Épisode 59 – Pierre et les moulins à Paris au Moyen Âge
Comment étaient organisés les moulins à Paris au Moyen Âge ?
Dans cet épisode de Passion Médiévistes, Pierre Marchandin vous parle de sa thèse de doctorat en histoire sur le sujet « Moulins et énergie à Paris du XIIIe au XVIe siècle« . Soutenue à l’École nationale des Chartes en février 2021, il était sous la co-direction de Mathieu Arnoux et Olivier Guyotjeannin. Il vous explique la place et les rôles des moulins dans la capitale du royaume à la fin du Moyen Âge, leur emplacement stratégique, et comment les moulins répondaient aux besoins alimentaires de la population en prenant partie des énergies naturelles.
Paris au Moyen Âge, entre enceintes fortifiée et organisation administrative
Paris au Moyen Âge était encerclée par des remparts, une enceinte qui a évolué au fil des siècles et des règnes (cf l’illustration ci-dessous). Sur la rive droite, « la Ville », se concentrent les activités commerciales, sur la rive gauche, aussi appelée l’Université, l’enseignement, et sur l’île de la Cité le siège du pouvoir religieux et politique. Enfin, autour de Paris croissent des faubourgs et des nébuleuses de petites villes comme Belleville, Montmartre, Charenton, Saint Denis ou Saint Cloud.
En 1204, la tour du Louvre contrôle la Seine, franchie en amont par le Grand-Pont en pierre que défend un « châtelet ». C’est là que s’installe le prévôt de Paris, magistrat chargé d’administrer la ville. En 1261, Louis IX met en place l’équivalent d’une municipalité, en s’appuyant sur la puissante communauté des négociants chargés de l’approvisionnement par voie d’eau. Néanmoins, cette municipalité connaîtra beaucoup de changements au fil des siècles, notamment avec la révolte antifiscale de 1382 puis la refondation de la municipalité en 1412.
A la fin du Moyen Âge, Paris était peuplé d’autant d’habitants qu’une grande ville française actuelle, avec plus de 250.000 habitants en 1328. C’est d’ailleurs la ville la plus peuplée d’Europe à cette époque. Donc ses besoins énergétiques (surtout alimentaires), proportionnels à son importance démographique, nécessitaient une certaine organisation.
Les moulins au Moyen Âge, une question stratégique
Dans cet épisode, Pierre Marchandin explique qu’au Moyen Âge il existe différents types de moulins, avec chacun des sous-catégories :
- les moulins à eau, au bord de l’eau, en plein fleuve (comme les moulins pendus ci-contre), sur des bateaux…
- les moulins à vent, souvent construits en pierre
- et d’autres moulins pouvant servir de palliatifs, comme les moulins à chevaux
Les moulins étaient construits dans Paris car la farine qui y était produite ne pouvait pas se déplacer sur des longues distances, surtout pour des raisons de conservation. Il fallait donc que les moulins soient à proximité des boulangers, en ville. Néanmoins, les grains moulus ne venaient pas de très loin, principalement de la plaine de l’Île-de-France actuelle.
Ensuite il faut que la ville, pour des raisons stratégiques, garde ses capacités de mouture à l’intérieur des murs en cas de siège, pour éviter la famine. Le pain constitue la base de l’alimentation au Moyen Âge, autour de 70% des apports caloriques.
Au Moyen Âge les usages des moulins se sont diversifiés avec les évolutions techniques. On y trouve par exemple des activités de tannerie, du fouage de draps, l’actionnement des soufflets dans les forges, ou encore le battage de la pâte à papier.
De la domination du moulin à eau à la prédominance du moulin à vent
Le réseau de moulins installé à Paris s’est caractérisé par son évolutivité au cours au Moyen Âge. Si les besoins en mouture de Paris à son optimum médiéval étaient satisfaits par des moulins presque exclusivement hydrauliques, situés pour la majorité d’entre eux sur la Seine, aux alentours de l’île de la Cité, ce paysage connut de profondes mutations. On observe une forte diminution du nombre de moulins sur la Seine et une concentration des activités meunières sur la dernière boucle de la Marne.
