  • Photographie de la la face de la Tablette A des « lois » médio-assyriennes, Assur, deuxième moitié du IIe millénaire. Vorderasiatisches Museum, Berlin, Allemagne. Numéro de musée : VAT 10000. ©CDLI.
    Photographie de la la face de la Tablette A des « lois » médio-assyriennes, Assur, deuxième moitié du IIe millénaire. Vorderasiatisches Museum, Berlin, Allemagne. Numéro de musée : VAT 10000. ©CDLI.

    L’Histoire – Hors-série n⁰99, « Mésopotamie, là où tout a commencé », avril-juin 2023.

Ouvrages sur le droit et les pratiques juridiques en Mésopotamie :

  • Joannès Francis (dir.), Rendre la justice en Mésopotamie. Archives judiciaires du Proche-Orient ancien (IIIe-Ier millénaires avant J.-C.), Saint-Denis, Presses universitaires de Vincennes, 2000 (Temps et espaces).
  • Lafont Sophie, Femmes, droit et justice dans l’Antiquité orientale. Contribution à l’étude du droit pénal au Proche-Orient ancien, Fribourg-Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1999 (Orbis Biblicus et Orientalis, 165).
  • Westbrook Raymond (dir.), A History of Ancient Near Eastern Law, Leiden-Boston, Brill, 2003 (Handbook of Oriental Studies, 72).

Ouvrages sur les successions au IIème millénaire avant notre ère :

  • Ben-Barak Zafrira, Inheritance by Daughters in Israel and the Ancient Near East. A Social, Legal and Ideological Revolution, Jaffa, Archaeological Center Publications, 2006.
  • Kraus Fritz Rudolf, « Erbrechtliche Terminologie im Alten Mesopotamien », dans M. David, F. R. Kraus et P. W. Pestman (dir.), Essays on oriental laws of succession, Leiden : E. J. Brill, 1969 (Studia et documenta ad Iura Orientis Antiqui Pertinentia, 9), p. 18‑57.
  • Lion Brigitte, « Les adoptions d’hommes à Nuzi (XIVe s. av. J.-C.) », Revue historique de droit français et étranger, vol. 82, no 4, 2004, p. 537‑575.
  • Michel Cécile, « À propos d’un testament paléo-assyrien : une femme de marchand “père et mère” des capitaux », Revue d’assyriologie et d’archéologie orientale, no 94, 2000, p. 1‑10.
  • Rede Marcelo, « Héritage, dot et prestations matrimoniales en Babylonie ancienne », Dialogues d’histoire ancienne, vol. 35, no 2, 2009, p. 13‑44.

Merci à Clément Nouguier qui a réalisé le générique du podcast et à Alizée Rodriguez pour la rédaction de l’article !