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Épisode 44 – Cécile et le Rhône (Passion Modernistes)

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Épisode 44 - Cécile et le Rhône (Passion Modernistes)
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Comment s’organisait le commerce sur le fleuve du Rhône à l’époque moderne ? 

Portrait de Cécile Bournat-Quérat
Portrait de Cécile Bournat-Quérat

Dans cet épisode de Passion Modernistes, nous embarquons avec Cécile Bournat-Quérat pour voguer sur les eaux du Rhône et en apprendre plus sur le commerce maritime, licite mais aussi illicite, à l’époque moderne. Depuis 2021, Cécile prépare une thèse à l’université d’Aix-Marseille sous la direction de Anne Montenach intitulée “Le Rhône comme observatoire des pratiques économiques illicites entre Lyon et la Méditerranée, du milieu du XVIIe siècle au XVIIIe siècle”.

Le Rhône à l’époque moderne 

“Le Rhône n’a fait l’objet d’aucune synthèse historique sur la période moderne” – Cécile Bournat-Quérat

Ce n’est pas la première fois que nous explorons les océans et les mers dans Passions Modernistes. Nous avons découvert la vie des pirates dans les Caraïbes avec Thomas Rautureau dans l’épisode 33 et nous avons navigué en méditerranée à l’occasion du premier hors-série du podcast avec Guillaume Calafat. Aujourd’hui nous continuons notre voyage, mais sur un fleuve cette fois-ci.

Les ponts du Rhône au XVIIIe siècle, Cécile Bournat-Quérat et Mathieu Coulon
Les ponts du Rhône au XVIIIe siècle, carte réalisée par Cécile Bournat-Quérat et Mathieu Coulon

Les recherches de Cécile Bournat-Quérat (et cet épisode) à ce sujet sont pionnières puisque le Rhône à cette époque n’a pas encore été véritablement étudié malgré l’abondance de sources ! Pourtant, ce fleuve, comme l’ensemble des rivières navigables du royaume, faisait partie du domaine royal : il était donc la propriété du Roi de France. Mais comme le rappelle Cécile Bournat-Quérat la réalité est un petit peu plus complexe puisque les propriétés seigneuriales n’étaient pas totalement abolies… Certains péages et bacs du fleuve appartenaient donc à d’autres seigneurs.

 

“Le Rhône moderne je dirais qu’il faut avoir un peu d’imagination mais il faut penser à un fleuve puissant et destructeur, capricieux, imprévisible…” – Cécile Bournat-Quérat

Bien qu’il soit considéré comme une propriété, le Rhône n’en reste pas moins un espace naturel difficilement maîtrisé. Si le cours et les tracés du fleuve ont beaucoup changé depuis l’époque moderne, du fait de plusieurs aménagements jusqu’au XXe siècle, il s’est toujours distingué par la végétation dense de ses rives, sa rapidité, et de fait, par sa potentielle dangerosité.

L’organisation du commerce fluvial licite… 

C’est un moyen de transport apprécié car il est jugé plus sûr que la route : il y a moins de chances de rencontrer brigands et bandes sur le fleuve” – Cécile Bournat-Quérat

Si le transport fluvial est apprécié, Cécile Bournat-Quérat nous rappelle qu’il n’est pas non plus exempts de tous risques: aléas météorologiques, problèmes de navigations, pertes de marchandises… Le Rhône fait ainsi surtout passer des marchandises lourdes et de peu de valeur comme des matériaux de construction.

Mais la véritable marchandise reine sur le Rhône c’était bien le sel. Cécile Bournat-Quérat nous explique qu’il était remonté des salins méditerranéens puis chargé sur des barques pour remonter le Rhône et approvisionner les différents greniers échelonnés au fil de l’eau.

Car oui, si le Rhône lui-même abritait de grands ports de l’époque, comme celui de Lyon,  il ne faut pas non plus oublier les connexions avec les autres grands ports du Royaume. Celui de Marseille était un véritable centre de redistribution et permettait d’approvisionner le royaume en marchandises plus précieuses venues du Nouveau Monde et du Levant en les faisant passer par le Rhône. Enfin, outre la navigation, il fallait aussi compter sur d’autres points de connexions longeant le fleuve comme les ponts qui permettaient d’échanger de nombreux produits du quotidien. Finalement le Rhône pouvait faire passer tout et n’importe quoi !

Concernant les questions plus techniques de navigation, Cécile nous explique que si descendre le fleuve pouvait se faire rapidement, le remonter était en revanche une toute autre histoire. Il était nécessaire que les bateaux soient tirés par des animaux et même des hommes qui longeaient le fleuve par des chemins de halage.

… et du commerce fluvial illicite !

Relèvent du commerce illicite toutes les marchandises vendues en dehors du cadre réglementaire, donc soit des marchandises interdites soit des marchandises qui ne sont pas en règle avec la législation en place” – Cécile Bournat-Quérat

Bibliothèque municipale de Lyon, MDFRB04CPFR 001251, Vue générale du Pont-Saint-Esprit au XVIIIe siècle.
Bibliothèque municipale de Lyon, MDFRB04CPFR 001251, Vue générale du Pont-Saint-Esprit au XVIIIe siècle.

Qui pouvait bien prendre le risque de faire passer, ou d’acquérir, des marchandises illicites hors des monopoles d’État ? Les recherches de Cécile Bournat-Quérat révèlent qu’en réalité tout le monde pouvait tremper dans ce genre d’affaires : aussi bien soldats, que membres du clergé, que domestiques et bourgeois. Cependant, le cas du Rhône met en avant quelques récurrences : gens du fleuve, travailleurs de la terre, marchands… et une écrasante domination masculine.