Le moulin à vent, solution technique connue en France dès la fin du XIIe siècle, resta en dormance jusqu’au XVIe siècle, époque où une ceinture de moulins à vent apparut dans les faubourgs de Paris, leur nombre devenant presque équivalent au nombre de moulins à eau au début du règne d’Henri IV. Autrement dit, il y eut entre le XIIIe et le XVIe siècle une diversification du mix énergétique de la capitale.
Moulins à eau et moulins à vent eux-mêmes évoluèrent durant ces quatre siècles. En s’appuyant surtout sur l’iconographie puis sur les textes techniques, Pierre Marchandin explique dans sa thèse comment les moulins ont évolué dans leur aspect externe, mais aussi interne, avec un ensemble d’améliorations aboutissant à une augmentation du diamètre des meules.
Pierre Marchandin a aussi relevé une stabilité de l’autonomie meunière de la capitale, dont le parc meunier fut capable de moudre autour de 50% du blé nécessaire à la confection du pain des Parisiens, le reste des besoins en mouture étant traités par des moulins situés dans l’arrière-pays.
Pour en savoir plus sur le sujet de l’épisode, on vous conseille de lire :
- Arnoux (Mathieu), « 200 000 ans de transition énergétique », L’Histoire, n° 408, 2015, p. 8-15.
- Bloch (Marc), « Avènement et conquêtes du moulin à eau », Annales d’histoire économique et sociale, t. 7, 1936, p. 538-563.
- Comet (Georges), Le paysan et son outil : essai d’histoire technique des céréales : France, VIIIe-XVesiècle, Rome : École française de Rome, 1992.
- Desportes (Françoise), Le pain au Moyen Âge, Paris : Olivier Orban, 1987.
- Fierro (Alfred), Histoire et dictionnaire des 300 moulins de Paris, Paris : Parigramme, 1999.
- Gille (Bertrand), « Le moulin à eau, une révolution technique médiévale », Techniques et civilisations, t. 13 (1954), volume III.
- Guillerme (André), Les temps de l’eau : la cité, l’eau et les techniques, nord de la France, fin IIIe, début XIXe siècle, Seyssel : Champ Vallon, 1983, rééd. 1990.
- Jones (David H.), « Aspects techniques du moulin pendant », Actes du cinquième symposium de la Société internationale de molinologie (TIMS), France, 1982, p. 265-276.
- Kander (Astrid), Malanima (Paolo), Warde (Paul), Power to the People: Energy in Europe over the Last Five Centuries, Princeton-Oxford : Princeton University Press, 2013.
- Le Paris du Moyen Âge, sous la direction de Boris Bove et Claude Gauvard, Paris : Belin, 2014.
- Marchandin (Pierre), « La crainte de la panne des moulins à Paris, XIIIe-XVIe siècle », Techniques et culture, n° 72, p. 86-103.
- Moulins et meuniers dans les campagnes européennes : IXe-XVIIIe siècle : actes des XXIes Journées internationales d’histoire de l’Abbaye de Flaran, 3, 4, 5 septembre 1999, étudies réunies par Mireille Mousnier, Toulouse : Presses universitaires du Mirail, 2002.
- Philippe (Robert), L’énergie au Moyen-Âge, l’exemple des pays d’entre Seine et Loire, thèse de doctorat sous la direction de Michel Mollat du Jourdin, Paris : Université Paris Sorbonne, 1980, 4 vol.
- Reynolds (Terry S.), Stronger than a Hundred Men: a History of the Vertical Wheel, Baltimore: Johns Hopkins University Press, 1983.
Dans cet épisode vous avez pu entendre les extraits des œuvres suivantes :
- Lo leons – Anonyme (album La fête au village en Doulce France – Medievalia)
- Gérard Philippe raconte Don Quichotte de la Manche
- Du blé au pain – C’est Pas Sorcier
Si cet épisode vous a intéressé vous pouvez aussi écouter :
- Hors-série 6 – Les idées reçues sur le Moyen Âge (au Paris Podcast Festival)
- Hors Les Murs #3 – Les marais salants de Guérande
- Episode 9 – Thomas et les luttes de pouvoir en Auvergne
Merci à Clément Nouguier qui a réalisé le magnifique générique du podcast !