Si les acteurs pouvaient être divers, les motivations l’étaient moins puisqu’elles étaient majoritairement pécuniairesCécile Bournat-Quérat perçoit cependant dans ses sources, des trajectoires plus romantiques avec quelques personnes motivées par un rêve d’aventure et de liberté prêtes à rejoindre des bandes de contrebandiers.

L’impact économique de ces pratiques est très difficile à estimer, aussi bien pour les économistes de l’époque qui étaient pourtant bien conscients du manque à gagner, que pour nous. Comment faire alors pour repérer dans les sources ces pratiques censées passer inaperçues ? Cécile Bournat-Quérat mobilise dans sa thèse des sources de différentes natures, mais elle est malheureusement confrontée aux mêmes problèmes que les autres travaux traitant de la criminalité. En l’absence de sources de première main beaucoup de choses nous échappent totalement. Mais une chose est sûre, ses recherches permettent d’y voir plus clair et de s’approcher un peu plus de ces pratiques illicites.

Pour en savoir plus sur le sujet de l’épisode, on vous conseille de lire :

Les écrits de l’invitée :

  • Archives départementales de la Drôme, B 1310, Extrait d’un procès-verbal de naufrage sur le Rhône, survenu près de Valence, 7 octobre 1778.
    Archives départementales de la Drôme, B 1310, Extrait d’un procès-verbal de naufrage sur le Rhône, survenu près de Valence, 7 octobre 1778.

    Bournat-Quérat, Cécile, « Une histoire ‘au ras du fleuve’ ? Approche multiscalaire des trafics clandestins au bord du Rhône entre Lyon et la Méditerranée (fin XVIIe-XVIIIe siècle) » dans Bulletin de l’AHMUF, 45, 2024 (https://doi.org/10.4000/12svi).

  • Bournat-Quérat, Cécile, « Le Rhône : frontière et territoire de l’illicite entre le Dauphiné et ses voisins (Lyonnais, Vivarais, Forez), milieu du XVIIe-XVIIIe siècles » dans Revue drômoise, 589, Septembre 2023, p. 82-87.
  • Bournat-Quérat, Cécile, « Rhône » dans Legay, Marie-Laure et Thomas Boullu (dir.), Dictionnaire Numérique de la Ferme générale, 2023 (https://fermege.meshs.fr).
  • Montenach, Anne et Bournat-Quérat, Cécile, « Dauphiné » dans Legay, Marie-Laure et Thomas Boullu (dir.), Dictionnaire Numérique de la Ferme générale, 2023 (https://fermege.meshs.fr).
  • Bournat-Quérat, Cécile, Fraude et contrebande à Lyon et dans le Lyonnais, 1674-1791, Paris, L’Harmattan, 2022.
  • Bournat-Quérat, Cécile, « Compte-rendu du colloque ‘Impôt et catastrophes. Approches environnementales de la fiscalité’ tenu à l’Université de Caen-Normandie » dans Histoire & Sociétés Rurales, 58, 2022, p. 234-237.
  • Bournat-Quérat, Cécile, « Contrebande de tabac à Lyon, 20 décembre 1788 » dans L’Atelier numérique de l’histoire, 2018.

Des lectures générales :

  • Béthemont, Jacques et Jean-Paul, Bravard, Pour saluer le Rhône, Lyon, Libel, 2016.
  • Conchon, Anne, Le péage en France au XVIIIe siècle. Les privilèges à l’épreuve de la réforme, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2002.
  • Fontaine, Laurence et Florence, Weber (dir.), Les paradoxes de l’économie informelle. À qui profitent les règles ?, Paris, Éditions Karthala, 2011.
  • Garnot, Benoît (dir.), Histoire et criminalité de l’Antiquité au XXe siècle. Nouvelles approches, Dijon, Éditions universitaires de Dijon, 1992.
  • Kwass, Michael, Contraband. Louis Mandrin and the Making of a Global Underground, Cambridge, Harvard University Press, 2014.
  • « Le Rhône. Une civilisation fleuve », L’Alpe, 97, 2022.
  • « Le Rhône d’hier et d’aujourd’hui : de la pratique d’antan…à la préservation du milieu », revue trimestrielle de l’association Mémoire d’Ardèche et Temps Présent, 151, août 2021.
  • Montenach, Anne, Femmes, pouvoirs et contrebande dans les Alpes au XVIIIe siècle, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 2017.
  • Moulinas, René, « Problèmes d’une enclave dans la France d’Ancien Régime : Culture, commerce et contrebande du tabac dans le Comtat Venaissin et à Avignon au début du XVIIIe siècle », Provence historique, 1967, p. 3-31.
  • Nordman, Daniel, Frontières de France. De l’espace au territoire, XVIe -XIXe siècle, Paris, Gallimard, 1999.
  • Payn-Echalier, Patricia, Les marins d’Arles à l’époque moderne, Aix-en-Provence, Publications de l’Université de Provence, 2007.
  • Person, Françoise de, Bateliers contrebandiers du sel. La Loire au temps de la gabelle, Éditions La Salicaire, Molineuf, 2010 (1ère éd. Ouest France, 1999).
  • Pichard, Georges, Provansal, Mireille et François, Sabatier, « Les embouchures du Rhône. L’apport de la cartographie à l’étude de leur évolution géomorphologique au cours du petit âge glaciaire (PAG) », Revue géographique des pays méditerranéens, 122, 2014, p. 43-59.
  • Rossiaud, Jacques, Le Rhône au Moyen-Âge. Histoire et représentations d’un fleuve européen, Paris, Flammarion, 2007.
  • Rossiaud, Jacques, Dictionnaire du Rhône médiéval. Identités et langages, savoirs et techniques des hommes du fleuve (1300-1550), Grenoble, Centre alpin et rhodanien d’ethnologie, 2002.